La Presse Anarchiste

Le Calice

[(Nous pub­lions ci-dessous trois poésies inédites de notre cama­rade Eugène BIZLAU. Ces poésies sont extraites du recueil Le Cal­ice, à paraître prochainement.)]

DU TAC AU TAC

« Il faut courir vers le front :
C’est le devoir qui l’exige ! »
Docile comme un mouton
Et bête jusqu’au prodige!.…

« Il faut avoir les élans
D’un peu­ple que la foi mène!…»
Sous les obus crépitant
Qui fauchent la race humaine!…

« Il faut par de beaux exploits
Mon­tr­er que la France est forte »
Et que lés jambes de bois
Sont faites pour qu’on les porte!…

« Il faut, d’un effort puissant,
Le front nim­bé de lumière »
Appren­dre aux buveurs de sang
Com­ment on mord la poussière!…

FAUX ENTRAIN

Élan spon­tané des ver­tus guerrières
Quand a reten­ti l’ap­pel du clairon,
L’en­train des sol­dats “courant aux frontières”
Cracha vers le ciel un bru­tal juron :

Car, mal­gré les chants crim­inels et bêtes
Qu’on donne en pâture au peu­ple martyr,
Jamais les com­bats ne seront des fêtes
Pour les .pau­vres gens qui vont y mourir.

Vouloir qu’ils soient gais, qu’ils aient un air crâne,
Sans voir que leur front s’est creusé d’un pli,
C’est avoir en soi le cerveau d’un âne
Ou la cru­auté d’un mon­stre accompli.

Ce soir, ayant bu l’al­cool à pleins verres,
Ils se croient déjà sur les bor­ds du Rhin,
Mais les plus joyeux ne sont pas sincères,
Et dans leur ivresse il est du chagrin.

Avant de sourire au breuvage influe
Qui fait oubli­er mis­ère et douleur,
Ils ont eu d’abord des larmes dans l’âme,
Et ces larmes-là leur venaient du cœur!…

UN HOMME

« Et ce qui courbe un peu­ple ‑avorte aux pieds d’un homme!»’ Vic­tor Hugo

Toi, tu n’as pas com­mis le crime d’obéir,
Et tu l’as con­damné du fond de ta géhenne ;
Et l’on a fait de toi l’apôtre et le martyr
Incar­nant le meilleur de la nature humaine.

Toi, tu n’as pas voulu sabr­er les Allemands
Ni leur offrir non plus la cible de ton crâne,
Et rien n’a pré­valu sur les raisonnements
Que ton courage oppose à ceux d’une peau d’âne.

Rien n’a pu détourn­er tes yeux de l’horizon
Où brille à tes regards la vérité suprême ;
Et pour ton idéal tu braves la prison
Avec la noble foi d’un laboureur qui sème.

Devant l’écroule­ment des mar­bres de Paros
Où la célébrité gra­vait d’autres images,
Ton atti­tude altière est celle d’un héros
Digne des plus beaux noms et des plus grands hommages.

Et si Dio­gène, un jour, sa lanterne à la main ;
Venait scruter le cœur des gens que l’on renomme,
En dis­ant à plus d’un : « Va-t’en de mon chemin ! »
C’est chez toi qu’il irait pour décou­vrir un homme !

Eugène BIZEAU.


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