La Presse Anarchiste

Association et communistes

[[Cf : sur asso­cia­tion et com­mu­nistes, voir Marx, L’as­so­cia­tion, L’anti – Lénine de Claude Ber­ger (Payot 1974 ) et Lutte de classe du G.L.A.T., sept./oct. 1974.]]

Le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste repose sur un rap­port de pro­duc­tion fon­da­men­tal : le sala­riat. Ce der­nier est le fon­de­ment même de l’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste qui implique l’é­change en valeur de la force de tra­vail, la sépa­ra­tion entre les pro­duc­teurs et les moyens de pro­duc­tion. Elle signi­fie l’ins­tau­ra­tion de rap­ports sociaux capi­ta­listes au sein même de l’ac­ti­vi­té sociale (divi­sion du tra­vail), ain­si que l’ex­ten­sion de l’ordre du tra­vail sala­rié à toute l’exis­tence (décom­po­si­tion de la vie dans et hors du tra­vail), l’a­to­mi­sa­tion des tra­vailleurs en vue de répondre aux exi­gences du tra­vail sala­rié, sou­mis­sion à l’i­déo­lo­gie et au pou­voir étatique.

Le sala­riat, sans lequel disait Marx : « point de capi­tal ; point de bour­geoi­sie, point de socié­té bour­geoise », c’est l’ex­ploi­ta­tion, l’op­pres­sion dans le tra­vail, l’op­pres­sion dans l’existence.

La dialectique des luttes de classes

Le capi­ta­lisme en déve­lop­pant des rap­ports sociaux de pro­duc­tion et des formes sociales cor­res­pon­dantes fon­dés sur l’an­ta­go­nisme entre Capi­tal et Tra­vail ain­si que sur la divi­sion de celui-ci, inau­gure la lutte de classe. Cette lutte a pour résul­tat immé­diat la résis­tance à l’op­pres­sion, l’ex­ploi­ta­tion ; on négo­cie autant le tra­vail four­ni que le salaire reçu en « com­pen­sa­tion ». Mais contraire ment aux autres mar­chan­dises le coût de la force de tra­vail est déter­mi­née par un rap­port de forces entre classes qui se tra­duit par l’ins­tau­ra­tion pro­vi­soire de rap­ports sociaux au sein de la classe ouvrière : les rap­ports sociaux communistes.

Syno­nymes de recom­po­si­tion de leur acti­vi­té, c’est par eux que les tra­vailleurs « vont trou­ver dans leur acti­vi­té révo­lu­tion­naire même le maxi­mum de jouis­sances de leur vie. » (K. Marx, Nou­velle Gazette Rhé­nane)

La lutte de classe revêt donc un carac­tère double :
– la lutte-reven­di­ca­tive qui est à la fois le départ et l’ap­pa­rence du mou­ve­ment social.
– la lutte par et pour l’as­so­cia­tion qui est sup­pres­sion momen­ta­née de la divi­sion du tra­vail et de l’a­to­mi­sa­tion des travailleurs.

Aspects de la dualité des luttes

Le com­mu­nisme n’est ni un état ni un idéal. Il est le mou­ve­ment qui abo­lit l’é­tat actuel et dont les condi­tions résultent des pré­mices déjà exis­tantes, le mou­ve­ment du pro­lé­ta­riat en lutte contre la domi­na­tion capitaliste.

Toute lutte avance une reven­di­ca­tion (inté­rêt du sala­riat), mais cette reven­di­ca­tion pour laquelle se déclenche cette lutte favo­rise l’ap­pa­ri­tion d’une asso­cia­tion qui met momen­ta­né­ment fin au règne du sala­riat (sup­pres­sion de la concur­rence entre tra­vailleurs, du salaire lié à la qua­li­fi­ca­tion…). Ce fai­sant, les frac­tions du pro­lé­ta­riat qui affrontent la domi­na­tion capi­ta­liste quittent le ter­rain de leurs reven­di­ca­tions pour s’or­ga­ni­ser col­lec­ti­ve­ment et ins­tau­rer les condi­tions de leur affranchissement.

