La Presse Anarchiste

De l’attitude anarchiste à propos du nationalisme

« L’in­dé­pen­dance natio­nale des ter­ri­toires colo­niaux doit être consi­dé­rée comme une condi­tion indis­pen­sable de l’é­man­ci­pa­tion sociale, car elle crée, en sous­trayant un peuple à l’ap­pa­reil de répres­sion d’un État impé­ria­liste ― tout en affai­blis­sant cet État ― les pos­si­bi­li­tés pour ce peuple de faire sa révo­lu­tion en sup­pri­mant ses propres exploiteurs. »

Ce para­graphe de la DECLARATION DE PRINCIPES DES G.A.A.R. parue dans le nO6 de N.&R. avait trou­vé son illus­tra­tion dans nos cahiers consa­crés au « Natio­na­lisme » (N.&R. nO78). Il nous semble utile de reve­nir aujourd’­hui sur ce point.

En effet, le déve­lop­pe­ment d’un tel point de vue a reçu comme il fal­lait s’y attendre un accueil « divers » autour de nous. En effet l’at­ti­tude domi­nante des anar­chistes vis à vis des mou­ve­ments colo­niaux était, sui­vant le cas, l’in­dif­fé­rence, la nos­tal­gie, le mépris

INDIFFERENCE sinon hos­ti­li­té aux nou­veaux États, aux nou­velles nations : « Un ou deux ou trente pays indé­pen­dants de plus ? Quelle impor­tance ? Ça ne change rien. Le pro­blème n’est pas là. La seule ques­tion c’est la sociale, les seules divi­sions : économiques ».

Si N.&R, rom­pait avec cette belle fier­té doc­tri­nale et pré­ten­dait s’in­té­res­ser aux chan­ge­ments actuels du monde ce n’é­tait pas par besoin d’é­va­sion ou d’exo­tisme, mais pour son­der la pro­fon­deur révo­lu­tion­naire de ce gigan­tesque mou­ve­ment his­to­rique. C’est pré­ci­sé­ment parce que tant de peuples changent de maîtres, troquent un occu­pant étran­ger contre une bour­geoi­sie natio­nale qu’il fal­lait essayer d’en com­prendre les rai­sons et d’en pré­sa­ger les conséquences :
– à l’é­chelle mon­diale : un regrou­pe­ment des pays par des impé­ria­lismes d’un type nou­veau plus faibles ou plus forts ? S’ap­puyant sur quelles classes ?
– sur le plan local : une nou­velle classe diri­geante ― plus faible ou plus forte ? Pour com­bien de temps ?

Et les masses : par­ti­cipent-elles au chan­ge­ment ? Avec quelles illu­sions ? Quelles leçons peuvent-elles en tirer ? Quelle avance ou quel recul révolutionnaire ?

Autant de ques­tions que ― sans pré­tendre les épui­ser ― il était bon de poser. Car si l’on se dés­in­té­res­sait de tous les mou­ve­ments popu­laires ani­més ou acca­pa­rés par une future classe exploi­teuse il ne nous res­te­rait pas grand chose à examiner.

NOSTALGIE : « Ah si tous ces colo­niaux vou­laient nous don­ner un coup de main au lieu de s’at­tar­der à se don­ner des chefs, des dra­peaux, des hymnes… Quelle belle révo­lu­tion on aurait pu faire. Tout ce qu’ils font main­te­nant on sait bien, nous, que ça ne sert à rien. La preuve c’est qu’on est pas­sé par là. Alors puis­qu’on est les plus avan­cés il n’y a qu’à nous suivre… et tous ensemble…» vers la grande com­mu­nau­té révo­lu­tion­naire sans doute.

Or il nous a sem­blé que l’his­toire démontre assez que ce grand coude-à-coude des pro­lé­ta­riats métro­po­li­tains et des peuples colo­niaux ne s’est jamais réa­li­sé. Il ne sert à rien de regret­ter une soli­da­ri­té qui n’exis­tait pas. Pour­quoi les masses colo­niales vien­draient-elles à la res­cousse des pro­lé­taires euro­péens quand ceux-ci n’ont rien fait pour elles.

Les liens for­gés par l’im­pé­ria­lisme entre le pays domi­na­teur et les domi­nés n’ont pas été assez solides pour atta­cher pro­fon­dé­ment les peuples à un même des­tin. Il y a appa­rem­ment des paren­tés qui sont plus fortes que le fait d’a­voir été dans la même geôle. Lais­sons donc les ex-colo­ni­sés faire leur expé­rience entre eux. Il y a visi­ble­ment des leçons qui ne sont pas trans­mis­sibles de peuple à peuple comme de géné­ra­tion à géné­ra­tion. Il y a des erreurs qu’il faut répé­ter, des étapes que l’on ne peut sau­ter, tout un ensei­gne­ment par les faits que chaque peuple doit acquérir.

Et puis les Euro­péens ont belle figure qui veulent mon­trer aux autres com­ment on mène une révo­lu­tion, com­ment on prend en main son éman­ci­pa­tion, com­ment on sait se fédérer !

MEPRIS. On n’ap­prend pas pen­dant des années à l’é­cole pri­maire que « notre mis­sion a été de civi­li­ser les sau­vages » sans qu’il en reste quelque chose, même chez un militant.

Alors, ou bien on nie qu’il reste des par­ti­cu­la­ri­tés sociales, eth­niques dif­fé­rentes entre « eux » et « nous » (la « civi­li­sa­tion » a réus­si) ou bien on admet que des par­ti­cu­la­ri­tés sub­sistent et il est bien évident qu’«ils » sont infé­rieurs ― d’où ces tirades qui s’en prennent très sérieu­se­ment à ces fana­tiques, nomades, polygames.

D’un point de vue comme de l’autre « ils » se révoltent à tort et à travers :
– soit sans cause véri­table si ce n’est la pous­sée de l’é­tran­ger (le pan­ara­bisme par exemple
est très popu­laire… par­mi les Français);
– soit qu’«ils » soient inca­pables de faire rien de propre, ni de rien réus­sir seuls.

Dans la pre­mière pers­pec­tive « ils » font de la divi­sion, de la diver­sion à la lutte sociale pure, dans la seconde « ils » ne peuvent qu’en­traî­ner un gâchis épouvantable.

Ain­si, les Algé­riens marchent ou pour Nas­ser-qui-rime-avec-Hit­ler ou pour leurs caïds. C’est pas comme ici.

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Par de telles réac­tions affec­tives beau­coup d’a­nar­chistes prouvent au moins qu’ils ont gar­dé une cer­taine res­sem­blance avec le bon peuple labo­rieux de France et avec les mou­ve­ments de gauche et de droite.

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On man­quait d’en­ne­mi héré­di­taire. Les Russes sont encore loin. Mais main­te­nant il y a les Arabes. Com­bien de liber­taires partent en guerre contre eux, comme Jean Grave et Kro­pot­kine contre les Alle­mands, maniant avec autant de convic­tion d’i­den­tiques igno­rances avec d’i­den­tiques cli­chés écu­lés ? C’est ça le natio­na­lisme. Et celui-là est sans excuse car il n’est ali­men­té par aucune révolte, aucune oppression.

J. Pres­ly

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