La Presse Anarchiste

Les ouvriers de Pékin ont commencé à s’organiser

Un mou­ve­ment qui naît de lui-même, qui n’a pas de chefs ?

Il y a quelque chose là-dessous.

Jean-Paul Sartre

(« Les Com­mu­nistes et la Paix »

… l’au­tonomie ! Tous devez con­naître ça, Ving­tras, vous, qui avez fait vos class­es ? Ça vient du grec, à ce qu’ils dis­ent, les bache­liers!… Ils savent d’où ça vient, mais ils savent pas où ça mène !

Et de rire en sent son verre !

Jules Val­lès, l’In­surgé

Le 26 avril, l’édi­to­r­i­al, désor­mais fameux, du Quo­ti­di­en du peu­ple stig­ma­tise « une petite poignée d’in­di­vidus » qui a « usurpé l’é­ti­quette d’or­gan­i­sa­tion ouvrière pour dif­fuser des tracts réac­tion­naires, et mul­ti­plié les con­tacts afin de sus­citer encore plus de trou­bles ». Il est ici fait allu­sion, prob­a­ble­ment, au groupe qui, sous la sig­na­ture d’«Union des ouvri­ers de Pékin », a mis en cir­cu­la­tion, quelques jours plus tôt, le 21 avril, deux libelles inti­t­ulés respec­tive­ment : « Adresse au peu­ple de toute la ville » et « Dix ques­tions ». [doc. n° 1 et 2] C’est, en tout cas, de cette manière que l’in­ter­préteront les sig­nataires des dits libelles. Dans une « Adresse aux com­pa­tri­otes de tout le pays » du 17 mai [doc n°4], qui nous ren­seigne au pas­sage sur la date de la fon­da­tion de cette société, ceux-ci déclarent :

Nous, l’U­nion des ouvri­ers de Pékin, dans le but de sauve­g­arder les intérêts des ouvri­ers, nous nous sommes formelle­ment con­sti­tués à Pékin, le 21 avril 1989. Le jour même, nous avons pub­lié deux textes : « Adresse au peu­ple de toute la ville » et « Dix ques­tions » que l’édi­to­r­i­al du « 26 avril » a salis en les qual­i­fi­ant de réactionnaires.

Entre la sor­tie des textes incrim­inés par l’or­gane du Par­ti com­mu­niste chi­nois et celle de la riposte de leurs auteurs, presque un mois s’é­coulera sans qu’ap­parem­ment l’U­nion des ouvri­ers de Pékin se sig­nale à l’at­ten­tion par un nou­v­el écrit. En revanche, par la suite, durant la séquence chronologique qui précédera la nuit trag­ique du 3 juin, pas un jour ne passera, ou presque, sans qu’une ain­si nom­mée Union autonome des ouvri­ers de Pékin ne couche sur le papi­er son sen­ti­ment. En réal­ité, le 17 mai ne mar­que pas la date d’ex­tinc­tion totale de l’U­nion des ouvri­ers de Pékin : tout con­duit à con­jec­tur­er que ces deux asso­ci­a­tions n’en fai­saient qu’une et que les pro­mo­teurs de la deux­ième se sont con­tentés d’ad­join­dre le qual­i­fi­catif « autonome » à l’in­ti­t­ulé de la première.

De la protection des étudiants à une intervention autonome

C’est donc le ven­dre­di 19 mai que l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin a pris nais­sance, lors même que les autorités décré­taient la loi mar­tiale. Au bas de son pre­mier man­i­feste [[Nous con­nais­sons un tract, « Adresse aux ouvri­ers de tout le pays », signé de l’U­nion autonome, dont la revue Shiyue pinglun [cri­tique d’oc­to­bre] assure qu’il a été dif­fusé au milieu du mois de mai, donc, prob­a­ble­ment, avant que l’U­nion autonome existe formelle­ment.]], ses fon­da­teurs aler­taient leurs frères du reste du pays : « Les ouvri­ers de Pékin ont com­mencé à s’or­gan­is­er ! » [doc n°5]. Lorsque les pre­miers ouvri­ers se sont engagés aux côtés des étu­di­ants, ils ont agi par sym­pa­thie envers la lutte de leurs jeunes conci­toyens. Sym­pa­thie qui se traduira tout à la fois par un sou­tien moral et par une aide plus matérielle : col­lecte de fonds ou bien encore assis­tance logis­tique — on sait, par exem­ple, que dès l’in­stant où les étu­di­ants ont entamé leur grève de la faim sur la place Tian’an­men, soit dès le 13 mai, les ouvri­ers rav­i­tailleront, en nour­ri­t­ure et en eau potable, les étu­di­ants venus encour­ager leurs cama­rades qui jeû­nent et près desquels ils se tien­nent en per­ma­nence. Mais cette bien­veil­lance se traduira égale­ment par une inter­ven­tion moins imper­son­nelle : après la procla­ma­tion de la loi mar­tiale, le 20 mai, l’U­nion autonome agencera un ser­vice d’or­dre gros de deux mille cinq cents piquets [[Chi­ang Chen-chang, « The Role of Trade Unions in Main­land Chi­na » [le rôle des syn­di­cats en Chine con­ti­nen­tale], Issues and Stud­ies, Taipei, vol. 26, n°2, Feb­ru­ary 1990, p. 96. Une autre source fait état de trois mille piquets ouvri­ers (cf. A. Pino, « Entre­tien avec Yue Wu, vice-com­man­dant en chef de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin », FO Heb­do, Paris, n° 2009, 11 octo­bre 1989, p. 23). Le 21 mai, un groupe de défense, l’équipe des « brave-la-mort » [gan­si dui], com­posé de plus de vingt mille ouvri­ers et étu­di­ants s’é­tait con­sti­tué sur la place Tian’an­men. Une autre équipe se for­mera le 25 mai (cf. « Beizhuang de minyun » [le pathé­tique mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie], Ming­bao chuban­she, Hong Kong, juin 1989, p.83 et p.96). À pro­pos de cette dernière, voir : « Entre­tien avec le chef de l’équipe des piquets de con­trôle ouvri­ers », Tinan’an­men yi jiu ba jiu [Tan’an­men, 1989], recueil de textes com­pilés par la rédac­tion du Lian­he bao [jour­nal union], Lian­jing, Taipei, août 1989, pp.406–407.]], des­tiné tout à la fois « à assur­er la pro­tec­tion de la vie des étu­di­ants et à main­tenir la sta­bil­ité de l’or­dre pub­lic à Pékin », et à « garan­tir l’a­chem­ine­ment de toutes les ressources de Pékin et des pro­duits néces­saires à la vie courante des citadins […] ain­si que l’a­chem­ine­ment de tous les pro­duits de pre­mière néces­sité » [doc. n° 7]. L’U­nion ira même jusqu’à s’of­frir d’har­monis­er le chœur des « équipes chargées du main­tien de l’or­dre social », s’enorgueil­lis­sant, incidem­ment, de la qual­ité de son ser­vice, et mag­nifi­ant « l’or­dre révo­lu­tion­naire par­fait que respectent plusieurs mil­lions de gens ». Enfin, chaque fois que les cir­con­stances l’or­don­neront, on apercevra les ouvri­ers à la tête des Péki­nois, tout spé­ciale­ment lorsque la pop­u­la­tion entrav­era l’a­vancée des troupes chargées d’im­pos­er la loi mar­tiale. Comme le résumera un porte-parole de l’or­gan­i­sa­tion : «[leur] pre­mière tâche était de pro­téger les étu­di­ants » [[Cf. l’in­ter­view d’un respon­s­able de l’U­nion réal­isée dans la dernière décade du mois de mai et parue dans la revue Shiyue pinglun. (Trois entre­tiens, réal­isés par « un lecteur » de la pub­li­ca­tion dans le derniers jours du mois de mai, ont été don­nés dans Shiyue pinglun, qui sont main­tenant repris dans : Zhong­guo minyun yuan zil­iao jingx­u­an [choix de doc­u­ments orig­in­aux relat­ifs au mou­ve­ment démoc­ra­tique chi­nois], vol. 2, Shiyue pinglun chuban­she, Hong Kong, novem­bre 1989, pp.32–36, 37–38, et 39–41 [abrégés par la suite en : SP I, SP II ou SP III].). La cita­tion provient ici de SP I, p.32.]].

Là ne se bornera pas le rôle de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin. Ceux qui la com­posent vont s’ap­pli­quer aus­sitôt à entraîn­er le pro­lé­tari­at péki­nois dans le mou­ve­ment mais, cette fois, en tant que sujet et pas unique­ment comme une force d’ap­point. Cela, pour deux raisons. D’une part — rai­son acces­soire —, parce que les mem­bres de l’U­nion sont per­suadés que les étu­di­ants, aban­don­nés à leurs seules forces, n’ob­tien­dront rien du gou­verne­ment et que seule la coali­tion des pro­duc­teurs directs, eux qui déti­en­nent le pou­voir de paral­yser le procès de pro­duc­tion, assure quelque chance aux reven­di­ca­tions étu­di­antes d’aboutir. D’autre part — et l’on tient là la rai­son fon­da­men­tale —, parce qu’ils sont intime­ment con­va­in­cus qu’une par­tic­i­pa­tion con­crète des mass­es laborieuses, et du reste de la pop­u­la­tion, con­tribuera à créer une sit­u­a­tion ren­dant tout retour en arrière impos­si­ble, et, par­tant, « à envoy­er la tyran­nie en enfer » [doc. n°3], à « ren­vers­er la dic­tature et le total­i­tarisme » et à « pro­mou­voir la démoc­ra­tie » [doc n°9]: pour l’U­nion autonome des ouvri­ers, en effet, — et ses représen­tants pre­naient, en ce sens, le con­tre-pied de l’opin­ion des lead­ers étu­di­ants —, il n’a jamais fait de doute qu’avec la procla­ma­tion de la loi mar­tiale, une nou­velle phase avait débuté qui reje­tait au deux­ième plan les ini­tia­tives étu­di­antes. La jeunesse des écoles, selon elle, en s’en­gouf­frant dans la coche entail­lée par la mort de Hu Yaobang et en menant les choses aus­si loin qu’elle en avait la fac­ulté, avait accom­pli sa tâche his­torique [doc n°5]. Une pre­mière manche avait été rem­portée [doc n°11], s’ou­vrait alors la « bataille déci­sive » dans laque­lle les ouvri­ers avaient leur mot à dire. Les appels de l’U­nion ne prê­tent à aucune équiv­oque sur ce point [doc n°9, 11, 12, 13, 15]qui dévelop­pent presque une morale du sac­ri­fice [doc. n°3, 5]. Le mou­ve­ment s’é­tant, doré­na­vant, mué en un mou­ve­ment glob­al de la société [[SP I, pp. 32–33.]], il reve­nait à la société entière de l’as­sumer, et en tout pre­mier lieu à la classe ouvrière. Le 20 mai, l’U­nion énonce ses objec­tifs : « Lut­ter pour la démoc­ra­tie, s’op­pos­er à la dic­tature, soutenir et pro­téger les étu­di­ants qui font la grève de la faim, et accélér­er le proces­sus de démoc­ra­ti­sa­tion du pays…» [doc n°6]. Et le lende­main, elle extérorise sans ambages la ferme pré­ten­tion de con­duire la manœu­vre : son but « con­siste à diriger cor­recte­ment ce mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote » [doc n°7]. Les mem­bres de l’U­nion — armés de cette cer­ti­tude que les autorités chi­nois­es leur ressas­sent depuis des lus­tres, et que stip­ule la Con­sti­tu­tion, à savoir que la classe ouvrière dirige la Chine, et prou­vant qu’à leur tour ils savent jouer du lan­gage qui sanc­ti­fie la dic­tature du pro­lé­tari­at — estimeront que la « classe ouvrière [étant] la classe la plus avancée », il lui revient d’en « incar­n­er la force car­di­nale » [doc n°9, 12]. Tout en se plaig­nant que tel ne soit pas le cas dans la société actuelle : « Une réforme rad­i­cale du sys­tème d’É­tat […] per­me­t­tra au peu­ple de devenir le maître véri­ta­ble » [doc n°17]. L’U­nion rêve, donc, d’ex­primer « véri­ta­ble­ment les aspi­ra­tions des ouvri­ers » [doc n°8, 16]. Selon toute vraisem­blance, l’idée du pro­lé­tari­at investi d’une mis­sion éman­ci­patrice, chère à Marx, sous-tendait la dialec­tique de l’U­nion autonome. Toute­fois, à dis­tance et vu de l’ex­térieur, on a du mal à dis­tinguer, dans un dis­cours dont les accents trahissent tous les dehors de l’a­vant-gardisme, entre une argu­men­ta­tion pure­ment rhé­torique et ce qui relève de l’ad­hé­sion sincère à un pos­tu­lat éthique.

Pour oblig­er les autorités à exaucer les vœux des grévistes de la faim [[À savoir : 1) réha­bil­i­ta­tion du mou­ve­ment étu­di­ant et dénon­ci­a­tion de l’édi­to­r­i­al du 26 avril ; 2) ouver­ture d’un dia­logue d’é­gal à égal retrans­mis en direct à la télévi­sion.]], donc, l’U­nion pensera à user de la men­ace du débrayage. (Recours à une forme élé­men­taire du com­bat ouvri­er qui n’en témoigne pas moins d’une cer­taine audace si l’on songe que la dernière Con­sti­tu­tion chi­noise, celle de 1982, dénie à la pop­u­la­tion le droit de grève [[Depuis 1982, de nom­breux cas de grèves nous sont néan­moins con­nus. Pour un inven­taire, voir : Chi­ang Chen-chang, The Role of Trade Unions in Main­land Chi­na, op. cit., p.90 sq.; J.-L. Dom­e­n­ach, « Poli­tique souter­raine et agi­ta­tion sociale dans la Chine post-maoïste », in varii auc­tores, la Société chi­noise après Mao (entre autorité et moder­nité), Fayard, Paris, 1986, pp.91–129.]], et qui ne laisse pas d’être éton­nant si on con­sid­ère que l’U­nion a mul­ti­plié les pro­fes­sions de foi légalistes[doc n°4, 7, 8, 16] ). Ain­si, le 19 mai, l’U­nion évoque un éventuel arrêt de tra­vail total qui dur­erait vingt-qua­tre heures, à compter du lende­main, midi [doc n°5]. Et, effec­tive­ment, le 20 mai, à cinq heures huit, très exacte­ment [[Cf. Beizhuang de minyun, op. cit., p.78.]], elle lancera un mot d’or­dre de grève générale auprès des act­ifs de la ville, mais pour une durée illim­itée (l’ap­pel ne s’é­tend pas aux agents des secteurs de l’élec­tric­ité, de l’eau et du gaz, ni à ceux des postes et télé­com­mu­ni­ca­tions) qui ne s’achèvera qu’avec le départ des troupes, de Pékin. Quant à appréci­er en toute rigueur les réper­cus­sions de cet appel, la besogne ne se révèle pas aisée. Certes, les autorités ne man­queront pas d’ar­guer des désor­dres sur­venus dans la pro­duc­tion et l’amé­nage­ment du tra­vail pour légitimer l’in­tru­sion de l’ar­mée, mais cela ne nous ren­seigne nulle­ment sur l’am­pleur des débrayages. Pour autant que nous puis­sions tranch­er, tout porte à croire qu’ils sont restés très mar­gin­aux, les autorités n’ayant cessé de jouer alter­na­tive­ment de la carotte et du bâton pour dis­suad­er toute ini­tia­tive : les direc­tions des usines ont bran­di l’épou­van­tail des licen­ciements [[On a par­lé d’équipes de com­mis­saires poli­tiques effec­tu­ant des tournées d’in­spec­tion sur les lieux de tra­vail pour dress­er des listes noires (cf. R. Franklin, « La Reven­di­ca­tion ouvrière du mai chi­nois », Libéra­tion, Paris, 30 mai 1989, p. 24 [repris main­tenant dans : Chine, le print­emps de Pékin de la lib­erté au mas­sacre, Libéra­tion col­lec­tion numéro 1, Paris, juin 1989, p. 72] ).]] ou promis des « primes de sta­bil­ité » [[Ain­si à Shang­hai où des « primes de sta­bil­ité », de 50 yuans ont été offertes pour rester à l’é­cart des man­i­fes­ta­tions (AFP, 11 juin).]]. Même si l’U­nion autonome a pu, dans un accès d’op­ti­misme sere­in, cer­ti­fi­er que : « per­son­ne n’[était] en mesure de […] con­train­dre [les ouvri­ers], sous la men­ace des armes [doc n°12], au tra­vail, qu’elle ait songé, le 22 mai, à le réitér­er, nous incline à penser que son appel à inter­rompre la pro­duc­tion n’avait pas dû être enten­du [[Cf. « Beizhuang de minyun », op. cit., p.90. « Nous n’avons pas encore les moyens de lancer des appels à la grève » admet­tront les mem­bres de l’U­nion (cf. R. Franklin, « la Reven­di­ca­tion ouvrière du mai chi­nois », op. cit.).]].

Notons, égale­ment, que l’U­nion ne se tien­dra pas à l’é­cart des démon­stra­tions de rue. Elle paradera, sous son dra­peau et der­rière ses cal­i­cots, dans les grands cortèges de Pékin, et en par­ti­c­uli­er dans ceux du 25 et du 28 mai, pro­posant, pour l’oc­ca­sion, ses pro­pres slo­gans [doc. n°10 et 15].

L’auto-organisation

À sa fon­da­tion, l’U­nion établi­ra un comité per­ma­nent qui désign­era un com­man­dant en chef. Mais la ques­tion de l’au­torité ne s’est aucune­ment imposée à elle comme une pri­or­ité, l’im­pro­vi­sa­tion con­ser­vant une part prépondérante : « Au début, nous n’avons pas procédé à des élec­tions. Nous avons don­né la pri­or­ité à la qual­ité. Et ceux qui en avaient le désir et le tal­ent, nous leur avons con­fié le rôle de dirigeants » [[SP I, p. 33]]. Ensuite, le 21 mai, l’U­nion assign­era les postes au sein de son comité per­ma­nent et com­mu­ni­quera son organ­i­gramme : un col­lec­tif de direc­tion, un secré­tari­at, un bureau à la pro­pa­gande, un ser­vice d’in­ten­dance et un bureau de liai­son [doc n°7] [[Vers la même époque, un respon­s­able de l’U­nion révélait l’or­gan­i­gramme suiv­ant : secré­tari­at, bureau de pro­pa­gande, bureau de liai­son, bureau d’ac­cueil, ser­vice d’in­ten­dance, ser­vice d’or­dre et bureau de dif­fu­sion [radio] (SP I, p. 33).]]. Le 25 mai, elle ren­dra pub­lic un « Pro­gramme pré­para­toire », élaboré, sem­ble-t-il, le 21, où elle se dépeint par-dessus tout comme une organ­i­sa­tion autonome et indépen­dante, que cha­cun rejoint (ou quitte) volon­taire­ment. Et, trois jours plus tard, le 28, elle divulgue ses « Statuts pro­vi­soires », plate-forme qui intè­gre, dans son préam­bule, le « Pro­gramme pré­para­toire ». Mais ces statuts décrivent en fait le fonc­tion­nement interne d’une organ­i­sa­tion à venir : l’assem­blée générale, le comité per­ma­nent et la com­mis­sion exéc­u­tive [doc n°16]. Car, par­lant d’elle, l’U­nion autonome n’évo­quera jamais autre chose qu’une com­mis­sion pré­para­toire [doc n°21]. C’est assez dire que l’U­nion ne s’est jamais con­sid­érée autrement que comme une asso­ci­a­tion tran­si­toire « adap­tée à la sit­u­a­tion » [doc n°7] [[cf. SP I, p. 33]], une « organ­i­sa­tion spon­tanée pro­vi­soire créée par les ouvri­ers de la cap­i­tale dans une péri­ode excep­tion­nelle » [doc n°6], et qu’elle avait en vue la for­ma­tion d’une struc­ture sta­ble, aux con­tours fermes.

L’U­nion autonome, quand bien même sa rai­son sociale sug­gér­erait le con­traire, n’é­tait pas un corps stricte­ment péki­nois. Elle englobait, dès l’o­rig­ine, des tra­vailleurs venus de tous les coins du pays que les man­i­fes­ta­tions étu­di­antes avaient attirés à la cap­i­tale. Et c’est à bon droit qu’elle aurait pu se pré­val­oir du titre d’«Union autonome des ouvri­ers chi­nois ». Mais, pour des raisons qui ressor­tis­sent assuré­ment à la tac­tique, ses fon­da­teurs lui ont délibéré­ment sub­sti­tué une dénom­i­na­tion plus mod­este, pro­pre à ne pas inquiéter les autorités. On ne sache pas que Deng Xiaop­ing soit un fam­i­li­er de la langue d’Homère, mais s’il ignore d’où elle vient, il sait mieux que quiconque — lui qui pré­side aux des­tinées d’un par­ti qui ne comp­tait qu’une cinquan­taine de sec­ta­teurs lors de sa fon­da­tion, en juil­let 1921 et qui est aujour­d’hui le par­ti le plus impor­tant en nom­bre dans le monde —, où peut con­duire l’au­tonomie. Et, sous son règne ou sous celui de Mao, chaque fois qu’un cer­cle quel­conque a fait mine de se con­stituer sur une base nationale, ou regroupant toutes les couch­es de la société, les « Jésuites de l’É­tat », pour para­phras­er Marx, n’ont eu de cesse de le réduire à néant.