C’est là tout le sens de la pen­sée de Marx : « C’est sous la forme des coa­li­tions qu’on tou­jours lieu les pre­miers essais des tra­vailleurs pour s’as­so­cier entre-eux… La concur­rence les divise d’in­té­rêts. Mais le main­tien du salaire, cet inté­rêt com­mun qu’ils ont contre leur maitre, les réunit dans une même pen­sée de résis­tance ― coa­li­tion. Ain­si la coa­li­tion a tou­jours un double but, celui de faire ces­ser entre eux la concur­rence pour pou­voir faire une concur­rence géné­rale au capi­ta­liste. Si le pre­mier but de la résis­tance n’a été que le main­tien des salaires, à mesure que les capi­ta­listes à leur tour se réunissent dans une pen­sée de répres­sion, les coa­li­tions, d’a­bord iso­lées, se forment en groupe, et en face du capi­tal tou­jours réuni, le main­tien de l’as­so­cia­tion devient pour eux plus impor­tant que celui du salaire… Dans cette lutte ― véri­table guerre civile ― se réunissent et se déve­loppent tous les élé­ments néces­saires à une bataille à venir. Une fois arri­vée à ce point là, l’as­so­cia­tion prend un carac­tère poli­tique. » (Misère de la phi­lo­so­phie). Ou encore : « La classe ouvrière sub­sti­tue­ra dans le cours de son déve­lop­pe­ment à l’an­cienne socié­té civile, une asso­cia­tion qui exclu­ra les classes et leur antagonisme. »

C’est donc son carac­tère double qui per­met à la lutte, en s’at­ta­quant au sala­riat, de déclen­cher et de mûrit un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire basé sur l’or­ga­ni­sa­tion col­lec­tive, et d’i­nau­gu­rer une pra­tique réel­le­ment révo­lu­tion­naire fon­dée sur la trans­for­ma­tion des rap­ports de force à l’a­van­tage des masses.

C’est tou­jours ce carac­tère double de la lutte qui amène les coa­li­tions et d’autres formes d’as­so­cia­tion dans les­quelles le pro­lé­ta­riat effec­tue sous nos yeux son orga­ni­sa­tion comme classe.

C’est cette même pra­tique poli­tique révo­lu­tion­naire de l’au­to­no­mie pro­lé­ta­rienne qui per­met de ne pas se can­ton­ner dans la poli­tique d’ap­pa­reils, de ne pas jus­ti­fier la média­tion de par­tis pour « la conser­va­tion du sala­riat » inau­gu­rée par Kauts­ky, Lénine et consorts. La grève n’est reven­di­ca­tive qu’en appa­rence : l’as­so­cia­tion à laquelle elle donne lieu doit pour échap­per au champ clos de « la défense du salaire », du main­tien du tra­vail indif­fé­ren­cié et de l’a­to­mi­sa­tion du tra­vail, signi­fier la recon­quête par­tielle du pou­voir et du savoir, détrui­sant pro­vi­soi­re­ment les rap­ports sociaux du sala­riat (et non évi­dem­ment les rap­ports de pro­duc­tion). C’est l’exi­gence d’une asso­cia­tion, ayant pour point de départ la lutte pour un salaire de sur­vie (pour une extor­sion plus faible du sur-travail),pour en arri­ver à l’a­bo­li­tion du sala­riat et à l’exis­tence com­mune qui est alors direc­te­ment for­mu­lée par la lutte.

A l’in­verse, toute pra­tique poli­tique qui ne vise qu’à limi­ter la lutte des classes au domaine bor­né de la reven­di­ca­tion, n’est en soi qu’un moment néces­saire à la repro­duc­tion du sala­riat et du capi­tal (un pas en avant des forces pro­duc­tives), à la restruc­tu­ra­tion de ceux-ci en vue d’une exploi­ta­tion et d’une oppres­sion tou­jours plus accrues des tra­vailleurs. N’é­tant alors prise que comme un moment néces­saire à l’é­lar­gis­se­ment du capi­tal, elle ouvre la porte au règne des média­tions aux­quelles reviennent le pri­vi­lège d’ac­cor­der à la lutte le carac­tère révo­lu­tion­naire qu’elle est cen­sée ne pas avoir. Autre­ment dit, l’ins­tau­ra­tion momen­ta­née, mais pou­vant être pro­lon­gée de rap­ports sociaux com­mu­nistes désigne un pro­cès et un pro­jet révo­lu­tion­naire. A la dif­fé­rence des pro­jets éta­blis dans le mou­ve­ment ouvrier sur le modèle des caté­go­ries bour­geoises, ce pro­jet est direc­te­ment impli­qué en pro­cès dans la lutte elle-même. C’est là tout le sens du com­mu­nisme comme mou­ve­ment réel, trou­vant ses ori­gines dans le ventre du capi­ta­lisme, tel qu’il a été théo­ri­sé par Marx et Engels. Il n’est pas pro­je­té sur la réa­li­té, mais il pro­cède de la réa­li­té des luttes par et pour l’ins­tau­ra­tion de rap­ports sociaux communistes.

