La Presse Anarchiste

Et l’Impérialisme continue

Les élec­tions bri­tan­niques et la confé­rence de Pots­dam ont reten­ti l’at­ten­tion mon­diale en ce qui concerne les rap­ports futurs entre États et le règle­ment des pro­blèmes de la paix. Quoique notre opi­nion soit faite sur les résul­tats élec­to­raux, et contrai­re­ment à ceux qui voient dans le suc­cès tra­vailliste une révo­lu­tion, nous savons que depuis long­temps le Labour a répu­dié toute action révo­lu­tion­naire vio­lente, se can­ton­nant dans le réfor­misme, sou­te­nu en cela par les Trade-Unions. Nous pen­sons donc qu’il n’y a aucune révo­lu­tion et que les natio­na­li­sa­tions pré­vues ne font que ren­for­cer sur le plan, inté­rieur l’au­to­ri­té de l’É­tat. Dans un des pays où la liber­té indi­vi­duelle est le plus for­te­ment ancrée, les dic­ta­tures éco­no­miques prennent le pas, car, nous ne ces­se­rons de le répé­ter, les natio­na­li­sa­tions, mal­gré la confu­sion qu’on cherche à entre­te­nir, ne sont pas des socia­li­sa­tions. L’É­tat-patron ne se conduit pas mieux que le par­ti­cu­lier-patron, avec cette dif­fé­rence aggra­vante que la lutte y est plus dif­fi­cile. Du point de vue exté­rieur, les maîtres en la matière ont pour habi­tude de consi­dé­rer que la poli­tique exté­rieure ne subit pas l’in­fluence de la poli­tique inté­rieure. Jus­qu’à un cer­tain point nous ferons nôtre cette règle, et en ce qui concerne l’Em­pire Bri­tan­nique, disons que tout ce qui tou­che­ra à l’hé­gé­mo­nie de l’empire sera défen­du aus­si farou­che­ment par le major Attlee que par W. Chur­chill. Il faut peut-être voir là le ren­voi à la confé­rence de la paix des pro­blèmes les plus épi­neux de la confé­rence de Pots­dam (détroits, colo­nies ita­liennes, ques­tion de Tan­ger, fron­tières occi­den­tales alle­mandes, etc.). Il n’en est pas de même pour les pro­blèmes qui ne pou­vaient que rap­pro­cher cer­taines ten­dances du socia­lisme euro­péen. Léon Blum et la S.F.I.O. ont pris posi­tion au sujet de l’u­ni­té orga­nique avec le P.C. Cette posi­tion se trouve être posée éga­le­ment en Ita­lie où Pie­tro Nen­ni, grand arti­san de l’u­ni­té orga­nique, a dû faire machine arrière. Par­tout la sociale démo­cra­tie semble vou­loir se faire épau­ler afin d’en­trer dans le sillage tra­cé par le Labour-Par­ty. Ain­si la pous­sée slave de l’Est et du Sud euro­péen se trou­ve­rait com­pen­sée par un contrôle des sociaux-démo­crates qui com­pren­drait les États nor­diques, la Hol­lande, la Bel­gique, le Dane­mark, la France, l’I­ta­lie et l’Es­pagne, Fran­co étant de plus en plus indé­si­rable et une com­bi­nai­son Juan Negrin-Alva­rez del Vayo étant prête à prendre les com­mandes. Ici je ne sau­rais trop insis­ter en deman­dant à nos amis liber­taires de se tenir prêts, de ne pas se lais­ser sur­prendre par les évé­ne­ments ; la F.A.I. et la C.N.T. ont lais­sé dans les masses une empreinte qui ne s’est pas effa­cée et si les Juan Negrin et del Vayo pensent que la révo­lu­tion de palais en pré­pa­ra­tion repré­sente le maxi­mum, qu’ils se détrompent… Il y a d’autres aspi­ra­tions dans la classe ouvrière espa­gnole que le retour à la période d’a­vant juillet 1936.

On peut donc dire que les élec­tions anglaises, si elles consti­tuent un rap­pro­che­ment entre les peuples occi­den­taux euro­péens, peuvent son­ner le glas du fas­cisme poli­tique. Déjà Sala­zar semble inquiet sur son sort. En Ita­lie, le régime monar­chique a fait son temps et même les démo­crates-chré­tiens aban­donnent Vic­tor-Emma­nuel, tou­jours per­sua­dés que l’ex­pec­ta­tive dans laquelle Léo­pold III s’é­tait tenu jus­qu’à ce jour était sur­tout moti­vée par le résul­tat des élec­tions anglaises. Aujourd’­hui il est fixé. Nulle pres­sion du gou­ver­ne­ment anglais ne vien­dra pour sau­ver le trône. Le voyage du prince Charles à Londres sera sans résul­tat. Tout cela, mal­gré tout, a un revers… Les trois Grands s’en­tendent comme lar­rons en foire pour se par­ta­ger le monde ; mais le par­tage est trop com­plexe pour ne pas ame­ner des fric­tions, et si l’U.R.S.S. a mar­qué des points dans sa poli­tique réa­liste, elle semble avoir fait le plein. Le reste, c’est le bloc démo­cra­tique. Ce qui fait qu’a­près tout, si la théo­rie du bloc occi­den­tal et du bloc orien­tal est aban­don­née, se dresse un bloc social-démo­crate en Occi­dent et un bloc sovié­to-com­mu­niste en Orient. C’est sur la base des idéo­lo­gies nou­velles que les masses seront tenues en haleine… pen­dant que les capi­ta­listes, éta­tiques, diri­gés ou libé­raux conti­nue­ront sous des formes plus ou moins bru­tales à main­te­nir les deux blocs anta­go­nistes qui nous inté­ressent : les repus et les dénués. Et la classe ouvrière de tous les pays, quel que soit son régime poli­tique, est du deuxième bloc, de celui dans lequel Tru­man, Chur­chill, Attlee ou Sta­line puisent leurs Sénégalais.