Sig­nalons ici l’ex­is­tence de mul­ti­ples organ­i­sa­tions ouvrières libres dis­séminées dans tout le pays, dont rien n’au­torise à établir avec cer­ti­tude si elles entrete­naient entre elles des liens organiques ou si elles se sont con­sti­tuées à l’im­i­ta­tion de celle de leurs homo­logues de Pékin [[Un respon­s­able de l’U­nion déclarait à la fin du mois de mai à un inter­locu­teur de Hong Kong : « Quant à la façon de pro­mou­voir ce mou­ve­ment démoc­ra­tique, tu me per­me­t­tras de ne pas abor­der le sujet ici. Je peux seule­ment dire que nous espérons con­stru­ire des organ­i­sa­tions comme l’U­nion autonome des ouvri­ers. » (SP III, p. 41.)]]. L’é­ten­due du phénomène auton­o­miste, sur lequel nous sommes encore mal ren­seignés, ne s’est d’ailleurs révélée qu’à l’heure où les autorités ont déclenché l’of­fen­sive, les cir­cu­laires sur l’in­ter­dic­tion des « organ­i­sa­tions illé­gales », les avis de recherche et les comptes ren­dus d’ar­resta­tion men­tion­nant des com­pag­nies dont par­fois nul ne soupçon­nait l’ex­is­tence : le Groupe de sou­tien des ouvri­ers de Wuhan, l’U­nion autonome des ouvri­ers de Shang­hai, l’U­nion autonome des ouvri­ers de Nankin, l’U­nion autonome et démoc­ra­tique des ouvri­ers de Xi’an, l’U­nion autonome des ouvri­ers de Chang­sha, l’U­nion autonome des ouvri­ers de Hangzhou, l’U­nion autonome des ouvri­ers du Guizhou, la Sol­i­dar­ité de Nan­chang, etc. [[Cf. Ming­bao, Hong-kong, 13 juin 1989, p. 6.]] Une Union autonome des ouvri­ers de Can­ton a même choisi de s’éd­i­fi­er au lende­main des mas­sacres de Pékin [doc n°23]. Mais nous y reviendrons.

L’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin enreg­is­trait les inscrip­tions, sans dis­tinc­tion de branche ou de secteur d’ac­tiv­ité. Des employés de plus de quar­ante indus­tries de la ville (lesquelles embauchent env­i­ron cent mille per­son­nes) s’y seraient ain­si affil­iés [[Cf. Chi­na’s Inde­pen­dent Labour Move­ment, Hong Kong Trade Union Edu­ca­tion Cen­tre-Asia Mon­i­tor of Resource Cen­ter, Hong Kong, June 1989, p.10.]]. Mais des tra­vailleurs de la cap­i­tale parais­sent avoir opté pour une struc­ture ver­ti­cale : une Union autonome des ouvri­ers de la con­struc­tion urbaine a ain­si été fondée le 21 mai [doc n°22].

Restreinte, au départ, à quelques indi­vidus — « Une dizaine d’en­tre nous se sont ren­con­trés là [place Tian’an­men], et l’idée de faire quelque chose ensem­ble nous a sem­blé très naturelle. » [[Zhao Lin­pu, menuisi­er de trente-cinq ans. Pro­pos recueil­lis par R. Franklin, la Reven­di­ca­tion ouvrière du mai chi­nois, op. cit.]] —, l’U­nion autonome revendi­quait cinq mille cinq cents cartes au bout d’une dizaine de jours (soit au moins un représen­tant dans cha­cune des deux mille usines de Pékin [[Cf. R. Franklin, « la Reven­di­ca­tion ouvrière du mai chi­nois », op. cit. Les affil­i­a­tions étaient pour la plu­part indi­vidu­elles et sanc­tion­nées par la délivrance d’une carte (SP I, p. 34 ; Chi­na’s Inde­pen­dent Labour Move­ment, op. cit., p. 3). Des cartes ont été exhibées à la télévi­sion de Pékin, le 14 juin 1989 (bul­letin des écoutes radio­phoniques de la BBC, Sum­rnary of World Broad­casts [Part 3 : Far East], Lon­dres, [abrégé par la suite en SWB], FE/0484, 16 juin 1989, B2/10).]]), et si on adjoint à ce chiffre le nom­bre des sym­pa­thisants proclamés dans les entre­pris­es, ce sont presque treize mille indi­vidus qui se seraient bien­tôt recon­nus dans la pra­tique et les inten­tions de l’or­gan­i­sa­tion [[Cf. Dépêch­es AFP, Pékin, 30 mai et 2 juin 1989.]].

Les respon­s­ables de l’U­nion ne se sont pas con­tentés d’écrire, ils se sont aus­si beau­coup dépen­sés en harangues : les haut-par­leurs de la radio de l’U­nion, instal­lés sur la place Tian’an­men, égrenaient inlass­able­ment leurs mots d’or­dre, les présen­ta­teurs n’in­ter­rompant leur lec­ture que pour dif­fuser l’In­ter­na­tionale. Des man­dataires de l’U­nion par­taient, aus­si, sil­lon­ner nuit et jour, les rues de la cité, ou les alen­tours des étab­lisse­ments de la région, à bord d’un minibus équipé de haut-par­leurs, la « voiture de pro­pa­gande » [[Cf. SP II, p. 38 ; R. Franklin, « la Reven­di­ca­tion ouvrière du mai chi­nois », op. cit. La « voiture de pro­pa­gande » est évo­quée dans le doc­u­ment n°10.]].

Juste­ment, quels furent les thèmes de cam­pagne ? L’en­t­hou­si­asme éveil­lé par les opéra­tions étu­di­antes chez les ouvri­ers de la cap­i­tale jus­ti­fi­ait leur appui, mais il ne moti­vait pas, à lui seul, leur par­tic­i­pa­tion. Les ouvri­ers chi­nois avaient, pour eux-mêmes, des raisons de s’en­flam­mer. Ces raisons, plusieurs des textes que l’U­nion a édités les évo­quent, bien que de façon allu­sive. À con­sid­ér­er le cor­pus établi (nous lais­sons de côté les exi­gences stricte­ment con­jonc­turelles, comme la demande d’une réu­nion de l’Assem­blée pop­u­laire nationale), il appert que les doléances gravi­tent com­muné­ment autour des thèmes suiv­ants : l’échec de la réforme économique [doc. nos 1, 2, 3, 4, 14, 18], la cor­rup­tion man­dari­nale et l’af­fairisme offi­ciel [doc. nos 1, 2, 3, 4, 14, 18], l’in­suff­i­sance des salaires [doc. nos 1 et n° 4], l’in­fla­tion [doc. nos 1, 2, 3, 4, 14], l’ex­ploita­tion ou les sanc­tions économiques [doc. n° 3 et n° 4]. À ces doléances, qui ont été à l’o­rig­ine, dès avant les événe­ments d’avril-juin, de con­flits col­lec­tifs explicites [[Chi­ang Chen-chang, « The Role of Trade Unions in Main­land Chi­na », op. cit., p. 90 sq.]], s’a­joutent des reven­di­ca­tions pos­i­tives : les droits de l’homme, le respect de la dig­nité humaine, la démoc­ra­tie, le respect de la légal­ité, la réforme, la lib­erté [doc. nos 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18]. Pour­tant, indépen­dam­ment de l’embarras qu’elle a éprou­vé pour expliciter son pro­jet — et peut-être même, plus triv­iale­ment, pour le saisir —, afin, sub­séquem­ment, de le com­mu­ni­quer, c’est cer­taine­ment la ten­ta­tive en soi de s’ériger de manière autonome qui con­stituera l’ap­port pri­mor­dial de l’U­nion à la con­vul­sion du print­emps 1989. Cette ten­ta­tive ne trahit rien d’ac­ci­den­tel. Sans même s’évertuer à rat­tach­er la pra­tique des ouvri­ers chi­nois à l’ex­péri­ence pro­lé­tari­enne uni­verselle, force est d’ad­met­tre que, depuis la fin de la « Révo­lu­tion cul­turelle », chaque fois que les Chi­nois ont eu le loisir de respir­er, ils ont for­mulé le souhait de créer un lieu où ils se rassem­bleraient seuls et sans inter­mé­di­aires pour dis­cuter de leurs prob­lèmes et envis­ager la façon de les régler [[Des ten­ta­tives nous sont con­nues, au cours de la décen­nie précé­dente, ayant eu pour but de met­tre sur pied des syn­di­cats libres. Voir : Chi­ang Chen-chang, « The Role of Trade Unions in Main­land Chi­na », op. cit.; J.-L. Dom­e­n­ach, « Poli­tique souter­raine et agi­ta­tion sociale dans la Chine post-maoïste », op. cit.]]. Les efforts déployés par l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin visaient, avant tout, à l’or­gan­i­sa­tion, à une auto-organ­i­sa­tion. Et l’ob­jur­ga­tion lancée, par l’U­nion, à cha­cune des couch­es de la société, et avant tout à la classe ouvrière [[Cf. SP III, p. 41.]], de se fédér­er sur une base ana­logue à la sienne [doc. n° 15], allait bien au-delà de toutes les reven­di­ca­tions ponctuelles qu’elle aurait pu hasarder si le temps le lui en avait été accordé. « Con­seillez-vous soigneuse­ment », recom­mande Erik Satie dans une de ses Gnossi­ennes, l’U­nion aurait pu faire de ce cri sa devise. On notera que, d’une cer­taine façon, l’U­nion a franchi le stade des vel­léités pures : endoss­er, par le biais des équipes de piquets ouvri­ers, les besoins de la pop­u­la­tion, voilà qui dépas­sait la sim­ple com­bi­nai­son tac­tique — assur­er coûte que coûte l’or­dre dans la cité pour que le pou­voir ne tire pas pré­texte du chaos pour inter­venir —, en admin­is­trant la preuve, de fac­to, que les ouvri­ers de la cap­i­tale ne reculeraient pas, ici et main­tenant, à pren­dre les affaires en main.

Une opposition ouvrière instituée

En un peu moins de trois semaines — telle aura été sa durée de vie —, l’U­nion a quand même réus­si, à défaut de fig­nol­er un pro­gramme futur d’ac­tion ou de démon­tr­er la cohérence d’un pro­jet général, à présen­ter l’esquisse d’une plate-forme organ­i­sa­tion­nelle. Syn­di­cat ou par­ti poli­tique ? L’u­nion se voulait avant toute chose une organ­i­sa­tion de masse [doc. n° 8], et elle s’est définie elle-même, une fois au moins, comme une « organ­i­sa­tion syn­di­cale » [doc. n° 7]. (Par­lant d’elle, d’au­cuns ont souligné la fas­ci­na­tion du mod­èle polon­ais, celui de Sol­i­darnosc [[R. Franklin, « la Reven­di­ca­tion ouvrière du mai chi­nois », op. cit.]].) Mais, à l’év­i­dence, l’U­nion n’en­tendait pas se sat­is­faire du rôle tra­di­tion­nelle­ment dévolu aux syn­di­cats dans les pays qui se pré­ten­dent social­istes. (On sait que dans l’énon­cé général du marx­isme-lénin­isme le syn­di­cat est conçu comme une cour­roie de trans­mis­sion du par­ti et que l’é­conomique se sub­or­donne au poli­tique.) Et il n’est pas davan­tage assuré qu’ils aient eu en tête le mod­èle occi­den­tal des cen­trales ouvrières. Car l’U­nion se fix­ait pour « objec­tif fon­da­men­tal » d’ex­primer dans un même souf­fle les « idées [ou les reven­di­ca­tions] économiques et poli­tiques » des ouvri­ers (et aus­si de « garan­tir à ses adhérents l’ensem­ble des droits légaux ») [doc. n° 8 et 16]. Cela étant, on observe, dans les doc­u­ments qui nous sont con­nus, que c’est surtout la dimen­sion économique qui affleure. Les seules tâch­es con­crètes qui sont envis­agées formelle­ment sont celles qui gravi­tent autour des prob­lèmes relat­ifs à ce qu’on résumera par l’ex­pres­sion générique de négo­ci­a­tion du con­trat de tra­vail (dans son accep­tion large): la défense des droits et des intérêts des ouvri­ers [doc. n° 8 et 16]. Toute­fois, l’U­nion se défendra de n’aspir­er à être qu’une « organ­i­sa­tion de bien-être » [doc. n° 8 et 16]. On dis­cerne là une cri­tique implicite du man­dat rem­pli par le syn­di­cat offi­ciel, lequel syn­di­cat n’est cité à aucun moment dans les textes en notre pos­ses­sion (celui-ci ne s’est-il pas muré dans un silence pru­dent tout le long des événe­ments, nonob­stant le timide geste esquis­sé par cer­tains de ses cadres en faveur de la cause étu­di­ante ? [[Le 18 mai, la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine offrira cent mille yuans à la Croix-Rouge de Pékin, pour venir en aide aux étu­di­ants qui font la grève de la faim. Cf. Agence Xin­hua, 18 mai 1989 (SWB, FE/0472, 2 juin 1989, B2/11); « La Fédéra­tion nationale des syn­di­cats de Chine fait don de 100.000 yuans », Da Gong Bao (L’im­par­tial) Hong Kong, 19 mai 1989, p. 5).]]). En revanche, d’autres sources spé­ci­fient la posi­tion de l’U­nion à l’é­gard de la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine : les fon­da­teurs de l’U­nion étaient tous issus de la Fédéra­tion, ils en jugeaient, bien sûr, l’in­flu­ence pra­tique nulle et remet­taient en cause et son idéolo­gie et son mode de fonc­tion­nement [[Cf. SP I, p. 35.]], même s’il n’en­trait pas dans leur vue, apri­ori, de lui suc­céder. L’U­nion ne briguait pas non plus, man­i­feste­ment, un rôle de par­ti poli­tique [[Cf. SP III, p. 39 : « l’U­nion autonome des ouvri­ers n’est qu’une organ­i­sa­tion sociale, aucune­ment un par­ti, et elle ne devien­dra pas un par­ti ».]]. Et, comme pour mar­quer irrémé­di­a­ble­ment sa rup­ture d’avec la con­cep­tion bolchevique de l’or­dre social, elle déni­ait à toute organ­i­sa­tion le droit de s’im­mis­cer dans ses affaires, mieux, elle a exigé haut et fort celui de con­trôler le Par­ti com­mu­niste — ce qui sup­po­sait non seule­ment le rejet mais une inver­sion totale des canons lénin­istes [doc. n° 8 et 16]. Encore que cette inver­sion soit tou­jours pen­sée dans le référen­tiel du sys­tème. En effet, si, comme nous venons de le not­er, on tra­que­rait en vain toute référence à la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine dans le dis­cours de l’U­nion autonome, il n’en va pas de même avec le Par­ti com­mu­niste, qui s’y voit qual­i­fié de « Par­ti de la classe ouvrière » [doc. N° 16] [[Cf. SP III, p. 39.]]. L’U­nion insis­tera sur ce point, ce n’est pas la direc­tion du Par­ti dans son inté­gral­ité qu’elle con­teste, ce sont cer­tains des dig­ni­taires (les pre­miers, il est vrai ) [doc. n° 18], mais elle n’en dénon­cera pas moins toutes les intrigues des­tinées à l’a­mal­gamer avec les bureau­crates tombés en dis­grâce, Zhao Ziyang ou bien encore l’un ou l’autre de ses hommes liges. Con­sciente aus­si des risques de manip­u­la­tion par une fac­tion du pou­voir, l’U­nion n’ou­bliera pas de fustiger les « politi­ciens ambitieux qui se trou­vent à l’in­térieur du Par­ti com­mu­niste » et qui seraient ten­tés, sur le dos du peu­ple, d’«usurper le pou­voir » [doc. n° 4]. Là encore, il serait déli­cat de sépar­er ce qui relève de la tac­tique (ne pas atta­quer de front le Par­ti) et ce qui accuse un fond d’il­lu­sions, n’é­tait le fait que l’U­nion a avancé son pro­gramme à une époque où elle pou­vait espér­er une réforme du régime. Cer­tains des respon­s­ables de l’U­nion se sont même essayés à penser une société de pluri­par­tisme, dom­inée par une « Con­férence poli­tique de par­tic­i­pa­tion » réu­nis­sant plusieurs par­tis, dont le Par­ti com­mu­niste, et toutes sortes de groupe­ments soci­aux, avec, au pre­mier rang, l’U­nion elle-même, dont les délégués seraient élus [[Id.]]. En quelque sorte, l’U­nion se serait alors méta­mor­phosée en oppo­si­tion ouvrière insti­tuée. Toute­fois, la dernière pro­fes­sion de foi de l’U­nion se prononce sans ambages pour un ren­verse­ment du régime : « La pra­tique prou­ve, y lit-on, que désor­mais la ques­tion qui se pose au mou­ve­ment démoc­ra­tique est la ques­tion du pou­voir » [doc. N° 18] [[Il n’est pas inutile de pré­cis­er ici que les textes de l’U­nion ont sou­vent été des œuvres spon­tanées, reflé­tant davan­tage la posi­tion indi­vidu­elle de leur auteur que celle du groupe.]].

Il est une dimen­sion du pro­jet de l’U­nion qu’on ne saurait évac­uer : le souci, qui con­fine qua­si­ment à la manie, de ne pas s’é­carter du strict cadre de la loi. À dif­férentes repris­es, on ren­con­tre sous la plume des rédac­teurs de l’U­nion des locu­tions comme : « respect de la légal­ité », ou : « usage de tous les moyens légaux » [doc. nos 4, 7, 8, 16]. Et un de leurs tracts le stip­ule : « nous avons inscrit sur notre ban­nière : “légal­ité”» [doc n° 4]. Au demeu­rant, il avait été prévu que les adhérents de la future organ­i­sa­tion prêteraient le ser­ment suiv­ant : « Je respecterai de mon plein gré la Con­sti­tu­tion et les lois de l’É­tat…» [doc. n° 16]. À telle enseigne qu’in­ter­rogés par des syn­di­cal­istes de Hong Kong sur la ques­tion de savoir si l’U­nion chercherait à con­quérir le droit de grève, les man­dataires de l’U­nion auraient répon­du qu’ils souhaitaient avant toute chose s’or­gan­is­er dans le cadre du sys­tème légal en l’é­tat [[Cf. Chi­na. Inde­pen­dent Labour Move­ment, op. cit., p. 5.]]. Un rig­orisme, affec­té ou sincère, qu’il­lus­tre aus­si la volon­té de l’U­nion de se voir recon­naître offi­cielle­ment (sur ce point, au reste, elle ne se sin­gu­larise en rien, ni vis-à-vis des coor­di­na­tions estu­di­antines, ses con­tem­po­raines, ni vis-à-vis des ligues non offi­cielles du pre­mier « Print­emps de Pékin », de dix ans ses aînées [[Id., p. 5. L’U­nion autonome des étu­di­ants de Pékin affichera, une pre­mière fois, le 28 avril, la même volon­té. Sur les reven­di­ca­tions du mou­ve­ment démoc­ra­tique du « Print­emps de Pékin » de 1978, cf. Huang S., A. Pino, I.. Epstein, Un bol de nids d’hi­ron­delles ne fait pas le print­emps de Pékin, Bib­lio­thèque asi­a­tique, Chris­t­ian Bour­go­is édi­teur, Paris, 1980.]]). Ren­dons-lui cette jus­tice, elle ne s’est pas bercée longtemps d’il­lu­sions sur les chances d’une légal­i­sa­tion à court terme [[Cf. SP III, p. 41.]].

Les prodromes de la répression et les massacres de juin

Car les événe­ments n’al­laient pas tarder à ren­seign­er les mem­bres de l’U­nion sur ce point. Le mar­di 30 mai [[Le 1er juin, au dire de Chen Xitong, « Rap­port sur l’écrase­ment de la rébel­lion antigou­verne­men­tale » (30 juin 1989), sup­plé­ment à Bei­jing infor­ma­tion, Pékin, n° 30, 24 juil­let 1989, p.XIX.]], trois des leurs, Shen Yin­han, Bai Dong­ping et Qian Yum­ing, sont arrêtés par la Sécu­rité publique, de même que 11 motards appar­tenant aux « tigres volants », une escouade de com­merçants privés qui sil­lon­nait la ville pour éval­uer l’a­vancée des troupes chargées d’im­pos­er la loi mar­tiale et en informer la pop­u­la­tion. C’é­tait un pre­mier aver­tisse­ment des autorités dont on ne mesur­era pas, alors, l’importance.

L’U­nion autonome se trans­porte au siège de la police, qu’un mil­li­er d’ou­vri­ers ou d’é­tu­di­ants assiégeront [[Voir aus­si le Xin­wen­bao, Hong Kong, 30 mai 1989 (tra­duc­tion anglaise dans : SWB, FE/0471, 1er juin 1989, B2/10); dépêche AFP, 30 mai 1989.]]. Elle rédi­ge une « Dépêche », faisant état des pour­par­lers avec les forces de l’or­dre [doc. n° 19], et un « Avis urgent » [doc. n° 20] nar­rant les détails de la cap­ture de leur mil­i­tant. Le soir, une réu­nion se tient sur la place Tian’an­men : Han Dong­fang donne lec­ture des « Statuts pro­vi­soires » de l’U­nion [doc. n° 16] et le con­seiller juridique des ouvri­ers expose la sit­u­a­tion des mil­i­tants enfer­més. Une « Con­férence de presse » qui fera l’ob­jet d’un bul­letin [doc. N° 21].

