La Presse Anarchiste

« Nous sommes tous des ennemis du Pouvoir »

[(Yan Huai, après un court séjour passé à Hong Kong, a, depuis le début du mois d’août 1989, élu domi­cile en France, où il a demandé le statut de réfugié poli­tique. Il a quit­té la Chine après les événe­ments du mois de juin (il se trou­vait sur la place Tian’an­men lors de la la nuit trag­ique du 3 au 4 juin). Aupar­a­vant, Yan Huai était le prési­dent-directeur général de la société Long­sheng Kanghua. Il a prof­ité d’une mis­sion à Hong Kong pour s’en­fuir. Agé de quar­ante-qua­tre ans, orig­i­naire du dis­trict de Huai’an (province du Jiang­su), Yan Huai avait adhéré au Par­ti com­mu­niste avant la « Révo­lu­tion cul­turelle. » Toute sa famille, ses par­ents comme ses beaux-par­ents, apparte­naient eux aus­si à cette organ­i­sa­tion : hauts dirigeants, cer­tains d’en­tre eux occu­paient un rang de niveau équiv­a­lent à celui de min­istre. Lui-même, et ce durant une longue péri­ode, a été un haut cadre du Par­ti, mem­bre du départe­ment de l’or­gan­i­sa­tion. Déçu par une réforme poli­tique dont il con­state qu’«elle n’ex­is­tait que sur le papie », il avait décidé d’a­ban­don­ner ses fonc­tions pour un poste dans une société d’af­faires. Mais, offi­ciant à la société Long­sheng Kanghua, il a décou­vert que « le monde économique était tout aus­si pour­ri. » Aujour­d’hui, Yan Huai est le prési­dent de la sec­tion française de la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine.

Huang S., A. Pino, I. Rabut)]

— Peux-tu nous par­ler de la répres­sion depuis le 4 juin ?

Après le 4 juin, le Comité cen­tral et le Con­seil des affaires d’É­tat ont pub­lié un doc­u­ment séri­ant les gens en 19 caté­gories. Il s’ag­it du doc­u­ment n°3, qui a paru le 30 juin. Ce doc­u­ment demande de réprimer sévère­ment les dix caté­gories de gens qui ont par­ticipé au mou­ve­ment. Quant aux 9 autres caté­gories, celles qui n’ont fait qu’­ex­primer leur sym­pa­thie envers le mou­ve­ment, il est indiqué qu’on doit réformer leur pen­sée. Lorsque je me trou­vais encore à Pékin, c’est-à-dire dans la péri­ode com­prise entre le 4 juin et le début du mois de juil­let, plusieurs dizaines de mil­liers de per­son­nes ont été arrêtées dans la ville. Dans toute la Chine, ce sont plusieurs cen­taines de mil­liers de gens qui ont été appréhendées. Dans chaque organ­isme d’É­tat, dans chaque étab­lisse­ment sco­laire, on a procédé à un « grand net­toy­age ». Tous les gens appar­tenant à ces organ­ismes ou à ces étab­lisse­ments ont dû présen­ter un compte ren­du détail­lé de tout ce qu’ils avait dit, accom­pli ou pen­sé, au cours des cinquante jours qui sépar­ent le 15 avril du 4 juin. Ensuite, s’est tenue la 4e ses­sion du XIIIe Comité cen­tral. On a ren­voyé Zhao Ziyang, et les vétérans révo­lu­tion­naires ont déclaré qu’il fal­lait engager un vaste mou­ve­ment de répres­sion dans tout le pays. À l’o­rig­ine, il avait été décidé que ce mou­ve­ment dur­erait trois mois. Mais, ensuite, il a été pro­longé jusqu’à la fin de l’an­née. Et il con­tin­ue tou­jours. En même temps, on a procédé à un mou­ve­ment de rec­ti­fi­ca­tion du Par­ti : tous les mem­bres du Par­ti vont devoir s’in­scrire de nou­veau et les mau­vais mem­bres seront lais­sés à l’ex­térieur. À l’is­sue de ce mou­ve­ment de rec­ti­fi­ca­tion, sur les 40 mil­lions de mem­bres que compte le Par­ti, on pense que plusieurs mil­lions d’ad­hérants devraient être exclus. On effectue, par la même occa­sion, un net­toy­age par­mi les cadres : tous les sym­pa­thisants du mou­ve­ment étu­di­ant doivent être démis de leurs fonc­tions. On veut « extir­p­er le mal jusqu’à la racine ».

