La Presse Anarchiste

Le Congrès de Saragosse

Le Conseil fédé­ral espa­gnol de l’In­ter­na­tio­nale vient d’a­dres­ser au Comi­té fédé­ral juras­sien la lettre suivante :

Com­pa­gnons du Comi­té fédé­ral jurassien,

Le nou­veau Conseil fédé­ral espa­gnol vient d’être consti­tué comme vous pour­rez le voir par les actes ci-joints du Congrès de Saragosse.

Les cir­cons­tances dans les­quelles se trouve la région espa­gnole sont des plus cri­tiques ; mais notre Conseil, hono­ré de la confiance de la fédé­ra­tion régio­nale espa­gnole, et s’ins­pi­rant de son atta­che­ment à la cause de l’é­man­ci­pa­tion du pro­lé­ta­riat et prin­ci­pa­le­ment de la ligne de conduite que lui a tra­cée le Congrès de Sara­gosse, repré­sen­tant de l’or­ga­ni­sa­tion déjà puis­sante des tra­vailleurs espa­gnols, notre Conseil, disons-nous, peut assu­rer qu’il accom­pli­ra son devoir, quels que soient les obs­tacles qu’il ren­contre et les sacri­fices qui seront nécessaires.

Pour rem­plir plus faci­le­ment notre impor­tante mis­sion, nous comp­tons sur l’ap­pui de notre Comi­té fédé­ral, avec lequel nous dési­rons éta­blir une cor­res­pon­dance régu­lière et constante, afin de nous com­mu­ni­quer mutuel­le­ment tout ce qui sera utile à la grande cause que nous défendons.

Nous espé­rons de votre ami­tié que vous tra­dui­rez les réso­lu­tions ci-jointes du Congrès de Sara­gosse, et que vous les publie­rez dans le jour­nal inter­na­tio­nal de votre loca­li­té et dans les autres organes qui seraient à votre dis­po­si­tion, vous priant en même temps de nous adres­ser un exem­plaire de chaque numé­ro de votre journal.

Espé­rant rece­voir de vous une prompte réponse, nous vous souhaitons,

Salut et liqui­da­tion sociale.

Par ordre et au nom du Conseil fédéral :
Le secré­taire général

Ansel­mo Loren­zo, Valence, 5 mai 1872.

Nous insé­re­rions avec plai­sir in exten­so les réso­lu­tions du Congrès de Sara­gosse, si notre for­mat nous le per­met­tait ; mais il fau­drait pour cela y consa­crer un numé­ro tout entier de notre Bul­le­tin. Nous sommes donc for­cés de ne publier, par­mi ces réso­lu­tions, que celles qui sont d’un inté­rêt géné­ral, et qui touchent à des ques­tions de prin­cipes, lais­sant de côté les réso­lu­tions admi­nis­tra­tives ou d’in­té­rêt pure­ment local.

Le Congrès de Sara­gosse a tenu ses séances du 4 au 11 avril der­nier. Le 7 avril, le Congrès devait com­men­cer ses séances publiques ; la police a dis­sous la réunion convo­quée à cet effet, et les délé­gués, après avoir signé une pro­tes­ta­tion contre cet acte arbi­traire, ont conti­nué leurs séances dans un local privé.

Le rap­port pré­sen­té au Congrès par le Conseil fédé­ral sur le déve­lop­pe­ment de l’In­ter­na­tio­nale en Espagne, constate qu’il existe en ce moment 55 fédé­ra­tions locales consti­tuées ; en outre, dans 94 loca­li­tés, des fédé­ra­tions sont en voie d’or­ga­ni­sa­tion, et 19 autres comptent des adhé­sions indi­vi­duelles, ce qui fait un total de 113 loca­li­tés qui, dans un temps pro­chain, accroî­tront le chiffre des fédé­ra­tions locales. De plus, il y a déjà 8 Unions de métiers (embras­sant toute la région espa­gnole), et la grande Union des ouvriers de manu­fac­ture et de fabrique se consti­tue en ce moment même.

Le citoyen For­nell, qui paraît être un coopé­ra­teur, cou­leur du Temple-Unique et de la Tag­wacht, avait pré­sen­té au Congrès une série de pro­po­si­tions ain­si conçues :

  1. Le moyen de réduire à huit ou dix heures le maxi­mum de la jour­née de tra­vail dans tous les métiers ;
  2. De la meilleure forme pos­sible pour éman­ci­per la femme de tout tra­vail qui ne soit pas domestique ;
  3. Recherche du meilleur moyen d’é­ta­blir l’é­ga­li­té des salaires.

Le Congrès a pris, au sujet des pro­po­si­tions 1 et 3, une réso­lu­tion remar­quable, qui témoigne de l’es­prit radi­cal de la fédé­ra­tion espa­gnole. La voici :

Consi­dé­rant que l’i­dée de réduire à huit ou dix heures le maxi­mum de la jour­née de tra­vail dans tous les métiers, et de recher­cher le meilleur moyen d’é­ta­blir l’é­ga­li­té des salaires, sont des idées res­tric­tives du grand but que se pro­po­sé notre Asso­cia­tion, et qui est l’a­bo­li­tion du sala­riat et des classes et l’é­ta­blis­se­ment de l’é­ga­li­té éco­no­mique entre les indi­vi­dus des deux sexes,

Le Congrès déclare que les pro­po­si­tions 1 et 3 de For­nell ne peuvent occu­per l’at­ten­tion d’un Congrès d’ou­vriers internationaux.

