La Presse Anarchiste

Association et communistes

[[Cf : sur asso­ci­a­tion et com­mu­nistes, voir Marx, L’as­so­ci­a­tion, L’anti–Lénine de Claude Berg­er (Pay­ot 1974 ) et Lutte de classe du G.L.A.T., sept./oct. 1974.]]

Le mode de pro­duc­tion cap­i­tal­iste repose sur un rap­port de pro­duc­tion fon­da­men­tal : le salari­at. Ce dernier est le fonde­ment même de l’ex­ploita­tion cap­i­tal­iste qui implique l’échange en valeur de la force de tra­vail, la sépa­ra­tion entre les pro­duc­teurs et les moyens de pro­duc­tion. Elle sig­ni­fie l’in­stau­ra­tion de rap­ports soci­aux cap­i­tal­istes au sein même de l’ac­tiv­ité sociale (divi­sion du tra­vail), ain­si que l’ex­ten­sion de l’or­dre du tra­vail salarié à toute l’ex­is­tence (décom­po­si­tion de la vie dans et hors du tra­vail), l’atomi­sa­tion des tra­vailleurs en vue de répon­dre aux exi­gences du tra­vail salarié, soumis­sion à l’idéolo­gie et au pou­voir étatique.

Le salari­at, sans lequel dis­ait Marx : « point de cap­i­tal ; point de bour­geoisie, point de société bour­geoise », c’est l’ex­ploita­tion, l’op­pres­sion dans le tra­vail, l’op­pres­sion dans l’existence.

La dialectique des luttes de classes

Le cap­i­tal­isme en dévelop­pant des rap­ports soci­aux de pro­duc­tion et des formes sociales cor­re­spon­dantes fondés sur l’an­tag­o­nisme entre Cap­i­tal et Tra­vail ain­si que sur la divi­sion de celui-ci, inau­gure la lutte de classe. Cette lutte a pour résul­tat immé­di­at la résis­tance à l’op­pres­sion, l’ex­ploita­tion ; on négo­cie autant le tra­vail fourni que le salaire reçu en « com­pen­sa­tion ». Mais con­traire ment aux autres marchan­dis­es le coût de la force de tra­vail est déter­minée par un rap­port de forces entre class­es qui se traduit par l’in­stau­ra­tion pro­vi­soire de rap­ports soci­aux au sein de la classe ouvrière : les rap­ports soci­aux communistes.

Syn­onymes de recom­po­si­tion de leur activ­ité, c’est par eux que les tra­vailleurs « vont trou­ver dans leur activ­ité révo­lu­tion­naire même le max­i­mum de jouis­sances de leur vie. » (K. Marx, Nou­velle Gazette Rhé­nane)

La lutte de classe revêt donc un car­ac­tère double :
— la lutte-reven­dica­tive qui est à la fois le départ et l’ap­parence du mou­ve­ment social.
— la lutte par et pour l’as­so­ci­a­tion qui est sup­pres­sion momen­tanée de la divi­sion du tra­vail et de l’atomi­sa­tion des travailleurs.

Aspects de la dualité des luttes

Le com­mu­nisme n’est ni un état ni un idéal. Il est le mou­ve­ment qui abolit l’é­tat actuel et dont les con­di­tions résul­tent des prémices déjà exis­tantes, le mou­ve­ment du pro­lé­tari­at en lutte con­tre la dom­i­na­tion capitaliste.

Toute lutte avance une reven­di­ca­tion (intérêt du salari­at), mais cette reven­di­ca­tion pour laque­lle se déclenche cette lutte favorise l’ap­pari­tion d’une asso­ci­a­tion qui met momen­tané­ment fin au règne du salari­at (sup­pres­sion de la con­cur­rence entre tra­vailleurs, du salaire lié à la qual­i­fi­ca­tion…). Ce faisant, les frac­tions du pro­lé­tari­at qui affron­tent la dom­i­na­tion cap­i­tal­iste quit­tent le ter­rain de leurs reven­di­ca­tions pour s’or­gan­is­er col­lec­tive­ment et instau­r­er les con­di­tions de leur affranchissement.