Avec les événe­ments des pays de l’Est, la sit­u­a­tion s’est encore ten­due. Le con­trôle exer­cé par les comités de quarti­er s’est ren­for­cé. Le con­trôle du Par­ti sur la police et sur l’ar­mée s’est égale­ment ren­for­cé. Dans les uni­ver­sités, des polices secrètes ont été mis­es en place. Les enseignants sont astreints à des gardes de nuit pour sur­veiller leurs élèves sur les cam­pus. Récem­ment, la loi mar­tiale a été lev­ée à Pékin. En apparence, la sit­u­a­tion s’est assou­plie. Mais cet assou­plisse­ment est pure­ment extérieur et, dans les faits, au con­traire, tout est devenu plus rigoureux. En sur­face, la Chine a retrou­vé la paix : la vie est rede­v­enue nor­male et les gens se promè­nent dans les parcs. En réal­ité, les gens, ceux de la cap­i­tale en par­ti­c­uli­er, sont soumis à une ter­reur blanche. Tout le monde craint pour soi-même. Que ce soit au tra­vail ou dans la vie quo­ti­di­enne, les gens se sen­tent étroite­ment sur­veil­lés. (Surtout, je le répète, depuis les événe­ments sur­venus dans les pays de l’Est.) C’est la méth­ode util­isée par les autorités com­mu­nistes. Cela étant, la résis­tance pop­u­laire n’a jamais cessé.

— Nous revien­drons sur la résis­tance pop­u­laire. Aupar­a­vant, peux-tu nous dire si la répres­sion a touché en pri­or­ité les ouvri­ers, comme incline à le sup­pos­er la lec­ture des listes d’ar­resta­tions ou des avis de condamnation ?

Le mou­ve­ment ayant touché toutes les couch­es de la société, la répres­sion a touché toutes les couch­es de la société. S’agis­sant des gens appar­tenant aux couch­es supérieures, peu ont été arrêtés : on a choisi générale­ment de les ren­voy­er de leur poste. Eux, n’avaient pas pris une part directe au mou­ve­ment. Mais, main­tenant, ils sont sans pou­voir. Pour ce qui con­cerne les autres couch­es, celles qui ont par­ticipé active­ment au mou­ve­ment, il con­vient de dis­tinguer entre deux caté­gories. D’un côté, on trou­ve les intel­lectuels et les étu­di­ants, de l’autre, les ouvri­ers et les citadins. S’agis­sant des intel­lectuels et des étu­di­ants, on les a jetés en prison mais, en tout cas jusqu’à présent, aucun n’a été exé­cuté. Ils ont dû pass­er aux aveux et rédi­ger des pro­fes­sions de repen­tir, et, pour finir, on les a libérés. (Récem­ment, on vient d’en relâch­er 800.) Bien sûr, une fois libérés, ils font l’ob­jet d’une sur­veil­lance étroite, ain­si que leur famille. Mais, pour don­ner l’il­lu­sion d’un cer­tain assou­plisse­ment, on n’a procédé à aucune con­damna­tion ouverte. Quant aux ouvri­ers et aux citadins, dans la mesure où leur influ­ence sociale est plus lim­itée, là, on n’a pas fait de quarti­er et la répres­sion est cru­elle. Rien qu’au mois de juin, à Shang­hai ou à Pékin, plusieurs cen­taines d’en­tre eux ont été con­damnés à mort et exé­cutés. Ensuite, dès que le pou­voir a com­pris l’ef­fet négatif qu’une telle poli­tique exerçait sur l’opin­ion inter­na­tionale, il a décidé de pour­suiv­re la répres­sion en cachette : on éval­ue à plus d’un mil­li­er le nom­bre des exé­cu­tions secrètes. Comme on con­sid­ère que ce sont les ouvri­ers et les citadins qui for­maient la base du mou­ve­ment, la répres­sion s’est abattue plus féro­ce­ment sur eux. Et ceux qui n’ont pas été exé­cutés ont été envoyés dans des camps, dans des régions reculées du pays. Quant à ceux qui avaient été arrêtés et con­tre lesquels aucune preuve n’a pu être apportée, s’ils ont été relâchés, ils ont aupar­a­vant été frap­pés et torturés.