La confé­rence de Pots­dam semble avoir été un suc­cès pour la diplo­ma­tie sovié­tique. N’exa­gé­rons rien tou­te­fois : le pro­blème polo­nais a été enté­ri­né ; les États baltes annexés par l’U.R.S.S. (charte de l’At­lan­tique, m’en­tends-tu?); le régime des répa­ra­tions a été lais­sé en fait à la dis­po­si­tion des trois Grands, le sys­tème de poli­tique à l’é­gard de l’Al­le­magne ayant été orien­té vers une cer­taine uni­té de trai­te­ment. En prin­cipe, le plan Mor­gen­thau de réduc­tion de l’Al­le­magne en une puis­sance pure­ment agri­cole a été sui­vi, mais on peut décré­ter qu’un pays sera agri­cole, lui arra­cher les moyens indus­triels de faire la guerre, les richesses res­tent immuables et leur pro­prié­té donne la puis­sance à leur possesseur.

D’a­près les experts amé­ri­cains, l’in­dus­trie alle­mande est détruite à 40 % et sa remise en état nor­mal ne deman­de­rait que cinq ans ; or, à sup­po­ser que les Alle­mands ne soient désor­mais plus les pro­prié­taires de cette puis­sance, dans cinq ans la puis­sance indus­trielle alle­mande sera réta­blie à son poten­tiel nor­mal. Elle se trou­ve­ra entre les mains des Anglo-Amé­ri­cains et par­tiel­le­ment des Fran­çais. Où en seront dans cinq ans les pré­ten­tions des Alliés à l’é­gard de l’Al­le­magne ? La Rus­sie, qui s’est empres­sée de tout démé­na­ger d’Al­le­magne, a pris les devants. Les alliés anglo-amé­ri­cains peuvent encore accep­ter bien d’autres sacri­fices ; ils détiennent le char­bon, le mine­rai, les voies fer­rées et flu­viales les plus impor­tantes et sont les grands maîtres du pétrole. Une remise par­tielle de ces richesses à un gou­ver­ne­ment alle­mand à leurs ordres, dans un ave­nir peut-être éloi­gné, — cinq ou dix ans, — serait une mon­naie d’é­change déter­mi­nante pour faire entrer la nou­velle Alle­magne dans le bloc occi­den­tal, car l’Al­le­mand, fier de sa culture, se sen­ti­ra tou­jours plus atti­ré vers les Anglo-Amé­ri­cains que vers les Russes ou les Polo­nais, qu’il déteste cordialement.

Le com­mu­ni­qué final de la confé­rence fait croire que tous les pro­blèmes n’ont pas été étu­diés à fond. Ce n’est pas notre avis. Ils ont tous été étu­diés, mais les solu­tions n’ont pu leur être don­nées tant que l’af­faire du Paci­fique n’a pas été réglée. Les mar­chan­dages, l’ul­ti­ma­tum, les réserves chi­noises, le départ de M, Song, tout cela indique que les inté­rêts sont très enche­vê­trés et que des sur­prises seront réser­vées, car si les colo­nies ita­liennes n’ont fait l’ob­jet d’au­cune déci­sion. la contre-par­tie se trou­ve­ra dans les bases du Paci­fique déte­nues par le Japon et qui inté­ressent l’U.R.S.S. et l’A­mé­rique au plus haut point.

Il était donc néces­saire de ter­mi­ner au plus vite et la décla­ra­tion de guerre de l’U.R.S.S., que l’on veut nous pré­sen­ter comme un pas vers la paix, a été sur­tout une prise de posi­tion afin d’a­voir son mot à dire autour du tapis vert. Quant à la paix, c’est plus tard qu’on ver­ra ce qu’elle y aura gagné. Les condi­tions pro­po­sées au Japon étaient le renon­ce­ment à toutes les conquêtes nip­pones depuis 1895, c’est-à-dire que le béné­fice de la guerre rus­so-japo­naise de 1905 était remis en ques­tion. Or, les inten­tions sovié­tiques ne s’ar­rêtent pas là. La Mon­go­lie exté­rieure, la Mand­chou­rie, la Corée sont autant de ques­tions que Sta­line n’a pas omis de sou­le­ver, mais qui sont aus­si en contra­dic­tion avec le natio­na­lisme de Tchang-Kai-Tchek, sou­te­nu par les Amé­ri­cains. La Rus­sie va donc pou­voir reprendre la poli­tique tra­di­tion­nelle de son impé­ria­lisme asia­tique. En Europe elle semble avoir fait le plein et ne peut plus aller bien loin dans cette direc­tion. Son inter­ven­tion dans le Paci­fique est le deuxième temps de la manoeuvre. Cer­tains Amé­ri­cains ont été alar­més à l’i­dée que tant de G.I. auraient été sacri­fiés pour per­mettre à un concur­rent consi­dé­rable de s’ins­tal­ler dans le Pacifique.

Le conflit armé entre le Japon et les États-Unis est en appa­rence ter­mi­né, mais les appé­tits impé­ria­listes sont plus forts que jamais. Une guerre est finie, une autre com­mence. plus féroce parce que sour­noise et secrète. Du choc des impé­ria­lismes russe et amé­ri­cain dépend le sort des peuples.

La Presse Anarchiste