La Presse Anarchiste

Parmi ce qui se publie

Aventure

Sous ce titre, Les Hum­bles ont pub­lié, en leur cahi­er d’août-sep­tem­bre 1930, de nou­veaux poèmes de Georges Vidal. De ce recueil, nous repro­duisons les deux pièces qui suiv­ent, non qu’elles soient les meilleures, mais à cause de l’é­tat de sen­tir qu’elles reflètent :

Pieds nus.

Pour con­naitre le sol et l’aimer d’amour tendre
il faut l’avoir foule longtemps de ses pieds nus,
et sen­tir l’herbe courte ou le ter­reau grenu
pal­piter comme chair qui se voudrait rapprendre.

Pieds nus j’ai par­cou­ru les pistes de soleil.
Loin des estancias, des bourgs ou des auberges
j’ai suivi l’In­di­en dans les mon­tagnes vierges
et j’ai, sur le désert, imprimé mon orteil.

Pieds nus j’ai su danser nu son de la guitare
avec les filles sauvages de la forêt,
j’ai su suiv­re la biche et puis courir après
les cochons noirs menant aux champs leur tintamarre.

D’être debout à même la glaise au sein mol,
j’ai tres­sail­li d’une volup­té animale,
la force m’a baisé lente­ment de son hâle,
et j’ai bu le vent frais comme un divin alcool.

Je sais la caresse de la boue et du sable
main­tenant. Avec leur étreinte de douceur.
Je sais l’empreinte sur le sen­tier des chasseurs
et le fond caill­ou­teux de nos rios guéables.

Et je dis : pau­vres sont ceux qui n’ont pas connu
au long de leur des­tin placide et monotone
la joie de s’en aller mains vides et pieds nus ;

pau­vres, pau­vres sont ceux qui, par un soir d’automne,
à l’heure où l’avenir est un fruit caressé,
n’ont pas jeté leurs godass­es dans un fossé.

(Masta­lal, Cos­ta Rica).

Nostalgie.

Boule­vards, ciné­mas et main qui se faufile,
gig­ot bre­tonne, amie blonde, Grave et Pouilly,
musique, bars bruyants et cafés recueillis,
allé­gresse, clarté, mol­lets soyeux : la ville.

Bon dieu, que don­nerais-je en ce soir pour Paris !
Mon lumignon se meurt sous un vol de termites,
et, tout en reni­flant, l’In­di­en que j’abrite
se grat­te, pète, rote, éter­nue, crache et rit.

Tout m’ir­rite. Le chien, les din­dons et la femme,
et ce maté que l’on mange autant qu’on le boit,
et ce feu (car le veau a pis­sé sur le bois
et je dois dépenser treize jurons par flamme).

Que suis-je venu faire en ces étranges lieux ?
Quel démon m’a poussé dans le dos vers les Iles ?
pourquoi ai-je quit­té la demeure tranquille
et cet étroit jardin qui fleuris­sait mes yeux ?

Ce soir, dans ma vil­la de ban­lieue endormie,
j’é­couterais la voix ferme d’un compagnon
et je rajusterais du pouce mon lorgnon
après avoir baisé sur la nuque l’amie.

Demain, coif­fant le feu­tre raide d’autrefois,
j’i­rais boire un pern­od tassé place Pigalle
et je regarderais si la fille de salle
a tou­jours une mouche à l’om­bre du sein droit.

Hélas ! Paris est loin et je suis sans courage.
Et tou­jours l’In­di­en, heureux d’être à l’abri,
se grat­te, pète, rote, éter­nue, crache et rit
tan­dis que le, ran­cho s’émeut, noyé d’orage.

(Far Away Farm, Cos­ta Rica).

Georges Vidal

[|* * * *|]

LES REVUES ont pub­lié plusieurs vol­umes qui méri­tent qu’on s’y arrête. Deux romans, plutôt deux films d’Ilya Ehren­bourg, le plus con­nu des écrivains russ­es de la généra­tion actuelle. D’o­rig­ine pro­lé­tari­enne, il fut débardeur, dresseur d’an­i­maux, insti­tu­teur de cam­pagne, jour­nal­iste, hétéro­doxe tou­jours, ce qui lui val­ut au temps du tsarisme, de con­naître la « paille humide » des cachots, et en régime sovié­tique d’être mis à l’in­dex. 10 C.V. est l’his­toire de l’au­to­mo­bile : cette mangeuse d’hommes, cette enrichisseuse d’ex­ploiteurs, cet instru­ment de servi­tude tant pour le maître que pour l’esclave. Avec l’au­to­mo­bile I.E. nous promène partout, des États-Unis à Suresnes, à Cler­mont-Fer­rand et jusqu’en Malaisie… La Ruelle de Moscou nous mon­tre que le change­ment de régime n’a guère mod­i­fié les réac­tions élé­men­taires de la men­tal­ité russe. Et puis I.E. y soulève la ques­tion de l’en­fance aban­don­née. Sous son ironie, que de ten­dresse et de sen­ti­ment ! Avec l’His­toire du social­isme et des luttes sociales de Max Beer, les édi­tions « les Revues » se sont attelées à une tâche con­sid­érable. Je n’aime guère le point de vue où se situ­ait Max Beer, ce qui ne veut pas dire qu’au point de vue doc­u­men­taire, cette His­toire ne soit pas pré­cieuse à con­sul­ter, spé­ciale­ment le sec­ond vol­ume qui traite des Hérésies de la péri­ode moyen-âgeuse. La tra­duc­tion de Mar­cel Ollivi­er est d’une remar­quable clarté. 

