La Presse Anarchiste

Les familles nombreuses

Si les hommes ont des oblig­a­tions à l’é­gard des êtres qui ne sont pas encore, elles ne con­sis­tent pas à leur don­ner l’ex­is­tence, mais le bon­heur ; elles ont pour objet le bien-être général de l’e­spèce humaine et de la famille à laque­lle ils sont rat­tachés et non la puérile idée de sur­charg­er la terre d’êtres inutiles et malheureux.

Condorcet.

Que diriez-vous d’un éleveur qui serait inca­pable de nour­rir son chep­tel et qui ne trou­verait d’autre solu­tion que d’en accroître for­mi­da­ble­ment le nom­bre ? Vous diriez assuré­ment que cet homme est fou ou qu’il s’ag­it de quelque sadique qui entend se livr­er à de cru­elles expéri­ences sur la fac­ulté de souf­frir de nos « frères » inférieurs…

Or, con­tre toute vraisem­blance, cet éleveur stupé­fi­ant n’est pas un mythe. Il existe. Il se nomme l’É­tat, mais l’in­for­tuné chep­tel qu’il ne peut nour­rir et dont il pré­tend mul­ti­pli­er l’e­spèce, sans règles ni mesure, est com­posé d’êtres que l’on con­sid­ère comme des hommes dans les péri­odes d’e­uphorie élec­torale qui précè­dent la tonte des trou­peaux ou la joyeuse ruée vers les abat­toirs des champs d’honneur.

Faites des enfants, tou­jours plus d’en­fants ! telle est la chan­son­nette rit­uelle de tous les « nour­ris­sons » jouf­flus qui prélassent leur con­teuse incom­pé­tence dans les fau­teuils direc­to­ri­aux des officines gou­verne­men­tales. Et, sous l’œil bien­veil­lant, voire un tan­ti­net émoustil­lé, des vieux ramol­lis et des rom­bières hys­tériques qui hurlent à l’ob­scène dans les « ligues de moral­ité », la for­ni­ca­tion inten­sive s’or­gan­ise, tel un tra­vail à la chaîne bien règle.

Le moment est certes bien choisi pour « enfourn­er » de la graine de mis­ère ! Après la dernière vague d’im­bé­cil­lité guer­rière, les jour­naux, la radio et tous les prônes urbains et sub­ur­bains nous appren­nent qu’il existe une mul­ti­tude d’en­fants qui man­quent de lait, de pain, de vête­ment, de chaus­sures. Dans les faubourgs des grandes villes des familles entières sont entassées dans des logis étroits comme des tombeaux et dans les régions dévastées des bam­bins vivent — si l’on peut appel­er ça vivre — dans des caves humides ou dans des baraques où le vent souf­fle sa rude chan­son tant red­outée des gueux !

Il n’y a pas assez d’é­coles pour accueil­lir tous les enfants, et la plus affligeante des men­dic­ités organ­ise des col­lectes dans la rue pour venir en aide aux petits tuber­culeux qui, faute d’air, de nour­ri­t­ure et de soleil, s’en vont mourir dans les sanatoriums…

Oui, le moment est bien choisi, sous le règne du machin­isme, avec le chô­mage qui ne tardera pas à dire son mot, s’il n’est devancé par le sin­istre spec­tre de la guerre qui appa­raît déjà à l’horizon.

Quand nous serons rede­venus « les plus forts » et que les hommes fer­ont, de nou­veau, les « couil­lons en uni­forme » sur les routes de la débâ­cle, cela fera de jolis cortèges, toutes ces voitures d’en­fant qui déam­buleront sous la mitraille, poussées par de mal­heureuses femmes dont l’af­fole­ment n’au­ra point le refuge assuré des con­fort­a­bles posi­tions d’outre-mer !

Voilà ce que se garde bien de dire la grande presse, cette grande presse qui n’a point changé en dépit de son intro­n­i­sa­tion par une « libéra­tion nationale » qui s’est achevée en farce grotesque. Les jour­naux ont d’ailleurs mieux à faire que de sig­naler les dan­gers de la sur­pop­u­la­tion. Ils se doivent d’abord aux cri­ail­leries des per­ruch­es de la volière par­lemen­taire, aux exploits des gang­sters, puis ils leur faut asti­cot­er l’imag­i­na­tion de leurs lecteurs avec la descrip­tion détail­lée du galbe, des cuiss­es et du sexe des demoi­selles « Ambre » qui vien­nent, « en tenue de tra­vail », s’ex­hiber devant quelques obsédés sex­uels et maque­reaux mondains.

