La Presse Anarchiste

Pourquoi une organisation aujourd’hui ?

Dans les débats contre les adver­saires de toute orga­ni­sa­tion, eût-elle une struc­ture fédé­ra­liste, l’ac­cent a tou­jours été mis sur le carac­tère indis­pen­sable d’un lien per­ma­nent per­met­tant une mise en com­mun des connais­sances, des expé­riences, et une coor­di­na­tion des efforts. Il faut ajou­ter que l’or­ga­ni­sa­tion per­met, mieux que l’i­so­le­ment des indi­vi­dus et des groupes, de mettre en lumière et de contrer les ten­ta­tives d’hé­gé­mo­nie par les influences per­son­nelles ou les manœuvres de cote­ries, pour­vu que l’or­ga­ni­sa­tion ait une vie inté­rieure réelle et que la liber­té de dis­cus­sion y soit totale.

Mais dans une période dif­fi­cile, comme celle que nous vivons, une petite orga­ni­sa­tion comme l’O.C.L ne peut appor­ter beau­coup aux mili­tants et aux groupes. Elle ne peut pas, notam­ment, et c’est impor­tant, aider un groupe à se tirer d’af­faire, à affron­ter des tâches ou des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières. Chaque groupe, chaque iso­lé se trouve sans res­sources autres que les siennes propres pour faire face à telle inter­ven­tion locale par exemple. Dans de telles condi­tions, des cama­rades se disent « pas besoin d’or­ga­ni­sa­tion puis­qu’elle ne peut rien nous appor­ter ». C’est une vue trop simple et qui doit plus à un décou­ra­ge­ment pas­sa­ger qu’à une ana­lyse solide.

Quels sont donc les apports d’une orga­ni­sa­tion, comme la nôtre, même en période difficile ?

― tout d’a­bord, évi­ter le loca­lisme, mala­die infan­tile des groupes anti-bureau­cra­tiques mili­tant pour l’au­to­no­mie du pro­lé­ta­riat ; ces groupes ont très sou­vent la ten­ta­tion, ou de se replier sur une vie locale à par­tir de laquelle on géné­ra­lise, ou de s’en remettre à un spon­ta­néisme naïf s’i­ma­gi­nant que si chaque noyau local a une pra­tique, la « force des choses » fera que les diverses ini­tia­tives de ces noyaux locaux se recou­pe­ront néces­sai­re­ment (ce qui est faire bon mar­ché des diver­si­tés et des inéga­li­tés de déve­lop­pe­ment et comp­ter de façon quelque peu mys­tique sur une « cohé­rence théo­rique » à toute épreuve).

― aus­si, de rela­ti­vi­ser les posi­tions de chaque groupe, de per­mettre l’é­mer­gence d’un com­por­te­ment poli­tique res­pon­sable éli­mi­nant les diver­gences de détail au pro­fit des options fon­da­men­tales com­munes ; autre­ment dit de conduire cha­cun à accep­ter une poli­tique com­mune en réser­vant ses pos­si­bi­li­tés d’ex­pres­sion et de dis­cus­sion, vers un com­por­te­ment col­lec­tif hors duquel il n’y a que manie indi­vi­dua­liste d’être à tout prix, ce qu’on est à un moment don­né, sans se sou­cier d’une effi­ca­ci­té col­lec­tive (qui ne veut abso­lu­ment rien aban­don­ner de ses propres options d’un moment est inca­pable de tra­vailler en col­lec­tif et est en fait, tota­li­taire, et c’est un défaut bien cou­rant même dans les groupes non bureaucratiques.)

― ensuite, par les échanges d’ex­pé­riences, les confron­ta­tions et dis­cus­sions, réa­li­ser le lien dia­lec­tique pra­tique-théo­rie ; faute de quoi cha­cun risque de théo­ri­ser de son côté à par­tir d’une connais­sance très limi­tée de la réa­li­té poli­tique, et même, par manque de recul, de se lais­ser entraî­ner à des alliances, voire des adhé­sions, à d’autres groupes poli­tiques qui, loca­le­ment, peuvent avoir une phy­sio­no­mie par­ti­cu­lière. L’or­ga­ni­sa­tion per­met, au contraire, de pré­pa­rer col­lec­ti­ve­ment les regrou­pe­ments indis­pen­sables, les étapes suc­ces­sives de la consti­tu­tion de « l’or­ga­ni­sa­tion des révolutionnaires ».

― Sur­tout, par l’ou­ver­ture que consti­tue la ren­contre des groupes, les échanges d’in­for­ma­tions, conduire à ana­ly­ser plus rigou­reu­se­ment les grands pro­blèmes qui dépassent la capa­ci­té d’un seul groupe local. Pen­sons par exemple à des ques­tions comme les luttes anti-impé­ria­listes, les couches moyennes, la connais­sance de l’é­vo­lu­tion des struc­tures capitalistes.

― enfin, per­mettre à plu­sieurs noyaux d’a­voir, si peu que ce soit, un point de vue col­lec­tif et des pra­tiques conver­gentes, ce n’est pas négli­geable. Autre­ment dit, pou­voir se mettre d’ac­cord même si les moyens mis en com­mun sont limités.

― Peut – être même, la mini – orga­ni­sa­tion n’est – elle pas inutile pour évi­ter les décou­ra­ge­ments, et n’est – il pas tout à fait indif­fé­rent de pou­voir publier – même à inter­valles trop grands – des bro­chures, un organe, une revue, au moins de confrontation.

Il est clair que l’or­ga­ni­sa­tion mini­mum telle qu’on vient d’en esquis­ser les mérites ne peut être une simple liai­son, un simple lien de ren­contre, un « club ». Elle sup­pose un sou­ci de construc­tion théo­rique en com­mun, de recherche per­ma­nente de cohé­rence, de pré­pa­ra­tion à l’in­ter­ven­tion de tous y com­pris pour des périodes plus favo­rables. C’est donc une ques­tion poli­tique que celle de l’or­ga­ni­sa­tion et non une simple ques­tion de puis­sance maté­rielle, de nombre, d’ef­fi­ca­ci­té immé­diate ou de « crédibilité ».

Et que cette orga­ni­sa­tion soit plus ou moins for­ma­li­sée, elle existe à par­tir du moment où les groupes qui se ren­contrent sont par­ve­nus à ce mini­mum de cohé­rence théo­rique et d’in­ter­ven­tion com­mune que nous rappelons.

Aujourd’­hui, dans le cadre de « Rup­ture » le pro­blème se pose puis­qu’un cer­tain nombre de groupes, par­ve­nus à cette cohé­rence et à cette inter­ven­tion col­lec­tive sont grou­pés dans l’O.C.L. et que cer­tains autres groupes en sont, entre eux et vis à vis de l’O.C.L, au niveau de la simple « liai­son ». Il ne s’a­git pas de brû­ler les étapes mais il ne fau­drait pas non plus évo­luer vers l’at­ten­tisme et l’ex­ces­sive valo­ri­sa­tion des tra­vaux et ten­ta­tives de chacun.

Si dans un délai de quelques mois trop de diver­gences se mani­festent, « Rup­ture » n’au­ra même plus de sens. S’il s’a­vère que sous des expres­sions dif­fé­rentes il y a une majeure com­mu­nau­té d’a­na­lyse et de pra­tique, il n’y aura plus que de mau­vaises rai­sons pour retar­der le pas­sage à l’Or­ga­ni­sa­tion, quel qu’en soit alors le titre, choi­si en commun.

A. Cour­san

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