La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

Albert Lebrun au tribunal

« Le témoin explique à la Cour qu’on ne vote pas au Conseil des ministres, que ça ne se fait pas, qu’on dis­cute et que, du débat, une opi­nion moyenne se dégage, qui devient celle de l’ensemble. »

Quand on pense que c’est sous un tel aspect de la res­pon­sa­bi­li­té que ces gui­gnols font la guerre, la paix, la pluie et le beau temps, et que des mil­lions de jobards croient encore qu’ils sont là pour quelque chose dans les déci­sions gouvernementales.

Mer­ci Bébert ! On le savait, mais fal­lait que ce soit dit.

Unité d’action

Billoux, ministre de la San­té Publique, avait écrit au Maré­chal que Dala­dier était res­pon­sable de la guerre et il lui a deman­dé d’être cité au pro­cès de Riom comme témoin à charge en com­pa­gnie de Costes et Midol. Depuis, Billoux a peut-être rem­pla­cé son opi­nion, mais nous, nous conti­nuons à pen­ser qu’il y a de drôles de zigo­tos dans ce minis­tère de la Résis­tance. Alors, on pro­po­sait un petit coup de main au chef de la 5e colonne ? Et l’é­pu­ra­tion, alors ?

Simple bon sens

Me Isor­ni — M. Dala­dier a mis en pri­son M. Billoux ; le maré­chal a mis en pri­son M. Dala­dier ; le gou­ver­ne­ment dont fait par­tie M. Billoux met en pri­son le maré­chal. Ah ! il y a de quoi être scep­tique sur la jus­tice politique.

On était, à vrai dire, fixé depuis longtemps.

Les frères ennemis

À la der­nière séance de ce même pro­cès, le pro­cu­reur géné­ral Mor­net et plu­sieurs membres du jury ont cha­leu­reu­se­ment féli­ci­té Me Isor­ni, défen­seur du vieux jésuite, pour la façon remar­quable dont il venait de plai­der en faveur de son maré­chal de client.

Et mal­gré cette mani­fes­ta­tion de soli­da­ri­té entre l’ac­cu­sa­tion et la défense, il se trouve encore des bonnes volon­tés pour être, dans cette affaire, « pour » ou « contre » celui-ci ou celui-là !

Tout ce beau monde se res­semble pour­tant tellement !

La vérité par la peur

Après la publi­ca­tion du pro­gramme tra­vailliste de réforme légale, on pou­vait lire dans l’«Aurore » cet aveu magnifique :

« Les bour­geois ont inté­rêt à ce que l’ex­pé­rience anglaise réussisse.

« Si elle ne réus­sis­sait pas, en effet, les masses tra­vailleuses, un peu par­tout, acquer­raient cette convic­tion que, déci­dé­ment, le bul­le­tin de vote ne suf­fit pas, que la méthode anglaise ne vaut pas celle dont on a fait l’ex­pé­rience en Rus­sie, que le pou­voir ne se conquiert pas au cours de consul­ta­tions élec­to­rales, mais se prend.

« Et qu’au lieu d’être la sub­sti­tu­tion d’une hié­rar­chie à une autre — une trans­mis­sion — la révo­lu­tion doit être l’é­li­mi­na­tion bru­tale d’une classe sociale qui n’a pas vou­lu com­prendre et de cadres sans élasticité. »

Dans sa frousse de l’ac­tion directe révo­lu­tion­naire, la bour­geoi­sie, parce qu’elle sait que cette action est irré­sis­tible et qu’elle est la seule solu­tion du grand pro­blème où elle a tant à perdre, montre par là aux pro­lé­taires mieux que n’im­porte quel argu­ment de notre part où est la véri­té de notre combat.

À l’aide de l’U.R.S.S.

