La Presse Anarchiste

Histoires vécues du jour et de la nuit

Le sérum de la vérité

On en parle beau­coup de ce sérum, en ces temps de men­songes. Cer­tains le jugent indis­pen­sable pour faire sor­tir la véri­té du puits où elle s’obs­tine à demeu­rer. Et quand cette véri­té est de nature à satis­faire les inté­rêts de nos maîtres, et dans ce cas-là seule­ment, on admi­nistre au patient, de gré ou de force, une dose de ce fameux « pen­to­thal » qui, affirment de nom­breux pra­ti­ciens, pro­voque aus­si­tôt un épan­che­ment ver­bal des plus curieux. Avec le pen­tho­tal, vous met­tez votre cœur à nu et votre sub­cons­cient sur la table. Ce qui est par­fois fort dangereux.

Or, il s’est trou­vé qu’un déte­nu à qui le pro­cé­dé avait été impo­sé ne l’a point tolé­ré. Il porte plainte contre ceux qui ont atten­té à sa liber­té. Je ne connais pas ce déte­nu, mais sur le point qu’il sou­tient je lui donne entiè­re­ment rai­son. Car si la liber­té consiste à pou­voir pro­cla­mer ce que bon vous semble, elle implique aus­si le droit de vous taire si vous le jugez bon. C’est pour­quoi je m’ef­for­ce­rai de me rendre à l’au­dience de la cor­rec­tion­nelle le 15 du mois pro­chain. Elle pro­met d’être inté­res­sante car le plai­gnant accuse ceux qui lui ont impo­sé le pen­tho­tal de « coups et bles­sures ». S’il obtient gain de cause, le juge­ment fera cer­tai­ne­ment cou­ler beau­coup d’encre. Et peut-être plus encore si le plai­gnant est débou­té de sa demande. Car, dans ce cas, l’emploi du pen­tho­tal sera offi­ciel­le­ment recon­nu comme un exer­cice nor­mal de la machine judi­ciaire, au même titre que la tor­ture qui, nul n’en doute plus, a retrou­vé tous ses droits de cité, même dans ses pro­cé­dés les plus hideux.

Quoi qu’il en résulte, comme nous n’at­ten­dons pas le juge­ment d’un tri­bu­nal pour nous faire une opi­nion, nous pou­vons dès main­te­nant prendre posi­tion pour ou contre le sérum de la véri­té. Tout d’a­bord, recon­nais­sons que son effi­ca­ci­té est for­te­ment dis­cu­tée. De nom­breux méde­cins le com­parent au pro­toxyde d’a­zote, qui connut la célé­bri­té dans cer­tains cabi­nets den­taires où les clients étaient opé­rés, non seule­ment sans dou­leur, mais dans une eupho­rie déli­cieu­se­ment déli­rante. D’autres doc­teurs m’ont affir­mé que le pen­tho­tal n’é­tait pas supé­rieur à quelques litres de vin et qu’il ne com­por­tait pas plus de mys­tère qu’un pas­tis bien tas­sé sui­vi d’a­pé­ri­tifs divers. Tou­te­fois, recon­nais­sons, contra­dic­toi­re­ment à ces iro­nies, que le pen­tho­tal a de farouches apôtres qui insistent âpre­ment pour qu’il soit appli­qué dans tous les cas où la Véri­té doit sur­gir (sic).

Mais qui déter­mi­ne­ra le cas où la Véri­té doit surgir ?

Là est toute la question.

Quant à nous, nous décla­rons sans ambages que le sérum de la véri­té doit être réser­vé tout d’a­bord et impo­sé à tous ceux qui aspirent au titre de « chefs », à tous ceux qui se chargent de notre bon­heur en fai­sant ou défai­sant les lois, à tous ceux qui se pré­tendent si sou­cieux de nos inté­rêts qu’ils s’en réservent la ges­tion avec un soin jaloux. Et de même qu’un « petit sol­dat » qui part pour défendre notre sol dans « notre empire d’outre-mer » se voit gra­ti­fié de la série des vac­cins obli­ga­toires, de même tout par­le­men­taire, tout ora­teur public, tout juge, tout magis­trat doit subir avant cha­cun de ses exer­cices l’in­jec­tion du sérum de la vérité.