Quant à la pro­po­si­tion rela­tive à la femme, elle a été l’ob­jet d’un rap­port spé­cial du Conseil fédé­ral espa­gnol, que nous repro­dui­sons plus loin en la fai­sant suivre de la réso­lu­tion du Congrès à ce sujet.

Une des ques­tions à l’ordre du jour était l’or­ga­ni­sa­tion géné­rale des tra­vailleurs (soit une dis­cus­sion sur la révi­sion des Sta­tuts géné­raux de l’In­ter­na­tio­nale). Voi­ci la réso­lu­tion du Congrès :

Consi­dé­rant que les délé­gués ne peuvent pas pro­lon­ger davan­tage leur pré­sence au Congrès ;

Que, pour cette rai­son, le Congrès ne peut consa­crer à la dis­cus­sion des Sta­tuts le temps néces­saire pour arri­ver à un bon résul­tat dans ce genre de travail ;

D’ac­cord avec les réso­lu­tions prises à ce sujet par le Congrès ouvrier de la région belge des 24 et 25 décembre 1871.

Par ces rai­sons, le Congrès ouvrier de la région espa­gnole, réuni à Sara­gosse, déclare se ral­lier com­plè­te­ment aux réso­lu­tions du Congrès belge, et décide que le ou les délé­gués de la région espa­gnole au pro­chain Congrès inter­na­tio­nal, auront à voter confor­mé­ment aux termes et à l’es­prit de ces résolutions.

Le Congrès invite les fédé­ra­tions locales à s’en­tendre pour envoyer au pro­chain Congrès inter­na­tio­nal le plus grand nombre pos­sible de délégués.

[|Réso­lu­tion sur la ques­tion des grèves.|]

Consi­dé­rant que pour le suc­cès des grèves, il est de grande néces­si­té et d’ex­trême impor­tance de pro­pa­ger la créa­tion des Unions et Fédé­ra­tions de métier, et de régu­la­ri­ser leur marche en se basant sur la statistique ;

Que les cir­cons­tances dans les­quelles et pour les­quelles les grèves doivent avoir lieu, doivent être déter­mi­nées d’une manière claire et pré­cise par les règle­ments des Unions et Fédé­ra­tions de métier ;

Que, par consé­quent, il appar­tient aux Congrès spé­ciaux des Unions de métier de déter­mi­ner ces circonstances ;

Le Congrès invite toutes les Sec­tions de la région espa­gnole qui n’ont pas encore consti­tué leur Union de métier, à le faire dans le plus bref délai pos­sible, en se confor­mant à ce qui est éta­bli par les Sta­tuts et Règlements.

Le Conseil fédé­ral devra faire tout ce qu’il juge­ra oppor­tun pour aider les Sec­tions dans ce tra­vail, en nom­mant dans son sein, comme il le juge­ra conve­nable, une Com­mis­sion char­gée de l’ac­ti­ver, afin d’ar­ri­ver le plus promp­te­ment pos­sible à la consti­tu­tion d’U­nions et de Fédé­ra­tions de métier pour tous les ouvriers de la région espagnole.

[|Réso­lu­tion sur la coopé­ra­tion de consom­ma­tion|]

Le Congrès recom­mande à toutes les socié­tés coopé­ra­tives exis­tantes de se réfor­mer d’a­près les bases arrê­tées par la Confé­rence de Valence, croyant que ce sont les seules qui puissent rendre la coopé­ra­tion conforme aux aspi­ra­tions que se pro­pose de réa­li­ser l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale des travailleurs.

Le Congrès déclare que toutes les socié­tés coopé­ra­tives qui n’ac­cep­te­raient pas ces bases et qui, par consé­quent, auraient pour objet la for­ma­tion d’un capi­tal au pro­fit de quelques indi­vi­dus, sont contraires à l’é­man­ci­pa­tion des travailleurs.

[|Réso­lu­tions sur l’en­sei­gne­ment inté­gral.|]

La délé­ga­tion de Bar­ce­lone a pré­sen­té un rap­port sur cette ques­tion, et le Congrès, en déci­dant la publi­ca­tion de ce rap­port, déclare

  1. Qu’il approuve dans toutes leurs par­ties les consi­dé­rants sur les­quels est basé le plan d’en­sei­gne­ment inté­gral pro­po­sé dans ce rapport.
  2. Que tout en regar­dant comme lumi­neuses les idées émises dans le plan pro­po­sé, le Congrès ne doit se pro­non­cer en faveur ni de ce pro­jet ni d’au­cun autre, atten­du qu’il sera de la com­pé­tence des col­lec­ti­vi­tés de l’a­ve­nir, de déci­der ce qu’elles juge­ront le meilleur rela­ti­ve­ment à cet objet.

Enfin, le Congrès de Sara­gosse a voté la décla­ra­tion sui­vante concer­nant la Com­mune de Paris :

Le Congrès envoie un vote de recon­nais­sance aux défen­seurs de la Com­mune de Paris, qui souffrent sur les pon­tons et en exil les consé­quences de leur atta­che­ment à la cause de l’é­man­ci­pa­tion du pro­lé­ta­riat, en même temps qu’un sou­ve­nir affec­tueux aux vic­times des bar­ba­ries de Versailles.

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