— Venons-en, main­tenant, à cette résis­tance pop­u­laire que tu évo­quais à l’in­stant. À la résis­tance qui s’ex­prime à l’in­térieur même du pays, cela s’entend.

Après le 4 juin, tous ceux qui se sont enfuis à l’é­tranger — soit, si on addi­tionne l’ensem­ble, plusieurs cen­taines de per­son­nes, ont réus­si à le faire grâce à la com­plic­ité du peu­ple. (Et, hors de Chine, ceux qui ont fui con­tin­u­ent de servir la cause démoc­ra­tique.) Des gens sont sor­tis, mais aus­si des doc­u­ments, des pho­togra­phies ou des man­dats d’ar­rêt : en bref, toutes sortes de matéri­aux sont disponibles qui per­me­t­tent de con­fon­dre le gou­verne­ment chi­nois et de dévoil­er aux yeux du monde entier sa féroc­ité. Lorsque les appels à la déla­tion ont été lancés, les lignes télé­phoniques réservées aux dénon­ci­a­tions ont été blo­quées : des gens appelaient pour dénon­cer Deng Xiaop­ing ou ceux qui ont col­laboré trop étroite­ment et notoire­ment avec le pou­voir. Pen­dant la péri­ode du cou­vre-feu, des francs-tireurs s’embusquaient dans des coins de la ville et tiraient sur les sol­dats, la nuit…

… ils ont tué des soldats ?

