La Presse Anarchiste

Où va le monde ?

BULLETIN DE SANTÉ. — Novembre, comme les mois qui l’ont pré­cé­dé, a appor­té au monde plus d’a­gi­ta­tion et de heurts que de rai­sons d’es­pé­rer ou, pour par­ler le lan­gage des diplo­mates, plus de ten­sion que d’a­pai­se­ments. Fera-t-on la guerre aujourd’­hui, demain, après-demain ? Les hommes vivent dans cette expec­ta­tive, mi-scep­tiques, mi-rési­gnés. Si l’o­rage s’a­paise, les malins diront, avec un clin d’œil : « Évi­dem­ment, c’est trop tôt. » Et si les diplo­mates mili­taires s’ef­fa­çaient devant les mili­taires non diplo­mates, les mêmes s’é­crie­raient : « C’é­tait sur ! » Mais il y a encore beau­coup de bonnes volon­tés. La radio fran­çaise nous gra­ti­fie, sept heures durant, d’une inter­mi­nable ode à la paix. Un jour­nal du matin inter­roge ses lec­teurs : « Qu’a­vez-vous fait pour la paix ? » Espérons !

L’ÉLECTION DE M. TRUMAN. — Contre toute attente, contre les sta­tis­tiques de M. Gal­lup, M. Tru­man l’a empor­té sur M. Dewey. Élu dans l’ombre de Roo­se­velt, l’homme qui, à la mort de celui-ci, « reçut le pou­voir en trem­blant » ne jouis­sait pas d’un très grand pres­tige. La classe ouvrière a cepen­dant, comme on le sait, voté en sa faveur sur le conseil des syndicats.

Signa­lé à l’at­ten­tion des tra­vailleurs par la loi Taft-Hart­ley, le can­di­dat répu­bli­cain, repré­sen­tant tra­di­tion­nel du grand com­merce et de la grande indus­trie, s’est bien gar­dé pen­dant sa cam­pagne élec­to­rale d’ex­po­ser son pro­gramme anti­so­cial. Mais ses élec­teurs n’ob­ser­vaient pas le même silence. Dès lors les par­ti­sans de M, Tru­man eurent beau jeu.

En ce qui concerne la poli­tique inté­rieure des U.S.A., l’é­lec­tion de M. Tru­man pour­rait per­mettre cer­taines conquêtes ou recon­quêtes syn­di­cales. Le secré­taire d’É­tat au Tra­vail annon­çait le 9 novembre que le Congrès serait cer­tai­ne­ment appe­lé à voter l’a­bro­ga­tion de la loi Taft-Hart­ley. Il signa­lait en même temps la res­tau­ra­tion de la clause d’af­fi­lia­tion syn­di­cale obli­ga­toire (clo­sed shopa durable peace in the world.

Accep­tons-en l’augure.

STRATÉGIE DES GRANDS. — Cha­cun des deux Grands vou­drait bien, et espère, faire l’é­co­no­mie d’une guerre. Et cha­cun cepen­dant se com­porte comme si le conflit lui appa­rais­sait inévitable.

M. Tru­man déclare : « Tous mes efforts seront consa­crés à la paix du monde. » Dans une inter­view accor­dée à la Prav­da, Sta­line pro­clame le besoin et la volon­té de l’U.R.S.S. de résoudre paci­fi­que­ment la crise des rela­tions Est-Ouest.

Tou­te­fois, et pour l’im­mé­diat, les Cinq de Bruxelles se donnent un état-major com­mun (les U.S.A. devant four­nir les cré­dits). Cha­peau­tant le tout, un Pacte Atlan­tique se des­sine : les mêmes plus les U.S.A. Plus quelques autres qu’on inté­gre­ra le moment venu : l’I­ta­lie (c’est si peu de chose), les Scan­di­naves (s’ils veulent bien), l’Es­pagne (le fruit est encore vert), le Por­tu­gal, l’Al­le­magne (d’où néces­si­té de res­tau­rer son poten­tiel mili­taire par la res­ti­tu­tion de la Ruhr, ce qui pro­voque les pro­tes­ta­tions indi­gnées de la France).

