La Presse Anarchiste

Épilogues gymnomystiques (4)

L’é­cueil de l’a­ris­to­cra­ti­sa­tion hyper-éro­ti­sante du nu a sa contre-par­tie : il est tou­jours à craindre que l’en­traî­ne­ment du corps à la rus­ti­ci­té ne pro­voque celle de la conduite géné­rale, des pro­pos — et de l’es­prit lui-même ! Chez les adeptes insuf­fi­sam­ment pré­pa­rés, le dio­gé­nisme en vogue rétro­grade volon­tiers au cynisme. On déplore le débraillé spor­tif des jeunes couches : il serait fâcheux que la cama­ra­de­rie gym­nique, toute pudeur ― tant morale que cor­po­relle — ban­nie, en devint la mani­fes­ta­tion la plus déver­gon­dée. Jusque dans leur bon­ho­mie la mieux inten­tion­née, les simples n’ont que trop de pen­chant aux pro­cé­dés un peu « gros ».

Et la vie de nature, avec ses inévi­tables rudesses, laisse si volon­tiers tout intel­lect en friche ! Passe pour les pay­sans, qui n’ont pas encore trou­vé la voie de ses hautes jouis­sances ; mais l’an­ti-intel­lec­tua­lisme de cer­tains natu­ristes doc­tri­naires équi­vaut à un sui­cide spé­cu­la­tif : tel ce mani­feste pro­lé­ta­rien équa­to­rial, que résu­mait le nO 182. de l’en dehors, répu­diant non seule­ment vête­ment et vie en com­mun, mais jus­qu’à l’art, la science et tout exer­cice de l’in­tel­li­gence, comme dan­ge­reux pour la vie, la liber­té et la « véri­table civi­li­sa­tion humaine!…».

Rap­pro­chée de cette fan­tas­tique phy­sionm­nie, la gym­no­mys­tique de nos Inté­gra­listes du nu fait bonne figure de sagesse : nous avons vu quel exquis raf­fi­ne­ment de civi­li­té et de culture huma­niste repré­sentent, au fond, les pas­to­rales nudo-aris­to­cra­tiques : il ne faut pas qu’à cet égard, le nudisme démo­cra­ti­sé ait à rou­gir devant son rival.

Évi­tant donc « l’autre écueil », qu’il devienne, lui aus­si, un « règne de cour­toi­sie » et de spi­ri­tua­li­té. Sans jamais tom­ber, tou­te­fois dans le manié­risme, stig­mate du déclin des éthiques dont la vie se retire, il suf­fit, pour cela, que chaque adhé­rent s’é­ver­tue aux bonnes manières.

Moyen­nant cette auto-dis­ci­pline, tout en triom­phant de la mal­saine oppres­sion du pres­tique timo­cra­tique [[ timo­cra­tique : qui appar­tient à la richesse et aux hon­neurs.]] d’hier, le nudisme sage­ment démo­cra­ti­sé de demain, ne dégé­né­re­ra jamais en lao­cra­tie [[ lao­cra­tique : qui appar­tient au peuple.]] ni en bohème, mais se main­tien­dra par­fai­te­ment digne, en atten­dant de pou­voir se dire tout à fait sain.

II. — Révolution nudiste ou adaptations nudi-culturales

Plei­ne­ment sain ?

Un nudisme qui s’é­ver­tue à le deve­nir gagne, je crois, à saga­ce­ment évo­luer sous la double égide des deux véné­rables déi­tés empi­riques Hygie et Sophron ; autre­ment dit, il doit fon­der bien plu­tôt sur la pro­gres­si­vi­té mesu­rée des pra­tiques que sur la fougue étour­die des ini­tia­tions dont la som­maire tac­tique a rare­ment conquis de durables positions.

« La méthode nudiste est-elle une pana­cée ou bien une chimère ? »

Ain­si le Dr Duvi­vier résu­mait dans Vivre nO 53, son exa­men de conscience. Lui répon­drons-nous que l’ef­fi­ca­ci­té est sans doute une ques­tion de dose ? Les enthou­siastes qui l’en­tourent répli­que­ront en chœur que le nu n’est bien­fai­sant qu’à dose maximale !

J’ai appris à me défier de ces fana­tiques « tout ou rien » et de ces sauts intré­pides en plein incon­nu ; je ne suis plus ni assez jeune ni assez mys­tique pour me lais­ser séduire par l’A­ven­ture, aux regards char­gés de pro­messe ! Oppor­tu­niste de l’ex­pé­rience, je tiens bon pour les essais cal­cu­lés et je pré­fère tâter métho­di­que­ment les adap­ta­bi­li­tés du nudisme à notre san­té et à nos mœurs que me jeter à corps per­du dans la révo­lu­tion intégraliste…

Com­ment admi­nis­trer la nudi­cul­ture dans l’es­pace et dans le temps ? La bonne gym­ni­té doit-elle être totale d’emblée ou miti­gée tout d’a­bord ? Indi­vi­duelle ou col­lec­tive ? (et avec quel éclec­tisme en ce der­nier cas?) — Per­ma­nente ou intermittente ?