Oui, des sol­dats ont été tués. Le jour même où la loi mar­tiale a été lev­ée, place Tian’an­men, trois types d’ac­tions de résis­tance ont été engagées : des gens ont crié des slo­gans, d’autres ont apporté des couronnes de fleurs pour célébr­er la mémoire des vic­times tombées sur la place, d’autres, enfin, se sont rassem­blés. Je sig­nale, égale­ment, les actions de boy­cott : par exem­ple, les Péki­nois, cette année, n’ont pas acheté de choux. On a appelé cela le « mou­ve­ment des choux » [[À Pékin, en hiv­er, on ne trou­ve pas de légumes sur le marché, à l’ex­cep­tion de choux. Les Péki­nois, en temps nor­mal, en achè­tent plusieurs dizaines de kilos. Cette année, pour s’at­tir­er les bonnes grâces de la pop­u­la­tion, la munic­i­pal­ité de Pékin a fait venir de gross­es quan­tités de choux et a sub­ven­tion­né leur dis­tri­b­u­tion. Mais les gens, mal­gré les appels du maire de la ville, Chen Xitong, ont osten­si­ble­ment boudé les étals, n’a­chetant que le strict min­i­mum.]]. Les étu­di­ants, eux aus­si, ont mené des actions spé­ci­fiques. À la porte des écoles, ils ont déployé des ban­deroles et des couronnes de fleurs, en signe de deuil. Quand l’ar­mée est entrée dans la ville, ils ont déserté les cam­pus et ils ont par­cou­ru tout le pays, allant dans les régions pour faire le réc­it des événe­ments de Pékin. Une fois l’an­née sco­laire recom­mencée, en sep­tem­bre, après qu’on les a for­cés à regag­n­er leur cam­pus, ils ont saisi toutes les occa­sions dc man­i­fester leur mécon­tente­ment : après le repas, ils fai­saient sys­té­ma­tique­ment des prom­e­nades col­lec­tives ou bien ils por­taient osten­si­ble­ment des vête­ments noirs, en signe de deuil. Ils ont affiché con­tin­uelle­ment des daz­ibaos et des xiaoz­ibaos [affich­es à petits car­ac­tères]. Au moment des événe­ments d’Eu­rope de l’Est, tous les matins, après leur toi­lette, ils tapaient sur leur cuvette d’é­mail, et, à midi, au réfec­toire, ils tapaient sur leurs gamelles. Le soir, ils cas­saient des bouteilles, sig­nifi­ant par là leur hos­til­ité à Deng Xiaop­ing. Le 9 décem­bre de l’an­née dernière, les élèves de l’In­sti­tut aéro­nau­tique de Pékin ont organ­isé une man­i­fes­ta­tion devant les stu­dios de la télévi­sion cen­trale. Dans toutes les écoles, on a pris pré­texte de la mau­vaise nour­ri­t­ure, de l’é­clairage insuff­isant, etc., pour organ­is­er des man­i­fes­ta­tions. En out­re, beau­coup d’or­gan­i­sa­tions clan­des­tines se sont for­mées. Les citadins, les paysans, les ouvri­ers se sont organ­isés dans des sociétés secrètes ou religieuses, et beau­coup de gens fréquentent main­tenant les églis­es parce qu’ils savent qu’ils pour­ront y recueil­lir des infor­ma­tions en prove­nance de l’é­tranger. C’est, du reste, la rai­son pour laque­lle le Comité cen­tral a fait arrêter beau­coup de hauts dig­ni­taires de ces églis­es. Aller dans les églis­es, c’est une forme de résis­tance, c’est aus­si un moyen pour pou­voir dis­cuter et pour exprimer son mécon­tente­ment. Cela étant, on trou­ve aus­si des organ­i­sa­tions pure­ment poli­tiques. Ain­si, le « Comité chi­nois pour la lib­erté et la démoc­ra­tie », qui a envoyé son pro­gramme à l’é­tranger. Ce pro­gramme, qui a été imprimé dans la revue Minzhu zhong­guo [Chine démoc­ra­tique], revue qui paraît au Japon, est très proche de celui de la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine. Il existe aus­si un « Comité de lutte du 4 juin ». Sans compter des organ­i­sa­tions avec lesquelles nous n’avons aucun con­tact, mais qui se récla­ment du mou­ve­ment démoc­ra­tique et même de la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine. Elles édi­tent des tracts et les dif­fusent, et elles les sig­nent du nom de la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine. Et puis, bien sûr, la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine elle-même, qui a com­mencé à organ­is­er des sec­tions dans les grandes villes du pays. J’a­joute que dans l’ar­mée, des officiers sont mécon­tents aus­si et com­men­cent, plus ou moins, à s’or­gan­is­er dans l’at­tente d’une sit­u­a­tion favor­able. Au sein du Par­ti, des hauts dirigeants à la retraite n’ont pas été d’ac­cord avec les mas­sacres, même s’ils ne peu­vent pas le faire savoir publiquement.

— Et la résis­tance à l’ex­térieur de Chine ?