E. A.

E. Armand : L’éternel problème (Ed. de l’en dehors).

Après avoir paru dans le péri­odique anar­cho-indi­vid­u­al­iste l’en dehors, l’un des cham­pi­ons les plus ardents de l’idéal lib­er­taire, en ce qu’il présente de plus inté­grale­ment pur, l’Éter­nel Prob­lème vient d’être édité en brochure de 16 pages, bien présentée.

Nous pou­vons dire que c’est une nou­velle vic­toire que vient de rem­porter le lut­teur aguer­ri con­tre l’ex­clu­sivisme en amour et autres calamités morales qu’est E. Armand.

Rares ont été ceux qui, tel l’au­teur d’Ain­si chan­tait un « en dehors », Fleurs de soli­tude et Points de Repère, ont traité le très com­plexe prob­lème sex­uel avec autant de clair­voy­ance, de dés­in­vol­ture et de courage. E. Armand voit dans ce sujet l’éter­nel prob­lème sur lequel se heur­tent et s’en­tre­choquent les préjugés les plus enrac­inés, les erreurs les plus com­munes. C’est le prob­lème de la féminité, de l’éter­nel et sug­ges­tion­nant féminin, tou­jours plein d’ex­tases inou­bli­ables, abîme insond­able qui nous attire par le puis­sant mag­nétisme de sa pro­fondeur et où nous nous pré­cipi­tons presque tou­jours sous l’im­pul­sion d’un ver­tige affolant.

L’in­di­vidu reste obsédé par cet éter­nel prob­lème, qui fait de sa vie une four­naise intérieure, où il con­sume à chaque instant sa volon­té la plus pure, ses aspi­ra­tions les plus élevées, ses désirs les plus naturels.

Rares sont les hommes qui recon­nais­sent que le fémin­isme ne peut pas être l’œu­vre d’une inver­sion de la nature spé­ci­fique­ment fémi­nine. Biologique­ment, la femme a des mis­sions très belles à rem­plir, mis­sions qu’elle ne pour­rait men­er à bien si elle se situ­ait sur un plan d’ac­tiv­ité con­traire à sa nature par­ti­c­ulière. L’é­gal­ité des sex­es est une solen­nelle sot­tise inven­tée par ceux qui ne veu­lent voir en la femme qu’un homme sans barbe, selon une expres­sion vulgaire…

Ce serait épou­vantable, dans nos con­di­tions économiques poli­tiques ou sociales actuelles de ren­con­tr­er dans nos pro­pres foy­ers, des femmes à la voix, aux pen­sées, aux sen­ti­ments masculins.

La femme doit jouir d’une ample lib­erté mais sans cess­er d’être femme, d’être l’amie amoureuse ou l’a­mante prodigue de ten­dress­es inef­fa­bles, la mère cares­sante et atten­tive, le sou­tien enchanteur du foy­er. Il serait lam­en­ta­ble que la femme croit qu’elle puisse rompre com­plète­ment ses chaines en par­tic­i­pant à cette pros­ti­tu­tion morale appelée chose publique. Elle ne les rompt pas non plus quand elle accom­plit des travaux dont seuls les hommes s’oc­cu­paient aupar­a­vant. Sa lib­erté réside davan­tage en autre chose : en son indépen­dance morale intel­lectuelle et sex­uelle — mais sans que cette indépen­dance puisse servir d’ob­sta­cle à son action vitale essen­tielle­ment féminine.

La femme je le répète, doit être, avant tout, une femme ; sa pro­pre organ­i­sa­tion, quand même elle ne le voudrait pas, l’im­pulse dans ce sens.

« Je trou­ve aus­si répug­nant pour l’homme, — dit Paul, l’un des per­son­nages de l’Eter­nel Prob­lème — d’im­pos­er à la femme une morale mas­cu­line que déplacé pour la femme d’im­pos­er à l’homme une morale féminine ».

L’a­gréable et éduca­tive con­ver­sa­tion soutenue dans l’Éter­nel Prob­lème par trois per­son­nages débar­rassés des préoc­cu­pa­tions con­ven­tion­nelles est en somme cap­ti­vante. L’au­teur de cette brochure résout nom­bre de prob­lèmes qui pour cer­tains con­ser­va­teurs en amour parais­sent trop hardis — la mater­nité con­sciente, la recon­nais­sance de la pater­nité dans la cama­raderie amoureuse, l’affinité élec­tive des sex­es. Toutes ces ques­tions sont liq­uidées dans l’Éter­nel Prob­lème avec une sim­plic­ité déli­cieuse et « tout sim­ple­ment comme le point de vue d’un tem­péra­ment masculin ».

M.M.G. (Accion Social Obr­era).


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