M. Gun­ther, ministre de Suède, pro­pose d’é­ta­blir un bloc nor­dique com­pre­nant la Suède, la Nor­vège, le Dane­mark. Ce serait à peu près la réplique de la fédé­ra­tion bal­ka­nique avec la You­go­sla­vie, la Bul­ga­rie, l’Al­ba­nie et le Mon­té­né­gro. La Fédé­ra­tion nor­dique ferait envi­ron 19 mil­lions d’ha­bi­tants. La « Prav­da » du 26 juillet déclare ceci : « La col­la­bo­ra­tion entre les nations scan­di­naves prô­née par la Suède a tou­jours eu pour consé­quence d’i­so­ler ces pays et de leur faire adop­ter une atti­tude anti­so­vié­tique. La pro­po­si­tion de M. Gun­ther est cer­tai­ne­ment conforme aux dési­rs réac­tion­naires sué­dois, mais elle s’op­pose aux inté­rêts des masses popu­laires scan­di­naves et est contraire au ren­for­ce­ment de la paix et de la sécu­ri­té dans le monde. »

Conclu­sion : la « Prav­da » est rédi­gée par un Jean-Foutre parce que la Suède, la Nor­vège et le Dane­mark n’ont jamais fait de guerre d’a­gres­sion depuis plus de cent ans ; que la sécu­ri­té de l’U.R.S.S., pays de 200 mil­lions d’ha­bi­tants n’est pas mena­cée par une fédé­ra­tion de 19 mil­lions d’ha­bi­tants, — l’a­gres­sion russe contre la Fin­lande n’est pas oubliée —; qu’il ne fau­drait pas retour­ner les faits.

Quant aux masses sué­doises, nor­vé­giennes et danoises, à majo­ri­tés socia­listes et très démo­crates, quant à ces col­lec­ti­vi­tés où la liber­té est ardem­ment défen­due, excu­sez-nous, « Prav­da », mais les indi­vi­dus qui les com­posent sont cer­tai­ne­ment aus­si heu­reux qu’en Rus­sie. Ils ne connaissent pas le lais­sez-pas­ser inté­rieur, ni l’in­ter­dic­tion de s’ex­pa­trier, ce qui consti­tue peut-être en U.R.S.S. un cer­ti­fi­cat de res­pect de la liber­té indi­vi­duelle, mais qui dans les pays nor­diques serait consi­dé­ré comme une dic­ta­ture insupportable.

Statistique du chômage

Recru­des­cence du chô­mage dans le métier de roi : le nom­mé Plas­ti­ras, géné­ral de son état, réclame la démis­sion de Georges Ier, roi de Grèce ; Tito, maré­chal, celle de Pierre Kara­geor­ge­vitch ; le peuple belge, celle de Léo­pold III de Saxe-Cobourg-Gotha ; le peuple ita­lien, celle de Vic­tor-Emma­nuel de Savoie.

On pense qu’il s’a­git de sup­pres­sion d’emploi à titre défi­ni­tif et sans pen­sion, les inté­res­sés s’é­tant déjà suf­fi­sam­ment sucrés pen­dant leur temps de service.

Un général… antimilitariste

Nous com­men­çons à com­prendre pour­quoi Eisen­ho­wer nous est si sym­pa­thique, c’est qu’il est… anti­mi­li­ta­riste. Il a tex­tuel­le­ment décla­ré récem­ment à Moscou :

« Le monde doit être débar­ras­sé de tous les mili­taires, y com­pris moi-même. » (« Le Popu­laire » du 18 août 1945.)

Le petit père génial des peuples a dû en ava­ler de tra­vers, les gra­dés du para­dis socia­liste ont dû faire une drôle de tête.

En tout cas, des mil­liers de vrais paci­fistes et révo­lu­tion­naires sont morts ou ont per­du leur jeu­nesse dans les pri­sons pour avoir dit ce que le géné­ral amé­ri­cain a décla­ré en toute impu­ni­té à son tour.

Il ne reste plus qu’à invi­ter le libé­ra­teur d’une toute pro­vi­soire libé­ra­tion… à notre pro­chain congrès libertaire.

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