Ce n’est qu’à un stade supé­rieur de ce mou­ve­ment, carac­té­ri­sé par un degré d’a­char­ne­ment des luttes, s’é­ten­dant à toute l’exis­tence que peut alors se réa­li­ser concrè­te­ment le bou­le­ver­se­ment des rap­ports de pro­duc­tion capi­ta­liste et l’a­bo­li­tion du salariat.

Du règne des médiations

Omettre la phase qui mène de la lutte de la classe ouvrière pour « ses inté­rêts face au capi­tal », à sa lutte de classe révo­lu­tion­naire par et pour l’as­so­cia­tion, pour ne rete­nir que le côté immé­diat, le carac­tère « trade- unio­niste » (la défense du salaire) c’est jus­ti­fier la média­tion de par­tis, syn­di­cats et grou­pus­cules en rai­son même de l’in­ter­pré­ta­tion stric­te­ment éco­no­mique des luttes.

La ques­tion se pose alors dans ces termes : la grève auto­rise-t-elle ou non « l’in­sur­rec­tion»’, la prise du pou­voir par « nous, les média­teurs, les déten­teurs de la science bour­geoise » (concep­tion figée des inté­rêts de classe dans le cadre de la socié­té en place), les « poli­tiques » consti­tués en par­tis ? Média­tions d’au­tant plus néces­saires que la lutte est pré­ci­sé­ment répu­tée non por­teuse de poli­tique, stric­te­ment limi­tée à son carac­tère revendicatif ?

De Kauts­ky et Lénine à leurs héri­tiers, c’est cette pré­ten­tion à réa­li­ser ce que le pro­lé­ta­riat n’au­rait pas fait lui-même qui a pré­va­lu. Il y à iden­ti­té de vue entre tous les léni­nistes, la seule dif­fé­rence por­tant alors sur les cir­cons­tances et la forme du pou­voir. C’est cette même concep­tion des luttes qui fait dire à Lenine : « Le mou­ve­ment ouvrier spon­ta­né c’est le trade-unio­nisme. » C’est tou­jours la même qui fait dire à Séguy dans le « Mai de la C.G.T. » à pro­pos de Mai 68 : « La ques­tion était de savoir pour­quoi les sala­riés par­ti­ci­paient à la grève:pour l’a­mé­lio­ra­tion de leurs condi­tions de vie et de tra­vail ou avec la volon­té de détruire le capi­ta­lisme et d’ins­tau­rer le socia­lisme par voie insur­rec­tion­nelle ; il ne peut y avoir de doutes à ce sujet. Pour la grande masse des tra­vailleurs en lutte, les motifs de la grève étaient essen­tiel­le­ment reven­di­ca­tifs, sociaux, éco­no­miques ? C’est par ce biais qu’on éli­mine la lutte contre l’op­pres­sion sala­riale, c’est par ce biais aus­si que l’on impose son rôle de média­teur (aujourd’­hui dans la reven­di­ca­tion, demain dans la poli­tique) en pas­sant sous silence la poli­tique spé­ci­fique atta­chée à la lutte, « le carac­tère poli­tique de la lutte des classes ». Là où la lutte esquisse une recom­po­si­tion de l’exis­tence en mettent fin au tra­vail indif­fé­ren­cié, à la sépa­ra­tion syndiqués/​non syn­di­qués, politiques/​non poli­tiques, pro­vo­quée au départ par une reven­di­ca­tion liée au sys­tème, on n’en retient que le carac­tère reven­di­ca­tif pour en déduire une pra­tique poli­tique bour­geoise dans le camp ouvrier, cette pra­tique qui consiste à appor­ter la « conscience du dehors » à ceux qui, vivant dans et pour le mou­ve­ment réel en sont « dépour­vus », ne fait que les appe­ler à s’en remettre à l’é­cole des déten­teurs de la science bour­geoise, aux par­tis dont la foi dans le modèle de déve­lop­pe­ment capi­ta­liste et de l’ap­pa­reil d’é­tat est sans borne. Elle ne peut, de Lénine au Pro­gramme Com­mun et aux Pro­grammes de tran­si­tion, pro­po­ser dans le domaine du tra­vail, du pou­voir et du savoir que le modèle capi­ta­liste de socia­li­sa­tion du tra­vail, de l’exis­tence, du pou­voir. A cet égard il est signi­fi­ca­tif de voir les gau­chistes s’ap­pli­quer à eux-même les normes de l’ordre capi­ta­liste du tra­vail (hié­rar­chie, culte des chefs, divi­sion et par­cel­li­sa­tion des tâches).