C’est là tout le sens de la pen­sée de Marx : « C’est sous la forme des coali­tions qu’on tou­jours lieu les pre­miers essais des tra­vailleurs pour s’as­soci­er entre-eux… La con­cur­rence les divise d’in­térêts. Mais le main­tien du salaire, cet intérêt com­mun qu’ils ont con­tre leur maitre, les réu­nit dans une même pen­sée de résis­tance ― coali­tion. Ain­si la coali­tion a tou­jours un dou­ble but, celui de faire cess­er entre eux la con­cur­rence pour pou­voir faire une con­cur­rence générale au cap­i­tal­iste. Si le pre­mier but de la résis­tance n’a été que le main­tien des salaires, à mesure que les cap­i­tal­istes à leur tour se réu­nis­sent dans une pen­sée de répres­sion, les coali­tions, d’abord isolées, se for­ment en groupe, et en face du cap­i­tal tou­jours réu­ni, le main­tien de l’as­so­ci­a­tion devient pour eux plus impor­tant que celui du salaire… Dans cette lutte ― véri­ta­ble guerre civile ― se réu­nis­sent et se dévelop­pent tous les élé­ments néces­saires à une bataille à venir. Une fois arrivée à ce point là, l’as­so­ci­a­tion prend un car­ac­tère poli­tique. » (Mis­ère de la philoso­phie). Ou encore : « La classe ouvrière sub­stituera dans le cours de son développe­ment à l’an­ci­enne société civile, une asso­ci­a­tion qui exclu­ra les class­es et leur antagonisme. »

C’est donc son car­ac­tère dou­ble qui per­met à la lutte, en s’at­taquant au salari­at, de déclencher et de mûrit un proces­sus révo­lu­tion­naire basé sur l’or­gan­i­sa­tion col­lec­tive, et d’in­au­gur­er une pra­tique réelle­ment révo­lu­tion­naire fondée sur la trans­for­ma­tion des rap­ports de force à l’a­van­tage des masses.

C’est tou­jours ce car­ac­tère dou­ble de la lutte qui amène les coali­tions et d’autres formes d’as­so­ci­a­tion dans lesquelles le pro­lé­tari­at effectue sous nos yeux son organ­i­sa­tion comme classe.

C’est cette même pra­tique poli­tique révo­lu­tion­naire de l’au­tonomie pro­lé­tari­enne qui per­met de ne pas se can­ton­ner dans la poli­tique d’ap­pareils, de ne pas jus­ti­fi­er la médi­a­tion de par­tis pour « la con­ser­va­tion du salari­at » inau­gurée par Kaut­sky, Lénine et con­sorts. La grève n’est reven­dica­tive qu’en apparence : l’as­so­ci­a­tion à laque­lle elle donne lieu doit pour échap­per au champ clos de « la défense du salaire », du main­tien du tra­vail indif­féren­cié et de l’atomi­sa­tion du tra­vail, sig­ni­fi­er la recon­quête par­tielle du pou­voir et du savoir, détru­isant pro­vi­soire­ment les rap­ports soci­aux du salari­at (et non évidem­ment les rap­ports de pro­duc­tion). C’est l’ex­i­gence d’une asso­ci­a­tion, ayant pour point de départ la lutte pour un salaire de survie (pour une extor­sion plus faible du sur-travail),pour en arriv­er à l’abo­li­tion du salari­at et à l’ex­is­tence com­mune qui est alors directe­ment for­mulée par la lutte.

A l’in­verse, toute pra­tique poli­tique qui ne vise qu’à lim­iter la lutte des class­es au domaine borné de la reven­di­ca­tion, n’est en soi qu’un moment néces­saire à la repro­duc­tion du salari­at et du cap­i­tal (un pas en avant des forces pro­duc­tives), à la restruc­tura­tion de ceux-ci en vue d’une exploita­tion et d’une oppres­sion tou­jours plus accrues des tra­vailleurs. N’é­tant alors prise que comme un moment néces­saire à l’élar­gisse­ment du cap­i­tal, elle ouvre la porte au règne des médi­a­tions aux­quelles revi­en­nent le priv­ilège d’ac­corder à la lutte le car­ac­tère révo­lu­tion­naire qu’elle est cen­sée ne pas avoir. Autrement dit, l’in­stau­ra­tion momen­tanée, mais pou­vant être pro­longée de rap­ports soci­aux com­mu­nistes désigne un procès et un pro­jet révo­lu­tion­naire. A la dif­férence des pro­jets étab­lis dans le mou­ve­ment ouvri­er sur le mod­èle des caté­gories bour­geois­es, ce pro­jet est directe­ment impliqué en procès dans la lutte elle-même. C’est là tout le sens du com­mu­nisme comme mou­ve­ment réel, trou­vant ses orig­ines dans le ven­tre du cap­i­tal­isme, tel qu’il a été théorisé par Marx et Engels. Il n’est pas pro­jeté sur la réal­ité, mais il procède de la réal­ité des luttes par et pour l’in­stau­ra­tion de rap­ports soci­aux communistes.