Mais il y a des aléas. Une posi­tion de repli est donc adop­tée. La défense de l’Eu­rope repose sur deux têtes de pont solides : la Grande-Bre­tagne et la pénin­sule ibé­rique. À défaut de l’Es­pagne (il faut per­sua­der l’An­gle­terre et la France), le Por­tu­gal suf­fi­rait. Le 8 octobre, le Por­tu­gal dépêche à Londres un géné­ral dont l’ar­ri­vée est clai­ron­née par la B.B.C. Le 15 novembre, le géné­ral amé­ri­cain Kuter, chef de l’A.T.C., s’en­tre­tient à Lis­bonne avec le géné­ral Sin­tra, chef de l’a­via­tion portugaise.

Les mili­taires sont pres­sés et ne peuvent guère comp­ter sur la France, où les « Séné­ga­lais » de M. Sta­line entre­tiennent une agi­ta­tion per­ma­nente. La C.G.T. perd ses adhé­rents, mais le Krem­lin est par­ve­nu à ses fins. Le gou­ver­ne­ment Queuille l’a si bien com­pris qu’il a fait inter­ve­nir des tanks dans le conflit des mineurs. L’ex­cès de tels moyens ne fera que for­ti­fier le sen­ti­ment amé­ri­cain sur la fai­blesse stra­té­gique de la France.

La guerre froide revêt d’ailleurs des aspects curieux. À Cey­lan, l’U.R.S.S. tente à coups de dol­lars de souf­fler aux U.S.A. la récolte de caou­tchouc : 80.000 tonnes. Les cours étant fixés par accords inter­na­tio­naux, il faut aux négo­cia­teurs amé­ri­cains une déci­sion du Congrès pour suivre les sur­en­chères russes.

On passe ain­si du bou­ton de guêtre au pneu de voi­ture. Tous les efforts seront faits pour qu’au jour J il n’en manque pas un.

LE PROBLÈME DE BERLIN. — C’est une que­relle de sourds, comme pour la bombe ato­mique ou le désar­me­ment. « Levée du blo­cus d’a­bord. Intro­duc­tion du mark orien­tal à Ber­lin ensuite », disent les Amé­ri­cains. Les Russes reprennent la pro­po­si­tion en la renversant.

La bonne mon­naie chas­sant la mau­vaise, ain­si que le constatent les éco­no­mistes, le mark occi­den­tal com­pro­met à Ber­lin les inté­rêts russes.

On n’est pas près d’en sor­tir. Le 26 octobre, les Amé­ri­cains vont l’emporter au Conseil de Sécu­ri­té de l’O.N.U. Mais Vychins­ki oppose le veto russe. Le même jour, une infor­ma­tion paraît à Ber­lin dans le jour­nal Mon­tag­se­cho (licence sovié­tique), infor­ma­tion sui­vant laquelle les com­mu­nistes alle­mands pré­voient un départ pro­chain des troupes russes. Le 2 novembre, une dépêche de Washing­ton fait connaître qu’on envi­sa­ge­rait, dans l’en­tou­rage de Tru­man et Mar­shall, d’of­frir aux auto­ri­tés sovié­tiques le retrait simul­ta­né de toutes les troupes d’oc­cu­pa­tion en Allemagne.

Par­ti­ront, par­ti­ront pas ? Ne crai­gnons, ou plu­tôt n’es­pé­rons rien ! Depuis quand dégar­nit-on les frontières ?

Le 7 novembre, M. Bra­mu­glia déclare vou­loir reprendre le pro­blème sur de nou­velles bases. En pro­po­sant une mise en cir­cu­la­tion pro­gres­sive de la mon­naie sovié­tique tan­dis que les Russes per­met­traient le pas­sage d’un nombre crois­sant de trains, le délé­gué argen­tin espère obte­nir l’ac­cord des Grands.