Au lende­main du 4 juin, les organ­i­sa­tions démoc­ra­tiques chi­nois­es à l’é­tranger ont pris leur essor. Avant le 4 juin, il y avait deux organ­i­sa­tions qui, pour être rel­a­tive­ment faibles, n’en assur­aient pas moins un tra­vail non nég­lige­able : L’«Alliance pour la démoc­ra­tie en Chine » et le « Par­ti démoc­ra­tique chi­nois. » Mais depuis, des cen­taines de groupes se sont créés dans la com­mu­nauté chi­noise vivant à l’é­tranger. Par exem­ple, aux États-Unis, on trou­ve L’«Association autonome des étu­di­ants chi­nois », le « Comité des anciens mem­bre du Par­ti com­mu­niste », un jour­nal, le Xin­u­en ziy­ou daobao [la tri­bune libre de la presse], et une radio : « la Voix du 4 juin ». En Angleterre ou en Alle­magne de l’Ouest, les asso­ci­a­tions offi­cielles d’é­tu­di­ants chi­nois sont dev­enues autonomes. Des revues se sont créées un peu partout : Minzhu Zhong­guo au Japon, Nahan [le cri] en Angleterre. À Hong Kong, il existe l’«Association de sou­tien des citoyens de Hong Kong au mou­ve­ment démoc­ra­tique du con­ti­nent », qui a été fondée pen­dant les événe­ments d’avril-juin et qui regroupe divers­es organ­i­sa­tions. En France, il y a la « Coor­di­na­tion pour la démoc­ra­tie en Chine », l’«Association d’aide aux vic­times de la répres­sion en Chine », la revue Kaifang [ouver­ture], la « Ligue chi­noise des droits de l’homme », la « Com­mis­sion pré­para­toire pour une Union autonome des étu­di­ants chi­nois en France. » Il y a une émis­sion de radio : « L’é­cho du 4 juin ». Ces organ­i­sa­tions, pen­dant ces six derniers mois, ont mobil­isé des dizaines de mil­liers de gens, en France seule­ment, et mené plusieurs activ­ités pour dénon­cer les mas­sacres du 4 juin et con­tin­uer le mou­ve­ment démoc­ra­tique de 1989, et pour s’op­pos­er, par divers moyens, à la dic­tature du Par­ti communiste.

— Et puis, bien sûr, la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine. Quelles sont les grandes lignes du pro­gramme de la Fédération ?

La Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine a été créée voilà plus de qua­tre mois. C’est l’or­gan­i­sa­tion la plus impor­tante, en nom­bre et en audi­ence. C’est aus­si la plus célèbre. Depuis sa fon­da­tion, en sep­tem­bre dernier, elle est dev­enue la force d’op­po­si­tion la plus impor­tante qui se soit élevée con­tre le gou­verne­ment chi­nois depuis son avène­ment, il y a quar­ante ans. Le noy­au est for­mé de gens ayant par­ticipé directe­ment au mou­ve­ment démoc­ra­tique de 1989. Elle regroupe aus­si un grand nom­bre d’é­tu­di­ants chi­nois qui étu­di­aient à l’é­tranger et de Chi­nois d’outremer. Elle regroupe, de façon générale, des Chi­nois qui ont quit­té la Chine parce qu’ils y avaient été vic­times de la répres­sion. La Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine a déjà engagé plusieurs actions : 1) elle a mis sur pied des sec­tions dans plusieurs pays qui ont recruté des adhérents. Dans plus de dix pays, aux États-Unis, en Angleterre, en Alle­magne, en France, au Japon, en Aus­tralie, etc., des sec­tions ont été établies et la Fédéra­tion compte désor­mais plus de 2.000 mem­bres ; 2) elle s’ef­force d’ex­ercer des pres­sions sur le gou­verne­ment chi­nois : en organ­isant des céré­monies comme la céré­monie de com­mé­mora­tion du cen­tième jour de la répres­sion, ou la journée de deuil célébrée le jour de la fête nationale. Elle n’a pas man­qué, non plus, d’ex­primer son opin­ion à pro­pos de cha­cun des grands événe­ments inter­na­tionaux qui sont sur­venus ; 3) elle s’ef­force d’en­tr­er en con­tact avec des gou­verne­ments, des assem­blées par­lemen­taires, des par­tis poli­tiques, des syn­di­cats et autres organ­i­sa­tions sociales étrangères ; 4) elle a entre­pris un tra­vail d’in­for­ma­tion. Dans ce but, elle s’est dotée d’un organe, Minzhu Zhong­guo [Chine démoc­ra­tique], et, en asso­ci­a­tion avec d’autres organ­i­sa­tions, elle est sur le point de mon­ter une sta­tion de radio qui émet­tra à des­ti­na­tion de la Chine. Elle va organ­is­er, en avril, un col­loque sur les prob­lème de l’Eu­rope de l’Est, col­loque qui se tien­dra prob­a­ble­ment à Berlin-Est. Et avec la revue parisi­enne Actuel, elle pré­pare une opéra­tion « un bateau pour la Chine » : un bateau crois­era au large des côtes chi­nois­es et dif­fusera des émis­sions de radio qui pour­ront être cap­tées par nos com­pa­tri­otes. Nous nous apprê­tons, aus­si, à mar­quer, par divers­es man­i­fes­ta­tions, le pre­mier anniver­saire des massacres.