Le mer­cre­di 31 mai, les étu­di­ants protes­tent con­tre la garde à vue des trois ouvri­ers. Dans l’après-midi, ils sont quelque trois mille à défil­er sur la place Tian’an­men d’où il s’ébran­leront, en cortège, escortés de plusieurs mil­liers d’ou­vri­ers, pour rejoin­dre le bureau de la Sécu­rité publique. Là, la foule scan­de : « Ouvri­ers, étu­di­ants, tous unis pour con­quérir la démoc­ra­tie ! » ou « Non aux rapts ! » Pour finir, les émis­saires de l’U­nion autonome des ouvri­ers annon­cent que leurs com­pagnons ont été relaxés à 17 heures. Mais le même jour, à l’an­tenne de radio Pékin, est lu un com­mu­niqué de l’A­gence Xin­hua qui sig­nale que les gérants de quar­ante entre­pris­es de la cap­i­tale ont demandé par écrit aux autorités « d’in­ter­dire les organ­i­sa­tions illé­gales qui provo­quent l’ag­i­ta­tion au nom des ouvri­ers », soit l’U­nion autonome des ouvri­ers [[Radio Pékin, 31 mai 1989 (SWB, FE/0473, 3 juin 1989, B2/1). L’in­for­ma­tion sera reprise dans le Bei­jing ribao du 1er juin, et la liste nom­i­na­tive des sig­nataires pub­liée le lende­main dans ce même jour­nal ― à la demande, indi­quera-t-on, des lecteurs ―, sous ce titre, on ne peut plus explicite : « Respon­s­ables de 40 entre­pris­es de la cap­i­tale deman­dant énergique­ment l’in­ter­dic­tion par le gou­verne­ment de l’as­so­ci­a­tion illé­gale “Union autonome des ouvri­ers » (cf. Bei­jing ribao, 2 juin, p. 1).]]. Les dés sont main­tenant jetés.

Le 2 juin, le Bei­jing ribao [quo­ti­di­en de Pékin] repro­duit en pre­mière page une : « Déc­la­ra­tion du syn­di­cat général de la munic­i­pal­ité de Pékin en date du 1er juin, deman­dant énergique­ment l’in­ter­dic­tion immé­di­ate de l’or­gan­i­sa­tion illé­gale “Union autonome des ouvri­ers » [doc. n° 24] où l’on rap­pelle que les syn­di­cats offi­ciels « sont les seules organ­i­sa­tions socio-poli­tiques à représen­ter les intérêts de la classe ouvrière ». [[Dans le même numéro du Bei­jing ribao, on trou­ve une « Let­tre de sou­tien adressée par le syn­di­cat général de la munic­i­pal­ité de Pékin à tous les ouvri­ers, employés et cadres syn­di­caux de la capitale ».]]:

Au cours de ces derniers jours, une petite poignée d’in­di­vidus se sont rassem­blés et ont fondé une organ­i­sa­tion illé­gale appelée l’«Union autonome des ouvri­ers » en se récla­mant fal­lac­i­euse­ment de la classe ouvrière. Ils ont répan­du des rumeurs, dis­tribué des tracts, lancé des slo­gans deman­dant le ren­verse­ment du gou­verne­ment pop­u­laire, fomen­té des grèves, pris d’as­saut des organes de la sécu­rité publique et pré­ten­du qu’ils étaient en train de fonder une organ­i­sa­tion autonome « com­plète­ment indépen­dante ». Leurs objec­tifs étaient de divis­er les rangs de la classe ouvrière et de se livr­er à des activ­ités illé­gales des­tinées à sabot­er ouverte­ment l’or­dre social de la cap­i­tale qui allait en s’améliorant.

Et en pre­mière page du Quo­ti­di­en du peu­ple s’é­tale une mis­sive du prési­dent de la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine. Ni Zhi­fu presse les pro­lé­taires de se ranger aux côtés du Par­ti, et de propager ses principes et sa poli­tique par­mi les mass­es, cela au prof­it de la sta­bil­ité sociale [[« Tous les ouvri­ers et tous les employés doivent main­tenir la sta­bil­ité sociale », le Quo­ti­di­en du peu­ple, 3 juin 1989.]].

Sur l’at­ti­tude de l’U­nion autonome, au cours de la sin­istre nuit du 3 au 4 juin, les élé­ments font défaut. On croit seule­ment savoir que ses troupes s’in­ter­poseront entre les étu­di­ants et les forces de l’or­dre, lors de l’as­saut de la place Tian’an­men. Écou­tons un étu­di­ant de l’U­ni­ver­sité Qinghua, présent sur les lieux :

C’est alors qu’un groupe d’ou­vri­ers et de citoyens des « brave-la-mort » se sont pré­cip­ités. Ramas­sant par terre des bouteilles et des bâtons, dont ils ont usé comme d’armes, ils ont chargé l’ar­mée et lui ont opposé une résis­tance acharnée. À ce moment-là, l’U­nion autonome [des étu­di­ants] a don­né l’or­dre de bat­tre en retraite hors de la place. Alors, il n’é­tait pas encore 5 heures. [[« Compte-ren­du du mas­sacre de Tian’an­men par un témoin occu­laire », Wen­hui bao, Hong Kong, 5 juin 1989. Nous don­nons une tra­duc­tion de ce texte dans ce même numéro.]]

Chen Xitong, le maire de Pékin, dans son rap­port sur les événe­ments, allègue de son côté :

À cinq heures de l’après-midi [le 3 juin], des chefs de la « Fédéra­tion autonome des étu­di­ants » et de la « Fédéra­tion autonome des ouvri­ers » ont dis­tribué sur la place Tian’an­men des couteaux, poignards, bar­res de fer, chaînes de fer et bam­bous poin­tus, et crié qu’«il fal­lait bat­tre à mort tous les sol­dats et policiers cap­turés. » La « Fédéra­tion autonome des ouvri­ers » a dif­fusé au haut-par­leur un appel à « ren­vers­er le gou­verne­ment par les armes ». [[Chen Xitong, « Rap­port sur l’écrase­ment de la rébel­lion antigou­verne­men­tale » (30 juin 1989), op. cit., pp. XX-XXI]]

Mais il est le seul à affirmer cela, ou, plus exacte­ment, seule la ver­sion offi­cielle chi­noise accrédite la thèse selon laque­lle les occu­pants de la place Tian’an­men se seraient armés. Tous les témoins, au con­traire — et leurs réc­its con­cor­dent —, font état des recom­man­da­tions insis­tantes prodiguées à la foule par le quarti­er général de la place de ne pas céder à la vio­lence, et attes­tent qu’«aucun ouvri­er n’a jamais usé d’une seule arme » [[Cf., par exem­ple, Huang S. et A. Pino, entre­tien avec un des dirigeants de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin, le Monde, Paris, 1er sep­tem­bre 1989, p. 8.]].

Le trib­ut de l’U­nion autonome aux vic­times de la nuit sanglante sera très lourd. Si l’on en croit Chai Ling, la jeune étu­di­ante qui était le com­man­dant en chef du quarti­er général de la place Tian’an­men : «… les mem­bres de l’U­nion autonome des ouvri­ers qui se trou­vaient autour de la place sont tous morts, et ils étaient au moins 20 ou 30 ». [[« Je suis Chai Ling… Je suis tou­jours vivante », in « Beizhuang de minyun » [le pathé­tique mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie], Ming­bao chuban­she, Hong Kong, juin 1989. Nous don­nons une tra­duc­tion de ce texte dans ce même numéro.]]

Pourfendre l’autonomie

La répres­sion ne fait pour­tant que com­mencer. Car les jours de l’U­nion autonome étaient comp­tés depuis les inter­pel­la­tions du 30 mai. Les pre­mières arresta­tions inter­vi­en­nent, les fuyards sont pour­chas­sés, les réseaux mis en pièces. la Sécu­rité publique se tar­guera, ultérieure­ment, d’avoir, « avec l’aide d’une infor­ma­tion fournie par les mass­es » saisi, au début du mois de juin, une presse d’im­primerie clan­des­tine, pro­priété de l’U­nion, ain­si que divers autres usten­siles ayant été dérobés à des véhicules mil­i­taires [[Agence Xin­hua, 15 juin 1989 (SWB, FE/0487, 20 juin 1989, B2/12). Chen Xitong accuse, par exem­ple, l’U­nion autonome d’avoir « cap­turé un poste de radio et un code secret » dans un véhicule mil­i­taire (« Rap­port sur l’écrase­ment de la rébel­lion antigou­verne­men­tale » (30 juin 1989), op. cit., pp. XXII).]]. Le 8 juin, le gou­verne­ment pop­u­laire de la cap­i­tale répand une cir­cu­laire, la cir­cu­laire n° 14, « sur la red­di­tion des dirigeants des “organ­i­sa­tions illé­gales » [doc. n° 25] inti­mant l’or­dre à l’U­nion autonome de s’au­to-dis­soudre et à ses ani­ma­teurs de se livr­er d’eux-mêmes à la police, texte qui sera repris et ampli­fié par une cir­cu­laire du min­istère de la Sécu­rité publique en date du 12 juin, lue à l’an­tenne de Radio Pékin la veille [[Radio Pékin, 11 juin 1989. Le texte inté­gral, traduit en anglais, a été repro­duit dans : SWB, FE/0481, 13 juin 1989, B2/2.]] et insérée dans le Quo­ti­di­en du peu­ple le lende­main. Le 10 juin, Yang Fuqiang, qu’on tient pour un des con­duc­teurs de l’U­nion, est inter­cep­té, et la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine délivre une « Let­tre aux ouvri­ers, employés et cadres syn­di­caux de tout le pays ». Un extrait regarde sans équiv­oque l’U­nion autonome :

Nous mènerons une lutte résolue con­tre la soi-dis­ant « Union autonome » et autres organ­i­sa­tions illé­gales. Elles ont ouverte­ment mis en avant un pro­gramme appelant les ouvri­ers et les com­merçants à se met­tre en grève dans l’in­ten­tion de paral­yser les villes et de ren­vers­er le gou­verne­ment. De cette façon, ils ont par­faite­ment exposé leurs des­seins con­tre-révo­lu­tion­naires. Il est néces­saire de désign­er et de démas­quer les dirigeants réac­tion­naires de ces organ­i­sa­tions illé­gales pour écras­er leur arro­gance et détru­ire leur sin­istre but. [[« Let­ter from the All-Chi­na Fed­er­a­tion of Trade Unions to work­ers, staff mem­bers and trade union cadres trough­out the coun­try » (10 juin 1989), texte trans­mis le 11 juin par l’A­gence Xin­hua, repro­duit dans SWB, FE/0481, 13 juin 1989, B2/3. Voir aus­si le Quo­ti­di­en du peu­ple du 12 juin 1989, p.1]]

Le 14 juin, le bureau de la Sécu­rité publique de Pékin émet un avis de recherche con­tre trois de ses dirigeants, Han Dong­fang, He Lili et Liu Qiang [doc. n° 26], et la télévi­sion cen­trale pro­gramme un film où sont étalées, entre autre imprimés, des cartes d’ad­hérent de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin, ain­si qu’un reportage où l’on exhibe cinq mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion tombés aux mains de la police et qu’on vient de soumet­tre à l’in­ter­roga­toire [[Télévi­sion de Pékin, 14 juin 1989 (SWB, FF./0484, 16 juin 1989, B2/10).]]. Le 14 juin, la radio de Shang­hai prévient ses audi­teurs que les « piquets ouvri­ers spé­ci­aux de la cap­i­tale » ont été décapités et que 16 de leurs activistes sont sous les ver­rous [[Radio Shang­hai, 14 juin 1989 (SWB, FE/0484, 16 juin 1989, 132/13).]], et le Quo­ti­di­en du peu­ple s’at­tarde sur la red­di­tion de respon­s­ables de l’U­nion autonome des étu­di­ants de Pékin et de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin. Le lende­main, on apprend que Liu Qiang, a été cap­turé à Wuchuan, en Mon­golie intérieure, par le ser­vice de la Sécu­rité publique de Hohhot, de même que Liu Huan­wen — débusqué, lui, à Shi­ji­azhuang —, qu’on présente comme un des chefs des « piquets ouvri­ers dépen­dant de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin » [[Agence Xin­hua, 15 juin 1989 (SWB, FE/0485, 17 juin 1989, B2/4).]]. Le 17 juin, la Sécu­rité publique de Pékin pré­cise que cent vingt-huit « rebelles », dont quelques-uns font par­tie de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin, se sont ren­dus [[Agence Xin­hua, 19 juin 1989 (SWB, FFJ0488, 21 juin 1989, B2/10).]].

Les per­sé­cu­tions débor­dent les con­fins de la cap­i­tale. Dans tout le pays, la chas­se aux indépen­dan­tistes est ouverte. Et notam­ment la traque aux assem­blées ouvrières. Car la répres­sion, si elle a eu pour pro­pos de châti­er ceux qui avaient osé se soulever, tout autant que de décourager de nou­velles ten­ta­tions de révolte en abat­tant les courages — Cor­da pavor ster­n­it —, s’ex­plique aus­si par ce mobile [[Sur ce point, voir : A. Pino, « À pro­pos du rôle des ouvri­ers chi­nois dans les événe­ments d’avril-juin 1989 » (entre­tien), Bul­letin des cor­recteurs, CGT, Paris, n°156, novem­bre 1989 ; A. Pino, « Des liens de sang », Revue poli­tique et par­lemen­taire, Paris, n°944, novem­bre-décem­bre 1989.]]. Deng Xiaop­ing ne s’est-t-il pas épanché ain­si devant ses col­lègues du nou­veau comité per­ma­nent du Bureau politique :

Il faut écras­er l’émeute jusqu’au bout. L’oc­ca­sion est belle. Nous pou­vons, d’un coup, inter­dire dans tout le pays les organ­i­sa­tions illé­gales. Et c’est vrai­ment une bonne affaire. [[Deng Xiaop­ing, « les Points impor­tants d’une con­ver­sa­tion entre le cama­rade Deng Xiaop­ing et les cama­rades Yang Shangkun, Wan Li, Jian Zemin, Li Peng, Qiao Shi, Yao Yilin, Song Ping et Li Rui­huan., Zhongyang ribao [quo­ti­di­en cen­tral], Taipei, 14 juil­let 1989. Nous don­nons une tra­duc­tion de ce texte dans ce même numéro, sous le titre : « le Par­ti doit être repris en main ».]]

Dans les tout pre­miers jours de juin, forts des recom­man­da­tions édic­tées par le min­istère de la Sécu­rité publique le 12 juin, les gou­verne­ments pop­u­laires des divers éch­e­lons pro­mulguent leurs pro­pres noti­fi­ca­tions, lesquelles con­clu­ent que les groupe­ments indépen­dants sont illicites, exhor­t­ent les meneurs et leurs troupes à capit­uler, et inci­tent la pop­u­la­tion à la délation.

Les ren­seigne­ments dont on dis­pose provi­en­nent essen­tielle­ment des écoutes radio­phoniques de la BBC. Deux remar­ques. D’une part, ces infor­ma­tions sont néces­saire­ment incom­plètes : elles sont lim­itées dans le temps (les autorités chi­nois­es ayant, assez rapi­de­ment, préféré s’adon­ner à une répres­sion silen­cieuse [[Le 20 juin, la Cour pop­u­laire suprême a émis une note con­cer­nant les procé­dures expédi­tives pour le juge­ment des « con­tre-révo­lu­tion­naires » : « Il est néces­saire de prêter atten­tion à la pub­lic­ité, en sélec­tion­nant affaires prin­ci­pales et exem­plaires et en faisant une large pub­lic­ité au moyen de la radio et de la télévi­sion, des jour­naux ou des autres médias, au bon moment, pour aug­menter le béné­fice social de ces affaires, réprimer et décourager les crim­inels, et inciter les mass­es à com­bat­tre les con­tre-révo­lu­tion­naires et ceux qui se sont ren­dus coupables de crimes graves » (Radio Pékin, 20 juin 1989. La tra­duc­tion anglaise du texte inté­gral fig­ure dans SWB, FE/0489, 22 juin 1989, 132/5).]]) et dans l’e­space (les don­nées con­cer­nent les prin­ci­pales local­ités du pays). Elles n’en témoignent pas moins de l’en­ver­gure du fait auton­o­miste. D’autre part, nous n’avons retenu ici que les infor­ma­tions qui fai­saient directe­ment référence à des alliances ouvrières, à l’ex­clu­sion des coor­di­na­tions étu­di­antes, des ami­cales de citoyens, des céna­cles ou bien encore des par­tis poli­tiques et autres sectes religieuses [[On pour­ra se reporter aux dif­férentes livraisons, cou­vrant cette péri­ode, du bul­letin des écoutes de la BBC : Sum­ma­ry of World Broad­casts (Part 3 : Far East), Lon­dres, ain­si qu’au bul­letin d’in­for­ma­tion du comité des sino­logues pour la démoc­ra­tie en Chine (basé à la Ligue des droits de l’homme), Chronique de la répres­sion en Chine, Paris.]].