Le 15 novembre, nou­velle inter­ven­tion. MM. Evatt et Trygve Lie demandent aux Grands de prendre toutes mesures pour résoudre la ques­tion de Ber­lin. Autre­ment dit le pro­blème posé au Conseil de Sécu­ri­té par les Occi­den­taux serait ren­voyé aux Quatre, qui n’ont pas réus­si à se mettre d’ac­cord. M. Bra­mu­glia n’est pas très content. Les Occi­den­taux non plus. Si le Conseil de Sécu­ri­té sort de l’im­passe, les grandes puis­sances s’y retrouvent seules.

Pour régler le pro­blème, M. Vin­son ira-t-il à Mos­cou ? Sta­line ira-t-il à Washing­ton ? Téhé­ran, Potsdam?…

La Paix est dans les fers.

LA PALESTINE. — Le comte Ber­na­dotte, média­teur de l’O.N.U., avait recom­man­dé au Conseil de Sécu­ri­té cer­taines modi­fi­ca­tions au plan de par­tage. Le Neguev, notam­ment, devait être reti­ré aux Israé­liens. Or le Neguev est pour les Juifs une terre de peu­ple­ment et doit leur per­mettre d’ac­croître for­te­ment dans les dix années à venir la popu­la­tion du nou­vel État. Ber­na­dotte a payé de sa vie ce que cer­tains ont esti­mé être une trop fidèle sou­mis­sion aux inté­rêts britanniques.

Condam­né sur le plan moral pour n’a­voir pas su évi­ter l’at­ten­tat, le gou­ver­ne­ment juif a réta­bli com­plè­te­ment sa posi­tion sur le plan mili­taire. Le Neguev a été conquis, la Gali­lée enva­hie et les armées arabes ne peuvent plus l’emporter sans une aide extérieure.

On ne parle plus, cette fois, de trêve, mais d’ar­mis­tice. La condi­tion impo­sée serait le retrait des troupes israé­liennes enga­gées dans le Neguev. Mais les Juifs n’ont pas consen­ti des sacri­fices dans le com­bat, ni encou­ru la répro­ba­tion géné­rale en lais­sant tuer le média­teur, pour reti­rer fina­le­ment leurs troupes à la demande de l’O.N.U. La menace de sanc­tions éco­no­miques est une plai­san­te­rie, le nou­vel État n’ayant pro­ba­ble­ment pas eu beau­coup de temps pour nouer des rela­tions éco­no­miques. Le Conseil de Sécu­ri­té, en rai­son de la divi­sion des Grands, ne régle­ra pas plus le pro­blème pales­ti­nien que les autres, et les Arabes, mal­gré leur répu­gnance, fini­ront par négo­cier avec les Israéliens.

EXTRÊME ORIENT. — La Chine de Tchang Kaï Chek paraît s’ef­fon­drer. Volée, pillée, sou­mise à toutes les exac­tions des gou­ver­neurs et géné­raux, sup­por­tant la guerre sur son sol depuis seize ans et une misère noire, elle semble s’é­va­nouir comme fumée au vent. Les armées de Mao avancent, avancent et des troupes natio­na­listes char­gées de les com­battre s’y agglo­mèrent. En 1945 la Chine de Tchang comp­tait par­mi les cinq Grands.

Ver­rons-nous se recons­ti­tuer l’empire de Gen­ghis Khan ? Est-ce dans cette éven­tua­li­té que les auto­ri­tés amé­ri­caines viennent de libé­rer les trusts japo­nais de tout contrôle gou­ver­ne­men­tal ? Les Japs dans le camp occi­den­tal, qui l’eût cru ?

Mao s’est défen­du d’être d’o­bé­dience moscoutaire.

Nous sau­rons bien­tôt ce qu’en pense Staline.
Zimmer

DERNIÈRE HEURE. — Le dépar­te­ment d’É­tat amé­ri­cain vient brus­que­ment de sor­tir de sa « tor­peur » sous la pres­sion crois­sante des mili­taires et des répu­bli­cains. (À quoi pen­sait Sta­line en fai­sant, grâce à Wal­lace, le jeu de Dewey?) 

Ce n’est pas encore la guerre U.S.A. contre com­mu­nistes chi­nois. Mais cela pour­rait bien abou­tir à une inter­ven­tion grave.

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