Que les gou­ver­ne­ments commencent !

Si le sérum n’est com­pa­rable qu’à l’i­vresse, cela ne leur fera pas beau­coup de mal.

Mais si vrai­ment il les oblige à pro­cla­mer la véri­té, cela nous fera beau­coup de bien !

La vérité se manifeste souvent d’une façon spontanée

En effet il y a, de par le monde, des indi­vi­dus suf­fi­sam­ment déman­gés par le besoin de la cla­mer ou tout au moins d’ex­pri­mer publi­que­ment leur opi­nion. C’est ain­si qu’un modeste spec­ta­teur de Livourne, au cours d’une pro­jec­tion des actua­li­tés dans un ciné­ma de la ville, n’a pas hési­té à sif­fler quand la figure du pape appa­rut sur l’é­cran. Cet hor­rible sacri­lège qui jadis aurait valu le bûcher à cet impru­dent ne lui a coû­té que dix mois de pri­son avec sur­sis. Il y a pro­grès. Mais c’est encore une grande injus­tice. Car n’ou­blions pas qu’en Ita­lie, comme en bien des pays, le droit de sif­fler s’a­chète en payant sa place au théâtre ou au ciné­ma. On a le droit de sif­fler à la Sca­la de Milan ou au ciné­ma del Popo­lo à Naples. Or, dans le cas que nous rela­tons, le Pape, sor­ti de ses appar­te­ments par­ti­cu­liers du Vati­can, le Pape s’as­si­mi­lait à une vedette ordi­naire. Sa Sain­te­té s’ex­hi­bait. Elle sol­li­ci­tait, par cela même, les suf­frages du public. Il n’y eut donc pas d’in­jure sur l’au­guste per­sonne du Pape, puisque, dédai­gnant les som­mets de son invio­la­bi­li­té, Sa Sain­te­té est des­cen­due dans la rue et s’est assi­mi­lée de son plein gré aux cabo­tins ordi­naires des Lettres, de la Poli­tique et du Cinéma.

Une autre victime du pape

C’est Jean-Paul Sartre, dont la Congré­ga­tion du Saint-Office vient d’ins­crire le nom sur un livre aus­si épais qu’un roman à la mode, six cents pages envi­ron, et qui s’in­ti­tule l’In­dex libror­tun pro­hi­bi­to­rum. Le mot index se suf­fit à soi-même ; c’est l’in­ter­dic­tion à tout bon catho­lique de lire le livre réprouvé.

Tous les écri­vains dignes de ce nom ont figu­ré à l’In­dex. Mais que ce soit Zola ou Ana­tole France, leurs livres ne s’en portent pas plus mal. Et je suis cer­tain que Jean-Paul Sartre en réchappera.

D’ailleurs, les obstinés et les têtus ont la vie dure

Ain­si que l’ont prou­vé ces deux alpi­nistes qui sont res­tés cinq jours sans nour­ri­ture ni som­meil sur une anfrac­tuo­si­té de gra­nit domi­nant l’a­bîme. Il est vrai que des cen­taines de sau­ve­teurs se mobi­li­sèrent et furent mobi­li­sés pour les arra­cher à leur sort.

L’homme ne serait-il plus un loup pour l’homme ?

Pen­dant ce temps, les mous­que­tons et les mitraillettes de l’Ordre conti­nuaient leurs car­tons sur les mineurs en grève !

Achar­ne­ment de l’Homme à se dévouer… parfois.

Achar­ne­ment à se détruire… toujours.

Il y a du sang sur tous les murs

Neuf affiches sur dix, luxueu­se­ment pla­car­dées dans le métro et ailleurs, invitent les foules à « la bagarre » sous toutes ses formes. Par­tout en apprend à tuer vite et bien, à se com­por­ter dans le meurtre comme un homme… un homme « comme il faut », un vrai.

Tant et si bien que mon petit-fils, âgé de six ans et paci­fi­que­ment éle­vé, demande des pis­to­lets… pour faire comme tout le monde.

Cet âge est sans pitié !

Aurèle Pator­ni

La Presse Anarchiste