Ques­tions presque bru­ta­le­ment anti­thé­tiques que celles du Dr Duvi­vier ! La réa­li­té com­porte d’or­di­naire des réponses plus nuan­cées : sol­li­ci­tons-les d’é­preuves diver­si­fiées et cir­cons­pectes. J’es­père fer­me­ment, d’ailleurs, que plus nous réus­si­rons à nous rap­pro­cher impu­né­ment de l’i­déal inté­gra­liste, et plus lar­ge­ment nous béné­fi­cie­rons des bien­faits, encore un peu théo­riques, de la nudi­cul­ture. Mais, en atten­dant, j’in­siste en faveur de la tem­po­ri­sa­tion, ne nous croyant pas mûrs, ni phy­sio­lo­gi­que­ment, ni mora­le­ment, pour la pra­tique d’une gym­ni­té totale réa­li­sée d’emblée.

Dans l’es­prit même de ses théo­ri­ciens, il semble qu’elle ne soit qu’une hyper­cor­rec­tion sys­té­ma­ti­sée ― et toute pro­vi­soire ― des erre­ments de la « civi­li­sa­tion » indus­tria­liste trop rapide ou que l’é­cho pri­mi­ti­viste appe­lé par l’obs­cure nos­tal­gie des sur­me­nés du « progrès ».

Au nO 47, p. 10, de Vivre, Mme R. Dunan pré­sen­tait une cri­tique apo­lo­gé­tique du nudisme où je relève un trait, à double pointe, que me parait se retour­ner contre sa propre thèse : « L’homme, disait-elle, est un ani­mal cré­dule, (c’est-à-dire mys­tique, n’est-ce pas?), qui n’a pas spon­ta­né­ment (ô le blas­phème, sous la plume d’une natu­riste convain­cue!) le sens de la nature : il veut géné­ra­le­ment aller au-delà de ses obli­ga­tions immé­diates ». « Et sur­tout de ses avan­tages pré­sents » ajou­te­rai-je, tenant l’homme pour impé­ria­liste, d’a­bord, et moral, ensuite, — dans la mesure, où les contrats se doivent liqui­der en sa faveur ! Quant au nudisme inté­gral, je le ran­ge­rai au pre­mier plan de ces aspi­ra­tions exorbitantes !

Un ava­tar dia­lec­tique ana­logue échoit au Dr Vachet dans un autre nO du même organe (nO 49, p. 7). M. Wil­mot ayant ful­mi­né : « Le nudisme, c’est le retour à la vie ani­male ! », le péné­trant psy­cho­thé­ra­peute rec­ti­fie : « Phy­si­que­ment, c’est le BREF retour D’UN MOMENT à la vie ani­male qui est bien­fai­sant ». D’ac­cord. Mais la res­tric­tion que je sou­ligne implique la soi­gneuse limi­ta­tion de durée de cette démarche épa­no­dique [[ épa­no­dique : qui répète une même idée en la ren­for­çant par des mots qua­li­fi­ca­tifs appro­priés.]]. Je conseille­rais même, pour ma part, de ména­ger quelque délai dans sa réa­li­sa­tion com­plète, au lieu d’y bon­dir par des­sus les étapes déjà mar­quées en sens contraire : c’est d’une façon gra­duelle qu’il faut se retrem­per dans les pro­fondes tra­di­tions spé­ci­fiques, si on veut s’y accli­ma­ter. Une bonne tran­si­tion pour­rait consis­ter dans l’a­dop­tion du cos­tume antique — en atten­dant celui d’A­dam avant la chute — tel que le pré­co­ni­sait, il y a une ving­taine d’an­nées le pré-nudisme hel­lé­ni­sant des Duncan.

C’est de très bonne grâce, je dois le recon­naître, que presque tous les diri­geants de Vivre (Ligue et Revue), en dépit de leur schisme, apportent de judi­cieuses atté­nua­tions à leur prin­cipe de la gym­ni­té radi­cale. Dans Lumière et Véri­té, organe des Inté­gra­listes catho­liques, les Doc­teurs Viard et Difrre font les plus expresses réserves — qui sur le nudisme inté­gral, qui sur le col­lec­tif ; jus­qu’au Dr Fou­ge­rat de Las­tours, le fervent anthro­po­logue, qui y décla­rait : « Comme toute hygiène, la gym­ni­té doit être dis­ci­pli­née et réglée ». Autant dire : « dosée », pour aller au bout de sa pensée !

Et, dans Vivre, il était naguère (nO 48, p. 3), ques­tion de nudisme PROGRESSIF. Au nO 50, on pou­vait lire que le dogme de la dénu­da­tion sans réserve SEDUISAIT gran­de­ment le Dr Didier, direc­teur de l’Ins­ti­tut natu­riste d’Al­ger — au double point de vue hygié­nique et moral — mais qu’il se méfiait TERRIBLEMENT des réa­li­sa­tions hâtives.

Depuis le prin­temps der­nier, les règle­ments du « Spar­ta Club » ont pros­crit la nudi­té inté­grale en dehors des heures de culture phy­sique pro­pre­ment dite, c’est-à-dire des séances d’ath­lé­tisme et d’hé­lio­thé­ra­pie ; et M. de Mon­geot engage vive­ment ses affi­liés à revê­tir, pour les repas, la cau­se­rie et la musique, un froc de bure, d’une aus­té­ri­té toute monacale.

C’est vers la même époque que les ani­ma­teurs de Vivre (nO 63, p. 6) accor­dèrent qu’il était pré­fé­rable de ne s’a­nu­der, d’a­bord, que soli­tai­re­ment, puis, en famille, et qu’il n’é­tait même nul­le­ment besoin de conspi­rer l’a­da­misme en vastes groupes !

(à suivre).

Dr Louis Estève

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