Ce n’est qu’à un stade supérieur de ce mou­ve­ment, car­ac­térisé par un degré d’acharne­ment des luttes, s’é­ten­dant à toute l’ex­is­tence que peut alors se réalis­er con­crète­ment le boule­verse­ment des rap­ports de pro­duc­tion cap­i­tal­iste et l’abo­li­tion du salariat.

Du règne des médiations

Omet­tre la phase qui mène de la lutte de la classe ouvrière pour « ses intérêts face au cap­i­tal », à sa lutte de classe révo­lu­tion­naire par et pour l’as­so­ci­a­tion, pour ne retenir que le côté immé­di­at, le car­ac­tère « trade- union­iste » (la défense du salaire) c’est jus­ti­fi­er la médi­a­tion de par­tis, syn­di­cats et grou­pus­cules en rai­son même de l’in­ter­pré­ta­tion stricte­ment économique des luttes.

La ques­tion se pose alors dans ces ter­mes : la grève autorise-t-elle ou non « l’in­sur­rec­tion»’, la prise du pou­voir par « nous, les médi­a­teurs, les déten­teurs de la sci­ence bour­geoise » (con­cep­tion figée des intérêts de classe dans le cadre de la société en place), les « poli­tiques » con­sti­tués en par­tis ? Médi­a­tions d’au­tant plus néces­saires que la lutte est pré­cisé­ment réputée non por­teuse de poli­tique, stricte­ment lim­itée à son car­ac­tère revendicatif ?

De Kaut­sky et Lénine à leurs héri­tiers, c’est cette pré­ten­tion à réalis­er ce que le pro­lé­tari­at n’au­rait pas fait lui-même qui a pré­valu. Il y à iden­tité de vue entre tous les lénin­istes, la seule dif­férence por­tant alors sur les cir­con­stances et la forme du pou­voir. C’est cette même con­cep­tion des luttes qui fait dire à Lenine : « Le mou­ve­ment ouvri­er spon­tané c’est le trade-union­isme. » C’est tou­jours la même qui fait dire à Séguy dans le « Mai de la C.G.T. » à pro­pos de Mai 68 : « La ques­tion était de savoir pourquoi les salariés par­tic­i­paient à la grève:pour l’amélio­ra­tion de leurs con­di­tions de vie et de tra­vail ou avec la volon­té de détru­ire le cap­i­tal­isme et d’in­stau­r­er le social­isme par voie insur­rec­tion­nelle ; il ne peut y avoir de doutes à ce sujet. Pour la grande masse des tra­vailleurs en lutte, les motifs de la grève étaient essen­tielle­ment reven­di­cat­ifs, soci­aux, économiques ? C’est par ce biais qu’on élim­ine la lutte con­tre l’op­pres­sion salar­i­ale, c’est par ce biais aus­si que l’on impose son rôle de médi­a­teur (aujour­d’hui dans la reven­di­ca­tion, demain dans la poli­tique) en pas­sant sous silence la poli­tique spé­ci­fique attachée à la lutte, « le car­ac­tère poli­tique de la lutte des class­es ». Là où la lutte esquisse une recom­po­si­tion de l’ex­is­tence en met­tent fin au tra­vail indif­féren­cié, à la sépa­ra­tion syndiqués/non syn­diqués, politiques/non poli­tiques, provo­quée au départ par une reven­di­ca­tion liée au sys­tème, on n’en retient que le car­ac­tère reven­di­catif pour en déduire une pra­tique poli­tique bour­geoise dans le camp ouvri­er, cette pra­tique qui con­siste à apporter la « con­science du dehors » à ceux qui, vivant dans et pour le mou­ve­ment réel en sont « dépourvus », ne fait que les appel­er à s’en remet­tre à l’é­cole des déten­teurs de la sci­ence bour­geoise, aux par­tis dont la foi dans le mod­èle de développe­ment cap­i­tal­iste et de l’ap­pareil d’é­tat est sans borne. Elle ne peut, de Lénine au Pro­gramme Com­mun et aux Pro­grammes de tran­si­tion, pro­pos­er dans le domaine du tra­vail, du pou­voir et du savoir que le mod­èle cap­i­tal­iste de social­i­sa­tion du tra­vail, de l’ex­is­tence, du pou­voir. A cet égard il est sig­ni­fi­catif de voir les gauchistes s’ap­pli­quer à eux-même les normes de l’or­dre cap­i­tal­iste du tra­vail (hiérar­chie, culte des chefs, divi­sion et par­cel­li­sa­tion des tâches).

