La Presse Anarchiste

Correspondance de Paris

Un membre de l’In­ter­na­tio­nale nous écrit de Paris en date du 10 mai :

Il s’ef­fec­tue en ce moment, à Paris, un mou­ve­ment excellent en prin­cipe, sur lequel il ne fau­drait cepen­dant pas s’illu­sion­ner. La dis­tance et la nature des ren­sei­gne­ments qui peuvent vous par­ve­nir à cet égard, me paraissent de nature à vous en don­ner peut-être une idée un peu fausse que je vou­drais rectifier.

Le mou­ve­ment dont je parle a pour objet la consti­tu­tion de cor­po­ra­tions pour l’or­ga­ni­sa­tion des chambres syn­di­cales. En réa­li­té, c’est là le point de départ de toute orga­ni­sa­tion ouvrière et le fon­de­ment solide sur lequel on peut baser toute action ulté­rieure, de quelque nature qu’elle soit. Il est donc extrê­me­ment impor­tant d’ef­fec­tuer au mieux cette œuvre capi­tale. Eh bien ! j’ai consta­té que le mou­ve­ment actuel n’é­tait pas encore très conscient, et sur­tout qu’il n’ob­te­nait pas encore l’u­na­ni­mi­té dési­rable pour assu­rer le triomphe des reven­di­ca­tions ouvrières. Deux causes expliquent ce fait : l’i­gno­rance géné­rale, le manque d’éner­gie néces­saire pour se grou­per, puis la crainte que la recru­des­cence récente d’ar­res­ta­tion a contri­bué à accroître, et aus­si l’a­pa­thie dont est douée la masse ouvrière, le dés­in­té­res­se­ment qu’elle mani­feste pour ses propres affaires. Le sen­ti­ment de la soli­da­ri­té qui devrait réunir, d’a­bord les membres d’une cor­po­ra­tion, ensuite les diverses cor­po­ra­tions, n’est pas beau­coup déve­lop­pé depuis les der­niers évé­ne­ments. Ceux-ci auront eut, comme influence incon­tes­table, ce résul­tat d’a­me­ner les ouvriers à com­prendre qu’il faut se grou­per par inté­rêt, c’est-à-dire par cor­po­ra­tion. Ceci me semble acquis, mais d’une façon encore ins­tinc­tive ; c’est un besoin vague dont on n’a pas encore dis­cer­né les causes et les conséquences.

D’ailleurs, dans l’ordre poli­tique, le pro­grès, réa­li­sé à l’é­tat latent, est de même ordre. Dans tous les coins de la France, a péné­tré cette notion, qu’il était bon de s’oc­cu­per de ses affaires, et de gérer soi-même ses propres inté­rêts, de s’é­man­ci­per en tant que groupe communal.

Quand à l’In­ter­na­tio­nale, il y a, m’a-t-on dit, des sec­tions com­plè­te­ment réor­ga­ni­sées depuis plu­sieurs mois. J’i­gnore quelle impres­sion aura pro­duite sur elle la pro­mul­ga­tion de la loi ver­saillaise. En ce qui concerne la masse, j’ai remar­qué une pru­dence extrême, un soin exces­sif ayant pour des­sein d’é­vi­ter aucune rela­tion avec l’as­so­cia­tion conspuée, de ne pas paraître même se trou­ver en com­mu­nion avec elle. Mais ceci n’est pas un symp­tôme fâcheux. Si la loi contre l’In­ter­na­tio­nale éloi­gne­ra cer­tai­ne­ment un grand nombre d’adhé­rents, la pro­pa­gande des idées inter­na­tio­na­listes et d’é­man­ci­pa­tion pro­lé­taire ne sera pas amoin­drie par ce fait. Sans s’en dou­ter, les réunion ouvrières aux­quelles j’ai assis­té depuis quelques mois, mani­festent des sen­ti­ments excel­lents, qui sont d’ac­cord avec les aspi­ra­tions géné­rales de l’In­ter­na­tio­nale. Et puis, chose meilleure encore, la pro­pa­gande de ces idées se fait dans les ate­liers, dans d’ex­cel­lentes condi­tions, pro­dui­sant des modi­fi­ca­tions d’o­pi­nions tout à fait heu­reuses et sou­vent inattendues.

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