Ne recon­nais­sant dans les luttes qu’un côté exclu­si­ve­ment trade-unio­niste ils ne font fina­le­ment que for­mu­ler des pro­jets pour la conser­va­tion du sala­riat en des mains bureaucratiques.

« Si l’ont compte comme par­ti les branches syn­di­cales et les asso­cia­tions de grèves qui luttent exclu­si­ve­ment comme les syn­di­cats anglais, pour un haut salaire et une réduc­tion du temps de tra­vail, mais par ailleurs se moquent de mou­ve­ment, on forme en réa­li­té un par­ti pour la conser­va­tion du salaire et non pour son abo­li­tion. » (Engels, Lettre à Bernstein)

A l’idéologie ultra-gauche

Le but du mou­ve­ment com­mu­niste c’est « l’a­bo­li­tion du sala­riat et de toutes ses condi­tions éco­no­miques de domi­na­tion de classe. »

Il implique donc l’ins­tau­ra­tion au cours de la lutte elle même de rap­ports sociaux com­mu­nistes qui font de la lutte au départ reven­di­ca­tive, un mou­ve­ment par et pour l’association.

Ain­si, à l’in­verse de l’é­co­no­misme léni­niste, mais n’en pre­nant que l’exact contre-pied trouve-t-on l’i­déa­lisme et l’ac­ti­visme. Confon­dant pro­cés et pro­jet révo­lu­tion­naire, pour cal­quer fina­le­ment ce der­nier sur la pra­tique réelle des luttes, la pra­tique poli­tique de 1′ ultra-gauche repose sur une idéo­lo­gie que l’ont veut à tout prix col­ler à la réa­li­té immé­diate. Le résul­tat en est obli­ga­toi­re­ment, soit un refuge dans l’at­ten­tisme lorsque « la grève » ne colle pas aux sché­mas éla­bo­rés par les déten­teurs de « la science révo­lu­tion­naire », (on invoque alors l’in­va­riance de la théo­rie ou le pro­gramme mar­xiste que Marx lui-même n’a jamais éta­bli en atten­dant que les condi­tions soient enfin réunies); soit des ini­tia­tives intem­pes­tives et appa­rem­ment radi­cales qui abou­tissent géné­ra­le­ment à la mani­pu­la­tion pure et simple de l’ac­ti­vi­té révo­lu­tion­naire des masses et aux pra­tiques put­chistes ( cf, pra­tiques des groupes anar­chistes ou pro-situationnistes).

C’est parce que l’ul­tra-guau­chisme occulte la dia­lec­tique des luttes, comme le léni­nisme, (inté­rêt de classe/​lutte par et pour l’as­so­cia­tion) qu’il en vient à cri­ti­quer, de façon pure­ment idéo­lo­gique, celles des luttes qui ne cor­res­pondent pas « au pro­jet » (détour­ne­ment de Lip-Uni­té) et à pro­po­ser des mots d’ordre qui sont tota­le­ment déta­chés de la réa­li­té (refus immé­diat du sala­riat comme fuite hors de l’usine).

La réa­li­té c’est alors que les groupes ultra-gauche appa­raissent pour ce qu’ils sont : des « direc­tions spé­cia­li­sées ». Plus grave, à terme est le fait que leur pra­tique poli­tique conduit au décou­ra­ge­ment des mili­tant en rai­son même de leur incom­pré­hen­sion du mou­ve­ment réel. S’in­ter­di­sant toute réflexion et inter­ven­tion com­mu­nistes liées au mou­ve­ment réel, ils en viennent à se réfu­gier dans des illu­sions sur la pos­si­bi­li­té immé­diate, col­lec­tive, hors socié­té d’une vie com­mu­nau­taire repro­dui­sant les sché­mas d’un mode de petite pro­duc­tion mar­chande pré-capi­ta­liste, irré­mé­dia­ble­ment condam­né par l’es­sor même du capitalisme.

