Il importe peu que l’histoire du Christ soit réelle ou légendaire ; la vérité historique, ici, nous est indifférente. Puisqu’en ces jours de Noël tant d’hommes vont célébrer la naissance du Christ, il est bon que les hommes libres — c’est ainsi que j’appelle les anarchistes — se souviennent que la figure du Christ, pour eux, n’est pas sans signification.
Et d’abord rappelons-nous que Joseph était un pauvre charpentier et que Jésus est né dans une étable. Grande leçon déjà, car c’est assez dire que la richesse ne mérite aucun respect, et que les prêtres, à l’Église, ne devraient pas réserver les meilleurs bancs aux riches. Au contraire, c’est la pauvreté qui mérite respect, honneur, adoration. Non point pitié, mais respect. Car il faut ordinairement plus de courage pour rester pauvre que pour s’enrichir. En nos temps surtout, la richesse est facile, pourvu qu’on ne soit pas difficile sur les moyens. Non point pitié pour le pauvre, mais honneur au pauvre, parce qu’il est courageux. Non point pitié mais adoration, car c’est dans les pauvres que l’on peut espérer ; comment faire confiance à ceux qui ont préféré la richesse ? Si l’humanité peut recevoir quelque bien, c’est des pauvres qu’elle le recevra, de ceux qui vivent pour autre chose que pour devenir riches. L’homme libre, comme le Christ, doit savoir mépriser les richesses, et vivre pauvrement.
Rappelons-nous aussi quelle fut la vie du Christ. Il fut celui qui ne fit de mal à personne et qui fit beaucoup de bien. Il fut celui qui ne méprisait personne et, en tout homme, cherchait à reconnaître son semblable. Les prêtres disent que nous sommes frères en Christ, mais ils ne comprennent pas ce qu’ils disent ou du moins ils font comme s’ils ne le comprenaient pas. Car cela ne signifie nullement que l’on doive faire quelque différence entre les hommes selon la couleur de leur peau, selon le pays où ils sont nés, selon leur situation sociale, selon leurs opinions et croyances. Mais au contraire dire que les hommes sont frères en Christ, c’est dire que tous les hommes sont frères parce qu’ils sont hommes ; c’est dire que sur l’Égalité se fonde la Justice, et que la suprême vertu est la Fraternité, que les prêtres appellent du nom méprisant de charité. C’est dire que toute guerre est fratricide et que rien ne peut justifier le massacre des Innocents. Mais il ne suffit pas de le dire. L’homme libre, comme le Christ, doit savoir refuser la violence, et vivre justement.
Enfin, rappelons-nous comment le Christ est mort, par quelle alliance de prêtres, de soldats et d’administrateurs il fut mis à la croix. Et comprenons que tous les Pouvoirs, qu’ils soient religieux, civils ou militaires, ont pour fin la destruction de l’Homme. Les maîtres n’ont d’autre ambition que d’augmenter le nombre de leurs esclaves. Leur ennemi, c’est l’homme libre, et quand ils ne peuvent ni le dompter pour en faire un esclave, ni le corrompre en lui faisant sa place parmi les maîtres, ils n’ont d’autre ressource que la crucifixion. Ainsi périt Jésus, sans haine et sans orgueil, conscient de l’inconscience de ses persécuteurs. Non point en héros et par soif du martyre, mais humainement et par impossibilité de vivre dans un monde où triomphe la force et où il n’y a pourtant de salut que par le refus de forcer. L’homme libre, comme le Christ, doit mépriser les puissances, et mourir humblement.
Il ne faut pas laisser aux prêtres, le soin de célébrer Noël ; le Christ ne leur appartient pas ; Noël est la fête des Hommes Libres.
Georges Pascal