Ne recon­nais­sant dans les luttes qu’un côté exclu­sive­ment trade-union­iste ils ne font finale­ment que for­muler des pro­jets pour la con­ser­va­tion du salari­at en des mains bureaucratiques.

« Si l’ont compte comme par­ti les branch­es syn­di­cales et les asso­ci­a­tions de grèves qui lut­tent exclu­sive­ment comme les syn­di­cats anglais, pour un haut salaire et une réduc­tion du temps de tra­vail, mais par ailleurs se moquent de mou­ve­ment, on forme en réal­ité un par­ti pour la con­ser­va­tion du salaire et non pour son abo­li­tion. » (Engels, Let­tre à Bernstein)

A l’idéologie ultra-gauche

Le but du mou­ve­ment com­mu­niste c’est « l’abo­li­tion du salari­at et de toutes ses con­di­tions économiques de dom­i­na­tion de classe. »

Il implique donc l’in­stau­ra­tion au cours de la lutte elle même de rap­ports soci­aux com­mu­nistes qui font de la lutte au départ reven­dica­tive, un mou­ve­ment par et pour l’association.

Ain­si, à l’in­verse de l’é­conomisme lénin­iste, mais n’en prenant que l’ex­act con­tre-pied trou­ve-t-on l’idéal­isme et l’ac­tivisme. Con­fon­dant procés et pro­jet révo­lu­tion­naire, pour cal­quer finale­ment ce dernier sur la pra­tique réelle des luttes, la pra­tique poli­tique de 1′ ultra-gauche repose sur une idéolo­gie que l’ont veut à tout prix coller à la réal­ité immé­di­ate. Le résul­tat en est oblig­a­toire­ment, soit un refuge dans l’at­ten­tisme lorsque « la grève » ne colle pas aux sché­mas élaborés par les déten­teurs de « la sci­ence révo­lu­tion­naire », (on invoque alors l’in­vari­ance de la théorie ou le pro­gramme marx­iste que Marx lui-même n’a jamais établi en atten­dant que les con­di­tions soient enfin réu­nies); soit des ini­tia­tives intem­pes­tives et apparem­ment rad­i­cales qui aboutis­sent générale­ment à la manip­u­la­tion pure et sim­ple de l’ac­tiv­ité révo­lu­tion­naire des mass­es et aux pra­tiques putchistes ( cf, pra­tiques des groupes anar­chistes ou pro-situationnistes).

C’est parce que l’ul­tra-guauchisme occulte la dialec­tique des luttes, comme le lénin­isme, (intérêt de classe/lutte par et pour l’as­so­ci­a­tion) qu’il en vient à cri­ti­quer, de façon pure­ment idéologique, celles des luttes qui ne cor­re­spon­dent pas « au pro­jet » (détourne­ment de Lip-Unité) et à pro­pos­er des mots d’or­dre qui sont totale­ment détachés de la réal­ité (refus immé­di­at du salari­at comme fuite hors de l’usine).

La réal­ité c’est alors que les groupes ultra-gauche appa­rais­sent pour ce qu’ils sont : des « direc­tions spé­cial­isées ». Plus grave, à terme est le fait que leur pra­tique poli­tique con­duit au décourage­ment des mil­i­tant en rai­son même de leur incom­préhen­sion du mou­ve­ment réel. S’in­ter­dis­ant toute réflex­ion et inter­ven­tion com­mu­nistes liées au mou­ve­ment réel, ils en vien­nent à se réfugi­er dans des illu­sions sur la pos­si­bil­ité immé­di­ate, col­lec­tive, hors société d’une vie com­mu­nau­taire repro­duisant les sché­mas d’un mode de petite pro­duc­tion marchande pré-cap­i­tal­iste, irrémé­di­a­ble­ment con­damné par l’es­sor même du capitalisme.

