La Presse Anarchiste

Acré v’la le progrès

Or, ce 7 août 1945 est une date dans l’his­toire du monde. Ce jour-là, en effet, le prési­dent Tru­man, à la belle allure puri­taine, a pris la peine d’an­non­cer lui-même aux peu­ples libres et civil­isés que la pre­mière bombe atom­ique de cette guerre avait été lancée sur Hiroshi­ma. Et, en belle forme, il a révélé que depuis 1940 les savants anglais et améri­cains avaient fait des recherch­es, que 125.000 ouvri­ers avaient par­ticipé à la con­fec­tion du pro­jec­tile et qu’il avait coûté 2 mil­liards de dol­lars, soit 100 mil­liards de francs.

En ce qui nous con­cerne, nous ne don­ner­i­ons certes pas vingt sous Pleven pour un tel engin, même livré à domi­cile ; mais enfin, nul doute que le con­tribuable le plus ladre ne soit émer­veil­lé par les résul­tats obtenus. Pensez donc ! D’un seul coup 150.000 morts dans le même trou. Ah ! elle a été servie, la clien­tèle. Et puis il faut bien espér­er que la fab­ri­ca­tion en grande série fera baiss­er les prix.

Naturelle­ment, toute la presse donne des détails com­plaisam­ment. Du sable trans­for­mé en verre, une tour d’aci­er volatil­isée en vapeur, une chaleur supérieure à celle du soleil ! Ah ! y a d’la joie en perspective.

Mais comme il faut, hélas ! s’y atten­dre, on trou­ve tou­jours des empêcheurs de bom­barder en rond. Notre Saint-Père n’est pas con­tent et le Vat­i­can a trou­vé moyen — une fois n’est pas cou­tume — de stig­ma­tis­er net­te­ment l’emploi de la bombe atom­ique. Sans doute Notre Saint-Père, qui voit loin, pense-t-il qu’un des futurs bel­ligérants pour­rait un jour bom­barder Rome ; alors il faut être pru­dent. Et puis, quoi ? Pour être une Sain­teté, on n’en est pas moins homme et l’on a bien le droit de regarder avec méfi­ance ces char­la­tans qui du haut du ciel font tomber la colère divine d’une façon telle que Dieu le Père n’y retrou­vera pas ses petits. On a tout de même le droit de regret­ter la belle époque où le feu purifi­ca­teur venait d’en bas, quand de pieuses mains allumaient les bûch­ers au nom d’une croix même pas gammée.

Un patri­ote, mais un jaloux, vient nous affirmer que dès 1939 il avait com­mencé des travaux sur la désagré­ga­tion des atom­es et que l’é­tranger n’a fait que pren­dre la suite de ses expéri­ences. Ce jaloux, mais patri­ote, nous explique que l’«intelligence française » a sa petite part de respon­s­abil­ité, sinon active, du moins sci­en­tifique, dans la car­bon­i­sa­tion des 150.000 mal­heureuses vic­times d’Hi­roshi­ma. Le pro­fesseur Frédéric Joliot-Curie peut bien se van­ter, car il est du côté de la bar­ri­cade où il n’y a pas de crim­inels de guerre.

Enfin, souf­fler n’est pas jouer et pour leur appren­dre à vivre à ces salauds, à ces fana­tiques de Japon­ais, une sec­onde bombe est tombée sur Nagasa­ki. Elle était encore plus puis­sante que la pre­mière, voyez pro­grès. Mal­heureuse­ment une grande par­tie de la force explo­sive s’est per­due dans la mer et comme la guerre est ter­minée, sur qui con­tin­uer les expériences ?

Bra­vo, bra­vo, mes beaux messieurs, soyez sat­is­faits. Rien ne se perd, notait Lavoisi­er, et peut-être qu’un jour tous ces atom­es désagrégés entreront dans le cœur des peu­ples sous la forme d’une telle haine, d’une telle hor­reur, d’un tel besoin de vengeance que l’ex­plo­sion de la colère vous fera tous dis­paraître. Avouez que ce sera bien votre tour. Et à vos hyp­ocrites et imbé­ciles affir­ma­tions sur l’art et la manière d’hu­man­is­er la guerre suc­cédera l’ère où les peu­ples human­is­eront la paix.


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