La Presse Anarchiste

Éditoral

Les congrès « ouvriers »

La péri­ode des Con­grès vient de s’achev­er. Con­grès poli­tiques, con­grès syn­di­caux avaient à faire le point, après une année de régime prési­den­tiel, et se devaient d’éla­bor­er pro­grammes, plans d’ac­tion, recette-mir­a­cle pro­pres à sor­tir « le peu­ple » des sables mou­vants « réac­tion­naires et fas­cisants » et à le remet­tre sur la voie claire de la démoc­ra­tie rénovée, vers des lendemains…

Le moins que l’on puisse dire c’est que led­it peu­ple était beau­coup plus préoc­cupé par l’is­sue du Tour de France et le départ en con­gé que par les Réso­lu­tions finales de tel ou tel con­grès – Et puis, ce Mr. Bill, tout de même, qui n’est ni mil­i­taire ni flic et qui pour­tant… ques­tion productivité…

On peut donc dire sans risque de se tromper que tous ces con­grès ont revê­tu une impor­tance his­torique pour les seuls con­gres­sistes – (Le con­grès étant pour le syn­di­cal­iste pro­fes­sion­nel ou le politi­cien « ouvri­er » ce qu’est la revue du 14 juil­let pour l’of­fici­er de car­rière : une épreuve haras­sante, certes, mais surtout une jus­ti­fi­ca­tion exal­tante de sa pro­pre fonction).

La routine

Ce qui frappe dès que l’on regarde d’un peu près les débats des con­gres­sistes, c’est l’in­ca­pac­ité de chaque organ­i­sa­tion à faire face à une sit­u­a­tion nou­velle, à tir­er leçon des expéri­ences qui nous furent imposées, à rompre avec l’ef­froy­able rou­tine bureau­cra­tique qui est le moteur de cha­cune d’elles.

En effet, cha­cune sem­ble rivée à la place qu’elle s’é­tait faite au soleil de la IVe République, cha­cune con­tin­ue… avec ses intérêts pro­pres s’é­car­tant tou­jours plus des intérêts majeurs des exploités. Dès lors com­ment blâmerait-on le « trou­peau » de ne plus suiv­re des berg­ers qui n’a­van­cent pas ?

Une démocratie intérieure rénovée

Le Con­grès du P.C. fut un bien beau con­grès. Tout d’abord la « base » avait été con­sultée. C’est beau ça, c’est démoc­ra­tique ça ! Trois mois avant le Con­grès, le Comité Cen­tral avait mis sur pied un Pro­jet de Thès­es « à débat­tre libre­ment et avec sérieux dans tout le Par­ti ». Il y eut près de 400 propo­si­tions d’a­mende­ments (timides), et là où il est per­mis de franche­ment rigol­er, c’est lorsqu’on com­pare le pro­jet ini­tial du C.C. avec les thès­es adop­tées et présen­tées par l’i­namovi­ble Cogniot : du pareil au même, du kif-kif bour­ricogniot. Les amende­ments por­taient sur des vir­gules, des raf­fine­ments de syn­taxe, sur des bricoles. Bref le Con­grès était joué dès le 27 mars, trois mois avant, lorsque le Comité Cen­tral présen­ta son pro­jet. Oh mer­veille du cen­tral­isme démoc­ra­tique ! Ce qui n’empêcha pas le Cogniot de déclar­er sans rire : « Les mil­i­tants et les organ­i­sa­tions de base se sont acquit­tés de leur tâche d’éla­bor­er la poli­tique du Parti ».

Du carrefour Châteaudun… à Tamanrasset

Ce con­grès P.C. à réaf­fir­mé d’autre part son désir d’une paix négo­ciée en Algérie, avec « ceux qui se bat­tent ». Voilà qui est bien. Côté « pét­role » le Par­ti sem­ble avoir du Sahara français une con­cep­tion beau­coup moins respectueuse du droit des Algériens à s’ad­min­istr­er eux-mêmes…

Quant à la poignée de jeunes com­mu­nistes courageux qui sont empris­on­nés pour avoir « refusé de se bat­tre con­tre le peu­ple algérien », hier héros du Par­ti, ils ont dû aujour­d’hui endur­er l’an­nonce que, désor­mais, « un com­mu­niste peut pren­dre part à une guerre réactionnaire»…

Les épiciers avec nous !

Le XVe Con­grès du P.C. s’est clos sur le mot d’or­dre : « À tout prix front unique de la classe ouvrière, à tout prix rassem­ble­ment de la classe ouvrière et des class­es moyennes ».

