Les utopistes et leurs solutions du problème sexuel.
Dans une de nos causeries bimensuelles, notre ami E. Armand a rapidement esquissé les diverses solutions proposées par les utopistes de Platon, Thomas More, jusqu’à Wells, etc… à la question sexuelle. Il n’a pas eu de peine à démontrer que la thèse de la camaraderie amoureuse résume ces diverses solutions et fournit la clé du problème, parce que toute réalisation en camaraderie peut se relativer :
À deux individus ;
À une association plus ou moins restreinte et sélectionnée ;
À une généralité ou collectivité.
La camaraderie, au point de vue ou nous nous plaçons ici, reste toujours d’ordre individuel. C’est un contrat ou pacte qu’on peut tout aussi bien passer avec une personne qu’avec plusieurs — résiliable comme tous les contrats individualistes. ―De là sa souplesse et sa multilatéralité.
Une lettre parmi les autres.
12 novembre 1930. ― … Comme toutes les minorités individualistes, comme les infirmes, les monosexuels sont obligés de supporter les railleries, le mépris des majorités et des foules ignorantes et fanatiques qui les jugent selon leurs préjugés ataviques.
Ils ont plus que les autres besoin d’un journal de libre discussion pour éclaircir les fausses idées que l’on se fait d’eux ; ainsi à la lecture de vos journaux et brochures, j’ai appris de nombreuses choses que j’ignorais. Il est de toute nécessité de fonder en France, comme en Allemagne, un Institut de sciences sexuelles ; c’est juste et humain pour arriver à ce que chacun soit libre d’adopter l’esthétique sexuelle qui lui plaît et à laquelle le mènent son cerveau et son intelligence libérés.
L’amour et l’amitié sont des choses sérieuses pour le bonheur de l’individu ; beaucoup plus sérieuses que la politique et surtout que la religion. On permet pour ces dernières des quantités de journaux de libre discussion. Pour l’amour et l’amitié, il n’y a que des journaux de rigolade, plus ou moins amusants, avec des gravures plus ou moins difformes et des annonces censurées.
Un journal de libre discussion sur les sciences sexuelles et érotiques ferait énormément de bien pour arriver à plus de bonheur ; ces questions sont encore traitées comme il y a 300 ans on traitait les questions politiques : par la méthode d’autorité. À leur égard c’est toujours l’éteignoir, la censure, l’inquisition ; il faut que celà cesse et c’est aux libres penseurs d’avant-garde à prendre la tête du mouvement…
Boudieu