Novembre voit revenir, avec les chrysanthèmes, les cérémonies officielles et les discours de circonstance au pied des monuments aux Morts.
Morts de la « grande » guerre, morts des guerres coloniales, morts de la « dernière » guerre, morts bien alignés du plateau de Lorette, morts engloutis au fond des océans, morts partis en fumées des crématoires, morts déchiquetés au souffle des bombes, Morts entassés dans les fosses communes d’exécution, tous, vous êtes partis avant l’heure de votre mort naturelle.
Laissons à ceux que leur fonction désigne le soin de trouver les phrases éloquentes pour dire la nécessité de votre sacrifice et la reconnaissance des survivants.
Inclinons-nous avec un douloureux respect ; mais, le cœur lourd, gardons la conscience lucide des causes de tant d’horreurs, et la volonté d’oeuvrer pour en empêcher le retour.
Les hommes ont toujours été plus soucieux d’assurer leur félicité dans l’au-delà que d’organiser un monde où régneraient la Justice et la Paix ; ou, plutôt, les chefs politiques et religieux ont habilement orienté leurs préoccupations vers des buts lointains pour détourner leur attention des problèmes immédiats.
Le but de l’éducation a toujours été de former des êtres capables de se soumettre aux exigences d’une société donnée et de se sacrifier à des mythes : ainsi on est mort successivement pour le tombeau du Christ, pour la Foi, pour le Roi, pour l’Empire, pour la Liberté, pour le Droit, pour la Patrie, pour la Civilisation, toujours pour le profit des ambitieux et des trafiquants.
Il est temps de proclamer la nécessité de vivre, non pour être un héros, mais simplement un homme robuste, bon et utile à ses semblables. Il est temps de bâtir sur les ruines des vieilles conceptions, une foi nouvelle : la religion de la Vie.
Si les hommes abandonnaient les anciennes disciplines spirituelles, reconnues définitivement impuissantes, pour se soumettre aux exigences de la Raison. Si les travailleurs désertaient les usines de guerre pour construire des maisons, des écoles, des stades, des piscines, planter des arbres fruitiers.
Si parents et éducateurs se penchaient sur les enfants avec intérêt et dévouement combattant en eux l’instinct de violence, et leur inculquant le respect de la Vie et le désir de créer.
Si l’on appliquait à l’élevage et à l’éducation des « petits d’homme » les récentes découvertes de la biologie, de la diététique et de la psychologie.
Alors, peut-être le Progrès deviendrait-il une réalité.
Il y aurait moins d’enfants jouant sur lest trottoirs ou dans les sombres corridors.
Il y aurait moins d’enfants dans les prisons ou allongés sur les terrasses des sanatoriums.
Alors, les hommes plus intelligents trouveraient peut-être des solutions rationnelles au problème social au lieu de s’entretuer sauvagement.
Alors, peut-être ferait-on des consciences libres au lieu des troupeaux de moutons destinés aux égorgements périodiques. Alors, la mort ne frapperait plus avant l’heure. Elle serait comme au soir d’un jour paisible, le retour au grand tout. Les fils fermeraient les yeux de leur mère.
Les mères ne pleureraient plus sur une tombe ou devant une photographie.
Il y aurait moins de noms gravés sur le marbre.
Il y aurait moins de discours inutiles. Si le culte des Vivants détrônait le culte des Morts.
Denise Roman-Michaud