La lutte par et pour l’in­stau­ra­tion de rap­ports soci­aux com­mu­nistes con­duisant au ren­verse­ment des rap­ports de pro­duc­tion et soci­aux exis­tants, con­duit, elle, à la libéra­tion réelle. Les com­mu­nistes savent quelle place ils tien­nent dans le mou­ve­ment social ; il leur appar­tient d’amen­er par leur réflex­ion et leur inter­ven­tion, une pra­tique poli­tique de l’as­so­ci­a­tion et de l’au­tonomie. Prolétarienne.

L’intervention militante des communistes

La ten­dance à l’as­so­ci­a­tion qui naît de la lutte et con­duit les pro­lé­taires à remet­tre en cause par leur pra­tique les rap­ports soci­aux cap­i­tal­istes (l’op­pres­sion salar­i­ale) exige une pra­tique poli­tique com­mu­niste qui s’in­scrit dans le pro­longe­ment et non en rup­ture des rap­ports nou­veaux esquis­sés dans la lutte.

Les com­mu­nistes, qui, dis­ait Marx « n’ont point d’in­térêt com­mun qui les sépare de l’ensem­ble du pro­lé­tari­at » ont donc pour tache pre­mière de ren­voy­er aux tra­vailleurs l’im­age de ce qu’ils sont réelle­ment dans la lutte. Ils doivent con­tribuer, au fur et à mesure des luttes et dans les péri­odes de rup­ture, à l’émer­gence des rap­ports soci­aux com­mu­nistes, au développe­ment du mou­ve­ment des asso­ci­a­tions prolétariennes ?

C’est seule­ment au stade de la lutte ultime con­tre le cap­i­tal et l’é­tat que la dialec­tique parti/classe est dépassée par l’ap­pari­tion de l’or­gan­i­sa­tion de classe (la classe/parti) du pro­lé­tari­at ? Ils leur importe donc, out­re la défense de chaque lutte asso­ciée et de l’as­so­ci­a­tion elle-même con­tre ses défor­ma­tions ; d’éla­bor­er l’ex­pres­sion de la total­ité du proces­sus révo­lu­tion­naire et de rechercher l’ac­tion pou­vant con­duire à l’af­fron­te­ment glob­al. A l’in­verse des lénin­istes qui appuient toutes les grèves parce que toute grève « reven­dica­tive par essence » peut servir les intérêts du Par­ti, les com­mu­nistes n’en­ten­dent « pas mod­el­er le mou­ve­ment réel sur des principes particuliers ».

Ils ont par con­tre à appuy­er et défendre toute lutte qui instau­re des rap­ports soci­aux com­mu­nistes (les formes d’or­gan­i­sa­tion du com­mu­nisme), parce que ceux-ci sig­ni­fient la lutte directe con­tre le salari­at : l’abo­li­tion de la divi­sion des tra­vailleurs entre eux, du salaire lié à la qualification.

Ils ont donc à démys­ti­fi­er toute lutte qui s’en­ferme dans le cadre étriqué des « intérêts de classe (l’in­térêt du salaire), et laisse le champ libre aux pro­grammes réformistes (pro­gramme com­mun) ou aux pré­ten­dus révo­lu­tion­naires (gauchistes).

C’est ain­si, par exem­ple, et indépen­dem­ment des reven­di­ca­tions for­mulées, qu’ils don­neront l’ex­acte portée de toute grève fomen­tée par des fas­cistes, stal­i­no-réformistes, gauchistes ; non seule­ment parce qu’elle aura été menée par l’un ou l’autre de ces courants poli­tiques con­for­mé­ment à leurs idéaux de par­ti pour la con­ser­va­tion du salaire, mais surtout et avant tout parce que dans l’im­pos­si­bil­ité de dévelop­per des rap­ports soci­aux com­mu­nistes, c’est-à-dire d’ex­primer momen­tané­ment le refus du tra­vail salarié, la divi­sion sociale du tra­vail ; elle n’au­ra été qu’un moment néces­saire à l’élar­gisse­ment du capital.