— La sec­tion française, que tu pré­sides, envis­age-t-elle des actions propres ?

Dans la mesure où le quarti­er général de la Fédéra­tion est basé à Paris, la plu­part des activ­ités sont com­munes. Bien sûr, la sec­tion française se charge plus spé­ci­fique­ment des con­tacts avec les organ­i­sa­tions français­es, et notam­ment avec les organ­i­sa­tions d’é­tu­di­ants chi­nois et de Chi­nois d’outre-mer vivant en France. Par exem­ple, à l’oc­ca­sion du nou­v­el an chi­nois, nous avons organ­isé un dîn­er de sou­tien qui a rassem­blé plus de 300 per­son­nes. (Du reste, les choses ne se sont pas faites sans mal : le restau­rant où le repas a été servi a fait l’ob­jet de men­aces. La femme de l’am­bas­sadeur de Chine en France aurait fait savoir au patron du restau­rant qu’il ne lui serait plus délivré de visa, à lui comme aux mem­bres de sa famille, pour se ren­dre en Chine, que les con­tacts com­mer­ci­aux qui le liaient à des sociétés chi­nois­es seraient rom­pus, ou que la banque de Chine sus­pendrait les prêts qu’elle lui con­sen­tait. Mal­gré tout, la man­i­fes­ta­tion a eu lieu.) Nous allons organ­is­er, pour la fête des morts, le 5 avril, une céré­monie du sou­venir pour les vic­times du 4 juin. Nous nous man­i­fes­terons égale­ment le 4 mai et le 4 juin. Nous enten­dons aus­si mobilis­er la com­mu­nauté asi­a­tique vivant en France et qui a fui les pays où s’ex­erce la dic­tature d’un Par­ti com­mu­niste. Der­rière ces par­tis com­mu­nistes locaux, en effet, on décou­vre, à un niveau ou à un autre, la pat­te du Par­ti com­mu­niste chi­nois. Le 17 avril, jour anniver­saire de la chute de Pnom Penh, nous organ­is­erons une man­i­fes­ta­tion com­mune avec nos cama­rades cam­bodgiens con­tre le régime des Khmers rouges.

— Quelles tâch­es la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine s’est-elle fixées ?

Nous nous sommes fixé un plan de tra­vail en qua­tre par­ties : 1) un tra­vail tourné en direc­tion de la Chine con­ti­nen­tale ; 2) le regroupe­ment des forces chi­nois­es qui se trou­vent à l’é­tranger ; 3) des recherch­es d’or­dre théorique ; 4) la for­ma­tion de cadres en vue d’un change­ment éventuel de gou­verne­ment en Chine. Je reprends ces points, un par un.