La lutte par et pour l’ins­tau­ra­tion de rap­ports sociaux com­mu­nistes condui­sant au ren­ver­se­ment des rap­ports de pro­duc­tion et sociaux exis­tants, conduit, elle, à la libé­ra­tion réelle. Les com­mu­nistes savent quelle place ils tiennent dans le mou­ve­ment social ; il leur appar­tient d’a­me­ner par leur réflexion et leur inter­ven­tion, une pra­tique poli­tique de l’as­so­cia­tion et de l’au­to­no­mie. Prolétarienne.

L’intervention militante des communistes

La ten­dance à l’as­so­cia­tion qui naît de la lutte et conduit les pro­lé­taires à remettre en cause par leur pra­tique les rap­ports sociaux capi­ta­listes (l’op­pres­sion sala­riale) exige une pra­tique poli­tique com­mu­niste qui s’ins­crit dans le pro­lon­ge­ment et non en rup­ture des rap­ports nou­veaux esquis­sés dans la lutte.

Les com­mu­nistes, qui, disait Marx « n’ont point d’in­té­rêt com­mun qui les sépare de l’en­semble du pro­lé­ta­riat » ont donc pour tache pre­mière de ren­voyer aux tra­vailleurs l’i­mage de ce qu’ils sont réel­le­ment dans la lutte. Ils doivent contri­buer, au fur et à mesure des luttes et dans les périodes de rup­ture, à l’é­mer­gence des rap­ports sociaux com­mu­nistes, au déve­lop­pe­ment du mou­ve­ment des asso­cia­tions prolétariennes ?

C’est seule­ment au stade de la lutte ultime contre le capi­tal et l’é­tat que la dia­lec­tique parti/​classe est dépas­sée par l’ap­pa­ri­tion de l’or­ga­ni­sa­tion de classe (la classe/​parti) du pro­lé­ta­riat ? Ils leur importe donc, outre la défense de chaque lutte asso­ciée et de l’as­so­cia­tion elle-même contre ses défor­ma­tions ; d’é­la­bo­rer l’ex­pres­sion de la tota­li­té du pro­ces­sus révo­lu­tion­naire et de recher­cher l’ac­tion pou­vant conduire à l’af­fron­te­ment glo­bal. A l’in­verse des léni­nistes qui appuient toutes les grèves parce que toute grève « reven­di­ca­tive par essence » peut ser­vir les inté­rêts du Par­ti, les com­mu­nistes n’en­tendent « pas mode­ler le mou­ve­ment réel sur des prin­cipes particuliers ».

Ils ont par contre à appuyer et défendre toute lutte qui ins­taure des rap­ports sociaux com­mu­nistes (les formes d’or­ga­ni­sa­tion du com­mu­nisme), parce que ceux-ci signi­fient la lutte directe contre le sala­riat : l’a­bo­li­tion de la divi­sion des tra­vailleurs entre eux, du salaire lié à la qualification.

Ils ont donc à démys­ti­fier toute lutte qui s’en­ferme dans le cadre étri­qué des « inté­rêts de classe (l’in­té­rêt du salaire), et laisse le champ libre aux pro­grammes réfor­mistes (pro­gramme com­mun) ou aux pré­ten­dus révo­lu­tion­naires (gau­chistes).

C’est ain­si, par exemple, et indé­pen­dem­ment des reven­di­ca­tions for­mu­lées, qu’ils don­ne­ront l’exacte por­tée de toute grève fomen­tée par des fas­cistes, sta­li­no-réfor­mistes, gau­chistes ; non seule­ment parce qu’elle aura été menée par l’un ou l’autre de ces cou­rants poli­tiques confor­mé­ment à leurs idéaux de par­ti pour la conser­va­tion du salaire, mais sur­tout et avant tout parce que dans l’im­pos­si­bi­li­té de déve­lop­per des rap­ports sociaux com­mu­nistes, c’est-à-dire d’ex­pri­mer momen­ta­né­ment le refus du tra­vail sala­rié, la divi­sion sociale du tra­vail ; elle n’au­ra été qu’un moment néces­saire à l’é­lar­gis­se­ment du capital.