À tout prix… Les Algériens se sou­vi­en­nent de quel prix ils ont payé le vote des pou­voirs spé­ci­aux par le P.C. au nom de l’u­nité avec les nationaux-mollétistes…

Rassem­ble­ment des crans-à-la-cein­ture avec les coups-de-pouce-à-la-bal­ance, les intérêts com­muns du « lumpen » et de l’épicier…

Bla bla bla

Le 32e Con­grès de la C.G.T. fut, lui aus­si, à la hau­teur de la IVe République. L’il­lus­tre et pitoy­able Fra­chon se sur­pas­sa dans son rap­port, notam­ment lorsqu’il déclara : « Les rap­ports entre les class­es sont devenus, dans les faits, plus nets et plus tranchés. L’évo­lu­tion de la con­science de classe chez les salariés a fait de grands pro­grès ». Un peu coupé des mass­es, le Fra­chon ! Les mil­i­tants ouvri­ers de la C.G.T. seront d’ac­cord avec nous pour con­stater que les pro­grès de la con­science de classe se traduisent plus par la quête des heures sup­plé­men­taires que par une volon­té de lutte accrue…

Pour une centrale unique

Plus réal­istes étaient les vues de Le Brun et Rouza­ud qui, con­scients du seul intérêt de la C.G.T., ten­taient de faire recon­naître, comme une con­di­tion à une (hypothé­tique) réu­ni­fi­ca­tion syn­di­cale, la recon­nais­sance du droit de ten­dances au sein de la C.G.T…

Mais la réac­tion cégétiste veil­lait et c’est par 89% des suf­frages exprimés qu’elle repous­sa une telle propo­si­tion, après qu’eurent été rejetées les propo­si­tions de la Fédéra­tion de l’É­d­u­ca­tion Nationale (autonome) par­al­lèles à celles de Le Brun et C°. Alors ? L’u­nité à tout prix ? Non, le coup des ten­dances, c’é­tait trop cher…

D’ailleurs les chefs cégétistes esti­ment ne pas avoir à faire de con­ces­sions dans la réal­i­sa­tion de l’U­nité. Laque­lle ain­si que son corol­laire pra­tique, l’u­ni­fi­ca­tion syn­di­cale, ne peut se faire que par ral­liement au panache blanc de Frachon.

Ce con­ser­vatisme C.G.T. et plus encore l’é­tat d’e­sprit qu’il révèle dis­qual­i­fient défini­tive­ment le syn­di­cal­isme offi­ciel en tant que fac­teur révolutionnaire.

Et, dans cette optique, les gains de voix C.G.T. aux élec­tions pro­fes­sion­nelles doivent être com­pris comme autant de symp­tômes d’un affaib­lisse­ment de la lucid­ité des travailleurs.

Qui croire ?

Au con­grès du P.C. la thèse n°14 (ex n°16) com­mence ain­si : « La crise générale du sys­tème cap­i­tal­iste s’ap­pro­fon­dit. Il con­naît des dif­fi­cultés économiques, sociales et poli­tiques sans cesse accrues ».

Tan­dis qu’au con­grès de la C.G.T, Fra­chon déclare : « Pen­dant ce temps, les affaires des cap­i­tal­istes vont bien. Elles vont même de mieux en mieux. Leurs prof­its augmentent ».

Tactiques

Au Con­grès C.F.T.C., tout comme à F.O. mais en plus mar­qué, on barre à gauche. Les minori­taires d’hi­er « Recon­struc­tion » voy­ant leurs posi­tions devenir celles de la con­fédéra­tion. On prend posi­tion pour une solu­tion négo­ciée en Algérie, le syn­di­cat général de l’É­d­u­ca­tion Nationale (C.F.T.C.) se prononce con­tre la loi Barangé, etc…

Cer­tains tac­ti­ciens de la cen­trale vat­i­cane pro­posent que la C.F.T.C. aban­donne son éti­quette « chré­ti­enne » qui « divise la classe ouvrière », nuit au regroupe­ment et laisse plan­er sur la C.F.T.C. une aura de jau­nisse et de col­lab­o­ra­tion de classes…

À chacun son unité

Donc, de toutes ces pal­abres, de toute la dém­a­gogie des congrès,une seule chose sur­nage : le désir d’u­nité des chefs syn­di­caux et poli­tiques. Pour la C.F.T.C. ou F.O. ce désir s’ex­plique par la crainte de voir le mécon­tente­ment ouvri­er (lorsqu’il se man­i­festera, mais quand?) polar­isé par la seule C.G.T. et à son seul béné­fice. Pour la C.G.T. l’u­nité, et l’u­ni­fi­ca­tion syn­di­cale sans droit de ten­dance, lui per­me­t­trait d’avoir la haute main sur tout ce qui milite dans la classe ouvrière et de pré­par­er le ter­rain pour un Front populaire…

Le cal­cul n’est pas si mau­vais car la grande majorité des ouvri­ers non-mil­i­tants a tou­jours fait état de la divi­sion syn­di­cale pour jus­ti­fi­er sa pro­pre apathie. Com­bi­en de fois avons-nous enten­du « si au lieu de se tir­er dans les pattes (les divers­es cen­trales) il n’y avait qu’un syn­di­cat et si au lieu de faire des tas de petites grèves on en fai­sait une seule, générale, on récupér­erait vite tout ce qu’on a per­du depuis la guerre ».

