La Presse Anarchiste

Dans notre courrier

Mon cher Cama­rade Pierrot,

Reçu le no de P.L. du 15 mars le 15 mars. Quelle ponc­tua­li­té ! Je sou­haite qu’elle conti­nue. Des­planques me remer­cie de mon abon­ne­ment, ce qui me fait pré­su­mer d’une bonne admi­nis­tra­tion. Tant mieux !

La pré­sen­ta­tion de P.L., simple, propre, sans ara­besques, sans salis­sures, m’a plu. Peut-être bien que des carac­tères. un peu plus gros ne nui­ront pas, bien que pre­nant un peu sur le texte. Beau­coup de choses m’ont plu dans le conte­nu. Mais ce qui vous fera le plus plai­sir de connaître ce sont les critiques.

J’aime les articles courts pour eux-mêmes, mais sur­tout dans une si petite revue. Les études ont leur néces­si­té et il leur est nui­sible d’en sépa­rer les par­ties dans le temps par des inter­valles d’un mois. Le remède me paraît d’en trai­ter chaque mois les courtes par­ties comme indé­pen­dantes les unes des autres, comme si elles for­maient un tout dans un article pas trop long.

Il est un peu vain pour un men­suel de vou­loir trai­ter toute l’ac­tua­li­té dont la plus grande par­tie est hor­ri­ble­ment vieille quand il paraît, mais le contraire, c’est à dire ne pas trai­ter du tout de la plus récente et grande actua­li­té, c’est enle­ver à une revue ce qui la rend la plus vivante. Rédac­teurs du P.L., c’est un peu comme si vous étiez réunis, chez le cama­rade Pier­rot, et que l’é­cla­tante cla­meur d’une mani­fes­ta­tion popu­laire dans la rue des Archives fît réson­ner les vitres, et qu’in­dif­fé­rents vous n’ou­vris­siez pas les fenêtres pour voir ce qui se passe et conti­nuas­siez de pape­ras­ser entre vous, la tête bais­sée sur la table. De l’ac­tua­li­té, il en faut, et il me semble que Net­tlau va trop loin dans le sens oppo­sé, bien que je sois de son avis d’a­ban­don­ner beau­coup de choses du pas­sé libertaire.

Vous, vos articles me plaisent, parce qu’ils contiennent beau­coup d’i­dées et qu’elles sont sou­vent com­munes avec les miennes. Je vous reproche pré­ci­sé­ment de pré­sen­ter trop d’i­dées à la fois, de ne pas les trai­ter cha­cune assez à fond et de les pré­sen­ter un peu pêle-mêle, à la diable, comme elles se pré­sentent (et l’on sent qu’il s’en pré­sente beau­coup trop à la fois) en homme très occu­pé et qui n’a pas le temps de raf­fi­ner et de faire des plans.

L’é­tude qui traite de la psy­cho­lo­gie ouvrière contient beau­coup de choses. Elle est vraie dans sa plus grande par­tie. Elle pêche peut-être par trop de sym­pa­thie à tout ce qui est ouvrier. On ne peut par­ler de déma­go­gie, en rai­son de la sin­cé­ri­té de l’au­teur ; mais je trouve que pour être vrai, il faut sou­vent être plus sévère pour les ouvriers. Ils ont sou­vent l’or­gueil que donne l’i­gno­rance. Les tra­vailleurs manuels font sou­vent preuve d’une sotte hos­ti­li­té à l’é­gard des intel­lec­tuels, demis ou quarts d’in­tel­lec­tuels. On ne le leur dit pas assez. Ils ignorent trop l’im­por­tance des qua­li­tés et des fonc­tions admi­nis­tra­tives qui « empêchent le gas­pillage », qui ont pour uti­li­té d’empêcher de mou­rir ce qui vit. Un peintre sur por­ce­laine (ne pas croire que ce soit une pro­fes­sion artis­tique) s’i­ma­gine être plus capable qu’un bon employé de diri­ger un ate­lier de pein­ture sur por­ce­laine, ce qui est exac­te­ment le contraire de la véri­té aujourd’­hui reconnue.

Vous me disiez der­niè­re­ment au sujet des ingé­nieurs et de la mau­vaise opi­nion que j’ai sur eux, de ne pas géné­ra­li­ser, qu’ils ont leur place néces­saire. Ils ont leur place, oui, mais comme tech­ni­ciens, et, en géné­ral, pas comme admi­nis­tra­teurs. Cette opi­nion répond à la majo­ri­té des cas que j’ai connus ; et je crois qu’il s’a­git chez eux d’une défor­ma­tion pro­fes­sion­nelle, peut-être due à leur genre d’études.

X.

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