La Presse Anarchiste

La défense de l’homme

La défense de l’Homme est aus­si pro­di­gieu­se­ment ana­chro­nique que rigou­reu­se­ment néces­saire, l’homme étant en effet de plus en plus atta­qué au fur et à mesure que pro­gresse la Civi­li­sa­tion, c’est-à-dire que s’or­ga­nise (sic) la Socié­té, et de moins en moins défen­du. De moins en moins défen­du parce qu’il lui est de plus en plus dif­fi­cile de se défendre lui-même et qu’on n’est jamais aus­si mal ser­vi que par autrui, ain­si que le dit excel­lem­ment et à peu près le proverbe.

Sans remon­ter bien loin dans le sou­ve­nir de nos contem­po­rains, arri­vés à une matu­ri­té confor­table, quand on se sou­vient qu’a­vant la guerre de 1914 on pou­vait faire le tour du monde muni d’une simple carte de visite, pas obli­ga­toire d’ailleurs, et ne por­tant pas néces­sai­re­ment le nom du titu­laire, que 1918 nous a appor­té la carte d’i­den­ti­té et que nous en sommes main­te­nant au ticket d’a­li­men­ta­tion, on mesure le che­min par­cou­ru… à reculons.

En 1914, pour peu qu’il soit tol­stoïen ou qu’il ait du Droit et de la Civi­li­sa­tion une notion dif­fé­rente de celle des ber­gers et des trou­peaux, l’in­ci­tant à confondre, avec une imper­ti­nence bien per­ti­nente, la défense de l’Homme et la sau­ve­garde indi­vi­duelle, l’homme pou­vait fort bien réus­sir à se réfu­gier en Suisse ou en Hol­lande, voire dis­crè­te­ment vivre caché (pour vivre heu­reux) en plein Paris.

Que pour­ra-t-il faire, au cours de la pro­chaine, pour se déro­ber, modes­te­ment, à l’hé­roïsme ambiant ?

Le tolé­re­ra-t-on en Onu­sie, alors qu’on a expul­sé du Palais de Chaillot un ex-res­sor­tis­sant amé­ri­cain, volon­tai­re­ment pré­ten­du citoyen du monde ? Ou ne devrait-il pas plu­tôt envi­sa­ger un refuge indi­vi­duel inter­pla­né­taire tech­ni­que­ment peu au point d’ac­cès et de séjour ?

Ceci sou­ligne en pas­sant la mesure de nos ambi­tions, la défense de l’Homme se situant pour nous sur un plan qui va de l’In­di­vi­duel au Cos­mique (et nous n’en sommes qu’au second numé­ro de cette revue!). À ce train-là il ne fau­dra pas long­temps pour que l’Homme, cer­né par le Col­lec­tif sous toutes ses formes, de plus en plus impla­ca­ble­ment, sans havre sur cette terre et rêvant d’une hypo­thé­tique nuée déserte, ne situe dans la lune une miri­fique tour d’i­voire. Qui ne réside, au fond, éter­nel­le­ment, qu’en lui-même.

Léo Cam­pion

La Presse Anarchiste