Il s’en­suit que toute ten­ta­tive allant dans le sens de la lutte asso­ciée aura l“appui des com­mu­nistes ; bien qu’ils ne soient qu’une infime mino­ri­té, n’é­tant, com­po­sé que pour par­ti de pro­lé­taires, ils ont l’a­van­tage d’une claire per­cep­tion du mou­ve­ment social.

Ce fai­sant, ils courent le risque (et ce même s’ils s’en défendent) de voir leur inter­ven­tion mili­tante per­çue comme étant le fait de spé­cia­listes de la politique.

Il n’existe pas de pano­plie du par­fait com­mu­niste : le seul cri­tère exi­gé est la com­pré­hen­sion de l’en­jeu réel de chaque lutte.

S’ils s’in­ter­disent. donc de la condam­ner pour le seul motif de « basse reven­di­ca­tion ali­men­taire » ils se doivent de déga­ger, d’ex­pri­mer la pra­tique réelle du mou­ve­ment pour le ren­voyer aux acteurs de la lutte, seule façon de les ren­for­cer en vue de l’as­so­cia­tion, de leur auto­no­mie, et du refus de direc­tion spécialisée.

Est-ce à dire que leur action, tout comme l’as­so­cia­tion à laquelle la lutte pour­rait avoir don­ner lieu, s’é­tein­dra dans la période de reflux, de réin­ser­tion des tra­vailleurs dans l’ordre capi­ta­liste du tra­vail ? Non ; tout comme l’as­so­cia­tion qui s’é­tend bien au delà de la reprise (comi­té d’ac­tion des che­mi­nots de Tours, shop-ste­ward auto­nome en Grande-Bre­tagne, comi­té d’ac­tion ouvrier bâti­ment de la Nièvre); leur action ne se limite pas à attendre « la pro­chaine occa­sion » ou à accé­lé­rer comme d’au­cuns le pro­posent le pro­ces­sus de dis­lo­ca­tion de l’as­so­cia­tion ouvrière. Ils ont dans la période d’ac­cal­mie à main­te­nir les contacts, faire pas­ser les infor­ma­tions, œuvrer au déve­lop­pe­ment de liai­sons tou­jours plus grandes : c’est à la fois une façon d’ai­der les frac­tions les plus radi­ca­li­sées du pro­lé­ta­riat à s’a­guer­rir, et d’autre part de pré­pa­rer le ter­rain à un véri­table mou­ve­ment de l’association.

Terminologie

Une ter­mi­no­lo­gie n’est pas uni­que­ment le sens que nous don­nons a tel ou tel mot, mais elle explique aus­si le choix des mots en fonc­tion du type d’a­na­lyse développée.

Si nous par­lons de la lutte de classe en terme d’as­so­cia­tion c’est parce que celle-ci met l’ac­cent sur la réa­li­té que nous cher­chons a ana­ly­ser et que, dans la pra­tique, elle ren­voie à des condi­tions exis­tantes. Par­ler de conscience de classe ne reflé­te­rait qu’une vision idéo­lo­gique de ce que peut être la classe ouvrière. Entre asso­cia­tion ou rap­ports sociaux com­mu­nistes, qui découlent d’une ana­lyse dia­lec­tique, et conscience de classe, qui n’est qu’i­déo­lo­gie, il y a toute la dif­fé­rence entre le mou­ve­ment d’é­man­ci­pa­tion de la classe par elle-même et la « néces­si­té » d’une direc­tion exté­rieure et spécialisée.

Il n’y a, par contre, aucun incon­vé­nient à par­ler de « rap­ports sociaux pro­lé­ta­riens », ce qui revient à mettre l’ac­cent sur la classe qui (actuel­le­ment) déve­loppe ces rap­ports plu­tôt que sur le stade (ulté­rieur) où ces rap­ports auront atteint leur plein épa­nouis­se­ment, la classe por­teuse ayant, elle, dis­pa­rue. Cette notion est éga­le­ment assez proche de celle d’au­to­no­mie pro­lé­ta­rienne mise en avant par des cama­rades ita­liens (voir « Lutte de Classe » jan­vier et février 74). Tou­te­fois, auto­no­mie pro­lé­ta­rienne met l’ac­cent sur le rap­port entre pro­lé­ta­riat et capi­tale, tan­dis que rap­ports sociaux com­mu­nistes sou­ligne la struc­tu­ra­tion interne du pro­lé­ta­riat, qui est l’autre face de la même médaille.

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