Dès le 5 juin, sept adhérents de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Hangzhou sont attrapés [[Cf. Hangzhou ribao [quo­ti­di­en de Hangzhou], 10 juin 1989 (cité par le Quo­ti­di­en du peu­ple, édi­tion d’outre-mer, 13 juin 1989).]]. Le 7 juin, le gou­verne­ment de la ville de Xi’an pro­scrit les « organ­i­sa­tions illé­gales » [[La Sécu­rité publique locale pub­liera le 23 une nou­velle cir­cu­laire à ce pro­pos (texte anglais dans : SWB, FE/0481, 28 juin 1989, B2/5–6 (d’après Radio Xi’an [Shaanxi], 22 juin 1989).]]. Le 9 juin, le gou­verne­ment munic­i­pal de Shang­hai lui emboîte le pas, visant franche­ment l’U­nion autonome des ouvri­ers de Shang­hai (alias Union autonome des syn­di­cats de Shang­hai). Selon la télévi­sion de Shang­hai, neuf mem­bres de l’U­nion seraient gardés par la police. Le lende­main, dans l’après-midi, une cen­taine d’é­tu­di­ants des Uni­ver­sités Fudan et Tongji assiè­gent le local de la Sécu­rité publique de la ville, pour exiger leur libéra­tion, aux cris de : « Ren­dez-nous les dirigeants de nos ouvri­ers ! » [[Radio Pékin, 11 juin 1989 (SWB, FE/0481, 13 juin 1989, B2/12); radio Shang­hai, 12 juin 1989 (SWB, FE/0484, 16 juin 1989, B2/10).]]. Le 10 juin, tou­jours, dix per­son­nes sont écrouées, qu’on devine proches des « piquets ouvri­ers » ou de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Nankin [[Agence Xin­hua, 10 juin 1989 (SWB, FE/0482, 14 juin 1989, B2/8); Radio Pékin, 10 juin 1989 (SWB, FE/0483, 15 juin 1989, B2/10).]]. Enfin, le gou­verne­ment de la ville de Nan­chang adopte un texte con­tre les « organ­i­sa­tions illé­gales » telles que l’U­nion pour la sol­i­dar­ité de Nan­chang [[Radio Nan­chang (Jiangxi), 10 juin 1989 (SWB, FE/0483, 15 juin 1989, B2/14).]]. Le 11 juin, le gou­verne­ment provin­cial de l’An­hui s’aligne à son tour, emprun­tant un ton com­mi­na­toire vis-à-vis de l’As­so­ci­a­tion autonome des ouvri­ers de Hefei, de l’U­nion des ouvri­ers de Hefei ou bien encore de l’As­so­ci­a­tion spon­tanée des ouvri­ers de Hefei [[Radio Hefei (Anhui), 11 juin 1989 (SWB, FE/0482, 14 juin 1989, 132/16); Radio Hefei (Anhui), 14 juin 1989 (SWB, FE/0490, 15 juin 1989, B2/4). La veille, selon Radio Pékin (13 juin 1989) un des dirigeants de l’As­so­ci­a­tion spon­tanée des ouvri­ers de Hefei se serait livré à la police (SWB, FE/0491, 24 juin 1989, B2/7).]]. Le Con­seil syn­di­cal de la munic­i­pal­ité de Hefei, de son côté, dans un accès de zèle, apos­tro­phe les autorités pour qu’elles sus­pendent les activ­ités des alliances ouvrières dis­si­dente [[La tra­duc­tion anglaise de leur appel fig­ure dans : SWB, FE/0482, 14 juin 1989, B2/16.]]. Le 12 juin, le gou­verne­ment de la ville de Chang­sha réper­cute l’é­cho des dis­po­si­tions cen­trales touchant au sort qu’on doit réserv­er aux « organ­i­sa­tions illé­gales » et dénonce, entre autres, l’U­nion autonome des ouvri­ers de Chang­sha [[Radio Chang­sha (Hunan), 12 juin 1989 (SWB, FE/0482, 14 juin 1989, B2/17).]]. Le gou­verne­ment provin­cial du Gan­su égale­ment, la cir­cu­laire émise pour l’oc­ca­sion citant nom­mé­ment l’U­nion autonome des ouvri­ers de Lanzhou [[Radio Lanzhou (Gan­su), 12 juin 1989 (SWB, FE/0482, 14 juin 1989, B2/10).]]. De même que le départe­ment de la Sécu­rité publique du Zhe­jiang (dix jours plus tard, le 22, on relat­era que dix-huit ban­des ont été dis­lo­quées, dont l’U­nion autonome des ouvri­ers de Hangzhou) [[ Zhe­jiang ribao [quo­ti­di­en du Zhe­jiang), 23 juin 1989.]]. À Xi’an, on con­fesse que des têtes de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Xi’an ont été incar­cérées depuis déjà quelque temps [[Radio Xi’an (Shaanxi), 12 juin 1989 (SWB, FE/0482, 14 juin 1989, B2/15).]] (et, le 25 juin, que six mem­bres du Corps des piquets ouvri­ers de Xi’an ont été empoignés [[Radio Xi’an (Shaanxi), 25 juin 1989 (SWB, FE/0494, 28 juin 1989, B2/6).]]). Le 13 juin, un mil­i­tant de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Tian­jin est appréhendé à Yinchuan [[Agence Xin­hua, 13 juin 1989 (SWB, FFJ0485, 17 juin 1989, B2/6).]], et le départe­ment de la Sécu­rité publique de la province du Guizhou fait savoir à la pop­u­la­tion que cer­taines organ­i­sa­tions ont été mis­es hors-la-loi dans un avis où l’on men­tionne une Union autonome des ouvri­ers de Guiyang [[Radio Guiyang (Guizhou), 13 juin 1989 (SWB, FE/0484, 16 juin 1989, B2/18).]]. Le 14 juin, on décou­vre que l’U­nion pro­vi­soire des ouvri­ers de Hohhot (Mon­golie intérieure) a été con­damnée et que quinze de ses par­ti­sans ont été placés en déten­tion préven­tive [[Radio Hohhot (Mon­golie intérieure), 14 juin 1989 ((SWB, FE/0487, 20 juin 1989, B2/20).]]. Le même jour, le Groupe patri­o­tique de sou­tien aux ouvri­ers de Shang­hai est déman­telé, et huit de ses mem­bres empris­on­nés (et quelques autres le lende­main) [[Radio Shang­hai, 14 juin 1989 (SWB, FE/0485,17 juin 1989, B2/5); Télévi­sion de Pékin, 16 juin 1989 (SWB, FE/0486, 19 juin 1989, B2/13).]]. Le 15 juin, c’est la Sécu­rité publique de Jinan qui flétrit les « organ­i­sa­tions illé­gales » : on dévoil­era, ensuite, l’ex­is­tence d’une Union autonome des ouvri­ers de Jinan et d’une Union démoc­ra­tique des ouvri­ers de Jinan, deux groupes qui auraient fini par fusion­ner [[Radio Jinan (Shan­dong), 15 juin 1989 (SWB, FE/0485, 17 juin 1989, B2/4–5).]]. Le gou­verne­ment de la ville de Wuhan enjoint les « meneurs » et les « crim­inels » à s’avouer vain­cus : « Les syn­di­cats autonomes mis sur pied dans cer­taines usines de Wuhan sont des organ­i­sa­tions illé­gales qui n’ont fait l’ob­jet d’au­cun enreg­istrement et qu’on doit déman­tel­er sur le champ. » [[Radio Wuhan (Hebei), 17 juin 1989 (SWB, FE/0487, 20 juin 1989, B2/11).]]. Le 21 juin, le bureau de la Sécu­rité publique de Shang­hai fait savoir que cent vingt-six indi­vidus se sont livrés d’eux-mêmes depuis le 15, par­mi lesquels des mil­i­tants de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Shang­hai [[Radio Shang­hai, 21 juin 1989, (SWB, FE/0494, 28 juin 1989, B2/7).]].

Le 28 mai, la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine, abon­dant sans réserve dans le sens des « dis­cours impor­tants des cama­rades Li Peng et Yang Shangkun », con­vie ses troupes à « rejoin­dre les larges mass­es étu­di­antes qui s’op­posent résol­u­ment aux activ­ités d’une poignée d’ag­i­ta­teurs qui poussent sci­em­ment les ouvri­ers à la grève et à provo­quer l’ag­i­ta­tion » [[Agence Xin­hua, 28 mai 1989 (SWB, FE/0469, 30 mai 1989, B2/6).]].

Société, tout est rétabli…

Les autorités chi­nois­es vont immé­di­ate­ment insis­ter sur les réper­cus­sions économiques des événe­ments sur­venus au cours des semaines précé­dentes. Chen Xitong, après avoir chiffré le coût de la « rébel­lion » pro­pre­ment dite — si l’on peut s’ex­primer ain­si —, éval­uera à 1,3 mil­liards de yuans le mon­tant des pertes subies par la pro­duc­tion [[Cf. Bei­jing infor­ma­tion, Pékin, n°28, 10 juil­let 1989, p. 7.]].

On engage, con­séquem­ment, les tra­vailleurs à retrouss­er leurs manch­es pour récupér­er le temps per­du. Le 9 juin, la radio de Pékin col­porte une « Annonce du Con­seil des affaires d’É­tat pour met­tre résol­u­ment un terme au trou­ble de l’or­dre économique et pour assur­er une pro­duc­tion indus­trielle nor­male » [[Radio Pékin, 9 juin 1989 (SWB, FE/0480, 12 juin 1989, B2/11–12).]]. Le rôle pro­duc­tiviste des syn­di­cats y est entériné et l’on remâche l’homélie ordinaire :

Nul n’est autorisé, sous aucun pré­texte, à assiéger les usines, les mines ou les entre­pris­es, à trou­bler la cir­cu­la­tion et à faire cess­er le tra­vail aux ouvri­ers. La petite poignée de mau­vais élé­ments qui inci­tent les autres à sabot­er le tra­vail de pro­duc­tion seront totale­ment démasqués et punis con­for­mé­ment à la loi.

Les départe­ments de la Sécu­rité publique et de la police armée de toutes les local­ités ren­forceront la pro­tec­tion des entre­pris­es impor­tantes. Elles emploieront assez de force pour aider les entre­pris­es de pro­duc­tion à main­tenir la sécu­rité et l’or­dre. La petite poignée de mau­vais élé­ments qui sabo­tent le tra­vail de pro­duc­tion seront dure­ment frap­pés. Nous ne devons pas faire preuve de faib­lesse vis-à-vis d’eux.

Le classe ouvrière est la force prin­ci­pale de la pro­duc­tion indus­trielle. Par con­séquent, les ouvri­ers doivent faire peuve de maîtrise, sur­mon­ter les dif­fi­cultés, se tenir fer­me­ment à leurs postes et assur­er un bon tra­vail de pro­duc­tion. Tous les dis­cours et toutes les activ­ités col­lu­soires des­tinées à trou­bler l’or­dre pro­duc­tif doivent être résol­u­ment cri­tiqués, blâmés et on doit y meure fin. Si néces­saire, les usines peu­vent met­tre sur pied des équipes de pro­tec­tion de l’u­sine pour pro­téger les fruits du labeur des usines et des ouvri­ers, et pour main­tenir l’or­dre nor­mal de la production.

Le 10 juin, pour stim­uler l’ardeur de ceux qui tirent pré­texte de la sit­u­a­tion pour s’ab­sen­ter de leur poste [[Agence Xin­hua, 10 juin 1989 (SWB, FF./0480, 12 juin 1989, B2/12).]], un mes­sage offi­ciel indique que les trans­ports ont été restau­rés dans la cap­i­tale et que désor­mais 97% de la main-d’œu­vre des prin­ci­paux étab­lisse­ments de la cap­i­tale est à même de gag­n­er, sans peine, son lieu de tra­vail. À la date du 20 juin, neuf cents entre­pris­es péki­nois­es issues de seize com­pag­nies indus­trielles générales auraient retrou­vé leur rythme de pro­duc­tion habituel [[Radio Pékin, 23 juin 1989 (SWB, FE/0497, 1er juil­let 1989, B2/8).]].

Le 17 juil­let, une dépêche de l’A­gence Xin­hua tombe. Les lieux com­muns de la pro­pa­gande des années 50 suin­tent de toutes parts : « De nom­breux ouvri­ers de la cap­i­tale ont renon­cé à leurs con­gés et ont offert volon­taire­ment d’ac­com­plir des heures sup­plé­men­taires pour rat­trap­er les pertes entraînées par la rébel­lion con­tre-révo­lu­tion­naire du début du mois de juin » [[Radio Pékin, 17 juil­let 1989 (SWB, FE/0512, 19 juil­let 1989, B2/5).]].

À la troisième ses­sion élargie de sa XIe com­mis­sion exéc­u­tive, qui s’ou­vre le 26 juil­let, la Fédéra­tion des syn­di­cats de Chine invite les ouvri­ers de la nation à se mobilis­er dans une cam­pagne de « dou­ble aug­men­ta­tion, dou­ble économie » [shuang zeng shuang jie] [[« Mobilis­er les ouvri­ers et les employés pour l’ap­pro­fondisse­ment et le développe­ment de la “dou­ble aug­men­ta­tion, dou­ble économie », Quo­ti­di­en du peu­ple, Pékin, 29 juil­let 1989. Le slo­gan « Shuang zeng shuang jie » est la con­trac­tion de « zeng chan zeng shou ; jie neng jie zhi [aug­menter la pro­duc­tion, aug­menter le revenu ; économiser l’én­ergie, restrein­dre les dépenses].]]

[|* * * *|]

Les autorités chi­nois­es se sont hâtées, fébrile­ment, de relever le château de cartes de l’ortho­dox­ie. Tan­dis que l’on cou­vrait d’hon­neurs ou que l’on pavoi­sait de rubans la meute qui a eu rai­son des insurgés de la place Tian’an­men et de leurs organes autonomes, les censeurs omni­scients du régime lâchaient la bonde à leur log­or­rhée. Mais ceux que l’idéolo­gie a pour charge de con­va­in­cre se sont mithri­datisés con­tre elle. L’ad­hé­sion réclamée au dis­cours du pou­voir ne repose plus que sur la force des canons, or les canons ne réus­siront à abolir ni le sou­venir de l’événe­ment — ce moment où furent expéri­men­tées d’o­rig­i­nales rela­tions interindi­vidu­elles — ni sa sig­ni­fi­ca­tion. Qui s’imag­in­erait qu’on puisse goûter impuné­ment, fût-ce du bout des lèvres, à la lib­erté ? Dans ces con­di­tions, bien téméraire qui s’aven­tur­erait à cer­ti­fi­er que les ouvri­ers chi­nois accepteront encore longtemps de fein­dre l’abrutissement.

Angel Pino

Documents

Quelques-uns des doc­u­ments de l’U­nion des ouvri­ers de Pékin ou de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin, dont on trou­vera ici une tra­duc­tion réal­isée directe­ment du chi­nois, ont été repro­duits dans la presse de Hong Kong ou de Tai­wan. À notre con­nais­sance, la com­pi­la­tion la plus impor­tante — mais non exhaus­tive — a été réal­isée par la revue d’obé­di­ence trot­skyste, pub­liée à Hong Kong, Shiyue pinglun [cri­tique d’oc­to­bre]. Ce sont les ver­sions don­nées par cette revue que nous avons util­isées. Les doc­u­ments n° 1, 2, 4 à 10, 22 et 23 provi­en­nent de : Zhong­guo minyun yuan zil­iao jingx­u­an [choix de doc­u­ments orig­in­aux relat­ifs au mou­ve­ment démoc­ra­tique chi­nois], vol. 1, Shiyue pinglun chuban­she, Hong Kong, 25 juin 1989. Les doc­u­ments n° 3, 11 à 16, et 18 à 21, provi­en­nent de : Zhong­guo minyun yuan zil­iao jingx­u­an [choix de doc­u­ments orig­in­aux relat­ifs au mou­ve­ment démoc­ra­tique chi­nois], vol. 2, Shiyue pinglun chuban­she, Hong Kong, novem­bre 1989. Le doc­u­ment n° 17 est tiré de Tian’an­men yi jiu ba jiu [Tian’an­men, 1989], ouvrage com­pilé par la rédac­tion du Lian­he bao [jour­nal union], Lian­jing, Taipei, août 1989. Le doc. n° 24 a paru dans le jour­nal péki­nois Bei­jing ribao [quo­ti­di­en de Pékin] en date du 2 juin 1989. Enfin, les doc­u­ments n° 25 et n° 26 ont été traduits de l’anglais, d’après le texte pro­posé par le bul­letin des écoutes radio­phoniques de la BBC, Sum­ma­ry of World Broad­casts (Part 3 : Far East), Lon­dres : le pre­mier a été lu à l’an­tenne de Radio Pékin le 8 juin 1989 (FE/0479, 10 juin 1989), le sec­ond a été dif­fusé par l’A­gence Chine nou­velle le 14 juin 1989 (FE/0484, 16 juin 1989). À l’ex­cep­tion des trois derniers doc­u­ments, tous les autres sont présen­tés dans l’or­dre chronologique, qu’il s’agisse de la date de rédac­tion ou de celle de la dif­fu­sion. Les notes ont été placées à la fin de cha­cun des textes.

A. P

1. Adresse au peuple de toute la ville

Main­tenant, le peu­ple de tout le pays se trou­ve dans une sit­u­a­tion intolérable. Après de longues années d’un gou­verne­ment dic­ta­to­r­i­al et bureau­cra­tique, l’in­fla­tion échappe à tout con­trôle et le niveau de vie du peu­ple est en chute libre. Parce qu’une minorité de gou­ver­nants veu­lent con­tin­uer à jeter l’ar­gent par les fenêtres, ils ont émis en grande quan­tité toutes sortes d’emprunts, comme les bons du tré­sors ou les bons financiers, s’ap­pro­pri­ant ain­si le peu d’ar­gent qui reste au peu­ple. Nous appelons le peu­ple de tous les milieux à s’u­nir et à com­bat­tre pour la vérité et l’avenir du pays et du peuple.

Frères policiers ! Frères sol­dats ! De grâce, rangez-vous aux côtés du peu­ple, rangez-vous du côté de la vérité. Ne soyez pas les instru­ments des enne­mis du peu­ple. Vous aus­si êtes les vic­times de l’ex­ploita­tion et de l’op­pres­sion. Les bour­reaux qui ont réprimé le peu­ple lors du « mou­ve­ment du 5 avril » [[5 avril 1976]] et de l’«Incident sanglant du 20 avril » [[Il s’ag­it du 20 avril 1989 et on se réfère ici à l’échauf­fourée sur­v­enue devant Xin­hua­men [la porte de la Chine nou­velle], à Zhong­nan­hai, et qui aurait fait une cen­taine de vic­times par­mi les étu­di­ants.]], le peu­ple n’ou­bliera jamais de leur deman­der des comptes.

Nous le récla­m­ons solen­nelle­ment : aug­mentez les salaires, sta­bilisez les prix, ren­dez pub­lic le mon­tant des revenus et des dépens­es des offi­ciels du gou­verne­ment et de leur famille. Nous, la classe ouvrière de Pékin, et les citadins de tous les milieux, nous soutenons les étu­di­ants dans leur juste combat.

20 avril 1989,

Union des ouvri­ers de Pékin.

2. Dix questions

Le Comité cen­tral du Par­ti serait bien aimable de répon­dre aux ques­tions suivantes :

  1. Com­bi­en d’ar­gent Deng Pufang [[Il s’ag­it du fils de Deng Xiaop­ing]], a‑t-il dépen­sé sur les champs de cours­es de Hong Kong ? D’où venait cet argent ?
  1. M. et Mme Zhao Ziyang jouent au golf chaque semaine. Payent-ils quelque chose pour cela ? D’où vient l’ar­gent pour ces dépenses ?
  1. Quelle éval­u­a­tion le Comité cen­tral donne-t-il de la réforme de cette dernière péri­ode ? Durant la Fête du print­emps, lors de la céré­monie des vœux, le pre­mier min­istre Li Peng a avoué que des erreurs avaient été com­mis­es dans le proces­sus de la réforme actuelle. De quelles erreurs s’ag­it-il ? Quelle réponse doit être apportée à la sit­u­a­tion réelle ?
  1. Bien que le Comité cen­tral ait annon­cé un train de mesures — le con­trôle de l’in­fla­tion et le con­trôle des prix —, la réal­ité est que l’in­fla­tion con­tin­ue et que le niveau de vie du peu­ple est en chute libre. Com­ment expliquez-vous cela ?
  1. À compter de l’an prochain, la Chine doit rem­bours­er sa dette extérieure. Si on con­sid­ère l’ensem­ble du peu­ple, à com­bi­en s’élève la part de cha­cun ? Cela aura-t-il une inci­dence sur le niveau de vie élé­men­taire du peu­ple ? Veuillez répon­dre, s’il vous plaît.
  1. Deng Xiaop­ing a sug­géré d’amélior­er le statut des intel­lectuels, depuis le neu­vième rang jusqu’au plus haut rang. Dites-nous ce que cela va chang­er dans la con­di­tion des intel­lectuels qui sont au plus haut rang ? Sont-ce des pro­prié­taires fonciers ou des pères de pro­prié­taires fonciers ? Veuillez répon­dre, s’il vous plaît.
  1. Com­bi­en de rési­dences, et autres vil­las, les dirigeants du Comité cen­tral du Par­ti pos­sè­dent-ils sur l’ensem­ble du ter­ri­toire ? À com­bi­en s’élève le mon­tant de leurs dépens­es ? Peu­vent-ils le ren­dre pub­lic ? Veuillez répon­dre, s’il vous plaît.
  1. Ren­dez pub­lic le revenu per­son­nel des dirigeants du Comité cen­tral du Par­ti et l’é­tat de leurs dépenses.
  1. S’agis­sant des trois con­di­tions préal­ables à des pour­par­lers paci­fiques posées par les autorités de Tai­wan, quelle est la réponse du Comité central ?
  1. Quelle sig­ni­fi­ca­tion et quel con­tenu le Comité cen­tral du Par­ti attache-t-il exacte­ment aux trois ter­mes qui suiv­ent, veuillez répon­dre s’il vous plaît : 1) « Par­tis» ; 2) « Révo­lu­tion» ; 3) « Réaction ».

À ces dix ques­tions, que le Comité cen­tral ait l’oblig­eance de répon­dre rapi­de­ment par voie de presse. 

20 avril 1989,

Union des ouvri­ers de Pékin

3. Adresse aux ouvriers de tout le pays

Union Autonome des Ouvriers de la Capitale

Ouvri­ers de tout le pays :

Le mou­ve­ment étu­di­ant démoc­ra­tique et patri­ote a gag­né en ampleur jusqu’à devenir un mou­ve­ment de tout le peu­ple auquel l’ensem­ble du peu­ple par­ticipe et qui con­cerne étroite­ment l’avenir et le des­tin de tout le peu­ple chi­nois. D’ores et déjà, il se présente comme une ten­dance his­torique néces­saire que rien ne peut arrêter. Nous, les ouvri­ers de Pékin, nous nous tenons courageuse­ment en pre­mière ligne pour con­quérir la démoc­ra­tie et les droits du peu­ple, impa­vides face à la mort comme l’ont été de tout temps les Chinois.

Quar­ante années, ou, si l’on préfère, quelques mil­lé­naires, passés sous le joug du despo­tisme féo­dal, ont dépouil­lé, avec une bar­barie impi­toy­able, les Chi­nois des droits de l’homme et de la dig­nité humaine. Dans leur esprit, l’ensem­ble des droits et la dig­nité humaine seraient des biens réservés exclu­sive­ment aux empereurs, que le peu­ple n’a que le droit de qué­man­der et qu’il ne saurait en aucune façon con­quérir de haute lutte. À la lim­ite, même le droit de qué­man­der leur est refusé, quant à ceux qui enten­dent les con­quérir de haute lutte on leur coupe la tête et on exter­mine leur famille. Tout cela est à l’o­rig­ine de l’in­croy­able cli­mat de ter­reur dans lequel les Chi­nois vivent aujourd’hui.

Mais, aujour­d’hui, bien que, éclairés par le mou­ve­ment des étu­di­ants, nous ayons com­pris que nous pou­vions jouir, nous aus­si, des droits de l’homme et de la dig­nité humaine, nous restons soumis au strict con­trôle de la poli­tique de répres­sion sévère, et les tyrans utilisent pour nous intimider, nous les ouvri­ers, des procédés abjects tels que les licen­ciements admin­is­trat­ifs ou les sanc­tions économiques. Les gens savent que leurs droits et leur dig­nité humaine sont bafoués par les tyrans, et pour­tant ils n’osent ni élever la voix ni s’op­pos­er à cela. Voilà qui mon­tre à quel degré de cru­auté la destruc­tion de la nature humaine opérée par le pou­voir des tyrans est parvenue.