La presse par­le bien quelque­fois, car cela fait par­tie de l’arse­nal pro­pre à sec­ouer la tripe sen­ti­men­tale du lecteur rétif aux harangues poli­tiques, des drames qui sur­gis­sent fréquem­ment dans ces « belles » familles qui sont loin d’être tou­jours, par déf­i­ni­tion, des familles heureuses. Elle se régale de ces drames où l’ivrogner­ie des géni­teux joue générale­ment un rôle dont les enfants sont les inno­centes vic­times, mais elle n’en tire pas les con­clu­sions qui s’im­posent et qui mon­tr­eraient toute la turpi­tude de cette civil­i­sa­tion qui s’in­téresse davan­tage aux races porcines et cheva­lines qu’à la pro­tec­tion de la race humaine !

Ce sont les couch­es les plus pau­vres, les moins con­scientes aus­si, qui se lais­sent « entor­tiller » dans ces cours­es au prix Cognacq qui, aujour­d’hui, con­stituent une « indus­trie » envi­able pour ceux qui n’ont nul souci de la san­té morale et physique de leur progéni­ture. Il est si agréable d’échang­er les assig­nats du gou­verne­ment con­tre ces liq­uides qui s’of­frent impérieuse­ment à la ten­ta­tion des gueux qui n’ont d’autres jouis­sances que celles du ven­tre. C’est sou­vent devant le comp­toir du bistro que nais­sent ces vel­léités sex­uelles qui s’é­panouis­sent « en remon­tant le faubourg » aux jours de print­emps quand, selon l’ex­pres­sion tru­cu­lente de Jean Ric­tus, « ça sent la merde et les lilas!…».

Dans les cam­pagnes, bien enten­du, le lap­in­isme ne reste pas en arrière. La sen­teur aphro­disi­aque des herbages n’incite que trop aux fécon­des étreintes ! Et la sem­piter­nelle voix des cloches, cette voix qui dit : crois­sez et mul­ti­pliez, cou­vre les appels timides de la pru­dence et de la raison…

Quelle pro­pa­gande pour­rait enray­er l’œu­vre de ces incon­scients qui font de leur mieux pour accroître le fardeau, déjà si lourd, de la mis­ère humaine ? Allez donc par­ler à ces gens-là de l’avenir de l’hu­man­ité, de l’eugénisme, de Paul Robin, de Giroud, d’Eugène Hum­bert. Folie ! Vous n’ébran­lerez même pas leur par­faite insen­si­bil­ité d’e­sprit en leur citant les textes du Clemenceau de « La Mêlée Sociale » qui déclarait, lui aus­si, com­par­er le développe­ment des familles nom­breuses aux rav­ages de l’al­coolisme. Le père de ces familles nom­breuses est si sou­vent un minus habens qui arrive, tout juste à saisir la pro­pa­gande grossière­ment pro­téique du par­ti bolchevique, la seule qui soit à la mesure de son intelligence

Ce n’est pas chez les moscoutaires, bien enten­du, qu’on renâ­clera con­tre l’œu­vre des repop­u­la­teurs. Il leur faut aus­si, à nos bons moscouil­lons du « matériel » pour la future armée rouge qui cham­bardera un jour la planète. Et puis, ne suit-on pas le mou­ve­ment en Russie où l’én­ergie sex­uelle ne tourne pas à vide ! La natal­ité aug­mente là-bas prodigieuse­ment. Sans doute que le Stakhanovisme est appliqué à la cop­u­la­tion et que les rap­proche­ments sex­uels s’opèrent suiv­ant la pure tech­nique de ce marx­isme lénin­iste qui règle tous les rap­ports des humains bolchevisés sous la houlette du Petit Père des Peu­ples. Quoi qu’il en soit les lap­in­istes de l’U.R.S.S. sont aus­si grande­ment encour­agés que les nôtres. Au douz­ième enfant la géni­trice russe est sacrée « mère héroïne» ; on lui colle des croix et l’ef­figie de Staline sur le nom­bril ! Ça fait très comice agri­cole, mais nous ne voyons guère le rap­port avec l’élé­va­tion de l’homme et le social­isme et surtout nous ne pen­sons pas que ce pul­lule­ment organ­isé puisse rétablir l’équili­bre de cette vieille Europe dont la pop­u­la­tion, en dépit des guer­res et des épidémies, a dan­gereuse­ment grossi de quelque 300 mil­lions d’habi­tants en un siècle !

Quel vaste sujet de médi­ta­tion ! Penser qu’en notre époque de « haute cul­ture » nous sommes encore si près de l’homme des cav­ernes. L’acte le plus grand, le plus impor­tant, puisque la pro­créa­tion intéresse la con­ser­va­tion de l’e­spèce, est aban­don­né à l’in­stinct comme au temps de ce Pithé­can­thrope qui nous relie à l’an­i­mal­ité pure.

S. Vergine


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