La Presse Anarchiste

Boulangeries

Dès qu’un indi­vi­du, aus­si puis­sante que soit son acti­vi­té céré­brale, se met à la remorque d’un de ses sem­blables, se donne un maître, toute sa clair­voyance d’es­prit dis­pa­raît. C’est un détra­qué, il vous raconte cré­du­le­ment les plus grosses bourdes, n’est arrê­té par aucune contra­dic­tion, perd la notion de tous les ensei­gne­ments historiques.

Tels sont deve­nus nos radi­caux ; ils prêtent ser­ment, non sur la queue d’une vache, comme les boud­dhistes, ― mais sur celle d’un che­val, le beau che­val noir de l’In­vin­cible. Dans toute la bande, à Laguerre le pompon.

Dans une de ses épitres, ― qu’on peut com­pa­rer au pavé de l’ours de La Fon­taine, ― il reproche au traine sabre Fer­ron, d’a­voir don­né à un de ses copains nom­mé Gal­lif­fet, connu par ses hauts faits sous Paris, le cor­don de grand offi­cier de la légion d’honneur.

Pour nous qui tenons en fort mépris toute cette bim­be­lo­te­rie hono­ri­fique et ne com­pre­nons pas qu’un peuple libre et se res­pec­tant s’en accom­mode, peu nous chaud. Nous lais­sons tous ces gru­geurs se pas­ser réci­pro­que­ment séné et rhu­barbe, atten­dant impa­tiem­ment après le jour où nous pour­rons nous débar­ras­ser de cette ver­mine. Si nous en par­lons c’est pour mettre en lumière le manque de logique dont font preuve les radi­caux ― boulangistes.

Laguerre en repro­chant à Fer­ron d’a­voir fait offi­cier Gal­lif­fet, qu’il qua­li­fie très à pro­pos d’é­gor­geur de Paris, part d’une belle indi­gna­tion ; il est épou­van­té de telle impru­dence, et n’a jamais vu le crime récom­pen­sé si inso­lem­ment. Il fau­drait pour­tant s’en­tendre ; Gal­lif­fet n’est pas le seul égor­geur de Paris, d’autres l’ai­daient dans cette sinistre besogne. Et l’un de ceux là, c’est votre idole d’au­jourd’­hui, Mon­sieur Laguerre, le Géné­ral Boulanger.

Est-ce que vous avez oublié, c’est qu’il a des­cen­du dans l’i­gno­mi­nie beau­coup plus d’é­che­lons que Gal­lif­fet. Celui-ci n’a pas ten­du ses mains fumantes pour rece­voir le prix du sang. C’est ce que ne man­qua pas de faire votre futur ami, Mon­sieur Laguerre.

Mon­sieur de Gal­lif­fet refu­sa au mois de juin 1871, la cra­vate rouge de com­man­deur, ne vou­lant pas, disait-il d’un tro­phée ramas­sé dans l’hor­reur d’une guerre civile. Cette cra­vate, Bou­lan­ger l’ac­cep­ta avec empres­se­ment et congra­tu­la­tion, des mains d’un de ses pareils, le géné­ral Ladmirault.

Certes Laguerre vous devriez avoir assez de bon sens pour com­prendre com­bien plus est odieuse la conduite mons­trueuse de votre ami, mise en paral­lèle avec celle de Gal­lif­fet. Il y a entre les deux atti­tudes, un abîme. Il y a dix-sept ans d’é­cou­lés, il y a le sang lavé, les colères atté­nuées. Après dix-sept ans, le prix du sang n’a plus sa fade saveur. Doré­na­vant, ne réveillez pas de tels sou­ve­nirs, vous ne convain­crez per­sonne. Pour tous les citoyens justes et clair­voyants, le géné­ral Bou­lan­ger ne sera jamais qu’un mas­sa­creur du peuple.

Peut-être direz-vous que de même qu’on com­ment des fautes à tout âge, à tout âge on peut s’en repen­tir. Nous l’accordons.

Ain­si, vous, vous n’a­vez pas tou­jours été radi­cal et bou­lan­giste, vous fûtes autre­fois un admi­ra­teur pas­sion­né de l’im­monde Thiers, qu’au­jourd’­hui vous qua­li­fiez selon ses mérites. Vous étiez parait-il, à la pan­ta­lon­nade faite le 3 sep­tembre 1878 à l’é­glise Notre Dame, un an après la mort de Fou­tri­quet, un des com­mis­saire de bonne volon­té qui étaient char­gés de pla­cer ses innom­brables amis.

Vous étiez aus­si le 3 août 1879, à Nan­cy à l’i­nau­gu­ra­tion de la sta­tue de celui que vous qua­li­fiez de libé­ra­teur du ter­ri­toire. Vous y étiez comme délé­gué de la jeu­nesse fran­çaise des écoles.

Nous n’i­mi­te­rons pas vos anciens amis les oppor­tu­nistes et ne vous impu­te­rons pas à crime ces erreurs de jeu­nesse. Allez sans cesse de l’a­vant, nous ne vous repro­che­rons pas votre pas­sé ; deve­nez révo­lu­tion­naire (sans ambi­tion) nous ne vous refu­se­rons pas la main sous pré­texte que vous avez été bou­lan­giste. Si à tout homme qui marche, ceux qui l’on pré­cé­dé dans cette voie, jetaient la pierre, nul ne serait indemne. À un titre quel­conque nous avons tous erré, plus ou moins. Pour ne citer qu’un fait, la plu­part d’entre nous avons été éle­vés dans les super­sti­tions chré­tiennes, mais nos yeux se sont ouverts, et délais­sant nos stu­pides croyances, nous sommes deve­nus matérialistes.

Peut-on oublier le pas­sé de Bou­lan­ger aus­si faci­le­ment que le vôtre ? Non. Ce qu’il a et que vous n’a­vez pas, c’est cette cra­vate teinte du sang des fédé­rés, qu’il s’est bien gar­dé de jeter à la face de ceux qui lui en ont fait cadeau. Il porte orgueilleu­se­ment à son cou le prix du sang ; c’est avec cette cra­vate que nous le pen­drons au pilo­ri de l’his­toire. Pour tou­jours il porte indé­lé­bi­le­ment mar­qué au front le stig­mate des bour­reaux : c’est un assas­sin du Peuple !

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