Ah ! Chi­nois, toi ce peu­ple si digne d’amour et de com­pas­sion, on t’a ridi­culisé durant plusieurs mil­lé­naires et on con­tin­ue de te ridi­culis­er encore à présent. Non, nous devons nous mon­tr­er encore plus grands et encore plus […] [[Mot illis­i­ble]], et il faut restituer à notre peu­ple son vis­age originel !

Frères ouvri­ers, s’il était dit que cette humil­i­a­tion infligée au peu­ple devait pour­suiv­re notre généra­tion jusqu’au XXIe siè­cle, alors mieux vaudrait que nous mou­ri­ons en com­bat­tant au XXe siècle !

Frères ouvri­ers, la poli­tique du plus fort n’a rien de ter­ri­ble, ce qui est ter­ri­ble c’est le soulève­ment général con­tre cette poli­tique ! Les principes poli­tiques de la répres­sion sont encore moins ter­ri­bles, ce qui est ter­ri­ble c’est la grande explo­sion qui va faire sauter ces principes !

Nous en appelons aux Chi­nois qui se sont déjà réveil­lés. À aucun prix il ne faut s’en­dormir une nou­velle fois !

Frères ouvri­ers, le peu­ple entier ne doit for­mer qu’un seul cœur. Au prix d’une souf­france immense — mais qui ne dur­era qu’un temps, peut-être le temps d’une généra­tion, la nôtre —, nous allons faire en sorte que la généra­tion suiv­ante puisse libre­ment respir­er l’air pur de la démoc­ra­tie, et jouir des droits de l’homme et de la dig­nité humaine à l’in­star des autres hommes.

Le peu­ple con­stitue la majorité et les tyrans ne sont qu’une « petite poignée ». Si nous, les ouvri­ers, nous nous dres­sons et si nous allons de l’a­vant, la pous­sière que nous soulèverons suf­fi­ra à envoy­er la tyran­nie en enfer !

Union autonome des ouvri­ers de Pékin. [Dis­tribué au milieu du mois de mai]

4. Adresse aux compatriotes de tout le pays

Union Autonome des Ouvriers de la Capitale

La cor­rup­tion man­dari­nale a atteint son parox­ysme ! La tyran­nie man­dari­nale a atteint son parox­ysme ! Dans un con­ti­nent aus­si vaste, il n’y a même plus de place pour la vérité ! Aucune force réac­tion­naire ne saurait faire obsta­cle au courant de la colère du peu­ple de tout le pays. Le peu­ple ne croira plus les men­songes des autorités parce que nous avons inscrit sur notre ban­nière : sci­ence, démoc­ra­tie, lib­erté, droits de l’homme, légalité !

Nous, l’U­nion des ouvri­ers de Pékin, dans le but de sauve­g­arder les intérêts des ouvri­ers, nous nous sommes formelle­ment con­sti­tués à Pékin, le 21 avril 1989. Le jour même, nous avons pub­lié deux textes : « Adresse au peu­ple de toute la ville » et « Dix ques­tions » [[Voir les doc­u­ments n° 1 et 2]] que l’édi­to­r­i­al du « 26 avril » a salis en les qual­i­fi­ant de réac­tion­naires. Nous vous le deman­dons : puisque vous n’avez pas répon­du publique­ment à nos dix ques­tions par voie de presse, alors pub­liez nos deux textes inté­grale­ment dans votre jour­nal. À moins que vous n’ayez même pas ce courage ? N’avez-vous pas scan­dé, quar­ante ans durant, ce slo­gan : « nous croyons dans les larges mass­es » ? Nous exi­geons solen­nelle­ment que l’édi­to­r­i­al du « 26 avril » soit rad­i­cale­ment nié et que celui qui a con­coc­té l’ar­ti­cle, et ceux qui se dis­simu­lent der­rière lui, soient sévère­ment punis !

Nous avons sérieuse­ment dressé le bilan de l’ex­ploita­tion dont sont vic­times les ouvri­ers. S’agis­sant des tech­niques de l’ex­ploita­tion, le Cap­i­tal de Marx nous offre une méth­ode d’analyse. Nous avons déduit de la valeur totale de la pro­duc­tion le salaire des ouvri­ers, le bien-être, le fonds social pour les soins médi­caux et les besoins, les dépens­es des­tinées à la repro­duc­tion élargie et à l’amor­tisse­ment des équipements. Nous avons décou­vert avec éton­nement que les « servi­teurs du peu­ple » s’é­taient appro­priés indû­ment la plus-val­ue totale créée par la sueur et le sang du peu­ple ! L’ex­ploita­tion a atteint des pro­por­tions sans précé­dent ! Elle est cru­elle ! Elle est aux « couleurs de la Chine » ! Les « servi­teurs » du peu­ple usent du sang et de la sueur du peu­ple pour se faire con­stru­ire de somptueuses vil­las partout dans le pays (ils utilisent l’ar­mée pour les faire garder : ils appel­lent cela des zones mil­i­taires!), pour s’of­frir de somptueuses auto­mo­biles étrangères, et pour faire du tourisme à l’é­tranger (ils appel­lent cela des voy­ages d’é­tudes ; leurs enfants sont de la par­tie, par­fois même la nurse ! Les fonc­tion­naires du sexe mas­culin s’of­frent de jolies filles, les fonc­tion­naires du sexe féminin se payent des « gigo­los»…). Les scan­dales dans lesquels ils se trou­vent impliqués et leurs crimes sont trop nom­breux pour qu’on les énumère !

Sur la ques­tion de savoir « com­ment attir­er les cap­i­taux étrangers », l’opin­ion du cama­rade Fang Lizhi, selon laque­lle on doit pren­dre en con­sid­éra­tion les intérêts de la nation et de la pop­u­la­tion, est cor­recte. Nous y adhérons et nous la soutenons parce que ces « cap­i­taux étrangers », voilà des années qu’ils se trans­for­ment « légale­ment » en richess­es indi­vidu­elles par l’ef­fet de la « cor­rup­tion man­dari­nale ». Et qui fait les frais de l’opéra­tion, le pays. Et qui en prof­ite, une « petite poignée ». Et qui rem­bourse les dettes, le large peuple.

Nous nous opposons à la pour­suite de cet acte sauvage de vio­la­tion des droits de l’homme qui con­siste à nous forcer à acheter des bons du tré­sor. Nous exi­geons qu’on nous informe sur l’é­tat des recettes et des dépens­es (y com­pris leur emploi) afférentes aux bons du tré­sor émis au cours de ces dernières années, qu’on verse immé­di­ate­ment les cap­i­taux et les intérêts des bons du tré­sor détenus actuelle­ment par le peu­ple, et que par la même occa­sion on ferme le marché des bons du tré­sor — lequel est un grand marché pour le com­merce man­dari­nal, une grande source finan­cière pour la « cor­rup­tion man­dari­nale » ! Nous le réaf­fir­mons : aug­menter les salaires et sta­bilis­er l’in­fla­tion. Il faut met­tre fin à cette sit­u­a­tion où vieux et jeunes, représen­tant deux généra­tions (voire trois), perçoivent un salaire ana­logue. Nous exi­geons qu’une enquête soit effec­tuée sur les mem­bres et les chefs du Comité cen­tral du Par­ti com­mu­niste, de la Com­mis­sion cen­trale des con­seillers, des min­istères et des com­mis­sions dépen­dant du Con­seil des affaires d’É­tat, et de la Com­mis­sion mil­i­taire du Comité central.

Les pre­mières enquêtes, à pro­pos de leur con­som­ma­tion et de leurs vil­las, doivent porter sur : Deng Xiaop­ing, Zhao Ziyang, Li Peng, Chen Yun, Li Xiann­ian, Yang Shangkun, Peng Zhen, Wan Li, Jiang Zemin, Ye Xuan­ping et leur par­en­tèle. Il faut pos­er sur le champ des scel­lés sur la total­ité de leurs biens. Les enquêtes devront être menées par une « Com­mis­sion pop­u­laire nationale », élue au suf­frage uni­versel, qui ren­dra compte immé­di­ate­ment du résul­tat de ses inves­ti­ga­tions au peuple.

Les étu­di­ants sont adultes ! L’or­dre révo­lu­tion­naire par­fait que respectent plusieurs mil­lions de gens sur la place Tian’an­men en apporte la preuve ! Le peu­ple s’est réveil­lé ! Il a com­pris que quelle que soit la société, quelle que soit la phase his­torique, il n’ex­is­tait que deux class­es, à savoir : la classe des dom­i­nants et celle des dom­inés. Les class­es, les par­tis, les organ­i­sa­tions et les indi­vidus qui vont dans le sens de l’His­toire, sont pro­gres­sistes et révo­lu­tion­naires ; ceux qui vont dans l’autre sens, sont rétro­grades et réac­tion­naires. C’est la rai­son pour laque­lle, dans une « société du gou­verne­ment par les hommes » [[Tra­di­tion­nelle­ment — ce qu’on impute générale­ment à la seule doc­trine con­fucéenne —, le sou­verain gou­verne le peu­ple par son influ­ence per­son­nelle. Il doit donc témoign­er d’une haute ver­tu et d’une con­duite indi­vidu­elle irréprochable.]], telle qu’elle pré­vaut depuis l’empereur des Qin, les Chi­nois adorent, récla­ment, exal­tent, et gar­dent la nos­tal­gie du « fonc­tion­naire intè­gre ». Les mou­ve­ments poli­tiques lancés au cours de ces quar­ante ans sont un procédé poli­tique des­tiné à opprimer le peu­ple. L’his­toire prou­ve qu’ils sont habiles pour « régler les comptes après la mois­son d’au­tomne » [[ Qiu hou suan zhang. L’ex­pres­sion est aujour­d’hui employée dans ce sens : atten­dre le moment favor­able pour déclencher une con­tre-offen­sive.]], mais les faits his­toriques, en fin de compte, ne se lais­sent pas falsifier.

À présent, nous allons par­ti­c­ulière­ment veiller à ce que ces politi­ciens ambitieux qui se trou­vent à l’in­térieur du Par­ti com­mu­niste chi­nois ne prof­i­tent pas de ce mou­ve­ment démoc­ra­tique pour usurp­er le pou­voir et mon­ter sur scène. Deng Xiaop­ing a prof­ité du mou­ve­ment pop­u­laire du « 5 avril » et, une fois revenu sur scène, les mobiles crim­inels qui l’an­i­maient ont éclaté au grand jour. Le « suc­cès des réformes » autour duquel ils bat­tent le tam­bour est une baliv­erne et un leurre. La vraie réal­ité, c’est que le niveau de vie du plus grand nom­bre est en chute libre, que les emprunts à l’é­tranger ne cessent de s’ac­cu­muler, et qu’on attend le peu­ple pour rem­bours­er la dette.

Cama­rades ouvri­ers, vous qui êtes si nom­breux, unis­sez-vous étroite­ment autour de l’U­nion des ouvri­ers, placez-vous sous la direc­tion de l’U­nion des ouvri­ers de la munic­i­pal­ité : ain­si, l’actuel mou­ve­ment démoc­ra­tique attein­dra une apogée nou­velle. Notre Union organ­is­era, devant Tian’an­men, le 22 mai à 14 heures, une grande man­i­fes­ta­tion qui réu­ni­ra tous les ouvri­ers de la munic­i­pal­ité. Nous revendi­querons paci­fique­ment en sou­tien au mou­ve­ment étu­di­ant. Le mot d’or­dre de la marche sera : « Sur un con­ti­nent aus­si vaste, il n’y a plus de place pour la verité ! »

17 mai 1989, Union des ouvri­ers de la munic­i­pal­ité de Pékin.

5. Déclaration des ouvriers de la capitale

Commission préparatoire de l’Union Autonome des Ouvriers de Pékin

Nous esti­mons que depuis le mois d’avril, le mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote des étu­di­ant s’est dévelop­pé jusqu’à devenir le mou­ve­ment patri­ote de tout le peu­ple auquel sont liés, pour le meilleur et pour la pire, les intérêts de notre classe ouvrière.

Nous esti­mons que, dans l’in­térêt de toute la nation, les étu­di­ants ont d’ores et déjà fait tout ce qu’ils pou­vaient faire et que les étu­di­ants qui font la grève de la faim sont en danger.

Pour sauver la vie de plusieurs mil­liers d’é­tu­di­ants, dans l’in­térêt de notre classe ouvrière et pour l’es­sor de la nation chi­noise, nous déclarons formelle­ment ce qui suit :

Le Comité cen­tral du Par­ti et le Con­seil des affaires d’É­tat doivent accepter dans les vingt-qua­tre heures, et sans con­di­tion, les deux exi­gences des étu­di­ants qui font la grève de la faim [[Ces deux reven­di­ca­tions étaient : 1) la réha­bil­i­ta­tion du mou­ve­ment étu­di­ant et la dénon­ci­a­tion de l’édi­to­r­i­al du Quo­ti­di­en du peu­ple paru le 26 avril ; 2) l’ou­ver­ture rapi­de d’un dia­logue retrans­mis en direct à la télévi­sion.]]. Sinon, à compter du 20 mai à midi, nous, tous les ouvri­ers de la ville, nous entamerons une grève générale de vingt-qua­tre heures. Et suiv­ant la tour­nure que pren­dront les événe­ments, nous déciderons de la suite à don­ner à notre action.

Par la même occa­sion, nous déclarons devant les ouvri­ers de tout le pays : les ouvri­ers de Pékin ont com­mencé à s’organiser !

19 mai 1989, Union autonome des ouvri­ers de Pékin, Com­mis­sion préparatoire.

6. Avis n°1

Commission préparatoire de l’Union Autonome des Ouvriers de la Capitale

L’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin est une organ­i­sa­tion spon­tanée pro­vi­soire créée par les ouvri­ers de la cap­i­tale dans une péri­ode excep­tion­nelle. Ses objec­tifs sont les suiv­ants : lut­ter pour la démoc­ra­tie, s’op­pos­er à la dic­tature, soutenir et pro­téger les étu­di­ants qui font la grève de la faim, et accélér­er le proces­sus de démoc­ra­ti­sa­tion du pays aux côtés des étu­di­ants et du peu­ple de tous les milieux. Nous appelons :

  1. à une grève générale des employés de tous les secteurs de Pékin, le 20 mai, à compter de midi, (excep­tion faite des secteurs d’ap­pro­vi­sion­nement en élec­tric­ité, en gaz et en eau, ain­si que des postes et télé­com­mu­ni­ca­tions), et ce jusqu’à ce que les troupes trans­férées à Pékin se soient retirées de la ville ;
  2. à s’op­pos­er fer­me­ment à l’en­trée des troupes dans la ville, à défendre les acquis du mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie, à main­tenir la dis­ci­pline qui règne pour l’heure place Tian’an­men, à blo­quer toutes les artères prin­ci­pales qui con­duisent à la ville et toutes les bouch­es de métro en util­isant pour ce faire tous les véhicules des dif­férentes unités de tra­vail, à soutenir le fonc­tion­nement nor­mal de la radio cen­trale et de la télévision ;
  3. à l’u­nion de tous les citoyens pour propager la vérité par­mi la masse des sol­dats et des officiers qui sont sta­tion­nés à Pékin.

20 mai 1989.

7. Avis

Union Autonome des ouvriers de Pékin

Cet après-midi, le comité per­ma­nent de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin a con­vo­qué une réu­nion extra­or­di­naire des­tinée à pré­cis­er les tâch­es qui nous incombent dans ce con­texte. Dans le con­texte actuel, les mem­bres du comité per­ma­nent ont par­fait l’équipe dirigeante. Ils ont établi un groupe de direc­tion, mis sur pied un secré­tari­at, un bureau à la pro­pa­gande, un ser­vice d’in­ten­dance et un bureau de liaison.

  1. L’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin est une organ­i­sa­tion spon­tanée d’ou­vri­ers de la cap­i­tale adap­tée à la sit­u­a­tion. Son but, sur la voie de la démoc­ra­tie et de la légal­ité, con­siste à diriger cor­recte­ment ce mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote. Elle invite chaleureuse­ment tous les ouvri­ers de la cap­i­tale et tous les syn­di­cats des usines, des mines et autres unités de tra­vail, à adhér­er active­ment à notre organ­i­sa­tion syndicale.
  2. Face à la sit­u­a­tion présente, au cours de la réu­nion, il a notam­ment arrêté les déci­sions suivantes :
  1. la tâche actuelle des équipes de piquets ouvri­ers con­siste, en étroite col­lab­o­ra­tion avec l’U­nion autonome des étu­di­ants, à assur­er la pro­tec­tion de la vie des étu­di­ants et à main­tenir la sta­bil­ité de l’or­dre pub­lic à Pékin ;
  2. en plus de main­tenir l’or­dre pub­lic, les équipes de piquets ouvri­ers doivent garan­tir l’a­chem­ine­ment de toutes les ressources de Pékin et des pro­duits néces­saires à la vie courante des citadins, tels que les légumes ou les céréales, ain­si que l’a­chem­ine­ment de tous les pro­duits de pre­mière nécessité.

Pour infor­ma­tion.

21 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de Pékin,

comité per­ma­nent,

Le comité au complet.

8. Programme préparatoire de l’Union Autonome des Ouvriers de la Capitale

Depuis la mi-avril, au sein du mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote de tout le peu­ple, à la tête duquel se trou­vent les étu­di­ants, la majorité des ouvri­ers chi­nois ont man­i­festé l’ar­dent désir démoc­ra­tique de par­ticiper à la vie poli­tique. Dans le même temps, ils ont réal­isé qu’il n’ex­is­tait pas encore d’or­gan­i­sa­tion à même de représen­ter véri­ta­ble­ment les aspi­ra­tions des ouvri­ers. Dans ces cir­con­stances, nous esti­mons qu’il est néces­saire de fonder une organ­i­sa­tion autonome qui puisse par­ler et agir au nom des ouvri­ers. À cette fin, nous pré­parons l’or­gan­i­sa­tion de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale et nous pro­posons un pro­gramme préparatoire.

  1. Cette organ­i­sa­tion autonome et totale­ment indépen­dante doit être fondée suiv­ant des modal­ités démoc­ra­tiques, et les ouvri­ers doivent y adhér­er volon­taire­ment. Elle ne doit subir le con­trôle d’au­cune autre organ­i­sa­tion et doit entretenir des rap­ports d’é­gal à égal avec les autres organ­i­sa­tions de masse.
  2. L’ob­jec­tif fon­da­men­tal de cette organ­i­sa­tion doit être, en se fon­dant sur la volon­té de la majorité des ouvri­ers, d’ex­primer leurs idées économiques et poli­tiques. Elle ne doit pas se con­tenter d’être une organ­i­sa­tion de bien-être.
  3. Cette organ­i­sa­tion doit avoir une fonc­tion de sur­veil­lance du Par­ti com­mu­niste chinois.
  4. Cette organ­i­sa­tion a le droit d’user de tous les moyens légaux et appro­priés pour sur­veiller les représen­tants des per­son­nes juridiques que sont les entre­pris­es pro­priété du peu­ple entier ou les entre­pris­es pro­priété col­lec­tive, cela afin de garan­tir que les ouvri­ers sont les maîtres véri­ta­bles de ces entre­pris­es ; pour les autres entre­pris­es, par la négo­ci­a­tion avec les chefs d’en­tre­prise ou par d’autres moyens légaux, elle doit pro­téger les droits et les intérêts des ouvriers.
  5. Dans le domaine con­sti­tu­tion­nel et légal, cette organ­i­sa­tion doit garan­tir à ses adhérents l’ensem­ble des droits légaux .

21 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de la capitale,

Com­mis­sion préparatoire

9. Déclaration des ouvriers

La classe ouvrière est la classe la plus avancée. Dans le mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie, nous devons incar­n­er la force cardinale.

La République pop­u­laire de Chine est dirigée par la classe ouvrière [[En tête de la Con­sti­tu­tion il est stip­ulé que : « La République pop­u­laire de Chine est un État social­iste de dic­tature du pro­lé­tari­at, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’al­liance des ouvri­ers et des paysans. »]]. Nous avons le droit de chas­s­er tous les dictateurs.

Les ouvri­ers savent mieux que quiconque quel rôle tien­nent le savoir et la tech­nolo­gie dans la pro­duc­tion. C’est la rai­son pour laque­lle nous ne per­me­t­trons pas qu’on per­sé­cute les étu­di­ants qui ont été élevés par le peuple.

Ren­vers­er la dic­tature et le total­i­tarisme, et pro­mou­voir la démoc­ra­tie dans ce pays, c’est là une respon­s­abil­ité qui nous incombe et à laque­lle nous ne sauri­ons nous dérober.

La source de notre force réside dans notre unité. Notre suc­cès résul­tera de notre inébran­lable conviction.

Dans le mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie, « nous n’avons rien à per­dre, hors nos chaînes, et tout un monde à gag­n­er » [[« Ce n’est pas sans rai­son que les class­es dom­i­nantes trem­blent devant la men­ace d’une révo­lu­tion com­mu­niste. Les pro­lé­taires ne risquent d’y per­dre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gag­n­er. » (Marx-Engels, le Man­i­feste du Par­ti com­mu­niste [1848], trad. M. Rubel et L. Evrard, in M. Rubel, Kart Marx. Œuvres. Économie, t. I, Gal­li­mard, Bib­lio­thèque de la Pléi­ade, Paris, 1977).]].