L’au­di­ence du mou­ve­ment démoc­ra­tique organ­isé à l’ex­térieur de Chine est rel­a­tive­ment faible en Chine même. Or, le tra­vail fon­da­men­tal, c’est à des­ti­na­tion de la Chine elle-même qu’il faut le men­er. Vis-à-vis des intel­lectuels, nous devons resser­er les liens et main­tenir des con­tacts étroits. Enfin, s’agis­sant des représen­tants de la couche supérieure, il importe de les divis­er pour que, en cas de boule­verse­ment, une par­tie d’en­tre eux se rangent à nos côtés. En résumé, le tra­vail doit être tourné vers le con­ti­nent, être au ser­vice de la Chine et du mou­ve­ment démoc­ra­tique en Chine même.

Dans la per­spec­tive d’une lutte de longue haleine, il faut réalis­er des forces à l’é­tranger. Met­tre sur place un front unique lut­tant con­tre la dic­tature du Par­ti communiste.

Pour ce qui con­cerne le ren­force­ment du tra­vail théorique, deux points méri­tent d’être dis­tin­gués : il con­vient, d’une part, d’en­vis­ager les moyens pour ren­vers­er le gou­verne­ment, mais il con­vient, d’autre part, de penser l’après-régime. Sans objec­tifs poli­tiques, sans théorie, il nous sera dif­fi­cile d’aller de l’a­vant. Trop nom­breux sont ceux qui ne prê­tent pas assez atten­tion à cela.

La for­ma­tion des cadres, enfin. Il faut for­mer des cadres qui servi­ront le mou­ve­ment à la fois pen­dant la péri­ode de lutte qui devra se sol­der par le ren­verse­ment du régime, mais aus­si des cadres sus­cep­ti­bles d’as­sur­er la relève demain. La Chine est un grand pays : si on réserve dix cadres par province, il en fau­dra 300, si on affecte un cadre par dis­trict, il en fau­dra au moins 2.000. Nous avons donc besoin de beau­coup de cadres, et de cadres pourvus de qual­ités morales et d’une bonne for­ma­tion théorique.

— On évoque, s’agis­sant de la Fédéra­tion pour la démoc­ra­tie en Chine, deux ten­dances : les « réfor­ma­teurs à l’ex­térieur du sys­tème » [tizhi­wai] et les « refor­ma­teurs à l’in­térieur du sys­tème » [tizhinei]. Qu’en est-il ?

Il existe deux sortes d’in­di­vidus. D’abord, le groupe de ceux qui ont souf­fert du com­mu­nisme à un moment ou à un autre de ces quar­ante années et qui ont quit­té la Chine depuis longtemps. Les gens de ce groupe entre­ti­en­nent à l’é­gard du régime une haine vis­cérale et se situent à l’ex­térieur du sys­tème. Ensuite, il existe le groupe de ceux qui sont sor­tis après le 4 juin et qui ont occupé des respon­s­abil­ités dans le Par­ti, dans le gou­verne­ment ou au sein d’en­tre­pris­es et d’étab­lisse­ment d’en­seigne­ment ou de recherche, et qui ont par­ticipé au mou­ve­ment des réformes au cours de ces dix dernières années. Ceux-là avaient plutôt ten­dance à se situer à l’in­térieur du sys­tème. Les dif­férences, en fait, restent large­ment con­di­tion­nées par la sit­u­a­tion de cha­cun du temps qu’il se trou­vait en Chine. Mais, depuis les mas­sacres du 4 juin, les dif­férences ten­dent à s’estom­per. Main­tenant, tout le monde se situe à l’ex­térieur du sys­tème. Autre­fois, la diver­gence fon­da­men­tale por­tait sur la ques­tion de savoir s’il fal­lait ou non ren­vers­er le Par­ti com­mu­niste. Aujour­d’hui, tout le monde s’ac­corde pour ren­vers­er la dic­tature du par­ti unique. Au demeu­rant, tout le monde préfère insis­ter sur ce qui rassem­ble et faire taire les dif­férences mineures qui divisent. Notre analyse est la suiv­ante : si l’on souhaite ral­li­er à notre cause le max­i­mum de com­pa­tri­otes restés au pays, nos mots d’or­dre ne doivent pas être trop rad­i­caux. On ne nous com­prend pas tou­jours : d’au­cuns s’imag­i­nent que nous sommes trop tièdes parce que nous voulons ménag­er la chèvre et le choux et que nous nous pré­parons une issue de sec­ours. Mais, en fait, parce que nous con­nais­sons par­faite­ment ce sys­tème, nous savons qu’il n’y a pas de com­pro­mis pos­si­ble. Rad­i­caux ou pas, peu importe. Nous sommes tous des enne­mis du pou­voir. Le Par­ti com­mu­niste est encore très fort, nous devons unir toutes nos forces con­tre lui au lieu de nous préoc­cu­per de ces dif­férences entre tizhinei et tizhi­wai.

