La Presse Anarchiste

À travers le monde

Une crise éco­no­mique d’une réelle gra­vi­té agite en ce moment l’An­gle­terre tout entière et, d’un côté comme de l’autre, ou recon­naît par­fai­te­ment que l’on se trouve en face d’un pro­blème qui pour avoir des ana­lo­gies un peu dans tous les pays du monde, n’en est pas moins un pro­blème natio­nal que la nation entière et sur­tout les gros bour­geois exploi­teurs anglais pren­dront cer­tai­ne­ment en consi­dé­ra­tion en lui accor­dant toute leur atten­tion, pour empê­cher l’Em­pire bri­tan­nique de subir le sort de l’Em­pire des Czars de toutes les Russies.

Par­mi les reven­di­ca­tions des pro­lé­taires des grandes nations, celles du pro­lé­ta­riat anglais nous appa­raissent comme étant les plus inté­res­santes. En effet, les tra­vailleurs orga­ni­sés du Royaume-Uni de la Grande-Bre­tagne demandent non seule­ment des aug­men­ta­tions de salaires et la dimi­nu­tion des heures de tra­vail, mais aus­si la dimi­nu­tion du prix de vente des dif­fé­rents pro­duits du com­merce et de l’in­dus­trie. Ain­si, par exemple, les mineurs veulent non seule­ment la jour­née de six heures et une aug­men­ta­tion assez éle­vée de leurs salaires, mais ils insistent pour que le prix de vente du char­bon soit consi­dé­ra­ble­ment dimi­nué, cela sans que l’É­tat soit obli­gé d’ac­cor­der des sub­ven­tions colos­sales aux puis­santes com­pa­gnies minières. Toutes ces reven­di­ca­tions sont appuyées par les chiffres d’é­mi­nents tech­ni­ciens appar­te­nant au par­ti ouvrier ou sym­pa­thi­sant avec lui.

Le Gou­ver­ne­ment bri­tan­nique vient de consen­tir à ces mêmes com­pa­gnies, une aug­men­ta­tion consi­dé­rable du prix du char­bon. Le par­ti ouvrier a pro­tes­té, affir­mant que ce n’é­tait là qu’une manœuvre poli­tique de la part du Gou­ver­ne­ment pour dis­cré­di­ter le par­ti tra­vailliste, qui aspire au pou­voir et se croit sur le point d’y arri­ver. Ce par­ti, comme on le sait, vient d’a­dop­ter comme tac­tique nou­velle, l’ac­tion directe qui, jadis, était dénon­cée comme une arme pure­ment anar­chiste ; mais les chefs ouvrié­ristes s’empressent de décla­rer bien haut qu’ils ne se ser­vi­ront de cette nou­velle arme que dans un but poli­tique, et pour une poli­tique favo­rable à la nation et au grand Empire britannique.

Le pro­gramme de ce par­ti, unique au monde et dont la puis­sance est incon­tes­ta­ble­ment grande, est très large et contient cer­tains points que les révo­lu­tion­naires de toutes nuances ne peuvent qu’ap­prou­ver, d’au­tant mieux que les ouvrié­ristes n’ont aucune pré­ten­tion à la pana­cée uni­ver­selle, leur devise est : « davan­tage de liber­té, davan­tage de bien-être pour la classe ouvrière et pour tous les peuples qui vivent sous l’Union Jack — nom du dra­peau bri­tan­nique. —» Il est un point de leur pro­gramme qui doit tout par­ti­cu­liè­re­ment atti­rer notre atten­tion : c’est la ques­tion antimilitariste.

Il est facile de com­prendre com­bien les tra­vaillistes sont par­ti­sans du retrait des troupes bri­tan­niques du front russe ; mais ce qui les peine le plus et nous com­pre­nons cela, c’est la conscrip­tion. Le Gou­ver­ne­ment de Lloyd George avait pro­mis que cette mesure si anti­bri­tan­nique et qui n’a­vait été adop­tée que pour la durée de la guerre, serait abro­gée peu après l’ar­mis­tice, que seuls des volon­taires res­te­raient sous les armes. Mais mal­gré tous les efforts que la Grande-Bre­tagne a pu faire, mal­gré les pro­messes les plus allé­chantes, le peuple bri­tan­nique a prou­vé plus que tout autre peuple qu’il avait réel­le­ment une aver­sion et un dégoût pro­fond pour le métier des armes : les volon­taires font défaut, et ceux-là même que l’on consi­dé­rait comme les piliers de l’ar­mée ne veulent plus vivre de ce métier de paresse qu’est celui de sol­dat ; la nour­ri­ture saine et abon­dante, la solde égale à la moyenne des salaires des ouvriers des usines ne les tentent pas du tout.

Durant la guerre et depuis l’ar­mis­tice, on a maintes fois repro­ché aux délé­gués unio­nistes et ouvrié­ristes de trop par­ler et de trop agir au nom de leurs com­met­tants sans en avoir au préa­lable reçu man­dat. Ain­si, par exemple, le retrait des troupes du front russe, quel rap­port cela peut-il bien avoir avec les reven­di­ca­tions des trade-unions ? — Si les trade-unio­nistes étaient consul­tés, quelle serait leur réponse ? — On a donc conclu à la néces­si­té d’un refe­ren­dum ou d’un plé­bis­cite par­mi les membres de ces unions. La triple alliance indus­trielle annonce, en cette occa­sion, avoir comme membres les chiffres sui­vants : mineurs, 700.000 ; che­mi­nots, plus de 400.000 ; tra­vailleurs du trans­port, plus de 300.000.

Qu’est-ce que cette triple alliance ? Ce sont trois fédé­ra­tions qui se sont liées entre elles par une sorte de pacte avec un Comi­té Cen­tral ayant plein pou­voir de décla­rer la grève géné­rale en cas d’ur­gence, sans être obli­gé d’en réfé­rer direc­te­ment aux membres de ces associations.

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