21 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de la capitale,

Com­mis­sion préparatoire.

10. Appel urgent


Union Autonome des Ouvri­ers de Pékin

Au peu­ple de toutes les milieux de la cap­i­tale, aux démoc­rates patri­otes de tous les milieux et de toutes les unités.

Pour le 25 mai, nous lançons une propo­si­tion urgente. Nous organ­is­erons une grande man­i­fes­ta­tion dans toute la ville. Étu­di­ants, ouvri­ers, paysans, intel­lectuels et citadins de tous les milieux, veuillez pré­par­er les ban­nières de vos unités. À 14 heures, nous nous rassem­blerons sur la deux­ième cein­ture [[Pékin est entouré de deux boule­vards périphériques.]]. Le par­cours com­mencera place Tian’an­men et longera la deux­ième cein­ture dans le sens inverse des aigu­illes d’une mon­tre. Les signes de ral­liement seront la voiture de pro­pa­gande et les ban­nières de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin que suiv­ront les équipes de piquets ouvri­ers et les citadins.

Les slo­gans prin­ci­paux de cette man­i­fes­ta­tion, à laque­lle pren­dront part des gens de tous les milieux, seront :
— Wan Li, bien­v­enue au pays, révoque Li Peng sans hésitation !
— Non ce n’est pas de l’ag­i­ta­tion, sus­pendez la loi martiale !
— Con­vo­quez immé­di­ate­ment une ses­sion extra­or­di­naire de l’Assem­blée pop­u­laire nationale !
— Con­vo­quez une réu­nion extra­or­di­naire élargie du Bureau politique !
— Con­vo­quez une réu­nion extra­or­di­naire de la Con­férence con­sul­ta­tive politique !
— Ce mou­ve­ment est un grand mou­ve­ment démoc­ra­tique et patriote !

La nation chi­noise est arrivée au point le plus impor­tant et le plus cru­cial de son his­toire. Agis­sons tous.

Le peu­ple vaincra ! 

Tri­bune Ouest de la place Tian’anmen,

24 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de Pékin.

11. Appel Urgent

Union Autonome des Ouvri­ers de Pékin

Sous les yeux du monde entier, ce mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote de tout le peu­ple, avec le sou­tien énergique et la par­tic­i­pa­tion active du vaste peu­ple de la cap­i­tale, a déjà obtenu une pre­mière vic­toire. Pour­tant, le gou­verne­ment munic­i­pal de Pékin, au mépris des intérêts du peu­ple et sans enten­dre ses cris, retire les policiers chargés de faire la cir­cu­la­tion et inter­rompt la cir­cu­la­tion des auto­bus, provo­quant ain­si la ter­reur dans l’in­ten­tion de semer des trou­bles. Mais ils ont més­es­timé une fois de plus notre peu­ple. Il a été dit dans le jour­naux de ces jours-ci, que, dans la cap­i­tale, l’or­dre pub­lic, les com­mu­ni­ca­tions, la vie courante et la pro­duc­tion étaient dans un ordre par­fait. Pour notre sécu­rité, nous n’avons nul besoin de la soi-dis­ant pro­tec­tion assurée par le con­trôle mil­i­taire. Ce que nous exi­geons c’est qu’on respecte la démoc­ra­tie et la Constitution.

Nous lançons ici un appel urgent auprès de tous les milieux de la cap­i­tale pour que cha­cun agisse rapi­de­ment. Nous deman­dons à toutes les unités de pren­dre l’ini­tia­tive de for­mer des équipes chargées du main­tien de l’or­dre social. Et nous, Union autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, nous sommes dis­posés à pren­dre l’ini­tia­tive du tra­vail de coor­di­na­tion. Pour l’in­térêt général du peu­ple, pour le respect de la Con­sti­tu­tion, pour pro­mou­voir le proces­sus de la démoc­ra­ti­sa­tion, pour que l’his­toire de la Chine ne revi­enne pas en arrière, don­nons-nous la main.

En même temps, nous for­mu­lons l’e­spoir que ce n’est pas à des­sein que le gou­verne­ment munic­i­pal provoque cet état d’a­n­ar­chie. Nous déclarons aus­si solen­nelle­ment : l’ag­i­ta­tion provo­quée par une petite poignée de forces antipop­u­laires, ce n’est pas sur le dos du peu­ple qu’il faut la mettre.

25 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de Pékin.

12. Adresse aux copatriotes d’outre-mer

Union Autonome des ouvri­ers de la capitale

Com­pa­tri­otes chi­nois d’outre-mer et com­pa­tri­otes chi­nois vivant à l’étranger :

Alors que le mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote du peu­ple chi­nois atteignait un seuil cri­tique où il affrontait une épreuve d’une dureté sans précé­dent, nous, les ouvri­ers de Pékin, nous nous sommes dressés !

Sur les fonde­ments et les piliers de ce grand bâti­ment qu’est la République pop­u­laire, on trou­ve les traces de notre sang frais et de notre sueur. Ce pays, c’est par nos com­bats et par notre tra­vail, à nous les ouvri­ers et tous les tra­vailleurs intel­lectuels et manuels, qu’il a été créé. Nous sommes les maîtres incon­testa­bles de ce pays : aus­si, s’agis­sant de la façon de régler les affaires du pays, c’est un devoir et une néces­sité d’é­couter notre voix. Nous ne devons absol­u­ment pas per­me­t­tre que la dic­tature du pro­lé­tari­at se trans­forme en une dic­tature sur le pro­lé­tari­at ! Nous sommes déter­minés à ne pas laiss­er l’in­fime minorité du peu­ple et de notre classe se réclamer abu­sive­ment de nous, les ouvri­ers, pour réprimer les étu­di­ants, pour étouf­fer la démoc­ra­tie et pour fouler aux pieds les droits de l’homme ! Nous soutenons fer­me­ment le mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote des étu­di­ants ! Nous nous opposons fer­me­ment à l’édi­to­r­i­al du Quo­ti­di­en du peu­ple du 26 avril qui fait pass­er le blanc pour le noir et qui s’at­tire la colère du ciel et les reproches des hommes ! Per­son­ne n’est en mesure de nous con­train­dre, sous la men­ace des armes, au tra­vail. Nous nous opposons, fer­me­ment et de toutes nos forces, à la loi mar­tiale proclamée illé­gale­ment con­tre le peu­ple ! Nous nous opposons au dis­cours scélérat pronon­cé par Li Peng le 20 mai.

Pour la grande œuvre de la réforme social­iste, pour notre mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote, et pour per­me­t­tre à nos descen­dants de respir­er libre­ment — sous un ciel devenu sere­in après que la tyran­nie stal­in­i­enne aura été bal­ayée — et de vivre digne­ment comme des hommes, nous appelons d’ur­gence tous les com­pa­tri­otes chi­nois d’outre-mer et tous les com­pa­tri­otes chi­nois vivant à l’é­tranger qui ont à cœur le des­tin du peu­ple chi­nois à agir sur le champ en met­tant en œuvre tous les moyens dont ils dis­posent pour venir en aide au mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote du peu­ple chi­nois. Les patri­otes ne for­ment qu’une seule famille, ils sont tail­lés dans le même bois et leurs racines sont les mêmes. Lib­erté, démoc­ra­tie, tout le monde aspire à cela. À cette heure la plus cri­tique pour le peu­ple chi­nois, hur­lons d’une seule voix :

Debout ! Nous qui refu­sons d’être esclaves ! Avec notre chair, notre sang, con­stru­isons notre nou­velle Grande Muraille ! [[Extrait de la Marche des volon­taires, l’hymne nation­al chi­nois (paroles de Tian Han, musique de Nie Er).]]

Nous ver­rons si les fusils auront l’au­dace de se tourn­er en direc­tion des poitrines du peuple !

Nous ver­rons si les tanks auront l’au­dace de rouler sur les champs pais­i­bles et cou­verts de fleurs éclos­es de Pékin.

L’opin­ion publique vaincra !

La démoc­ra­tie vaincra !

La rai­son vaincra !

La jus­tice vaincra ! 

26 mai 1989.

13. Mobilisons nous d’urgence pour prendre la bastille des années 80

Union Autonome des ouvri­ers de la Capitale

Notre appel

L’heure de la bataille déci­sive est arrivée.

La réforme est en dan­ger ! La démoc­ra­tie est en dan­ger ! Les mass­es patri­otes et la jeunesse patri­ote sont en danger !

Le gou­verne­ment fas­ciste et sa tyran­nie stal­in­i­enne sur lesquels des mil­lions de gens ont craché n’a pas quit­té et ne quit­tera pas de lui-même la scène de l’his­toire. Li Peng, ain­si que celui qui tire les ficelles en coulisse [[Allu­sion à Deng Xiaop­ing.]], et une petite poignée de suiveurs irré­ductibles don­nent une représen­ta­tion hys­térique. Ils vont cer­taine­ment jouer leur va-tout dans un pari poli­tique. N’est-il pas notoire qu’il s’est trou­vé quelqu’un pour clamer : « N’hési­tons pas à en sac­ri­fi­er 200.000, si c’est le prix de vingt ans de sta­bil­ité » [[ Buxi ershi­wan sheng­ming, huan qu nian nian and­ing. Le pro­pos aurait été, dit-on, tenu par Deng Xiaop­ing.]]? Quiconque pos­sède un tant soit peu de rai­son ne saurait nour­rir la moin­dre illu­sion sur ce « gou­verne­ment de canailles » et sur cette « dic­tature de fripouilles » — comme dis­ent avec mépris un bon nom­bre de Péki­nois —, et ne saurait les croire naïve­ment quand ils affir­ment qu’ils ne régleront pas les comptes après la mois­son d’au­tomne [[ Qiu hou suan zhang : atten­dre l’oc­ca­sion pour déclencher la contre-offensive.]].

À cette heure où nous courons un grave péril de mort, pour faire aboutir notre cause réfor­ma­trice et social­iste, pour faire aboutir notre mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote, pour per­me­t­tre aux généra­tions futures de respir­er libre­ment — sous un ciel sere­in débar­rassé des som­bres nuées du sys­tème stal­in­ien —, et de vivre aus­si digne­ment que les autres hommes, nous lançons un appel aux mass­es démoc­ra­tiques et patri­otes et à la jeunesse patri­ote, à tous ceux qui sont sincère­ment con­va­in­cus de la néces­sité de libér­er les hommes c’est-à-dire à ceux qui sont armés de l’e­sprit de sac­ri­fice. Qu’ils livrent à la Bastille des années 20 [[ Lap­sus cala­mi du rédac­teur ou coquille de l’édi­teur : c’est, évidem­ment des années 80 dont il s’ag­it.]] du XXe siè­cle, dernière forter­esse du stal­in­isme au monde, avec l’am­pleur et l’im­pé­tu­osité des vagues qui défer­lent, un ultime assaut, pathé­tique et archarné, et comme on n’en a jamais con­nu. Les événe­ments qui se sont pro­duits sur la place Tian’an­men de Pékin, en Chine, durant les mois d’avril et de mai 1989, s’in­scriront en let­tres d’or dans l’His­toire. Les généra­tions futures seront fières à tout jamais de la con­tri­bu­tion apportée par leurs aînés au développe­ment de la civil­i­sa­tion humaine, con­tri­bu­tion sans précé­dent et qui fera date ! Même dans plusieurs mil­lé­naires, les hommes ne se remé­moreront pas ce qui s’est passé aujour­d’hui sans émo­tion et leurs yeux seront noyés de chaudes larmes.

Groupons-nous et demain l’In­ter­na­tionale se réalis­era à coup sûr [[Dernier vers du refrain de la ver­sion chi­noise de l’In­ter­na­tionale.]]! L’avenir nous appartient !

L’opin­ion publique vaincra !

La démoc­ra­tie vaincra !

La rai­son vaincra !

La jus­tice vaincra ! 

26 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de Pékin,

Asso­ci­a­tion des jour­nal­istes de la jeunesse de Chine [[Détourne­ment de l’in­ti­t­ulé d’une organ­i­sa­tion créée par des intel­lectuels chi­nois en 1919, devenus com­mu­nistes pour la plu­part, à laque­lle Mao appartint dans sa jeunesse. L’As­so­ci­a­tion de la jeunesse de Chine a été dis­soute en 1925.]].

14. Dix grandes bizarreries de la situation actuelle en Chine

Union Autonome des Ouvri­ers de la Capitale

1.Un mot :

Après la tenue du IIIeplenum [[Il s’ag­it du IIIe plenum du Comité cen­tral issu du XIe Con­grès du Par­ti com­mu­niste chi­nois (12–18 jan­vi­er), lequel a con­sacré la vic­toire de la ligne défendue par Deng Xiaop­ing sur celle de Hua Guofeng.]], on a incité les gens à s’en­richir rapi­de­ment. Mais si les poches du petit peu­ple n’ont pas gon­flé, les chats blancs ou les chats noirs, eux, engrais­sent [[Les chats désig­nent, en l’oc­curence, les bureau­crates. Allu­sion à la maxime favorite de Deng Xiaop­ing : « Peu importe que le chat soit blanc ou noir, du moment qu’il attrape les souris. »]].

2. Une observation :

Ouver­ture à l’é­tranger : on attire les investisse­ments. Mais la dette extérieure nous arrive jusqu’au cou tan­dis que les fonds privés s’accumulent.

3.Un pro­pos :

Quand il s’ag­it de lâch­er les bil­lets, « on joue la mon­tre », mais quand il s’ag­it de nous faire acheter des bons du Tré­sor, on « attaque par sur­prise » [[Lit­térale­ment : « Court, ras­ant, rapi­de ». Il s’ag­it d’un terme de vol­ley-ball. Les bons du tré­sor sont prélevés oblig­a­toire­ment sur les salaires et sans qu’on aver­tisse préal­able­ment de la retenue.]]. Notre sub­ven­tion pour les ali­ments sec­ondaires est de soix­ante-quinze cen­times, mais les prix, eux, grimpent plus vite que des fusées.

4.Un com­men­taire :

L’é­tat des réformes est excel­lent, la poli­tique n’est pas mau­vaise non plus. Pour­tant aucun long nez [[C’est-à-dire les étrangers.]] ne demande la nation­al­ité chi­noise et les fils de Yan et de Huang [[C’est-à-dire les Chi­nois, Yan et Huang étant les noms des deux pre­miers sou­verains mythiques de la Chine.]] filent à l’étranger.

5.Une descrip­tion :

L’époque change de vis­age : les grands hôtels et les grands restau­rants abon­dent [[Enten­dre les étab­lisse­ments de luxe réservés aux étrangers.]], majestueux comme des cigognes au milieu de poules. Pour­tant, on manque de loge­ments pour les citadins. On a mis du temps à suiv­re le bon exem­ple [[Le bon exem­ple de l’é­tranger.]], mais faire pay­er pour les chiottes, on a mis en appli­ca­tion tout de suite.

6.Un dire :

Les autorités sont avides de gigan­tisme et de tout ce qui vient d’ailleurs. Mais elles ne soucient pas du quo­ti­di­en. Le Tré­sor pub­lic n’ar­rive pas à join­dre les deux bouts et on ne trou­ve pas de quoi régler les dépens­es d’en­seigne­ment. La mode est pour­tant aux ripailles. Le des­tin du pays et le des­tin des familles s’as­som­bris­sent, parce que ceux qui sont en haut sont trop pourris.

7.Un juge­ment :

La Con­sti­tu­tion forme un gros bouquin : la légal­ité a l’air d’être toute puis­sante. Mal­heureuse­ment, les « bouteilles d’huile » et les « bouteilles de vinai­gre » [[Les « bouteilles d’huile » [youp­ing’er]: dans la Chine anci­enne, lorsqu’une veuve se remari­ait et qu’elle avait eu un enfant de son précé­dent mari, sa nou­velle famille con­sid­érait l’en­fant comme illégitime. Par­lant de lui, on dis­ait la « bouteille d’huile ». La « bouteille de vinai­gre » [cup­ing’er] est une expres­sion forgée pour l’oc­ca­sion : on a rem­placé le mot « bouteille » [ping] par un autre car­ac­tère « ping », celui qu’on trou­ve dans le prénom de Deng Xiaop­ing (l’ho­mo­phonie a été source de nom­breuses plaisan­ter­ies tout au long du mou­ve­ment). Il faut enten­dre, ici, que si, en apparence, la légal­ité est toute-puis­sante, les entors­es sont légion.]] ne man­quent pas. L’ar­bi­traire l’emporte sur la légal­ité. Quant à la démoc­ra­tie et à la lib­erté, c’est encore pire. Un mot de trop, et on nous coffre.

8.Une plaisan­terie :

Les infor­ma­tions sont bidon, la télévi­sion bara­tine : beau­coup de bobards et peu de vérités [[À l’at­ten­tion des afi­ciona­dos, indiquons que cette phrase com­porte de nom­breuses locu­tions pro­pres à l’ar­got péki­nois.]]. À quoi servez-vous ?

9.Une insulte :

Le ciel n’ou­vre pas les yeux. Le chat voleur et le dia­ble Li [[Le chat est une allu­sion à Deng (« Peu importe que le chat…»). Quant au dia­ble Li, c’est, bien sûr de Li Peng dont il est ques­tion.]] sont mon­tés sur la scène. Ils ont retourné leur veste et fab­riquent l’ag­i­ta­tion. Les autorités les plus hautes sont des canailles.

10.Une bizarrerie :

Pais­i­ble est la ville de Pékin. Pour­tant, on a fait venir l’ar­mée. Unique­ment parce que la marée étu­di­ante choquait la vue et que les seigneurs ne trou­vaient plus d’en­droit où pos­er leurs fess­es. Des tanks, des avions, des gaz lacry­mogènes. Vers qui les Fusils sont-ils dirigés ?

Il y a dix grandes bizarreries dans la sit­u­a­tion actuelle. En fait rien n’est bizarre. Tout vient de ce que les man­darins n’ont pas avalé les bons médicaments.

Le mal­heur n’ar­rive pas par hasard.

Il doit arriv­er ! Il doit arriv­er ! Il doit arriver !

26 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de la capitale,

Bureau de la propagande.

15. Frères ouvriers, mobilisons-nous

Union Autonome des Ouvri­ers de Pékin

À l’heure de la bataille déci­sive qui oppose la démoc­ra­tie et la lib­erté à la tyran­nie féo­dale, frères ouvri­ers lev­ons-nous et faisons front !

Le peu­ple veut la démoc­ra­tie et la lib­erté. Les tyrans, eux, trem­blent ! Ils se débat­tent dans leurs derniers sur­sauts. Frères ouvri­ers, nous sommes forts. Rugis­sons d’une seule voix et la Terre, elle-même, trem­blera. Dic­ta­teurs, allez au diable !

L’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin pro­pose que soit organ­isée, le 28 mai au matin, une grande man­i­fes­ta­tion dans toute la ville. Frères ouvri­ers, descen­dons brave­ment dans la rue, par­ticipons à la grande man­i­fes­ta­tion des Chi­nois dans le monde entier.

Note :

1. Sur la sit­u­a­tion présente.

Dans le but de réprimer le mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie, une petite poignée de scélérats appar­tenant au Par­ti, au gou­verne­ment ou à l’ar­mée, met­tent en action des manœu­vres per­fides pour faire l’a­mal­game entre les élé­ments clefs du mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie et Zhao Ziyang ou d’autres cama­rades : ils racon­tent ain­si que Zhao Ziyang, Qin Jiwei ou Bao Tong seraient les élé­ments clefs qui diri­gent ce mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie ou qu’ils en seraient des mem­bres, et que ceux qui par­ticipent au mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie sont manip­ulés par eux. Ils cherchent, de cette façon, à duper en même temps l’ar­mée et le peu­ple, non sans un cer­tain suc­cès. À présent, nous risquons d’être réprimés à tout moment.

2. Le 28, avant 10 heures, chaque unité doit quit­ter son unité d’o­rig­ine et s’a­vancer en direc­tion de la place Tian’an­men. Ensuite, les unités devront emprunter la deux­ième cein­ture et rejoin­dront la man­i­fes­ta­tion d’une enver­gure sans précé­dent qui réu­ni­ra des mil­lions de per­son­nes issues de tous les milieux. Cette man­i­fes­ta­tion, du point de vue de la dis­ci­pline ou de l’or­gan­i­sa­tion, etc., doit don­ner aux gens cette impres­sion : nous sommes une troupe juste, forte et douée d’une grande capac­ité d’au­to-con­trôle, à même de propulser la Chine vers l’avant.