Il s’en­suit que toute ten­ta­tive allant dans le sens de la lutte asso­ciée aura l“appui des com­mu­nistes ; bien qu’ils ne soient qu’une infime minorité, n’é­tant, com­posé que pour par­ti de pro­lé­taires, ils ont l’a­van­tage d’une claire per­cep­tion du mou­ve­ment social.

Ce faisant, ils courent le risque (et ce même s’ils s’en défend­ent) de voir leur inter­ven­tion mil­i­tante perçue comme étant le fait de spé­cial­istes de la politique.

Il n’ex­iste pas de panoplie du par­fait com­mu­niste : le seul critère exigé est la com­préhen­sion de l’en­jeu réel de chaque lutte.

S’ils s’in­ter­dis­ent. donc de la con­damn­er pour le seul motif de « basse reven­di­ca­tion ali­men­taire » ils se doivent de dégager, d’ex­primer la pra­tique réelle du mou­ve­ment pour le ren­voy­er aux acteurs de la lutte, seule façon de les ren­forcer en vue de l’as­so­ci­a­tion, de leur autonomie, et du refus de direc­tion spécialisée.

Est-ce à dire que leur action, tout comme l’as­so­ci­a­tion à laque­lle la lutte pour­rait avoir don­ner lieu, s’étein­dra dans la péri­ode de reflux, de réin­ser­tion des tra­vailleurs dans l’or­dre cap­i­tal­iste du tra­vail ? Non ; tout comme l’as­so­ci­a­tion qui s’é­tend bien au delà de la reprise (comité d’ac­tion des cheminots de Tours, shop-stew­ard autonome en Grande-Bre­tagne, comité d’ac­tion ouvri­er bâti­ment de la Nièvre); leur action ne se lim­ite pas à atten­dre « la prochaine occa­sion » ou à accélér­er comme d’au­cuns le pro­posent le proces­sus de dis­lo­ca­tion de l’as­so­ci­a­tion ouvrière. Ils ont dans la péri­ode d’ac­calmie à main­tenir les con­tacts, faire pass­er les infor­ma­tions, œuvr­er au développe­ment de liaisons tou­jours plus grandes : c’est à la fois une façon d’aider les frac­tions les plus rad­i­cal­isées du pro­lé­tari­at à s’a­guer­rir, et d’autre part de pré­par­er le ter­rain à un véri­ta­ble mou­ve­ment de l’association.

Terminologie

Une ter­mi­nolo­gie n’est pas unique­ment le sens que nous don­nons a tel ou tel mot, mais elle explique aus­si le choix des mots en fonc­tion du type d’analyse développée.

Si nous par­lons de la lutte de classe en terme d’as­so­ci­a­tion c’est parce que celle-ci met l’ac­cent sur la réal­ité que nous cher­chons a analyser et que, dans la pra­tique, elle ren­voie à des con­di­tions exis­tantes. Par­ler de con­science de classe ne refléterait qu’une vision idéologique de ce que peut être la classe ouvrière. Entre asso­ci­a­tion ou rap­ports soci­aux com­mu­nistes, qui découlent d’une analyse dialec­tique, et con­science de classe, qui n’est qu’idéolo­gie, il y a toute la dif­férence entre le mou­ve­ment d’é­man­ci­pa­tion de la classe par elle-même et la « néces­sité » d’une direc­tion extérieure et spécialisée.

Il n’y a, par con­tre, aucun incon­vénient à par­ler de « rap­ports soci­aux pro­lé­tariens », ce qui revient à met­tre l’ac­cent sur la classe qui (actuelle­ment) développe ces rap­ports plutôt que sur le stade (ultérieur) où ces rap­ports auront atteint leur plein épanouisse­ment, la classe por­teuse ayant, elle, dis­parue. Cette notion est égale­ment assez proche de celle d’au­tonomie pro­lé­tari­enne mise en avant par des cama­rades ital­iens (voir « Lutte de Classe » jan­vi­er et févri­er 74). Toute­fois, autonomie pro­lé­tari­enne met l’ac­cent sur le rap­port entre pro­lé­tari­at et cap­i­tale, tan­dis que rap­ports soci­aux com­mu­nistes souligne la struc­tura­tion interne du pro­lé­tari­at, qui est l’autre face de la même médaille.


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