L’Irlande est un petit pays qui fait beaucoup parler de lui.
En ce moment, en Amérique, les Irlandais et leurs amis inséparables, les Allemands, font une campagne effrénée : leur but, ils ne le cachent pas, c’est de pousser le Gouvernement de Washington à présenter à l’Angleterre un ultimatum ainsi conçu : « l’indépendance absolue de l’Irlande ou la guerre sans rémission. » Les Irlandais, tant chez eux que dans la République américaine font montre d’une remarquable maladresse. Comme « gaffeurs », pourrions-nous dire, ils sont incomparables. Également incomparable leur haine pour la Grande-Bretagne et pour tous les peuples qui vivent sous l’autorité britannique. Peu après la déclaration des hostilités, Jim Larkin, chef unioniste irlandais et considéré comme un agitateur révolutionnaire dans les milieux ouvriers d’Irlande, arrivait aux États-Unis et faisait cette déclaration : « Le moment est venu pour les travailleurs irlandais de prendre leur revanche sur les travailleurs anglais. » Mais qu’ont donc fait ces derniers pour avoir mérité une haine si implacable de la part des prolétaires de l’île du fameux Saint-Patrique ? Rien, si ce n’est d’avoir, dans une grande mesure, contribué au développement du libéralisme et de la tolérance religieux dans tout l’Empire britannique. La tolérance religieuse, voilà ce que le tempérament irlandais ne peut admettre, car il est essentiellement ultramontain, d’un ultramontanisme qui ne veut céder un pouce de terrain aux idées modernes. Nous nous trouvons ainsi en présence de ce fait apparemment incroyable, de républicains, de syndicalistes révolutionnaires, de socialistes, voire même d’anarchistes, qui s’affirment en faveur du pouvoir spirituel et temporel du pape!… Un publiciste américain nous disait : « Ils nous déconcertent ces Irlandais ; très intelligents, certes, mais un atavisme féroce étreint leurs âmes ; ils ne peuvent se concilier avec le progrès. »
Nous parlons généralement de l’Irlande comme si elle était exclusivement peuplée de catholiques romains ; c’est là une grave erreur et c’est surtout ce qui complique ce que l’on appelle la question irlandaise. Une partie de cette île appelée Ulster comprend un grand nombre de protestants et d’anglicans qui sont fermement opposés au home rule — traduisez gouvernement régional — car ils sont convaincus qu’un tel gouvernement entre les mains d’une majorité ultramontaine ne manquerait pas de s’inspirer des procédés inquisitoriaux et que dans tous les cas, la tolérance religieuse en serait rigoureusement bannie. Aussi préfèrent-ils à tous les home rules l’autorité du Gouvernement britannique, qui après tout, si mauvais soit-il, est encore ce que nous connaissons de moins tyrannique sous la calotte des cieux.