Cette man­i­fes­ta­tion s’ef­forcera, par divers moyens (slo­gans sur les ban­deroles, déc­la­ra­tions, mots d’or­dre, etc.), d’at­tein­dre les objec­tifs suivants :

  1. dénon­cer et écras­er le com­plot cru­el qu’une petite poignée de scélérats appar­tenant au Par­ti, au gou­verne­ment ou à l’ar­mée tra­ment actuellement ;
  2. ren­forcer le poids des étu­di­ants, des ouvri­ers, des intel­lectuels et des citadins, et prof­iter de ce moment cri­tique pour mobilis­er les ouvri­ers et les citadins pour qu’ils fondent des organ­i­sa­tions autonomes ;
  3. con­vo­quer d’ur­gence une réu­nion de l’Assem­blée [[Assem­blée pop­u­laire nationale.]] pour qu’elle résolve les graves prob­lèmes aux­quels la nation se trou­ve con­fron­tée et la ques­tion des dirigeants du pays (la des­ti­tu­tion de Li Peng), et con­vo­quer une réu­nion du Par­ti pour qu’il résolve le prob­lème de la direc­tion du Parti ;
  4. deman­der que le prési­dent du Comité [[Comité per­ma­nent de l’Assem­blée pop­u­laire nationale.]], Wan Li, ren­tre à la cap­i­tale pour s’y soign­er, en souhai­tant qu’il pour­ra, bien que malade, présider la ses­sion de l’Assemblée ;
  5. fournir des élé­ments tan­gi­bles pour per­me­t­tre au prési­dent du Comité, Wan Li, et aux mem­bres du Comité per­ma­nent de pro­pos­er la des­ti­tu­tion de Li Peng ;
  6. démon­ter les bon­i­ments éhon­tés de Li Peng et com­pag­nie — « c’est le peu­ple (le peu­ple de Pékin y com­pris) qui nous soutient» ;
  7. mon­tr­er aux sol­dats venus de l’ex­térieur qu’on a dupés et qui appar­ti­en­nent au peu­ple, ain­si qu’aux enne­mis du peu­ple, quelle est la force du peu­ple ; et porter à la réflex­ion des sol­dats ceci : com­ment un mou­ve­ment auquel le peu­ple par­ticipe unanime­ment ou que le peu­ple sou­tient pour­rait-il ne pas être juste ?

« C’est la lutte finale, groupons-nous et demain ! » [[Pre­mier vers du refrain de l’In­ter­na­tionale.]], nous pour­rons ensem­ble aller au devant d’une société libre et démocratique !

27 mai 1989, Union autonome des ouvri­ers de Pékin.

16. Statuts provisoires

Union Autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale

Le préam­bule aux présents statuts est le « Pro­gramme pré­para­toire de la “com­mis­sion pré­para­toire” de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin », pub­lié le 25 mai 1989, dont voici le texte [[Cf. le doc­u­ment n° 8. La ver­sion que nous con­nais­sons indique la date du 21 mai comme date d’élab­o­ra­tion. Le préam­bule des présents « Statuts pro­vi­soires », si on en juge par les ver­sions que nous pos­sé­dons, et notam­ment celle que nous avons util­isée pour la tra­duc­tion, présente quelques très légères vari­antes par rap­port au « Pro­gramme pré­para­toire » où l’on remar­que, en out­re, l’ab­sence du point 6.]].

(Préam­bule)

Depuis la mi-avril, au sein du mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote de tout le peu­ple qui a à sa tête les étu­di­ants, la majorité des ouvri­ers chi­nois ont man­i­festé l’ar­dent désir de par­ticiper à la vie poli­tique. Dans le même temps, ils ont réal­isé qu’il n’ex­is­tait pas encore d’or­gan­i­sa­tion à même de représen­ter véri­ta­ble­ment ce désir des ouvri­ers. Dans ces cir­con­stances, nous esti­mons qu’il est néces­saire de fonder une organ­i­sa­tion autonome qui puisse par­ler au nom des ouvri­ers et leur per­me­tte de par­ticiper à la vie poli­tique et de dis­cuter poli­tique. À cette fin, nous pré­parons l’or­gan­i­sa­tion de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale et nous pro­posons un pro­gramme préparatoire.

  1. Cette organ­i­sa­tion doit être autonome et com­plète­ment indépen­dante, fondée suiv­ant des modal­ités démoc­ra­tiques, et les ouvri­ers doivent y adhér­er volon­taire­ment. Elle ne doit subir le con­trôle d’au­cune autre organisation.
  2. Le principe fon­da­men­tal de cette organ­i­sa­tion doit être, en se fon­dant sur la volon­té majori­taire des ouvri­ers, d’ex­primer les reven­di­ca­tions économiques et poli­tiques de ceux-ci. Elle ne doit pas se con­tenter d’être une organ­i­sa­tion de bien-être.
  3. Cette organ­i­sa­tion doit avoir une fonc­tion de sur­veil­lance du Par­ti com­mu­niste chi­nois, le Par­ti de la classe ouvrière.
  4. Cette organ­i­sa­tion a le droit d’user de tous les moyens légaux et appro­priés pour sur­veiller les représen­tants des per­son­nes juridiques que sont les entre­pris­es pro­priété du peu­ple entier ou les entre­pris­es pro­priété col­lec­tive, cela afin de garan­tir que les ouvri­ers sont les maîtres véri­ta­bles de ces entre­pris­es ; pour les autres entre­pris­es, par la négo­ci­a­tion avec les chefs d’en­tre­prise ou par d’autres moyens légaux, elle doit pro­téger les droits et les intérêts des ouvriers.
  5. Dans le domaine con­sti­tu­tion­nel et légal, cette organ­i­sa­tion doit garan­tir à ses adhérents l’ensem­ble des droits légaux.
  6. Cette organ­i­sa­tion doit être con­sti­tuée par des adhérents indi­vidu­els ou par des sec­tions établies dans les entre­pris­es, tous volontaires.

Arti­cle Ier : les membres

Tous les ouvri­ers et tous les employés, act­ifs ou à la retraite, qu’ils appar­ti­en­nent à des entre­pris­es ou à des unités d’af­faire de notre ville, et tous les syn­di­cats ou syn­di­cats autonomes des entre­pris­es ou des unités d’af­faire de notre ville, dès lors qu’ils sou­ti­en­nent ses objec­tifs et ses principes, peu­vent adhér­er à cette organisation.

Les mem­bres indi­vidu­els, ouvri­ers ou employés, et les mem­bres col­lec­tifs, syn­di­cats ou syn­di­cats autonomes, ont le droit de renon­cer à leur qual­ité de membre.

Les mem­bres de cette organ­i­sa­tion doivent s’ac­quit­ter du mon­tant de leur coti­sa­tion con­for­mé­ment aux règlements.

Arti­cle II : le serment

Les mem­bres de cette organ­i­sa­tion doivent être fidèles au ser­ment suiv­ant : « Je respecterai de mon plein gré la Con­sti­tu­tion et les lois de l’É­tat, j’ob­serverai la dis­ci­pline de cette organ­i­sa­tion, j’œu­vr­erai, sans relâche, à défendre les intérêts de l’ensem­ble de la classe ouvrière. »

Arti­cle III : l’assem­blée générale

  1. L’assem­blée générale est l’in­stance suprême de déci­sion de l’or­gan­i­sa­tion. Elle sera con­vo­quée régulière­ment par la com­mis­sion exéc­u­tive. Sur demande du comité per­ma­nent ou d’un cinquième au moins des adhérents, la com­mis­sion exéc­u­tive con­vo­quera une assem­blée générale extraordinaire.
  2. Les statuts de l’or­gan­i­sa­tion, et tout pro­jet d’a­mende­ment des statuts, doivent être approu­vés par les deux tiers des adhérents.
  3. Les mem­bres de la com­mis­sion exéc­u­tive sont élus, et les investi­tures doivent être signées par au moins dix adhérents avec l’ap­pro­ba­tion de la moitié au moins des adhérents.
  4. Les mem­bres de la com­mis­sion exéc­u­tive peu­vent être révo­qués par une motion signée par au moins dix adhérents avec l’ap­pro­ba­tion de la moitié au moins des adhérents.
  5. Toute motion signée par au moins dix adhérents peut être soumise à l’assem­blée générale. Elle sera portée à l’or­dre du jour de l’assem­blée générale par le prési­dent, puis soumise à la dis­cus­sion et à la déci­sion de l’assem­blée générale.

Arti­cle IV : le comité permanent

Le comité per­ma­nent se com­pose des représen­tants des syn­di­cats et syn­di­cats autonomes issus des divers­es entre­pris­es et unités d’af­faires qui adhèrent à notre organ­i­sa­tion. L’or­gan­i­gramme et le man­dat du comité per­ma­nent sont pré­cisés dans les statuts régis­sant le comité permanent.

Arti­cle V : la com­mis­sion exécutive

  1. La com­mis­sion exéc­u­tive est for­mée de cinq à sept mem­bres élus par l’assem­blée générale.
  2. La com­mis­sion exéc­u­tive élit un prési­dent et deux vice-prési­dents. Le prési­dent con­voque et pré­side les réu­nions de la com­mis­sion exéc­u­tive. Les vice-prési­dents assis­tent le prési­dent dans son tra­vail et le rem­pla­cent durant ses absences.
  3. La com­mis­sion exéc­u­tive met à exé­cu­tion les réso­lu­tions adop­tées par l’assem­blée générale et par le comité per­ma­nent, et met en œuvre le tra­vail quo­ti­di­en de l’or­gan­i­sa­tion. Les déci­sions adop­tées à l’in­térieur de la com­mis­sion exéc­u­tive doivent l’être selon le principe de la majorité simple.
  4. La com­mis­sion exéc­u­tive peut met­tre en place divers organes admin­is­trat­ifs en fonc­tion des besoins.

le 28 mai 1989.

17. [Tract sans titre]

Union autonome des ouvri­ers de Pékin

Étu­di­ants, pour le bien de notre patrie, ce qu’il vous faut doré­na­vant exiger, c’est la con­vo­ca­tion d’une ses­sion de l’Assem­blée pop­u­laire nationale. Si ce pro­jet aboutit, alors, les deman­des que vous avez for­mulées trou­veront sat­is­fac­tion très rapi­de­ment. Les canons du mou­ve­ment du « 4 mai » avaient grondé pour don­ner à la Chine le marx­isme-lénin­isme. Ce mou­ve­ment, qui est le nôtre, que don­nera-t-il à la Chine ? Une réforme rad­i­cale du sys­tème d’É­tat qui per­me­t­tra au peu­ple de devenir le maître véri­ta­ble, et attein­dre ce but qui con­siste à anéan­tir la tyran­nie pour met­tre en œuvre la démoc­ra­tie. Notre con­duite doit être indu­bitable­ment con­forme aux intérêts du peu­ple, pour obtenir ain­si du peu­ple un sou­tien ferme. En effet, c’est unique­ment si le peu­ple nous apporte son appui inébran­lable que nous pour­rons triompher.

Le 28 mai 1989, Union autonome des ouvri­ers de Pékin.

18. Les ordres du peuple

Union autonome des ouvri­ers des Pékin

Depuis plusieurs années, notre grand pays, qui compte plus d’un mil­liard cent mil­lions d’habi­tants, est soumis à la dic­tature d’une poignée de bureau­crates qui agi­tent la ban­nière du social­isme alors qu’en réal­ité ils pra­tiquent une poli­tique dic­ta­to­ri­ale qui main­tient le peu­ple dans l’ig­no­rance et qu’ils oppri­ment les intel­lectuels. Ils ont grim­pé haut et, au mépris des lois de l’É­tat et de la dis­ci­pline du Par­ti, pour sauve­g­arder leur dom­i­na­tion per­son­nelle, ils aident leurs acolytes, s’adon­nent au népo­tisme et pla­cent aux postes impor­tants leurs par­ti­sans. C’est, en par­ti­c­uli­er, le cas de l’im­péra­trice douair­ière Cixi de notre époque [[Cixi (1835/1908). Elle détint le pou­voir effec­tif de 1861 à 1908. On com­prend que c’est de Deng Xiaop­ing dont il est ici ques­tion.]]. Il tire les ficelles du gou­verne­ment der­rière le rideau [[ Chuil­ian, lit­térale­ment : sus­pendre le rideau. Il s’ag­it du rideau der­rière lequel l’Im­péra­trice régente assis­tait au Con­seil. La métaphore con­cer­nant Cixi con­tin­ue ici d’être filée.]], séparé des mass­es et en oppo­si­tion avec le peu­ple, ne con­nais­sant rien d’autre que le bridge ou le pok­er et n’es­sayant pas de com­pren­dre les souf­frances pop­u­laires : les dettes intérieure et extérieure s’ac­cu­mu­lent, les charges fis­cales pèsent très lour­de­ment sur le peu­ple et les prix mon­tent en flèche. La Chine, dont le peu­ple excède un mil­liard d’in­di­vidus, est à la traîne du monde. En dépit des faits, il prof­ite de ce qu’il con­trôle l’opin­ion pour pré­ten­dre, par exem­ple, que notre pro­duit nation­al et notre revenu nation­al se rap­prochent de ceux des autres pays, voire les dépassent. Il ne réalise pas que le nom­bre des habi­tants des autres pays est dérisoire et que le revenu par tête des habi­tants de notre pays ne représente qu’une frac­tion infime de ce qu’il est dans les autres pays. Un grand pays comme le nôtre peut-il encore avoir sa place dans le monde ? Nous sommes des hommes comme les autres, pourquoi le mil­liard d’hommes que nous sommes est-il aus­si pau­vre ? Pourquoi est-il aus­si arriéré ? Serait-ce parce que nous sommes des inca­pables ? Si l’on dit que c’est parce qu’il y a trop de gens dans le pays, alors, sachant que la Japon est aus­si un pays où la pop­u­la­tion est dense, com­ment se fait-il qu’il se porte mieux ? Si l’on dit que c’est parce que les États-Unis sont un pays fondé depuis longtemps, alors com­ment se fait-il que la Corée du Sud et Tai­wan ail­lent mieux que nous ? Voilà des années que la cor­rup­tion man­dari­nale s’ag­grave sans que les dirigeants se mon­trent capa­bles de résoudre le prob­lème. Quelle en est la rai­son ? Ces derniers jours, à l’ap­pel du peu­ple, Li Peng a dit que ses trois enfants ne s’é­taient jamais livrés à la cor­rup­tion man­dari­nale. Mais, en tant que Pre­mier min­istre, il ne suf­fit pas que tes enfants ne soient pas com­pro­mis dans la cor­rup­tion madari­nale pour que tu sois digne de ta fonc­tion. Il aurait fal­lu pour cela que tu aboliss­es et que tu inter­dis­es toute cor­rup­tion man­dari­nale. Or, jusqu’à présent, vous autres, vous avez été inca­pables de décou­vrir quels étaient les man­darins les plus cor­rom­pus et les plus pour­ris. Si vous n’êtes pas capa­bles de décou­vrir cela, alors pourquoi restez-vous sur scène, à vous faire entretenir aux frais de la princesse ? Quand on se mon­tre inca­pable à ce point, com­ment peut-on être pre­mier min­istre ? La Chine est un vaste ter­ri­toire, riche en ressources naturelles, où les ressources en main-d’œu­vre abon­dent. Et vous avez fait de la Chine un gâchis. Vous dites que comme vous n’aviez pas l’ex­péri­ence de la con­struc­tion du social­isme vous avez fait tra­vers­er la riv­ière à un mil­liard d’hommes en cher­chant du pied les pier­res [[For­mule chère à Deng Xiaop­ing.]]. Tous ces gens ont ain­si cher­ché les pier­res du pied pen­dant dix ans. Quel chemin doivent-ils suiv­re main­tenant ? N’é­tait-il pas inévitable que tous ceux, nom­breux, qui n’ont pas trou­vé les pier­res sous leurs pieds péris­sent, engloutis dans la riv­ière ? Est-il con­cev­able que les man­darins jouent, comme des enfants, avec la vie et les biens des gens ? La réforme dure depuis plus de dix ans, mais elle ne se dirige dans aucune direc­tion et ne pour­suit aucun objec­tif. En defin­i­tive, vers quel endroit un mil­liard de gens courent-ils ? Quel man­darin pour­ra, de façon con­crète et pré­cise, répon­dre claire­ment à cette ques­tion ? On nous dit : peu importe que le chat soit blanc ou noir, s’il attrape les souris, c’est un bon chat [[Autre for­mule affec­tion­née par Deng Xiaop­ing.]]. Mais, s’il y a une souris, le chat blanc et le chat noir vont devoir l’at­trap­er et alors ne vont-ils pas se bagar­rer ? Et, ensuite, ce sera la con­fu­sion, il y aura des con­tra­dic­tions. Les divi­sions iront en s’ag­gra­vant. Imman­quable­ment, à mesure qu’ils mangeront, les chats bureau­crates grossiront, tan­dis que les chats du peu­ple iront en maigris­sant. Com­ment cela pour­rait-il être la meilleure voie pour gou­vern­er le pays ?

Le pre­mier min­istre Zhou a dit : « Celui qui gagne à lui les étu­di­ants pour­ra s’as­sur­er l’avenir. » Le prési­dent Mao a dit : « Ceux qui répri­ment le mou­ve­ment étu­di­ant ne con­naîtront sûre­ment pas un bon dénoue­ment », « Tant qu’on ne frappe pas sur ce qui est réac­tion­naire, impos­si­ble de le faire tomber. Là où le bal­ai ne passe pas, la pous­sière ne s’en va pas d’elle-même », [[Mao, « Tout ce qui est réac­tion­naire est pareil : tant qu’on ne le frappe pas, impos­si­ble de le faire tomber. C’est comme lorsqu’on bal­aie : là où le bal­ai ne passe pas, la pous­sière ne s’en va pas d’elle-même », (« la Sit­u­a­tion et notre poli­tique après la vic­toire dans la Guerre de Résis­tance con­tre le Japon » [13 août 1945], repris dans les Cita­tions du prési­dent Mao [petit livre rouge].]] « Quand il y a lutte il y a sac­ri­fice » [[Mao : « Quand il y a lutte il y a sac­ri­fice…» (« Servir le peu­ple » [8 sep­tem­bre 1944], repris dans les Cita­tions du prési­dent Mao [petit livre rouge].]], et « Le pou­voir est au bout du fusil. » [[Mao : « Chaque com­mu­niste doit s’as­sim­i­l­er cette vérité que “le pou­voir est au bout du fusil”.», (« Prob­lème de la guerre et de la stratégie. [6 novem­bre 1938]), repris dans les Cita­tions du prési­dent Mao [petit livre rouge].]]. Si on veut la démoc­ra­tie, il faut faire des sac­ri­fices : si on ne les y con­traint pas par la force, les gou­ver­nants ne se retireront pas d’eux-mêmes de la scène de l’His­toire [[Détourne­ment d’une parole de Mao : « 1’ennemi ne péri­ra pas de lui-même. Ni les réac­tion­naires chi­nois, ni les forces agres­sives de l’im­péri­al­isme améri­cain en Chine ne se retireront d’eux-mêmes de la scène de l’His­toire. » (« Men­er la révo­lu­tion jusqu’au bout » [30 décem­bre 1948]), repris dans les Cita­tions du prési­dent Mao [petit livre rouge].]]. Comme ils ne sauraient cer­taine­ment pas nous faire la grâce de nous accorder des droits démoc­ra­tiques, nous devons lut­ter pour con­quérir la démoc­ra­tie. Sans démoc­ra­tie véri­ta­ble, la spécu­la­tion man­dari­nale et la cor­rup­tion ne pour­ront dis­paraître rad­i­cale­ment. Et si nous voulons réalis­er une démoc­ra­tie véri­ta­ble, il nous fau­dra abolir le sys­tème de l’i­namovi­bil­ité. Sinon, on a la dic­tature d’un seul homme où per­son­ne n’ose exprimer son indig­na­tion : com­ment, dans ce cas, par­ler encore de démoc­ra­tie ? Sans démoc­ra­tie, pas de droits de l’homme. Sans droits de l’homme, nous ne sommes que des esclaves. Lev­ons-nous, peu­ple qui ne veut pas être esclave, avançons la poitrine, redres­sons-nous [[Hymne nation­al.]]. Ne dis­ons pas que nous ne pos­sé­dons rien, nous qui voulons devenir les maîtres du monde [[ L’In­ter­na­tionale.]]. Allu­mons vite le feu ardent du mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote. Ne lais­sons pas échap­per cette occa­sion qui nous est don­née de réus­sir. La pra­tique prou­ve que désor­mais la ques­tion prin­ci­pale qui se pose au mou­ve­ment démoc­ra­tique est la ques­tion du pou­voir. C’est unique­ment en ren­ver­sant les dic­ta­teurs, en liq­uidant les obsta­cles qui s’élèvent devant le mou­ve­ment démoc­ra­tique, qu’on peut espér­er le faire avancer. Sinon, notre mou­ve­ment démoc­ra­tique sera inéluctable­ment vic­time de la ven­gance [[ Qiu hou suan zhang, lit­térale­ment : règle­ment de compte après la mois­son d’au­tomne.]] des dic­ta­teurs. Aus­si, le mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote nous appelle ! Voici quelles sont les paroles de l’hymne de Kang­da [[Il s’ag­it de l’É­cole poli­tique et mil­i­taire anti japon­aise du peu­ple chi­nois, qui était basée à Yan’an durant la « Guerre de résis­tance con­tre le Japon ».]]: « Ouvri­ers, étu­di­ants, com­merçants, tous unis. Courons en pre­mière ligne de ce mou­ve­ment patri­o­tique. Écoutez l’ap­pel de la démoc­ra­tie qui reten­tit ! Regardez, la ban­nière de la lib­erté qui flotte au vent. Ouvri­ers, étu­di­ants, com­merçants, courons ensem­ble dans les vagues de la tem­pête accueil­lir l’au­rore. Ouvri­ers, étu­di­ants, com­merçants, le peu­ple entier se lève. Courons en pre­mière ligne de ce mou­ve­ment patriotique. »

Cama­rades, nous nous opposons à cer­tains dirigeants du Par­ti. Cela ne sig­ni­fie aucune­ment que nous nous oppo­sions à la direc­tion du Par­ti. Nous nous opposons à cer­tains dirigeants du gou­verne­ment. Cela ne sig­ni­fie aucune­ment que nous nous oppo­sions au social­isme. Si les dic­ta­teurs réac­tion­naires nous col­lent, à tort et à tra­vers, des éti­quettes sur le dos [[ Kou maozi. Lit­térale­ment, « met­tre un cha­peau à l’en­vers ». L’ex­pres­sion sig­ni­fie qu’on a abu­sive­ment col­lé sur quelqu’un un label poli­tique qu’il ne méri­tait pas.]], s’ils nous frap­pent, comme bon leur sem­ble, à coups de trique, n’est-ce pas parce qu’il n’y a pas de démoc­ra­tie ? Serait-il pos­si­ble que nous lais­sions se repro­duire un tel phénomène ? Le peu­ple ne l’ac­ceptera pas ! Que les mass­es s’u­nis­sent pour chas­s­er au plus vite ce grand dic­ta­teur qu’est Deng Xiaop­ing de la scène de l’His­toire, et vienne ain­si en aide à la Chine et au peu­ple. Ain­si, sur toute notre Chine s’établi­ra une sit­u­a­tion nou­velle de démoc­ra­tie et de liberté.