Il y a chez beau­coup d’ou­vri­ers cette nos­tal­gie de la force qu’on avait en 36.

C’est cela que les bureau­crates syn­di­caux veu­lent exploiter. Et, mal­gré le faible pour­cent­age de mil­i­tants syn­di­caux par rap­port à la masse ouvrière, il est pos­si­ble que la ren­con­tre des mots d’or­dre d’u­nité de la C.G.T. avec le désir con­fus d’u­nité des ouvri­ers se traduise par un ren­force­ment de la vieille boutique.

L’unité ? Pour quoi faire ?

Les organ­i­sa­tions dites ouvrières sont enlisées dans un répub­li­can­isme de croulants. Le P.C. ne pro­pose plus, dans son pro­gramme, que la « réno­va­tion de la démoc­ra­tie ». Quant à la C.G.T., il y a belle lurette qu’elle a rem­placé « l’abo­li­tion du salari­at » par la « défense des droits acquis », la « créa­tion d’un fonds de chô­mage », la « défense du droit-de-grève-inscrit-dans-la-con­sti­tu­tion » –(Voir la non-grève S.N.C.F. de juin 59).

Dès lors, ces organ­i­sa­tions sont objec­tive­ment réformistes.

L’u­nité, la réu­ni­fi­ca­tion syn­di­cale que recherche la C.G.T. devi­en­nent miroir aux alou­ettes dont elle seule tir­erait profit.

Classe contre classe

Bien sûr, nous sommes pour « l’u­nité », mais nous savons par expéri­ence qu’a­vant qu’il y ait UNITÉ il faut qu’il y ait LUTTE. Quand des ouvri­ers veu­lent se bat­tre ils n’ont pas besoin qu’un quel­conque état-major leur con­seille de s’unir.

L’u­nité est une con­séquence de la lutte et non pas une con­di­tion à celle-ci.

L’u­nité ne peut se fab­ri­quer dans des con­grès. Elle se constate.

La classe des exploités existe tou­jours, même si les rap­ports de pro­duc­tion en ont mod­i­fié cer­tains aspects extérieurs. Elle a per­du par­tielle­ment con­fi­ance en elle-même, n’a pas su pro­téger ses organ­i­sa­tions con­tre le noy­au­tage bureau­cra­tique et l’en­lise­ment légaliste.

La classe des exploiteurs existe tou­jours et se porte d’au­tant mieux que la classe ouvrière est affaib­lie. L’É­tat et le Cap­i­tal n’ont cessé depuis la guerre de nous porter des coups tou­jours plus durs.

Rien n’est donc fon­da­men­tale­ment changé dans la sit­u­a­tion économique sociale et poli­tique. Le rap­port de forces ne cesse de s’ag­graver à notre détriment.

Être exploité sous un régime prési­den­tiel, démoc­ra­tique ou de Front pop­u­laire, c’est tou­jours être exploité. Entre la peste et le choléra à quoi sert de choisir ?

Il est donc urgent de raviv­er la con­science de classe qui con­di­tionne les suc­cès de la lutte de classe.

Pour cela tout est bon, que le point de départ soit des petits groupes révo­lu­tion­naires, des con­seils for­més spon­tané­ment, la SECTION syn­di­cale (de base) CGT, FO, Autonome de l’en­tre­prise où l’on tra­vaille : l’essen­tiel est de renouer au plus tût avec la lutte DIRECTE, « sauvage » comme dis­ent les anciens – et per­ma­nente – LEGALE ou PAS. (Le 13 Mai des colons était-il « légal »?).

Ce n’est plus en tant que syn­di­cal­istes, social­istes, com­mu­nistes, anar­chistes, chré­tiens ou sup­port­ers de Bobet que l’on doit lut­ter désor­mais si on veut s’en tir­er, c’est en tant qu’­ex­ploités, sur le lieu de notre exploita­tion, con­tre nos exploiteurs.

La grève générale – insur­rec­tion­nelle si néces­saire – demeure l’arme essen­tielle des exploités. Il nous fau­dra 6 mois, 5 ans ou plus pour la pré­par­er, mais c’est elle, en défini­tive, qui nous débar­rassera du régime, et, si on sait ne jamais ter­min­er une grève, du cap­i­tal, de l’É­tat… et, acces­soire­ment, des bonzes syndicaux.

Noir et Rouge


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