— Quelle issue pour la Chine ?

Il existe une dif­férence énorme entre la Chine et les pays de l’Est. En Chine, le con­trôle social est plus étroit que dans ces pays, ou même que partout ailleurs, et l’ar­mée a par­tie liée avec le pou­voir. Par con­séquent, il faut s’at­ten­dre à ce que le Par­ti com­mu­niste dure encore un cer­tain temps. Et notre lutte dur­era encore longtemps. Je ne crois pas à la pos­si­bil­ité d’une vic­toire en deux ou trois ans. Il faut prévoir des plan quin­quen­naux de lutte démocratique.

La Chine ne suiv­ra pas for­cé­ment la voie des pays de l’Est, comme la Roumanie, par exem­ple. La par­tic­u­lar­ité du Par­ti com­mu­niste chi­nois réside dans ce que c’est le peu­ple lui-même qui l’a choisi, alors que, dans les pays de l’Est, il a été imposé aux pop­u­la­tions par les Russ­es. La grande faute du Guo­min­dang c’est que sa cor­rup­tion a jeté la Chine dans les bras du com­mu­nisme. C’est pourquoi, dès lors que le Par­ti émane de l’in­térieur du pays, son ren­verse­ment ne saurait éman­er que de l’in­térieur du pays. L’in­flu­ence des change­ments sur­venus dans le cli­mat extérieur ne pèsera pas d’un poids déter­mi­nant dans le change­ment en Chine. Ce qui peut accélér­er les change­ments à l’in­térieur du pays, c’est la lutte acharnée des Chi­nois vivant hors de Chine : les Chi­nois vivant à Tai­wan, à Hong Kong, à Macao et les Chi­nois de la dias­po­ra [50 mil­lions d’in­di­vidus]. La lutte sera longue et dure et elle doit être effi­cace. Il faut tra­vailler au réveil des con­sciences des mass­es ouvrières et paysannes, car, si l’on excepte les ouvri­ers de Pékin, au cours des événe­ments d’avril-juin le reste de la pop­u­la­tion n’a pas beau­coup bougé. Il faut que la couche inter­mé­di­aire, celle des intel­lectuels, mûrisse. Les intel­lectuels ne sont pas organ­isés, ils n’ont pas de pro­gramme, leur force est trop restreinte. Quant à la couche supérieure, il importe vrai­ment de la divis­er. Pour que le mou­ve­ment aboutisse, la par­tic­i­pa­tion de cer­tains élé­ments haut placés dans le sys­tème est inévitable : regar­dons le rôle de l’ar­mée aux Philip­pines ou en Roumanie et celui de Gor­batchev en Russie. Certes, nous avions Hu Yaobang ou Zhao Ziyang, mais ils étaient trop faibles. Ne nous berçons pas d’il­lu­sions mais ne nous relâ­chons pas non plus. La lutte, mal­heureuse­ment, sera longue.

Pro­pos recueil­lis à Paris, le 3 févri­er 1990, et traduits du chi­nois par Huang San, Angel Pino et Isabelle Rabut.


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