Le 29 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de Pékin.

19. Dépêche

Union autonome des ouvri­ers de la capitale

État des négo­ci­a­tions de la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin avec le bureau de la Sécu­rité publique rel­a­tive­ment à l’ar­resta­tion de Shen Yin­han, un de ses membres.

Ce matin, à 10 h 40, Han Dong­fang, délégué de la com­mis­sion pré­para­toire des ouvri­ers de la cap­i­tale, Li xx, con­seiller juridique [[Li xx était un étu­di­ant en troisième cycle de droit, aujour­d’hui réfugié à l’é­tranger.]], et une trentaine de per­son­nes, se sont ren­dus à la grande porte du bureau de la sécu­rité publique de Pékin, pour entamer des négo­ci­a­tions à pro­pos de Shen Yin­han, un mem­bre de la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, qui a été, de bonne heure ce matin, emmené par deux policiers dans une voiture de police.

Gong Shisi, du ser­vice du cour­ri­er et de l’ac­cueil du bureau de la Sécu­rité publique, a reçu le délégué Han Dong­fang et Li xx. Le con­seiller juridique Li xx a for­mulé, au nom de la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, trois deman­des : 1) le bureau de la Sécu­rité publique doit con­firmer si Shen Yin­han a été cap­turé ou non ; 2) s’il est détenu ou s’il a été arrêté, la procé­dure légale lui a‑t-elle été appliquée ; 3) s’il est détenu, les raisons pour lesquelles il a été appréhendé doivent être indiquées à sa famille et à la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la capitale.

Gong Shisi, chargé de l’ac­cueil au bureau de la Sécu­rité publique, a répon­du en trois points : 1) l’U­nion autonome des ouvri­ers est une organ­i­sa­tion illé­gale et ses activ­ités trans­gressent l’or­dre de la loi mar­tiale ; 2) eux s’oc­cu­pent de l’ac­cueil, il ne sont pas au courant des affaires con­crètes ; 3) les ouvri­ers qui vien­nent à la porte du bureau de la Sécu­rité publique trans­gressent l’or­dre de la loi mar­tiale. Le con­seiller juridique Li xx a répon­du : le car­ac­tère illé­gal de telle ou telle organ­i­sa­tion n’en­tre pas dans le cadre de la présente négo­ci­a­tion ; le ser­vice d’ac­cueil n’est pas au courant des affaires mais n’en­tre-t-il pas dans ses attri­bu­tions de con­naître les affaires et d’y apporter une réponse. Les per­son­nes chargées de l’ac­cueil ont répon­du qu’elles n’é­taient pas au courant des affaires, mais ensuite elles ont dit que le con­seiller juridique expo­sait les deman­des sans y être habil­ité par l’U­nion autonome et qu’elles voulaient recevoir directe­ment les délégués de l’U­nion autonome, or, quand le con­seiller juridique Li xx s’est pro­vi­soire­ment retiré, la ren­con­tre entre le délégué des ouvri­ers Han Dong­fang et les respon­s­ables du bureau de la Sécu­rité publique a tourné court. Main­tenant, une cen­taine de per­son­nes sont réu­nies devant la grande porte du bureau de la Sécu­rité publique et deman­dent la libéra­tion [de Shen Yinhan].

Selon cer­taines infor­ma­tions, deux autres ouvri­ers appar­tenant à la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, Qian Yum­ing et Xiang Dong­ping [[En fait, ce n’est pas de Xiang Dong­ping mais de Bai Dong­ping dont il est ici ques­tion. Mais peut-être ne s’ag­it-il que d’un lap­sus cala­mi du rédac­teur ou d’une coquille de l’édi­teur.]] auraient été aus­si capturés.

30 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de la capitale.

20. Avis urgent

Union autonome des ouvri­ers de la capitale

Ce matin, à l’aube, à 2 heures, lors de la con­férence de presse organ­isée par l’UAE [Union autonome des étu­di­ants), un témoin ocu­laire a attesté que le jour même, à 1 heure passée, aux alen­tours de l’Hô­tel de Pékin, deux policiers sont sor­tis d’une jeep de la mar­que « Pékin » équipée d’un girophare et ont fait descen­dre un cycliste de son vélo. Le cycliste a hurlé : « Pourquoi m’empoignez-vous ? ». Mais les policiers, sans rien répon­dre, l’ont poussé de force dans la jeep. Quand l’homme qu’on enl­e­vait a été tiré vers la jeep, il a lais­sé tomber par terre deux cahiers de notes et led­it témoin ocu­laire les a remis, sur-le-champ, à l’UAE.

Sur le dessus de ces deux cahiers, un nom était inscrit : « Shen Yin­han ». Dans ces cahiers, on trou­ve cette phrase : « Les deux cents yuans col­lec­tés hier, je les ai lais­sés chez Wantie ». Pour la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, cela apporte la preuve que l’homme qu’on a enlevé était M. Shen Yin­han, un des mem­bres de la com­mis­sion exéc­u­tive de la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale. Lorsque l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale a appris cette nou­velle, elle a immé­di­ate­ment envoyé quelqu’un pour enquêter auprès de la famille de M. Shen Yin­han et a décou­vert qu’­ef­fec­tive­ment celui-ci n’é­tait pas ren­tré chez lui.

L’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale est une organ­i­sa­tion créée selon le principe de la « libre asso­ci­a­tion », stip­ulé dans la Con­sti­tu­tion, et dont aucun acte n’a jamais trans­gressé la loi. La com­mis­sion pré­para­toire se ren­dra aujour­d’hui, à 12 heures, au bureau de la Sécu­rité publique de Pékin pour y négoci­er. Elle appelle à un vaste rassem­ble­ment des ouvri­ers pour exiger la libéra­tion de son délégué ouvri­er, M. Shen Yin­han. Les ouvri­ers, eux aus­si, ont le droit d’être patri­otes. Sauvons notre com­pa­tri­ote ! Sauvons notre délégué ouvrier !

30 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de la capitale.

21. Conférence de presse

Union autonome des ouvri­ers de la capitale

Le 30 mai, à 21 h 30, la com­mis­sion pré­para­toire des ouvri­ers de la cap­i­tale a organ­isé une con­férence de presse sur le côté nord du Mon­u­ment aux héros du peu­ple. Le porte-parole de la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin, Han Dong­fang, a lu à voix haute les « Statuts pro­vi­soires de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale » [[Texte du 28 mai 1989 [doc­u­ment n° 16].]]. Des représen­tants des unions de tous les milieux de la cap­i­tale sont aus­si inter­venus pour présen­ter leurs félic­i­ta­tions. Pen­dant la con­férence de presse, un délégué du départe­ment de la jeunesse du Par­ti tra­vail­liste anglais, Shid­ifen [Stephen] Yueli [?] a lu un télé­gramme de félic­i­ta­tions envoyé par le départe­ment de la jeunesse du Par­ti tra­vail­liste anglais. Il a dit : « Au cours de ces dernières semaines, les étu­di­ants chi­nois ont gag­né le sou­tien des peu­ples du monde entier. Et nous sommes très heureux de con­stater que les ouvri­ers chi­nois par­ticipent à ce mou­ve­ment démoc­ra­tique ». Il a estimé que le social­isme avait besoin de la démoc­ra­tie exacte­ment comme le corps a besoin d’oxygène. Puis il a indiqué que les ouvri­ers anglais s’é­taient tou­jours rangés aux côtés des ouvri­ers chi­nois. Le texte com­plet du télé­gramme de félic­i­ta­tions envoyé par les tra­vail­listes anglais est le suiv­ant : « Souhaitons que l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale (com­mis­sion pré­para­toire) obti­enne une vic­toire défini­tive. Pour le mou­ve­ment syn­di­cal démoc­ra­tique et pour la démoc­ra­tie ouvrière, pro­lé­taires de tous les pays, unis­sons-nous. » Un mem­bre du Par­ti tra­vail­liste cana­di­en (ten­dance de gauche) a égale­ment exprimé ses félic­i­ta­tions, débor­dantes d’ardeur.

Ensuite, Li xx, le con­seiller juridique de la com­mis­sion pré­para­toire de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, a fait état du déroule­ment de la négo­ci­a­tion menée auprès de la Sécu­rité publique à pro­pos des trois mem­bres de la com­mis­sion pré­para­toire des ouvri­ers qui ont été appréhendés. La com­mis­sion pré­para­toire des ouvri­ers a soulevé trois points devant le bureau de la Sécu­rité publique : 1) le bureau de la Sécu­rité publique doit con­firmer s’il détient ou non ces trois per­son­nes : Shen Yin­han, Bai Dong­ping et Qian Yum­ing ; 2) au cas où elles seraient effec­tive­ment détenues, quelle est la nature de leur déten­tion et a‑t-on respec­té la procé­dure légale ; 3) au cas où elles seraient détenues, peut-on ou non en indi­quer la rai­son à la com­mis­sion pré­para­toire des ouvri­ers ain­si qu’à leur famille. Jusqu’à présent, aucune réponse claire n’a été apportée. Si on se réfère au Code de procé­dure pénale, pour détenir ou arrêter quelqu’un il faut pro­duire un man­dat de déten­tion ou d’ar­rêt. La per­son­ne qu’on détient ou qu’on arrête doit vis­er ce doc­u­ment, et le bureau de la Sécu­rité publique doit prévenir les par­ents de la per­son­ne qu’on détient ou qu’on arrête dans les vingt-qua­tre heures. Le bureau de la Sécu­rité publique n’a pas con­fir­mé s’il avait oui ou non appréhendé les ouvri­ers et si oui ou non il avait req­uis con­tre eux des arresta­tions con­for­mé­ment à la loi.

**22. L’ob­jec­tif de l’U­nion autonome des ouvri­ers de la con­struc­tion urbaine

L’U­nion autonome des ouvri­ers de la con­struc­tion urbaine de Chine est fondée offi­cielle­ment le 21 mai 1989, à 18 heures. Notre objec­tif est le suivant :

Nous ne sommes pas des crim­inels con­damnés à la réforme par le tra­vail et soumis au con­trôle judi­ci­aire. Nous sommes des citoyens légitimes de la République. Nous voulons la démoc­ra­tie et la lib­erté. Les étu­di­ants qui font la grève de la faim revendiquent pour le peu­ple. Nous, les ouvri­ers, nous sommes des Chi­nois con­scients. Face à un gou­verne­ment aus­si cru­el, nous sommes de tout cœur avec nos frères étu­di­ants. Nous, les ouvri­ers, nous sommes déter­minés à soutenir les étu­di­ants jusqu’au bout !

La calamité nationale est immi­nente. Cha­cun se doit d’as­sumer ses respon­s­abil­ités envers la patrie. Ouvri­ers de tous les corps de méti­er, unis­sez-vous, pro­tégez nos étu­di­ants. Xiaop­ing, Li Peng, celui qui ne sait pas appréci­er nos faveurs, nous le sor­tons de scène !

Le 21 mai 1989,

Union autonome des ouvri­ers de la con­struc­tion urbaine de Chine,

le prési­dent.

23. Manifeste de l’Union Autonome des Ouvriers de Canton

L’U­nion autonome des ouvri­ers de Can­ton, qui, au cours de ce mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote d’en­ver­gure nationale, s’est déjà dévelop­pée jusqu’à devenir une organ­i­sa­tion patri­o­tique par­faite, proclame aujour­d’hui sa fon­da­tion. L’U­nion autonome des ouvri­ers de Can­ton est une organ­i­sa­tion spon­tanée des ouvri­ers de Can­ton, con­trôlée par les citadins de Can­ton et respon­s­able devant eux. Notre but con­siste à unir toutes les forces qu’il est pos­si­ble d’u­nir, pour apporter à cette Chine qui souf­fre la lib­erté, la démoc­ra­tie et la prospérité, et pour pro­mou­voir le cours de la démoc­ra­ti­sa­tion en Chine.

À l’heure actuelle, Pékin a ouvert le feu, le sang du peu­ple coule. La nation chi­noise est arrivée à un moment de crise où il y va de sa vie : le lourd fardeau de l’his­toire repose sur les épaules de chaque ouvri­er chi­nois et c’est là une respon­s­abil­ité à laque­lle nul ne saurait se sous­traire. S’op­pos­er à la vio­lence, soutenir les étu­di­ants, propager la démoc­ra­tie et la sci­ence, il n’y a pas d’autre choix.

La Chine s’en­fonce dans le brouil­lard, elle tourne en rond. Le bureau­cratisme règne en despote, l’é­conomie et la poli­tique sont pour­ries. La prospérité ou la ruine de notre pays sont liées aux intérêts par­ti­c­uliers de chaque ouvri­er. Les ouvri­ers de Can­ton sont à bout de patience. Nous, Union autonome des ouvri­ers de Can­ton, en appelons d’ur­gence aux per­son­nal­ités de tous les milieux de la société pour qu’ils sou­ti­en­nent et pren­nent part à ce mou­ve­ment démoc­ra­tique et patri­ote d’en­ver­gure nationale.

Le 4 juin 1989,

Union autonome des ouvri­ers de Canton.

24. Déclaration demandant énergiquement l’interdiction immédiate de l’organisation illégale « Union Autonome des Ouvriers »

Syn­di­cat générale de la munic­i­pal­ité de Pékin

Au cours de ces derniers jours, une petite poignée d’in­di­vidus se sont rassem­blés et ont fondé une organ­i­sa­tion illé­gale appelée l’«Union autonome des ouvri­ers » en se récla­mant fal­lac­i­euse­ment de la classe ouvrière. Ils ont répan­du des rumeurs, dis­tribué des tracts, lancé des slo­gans deman­dant le ren­verse­ment du gou­verne­ment pop­u­laire, fomen­té des grèves, pris d’as­saut des organes de la Sécu­rité publique et pré­ten­du qu’ils étaient en train de fonder une organ­i­sa­tion autonome « com­plète­ment indépen­dante ». Leurs objec­tifs étaient de divis­er les rangs de la classe ouvrière et de se livr­er à des activ­ités illé­gales des­tinées à sabot­er ouverte­ment l’or­dre nor­mal de la cap­i­tale qui était en train de revenir. Leurs pra­tiques, fon­da­men­tale­ment, ne sont pas en accord avec les aspi­ra­tions de la classe ouvrière. La masse des employés, des ouvri­ers et des cadres syn­di­caux ne toléreront jamais des activ­ités qui sont délibéré­ment source d’ag­i­ta­tion. Le Syn­di­cat général de la munic­i­pal­ité de Pékin déclare solen­nelle­ment : dans la Chine social­iste, les organ­i­sa­tions syn­di­cales, qui ont été fondées con­for­mé­ment à la « Loi de la République pop­u­laire de Chine sur les syn­di­cats » et aux « Statuts des syn­di­cats de Chine », sont les seules organ­i­sa­tions socio poli­tiques à représen­ter les intérêts de la classe ouvrière. Aus­si, les dis­po­si­tions arrêtées pour la fon­da­tion de l’«Union autonome des ouvri­ers » sus­men­tion­née et cette fon­da­tion sont-elles com­plète­ment illé­gales. Nous deman­dons énergique­ment aux organes gou­verne­men­taux con­cernés d’adopter immé­di­atem­ment des mesures pour inter­dire cette organ­i­sa­tion illé­gale. Voilà un mois ou plus que la masse des employés et des ouvri­ers, d’un bout à l’autre de la munic­i­pal­ité, faisant mon­tre d’un haut degré de con­science poli­tique et de sa con­vic­tion d’être le maître du pays, a sur­mon­té de nom­breuses dif­fi­cultés, appor­tant sa gigan­tesque con­tri­bu­tion au main­tien de la pro­duc­tion de la cap­i­tale, des trans­ports, de la vie quo­ti­di­enne, du tra­vail et de l’or­dre social nor­mal. Elle est digne d’être la force vive qui sauve­g­arde la sta­bil­ité et l’u­nité. Le Syn­di­cat général de la munic­i­pal­ité de Pékin exhorte la masse des employés, des ouvri­ers et des cadres syn­di­caux de tous les niveaux à accroître sa vig­i­lance, à dis­tinguer claire­ment entre la vérité et le men­songe, à main­tenir résol­u­ment l’u­nité de la classe ouvrière, à s’op­pos­er à la fon­da­tion d’or­gan­i­sa­tions illé­gales, quelles qu’elles soient, qui se récla­ment de la classe ouvrière, à rester fer­me­ment à son poste, à s’ap­pli­quer à la pro­duc­tion et au tra­vail et à apporter de nou­velles con­tri­bu­tions à la sta­bil­i­sa­tion de la sit­u­a­tion dans la capitale.

Le 1er juin 1989.

25. Pékin : Circulaire publique n°10 sur la reddition des dirigeants des organisations illégales

[(Le présent texte est la cir­cu­laire n°10 du gou­verne­ment pop­u­laire de la munic­i­pal­ité de Pékin et du com­man­de­ment des troupes chargées d’im­pos­er la loi martiale.)]

L’U­nion autonome des étu­di­ants de Pékin, con­nue aus­si sous le nom de Gaozil­ian [[Abrévi­a­tion de Gaox­i­ao zizhi lian­he hui.]], et l’U­nion autonome des ouvri­ers de la cap­i­tale, con­nue aus­si sous le nom de Gongzil­ian [[Abrévi­a­tion de Gongren zizhi lian­he hui.]], sont des organ­i­sa­tions illé­gales qui n’ont pas été enreg­istrées con­for­mé­ment à la loi. Elles doivent se dis­soudre d’elles-mêmes immé­di­ate­ment. Les dirigeants de ces deux organ­i­sa­tions ont été les meneurs qui ont fomen­té la rébel­lion con­tre-révo­lu­tion­naire dans la cap­i­tale et l’ont organisée.

À compter de la date de pro­mul­ga­tion de cette cir­cu­laire publique, les deux caté­gories d’in­di­vidus sus­men­tion­nés doivent se ren­drent d’eux-mêmes sur le champ aux autorités de la sécu­rité publique de leur lieu d’o­rig­ine s’ils veu­lent être traités avec clé­mence. Ceux qui refuseront de se ren­dre d’eux-mêmes seront remis à la jus­tice con­for­mé­ment à la loi et punis avec sévérité.

8 juin 1989.

26.Avis de recherche concernant trois dirigeants de l’Union autonome des ouvriers de Pékin

Ce jour [14 juin], le bureau de la sécu­rité publique de Pékin a pub­lié un avis de recherche con­cer­nant trois dirigeants de l’U­nion autonome des ouvri­ers de Pékin (UAOP). La cir­cu­laire a été trans­mise par le min­istère de la Sécu­rité publique dans tout le pays.

L’avis déclare que I’UAOP est « une organ­i­sa­tion illé­gale coupable d’avoir fomen­té et organ­isé une rébel­lion con­tre-révo­lu­tion­naire à Pékin ». Les trois per­son­nes recher­chées sont :

Han Dong­fang. Sexe mas­culin, vingt-six ans. Cheminot au départe­ment de main­te­nance des loco­mo­tives de Fengtai ;

He Lili. Sexe mas­culin, vingt-six ans. Maître de con­férences à l’U­ni­ver­sité des ouvri­ers du Bureau de l’in­dus­trie des machines de Pékin ;

Liu Qiang. Sexe mas­culin, vingt-six ans. Ouvri­er à l’u­sine n°3 209 de Pékin.

La cir­cu­laire donne les car­ac­téris­tiques physiques des per­son­nes recher­chées avec leurs pho­togra­phies jointes. La cir­cu­laire pré­cise que, dès qu’il seront décou­verts, les unités chargées d’ap­pli­quer la loi les détien­dront et en avis­eront la bureau de la Sécu­rité publique de Pékin.

[Doc­u­ments traduits parAngel Pino.]


Publié

dans

par

Étiquettes :