La Presse Anarchiste

Attitude

Peut-être vou­dra-t-on savoir qui nous sommes, et l’on aura rai­son. L’heure a son­né de l’exa­men des valeurs — de toutes les valeurs —, en vue des choix défi­ni­tifs et des regrou­pe­ments nécessaires.

À cha­cun, il faut deman­der ses titres.

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Qui es-tu, toi qui me parles ? De quel esprit te réclames-tu, toi qui pré­tends t’a­dres­ser à mon esprit ?

Tu sais bien que tu ne peux plus son­ger seule­ment à t’a­mu­ser, en cher­chant à me dis­traire. Peut-être ne t’en sou­vient-il plus, déjà ; mais, que tu t’en réjouisses ou que tu en pleures, il y a eu la guerre ! Les jours aimables du dilet­tan­tisme sont pas­sés, et les cris de l’Hu­ma­ni­té gésine d’un Monde Nou­veau ne per­mettent plus de dor­mir sur le mol oreiller du scepticisme.

Il faut pen­ser. Il faut prendre par­ti. Il faut vivre.

Qui­conque tient une plume doit la mettre au ser­vice d’idées.

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Quant à nous, nous y sommes bien réso­lus. Nous penserons.

Sans fol orgueil, mais har­di­ment, loya­le­ment, nous irons au vrai de toute notre âme. Nous regar­de­rons en face, et avec nos propres yeux, toute la réa­li­té, et nous irons, intel­lec­tuel­le­ment, jus­qu’au bout de notre pen­sée. Sans doute est-ce assez mal­ai­sé : tant d’hommes res­tent à mi-che­min de la véri­té et conci­lient, le plus sérieu­se­ment du monde, les points de vue les moins conci­liables ! Il n’im­porte ! Nous aurons l’o­ri­gi­na­li­té d’être logiques. Jus­qu’au bout : telle sera notre devise. Oui ! Jus­qu’au bout de l’i­dée, quelles que puissent être les consé­quences extrêmes qu’elle com­porte, quels que doivent être les sacri­fices nom­breux qu’elle exige !

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Et nous ne nous conten­te­rons pas d’être fidèles à l’i­dée dans notre esprit. Nous lui consa­cre­rons notre exis­tence ; nous en ani­me­rons notre vie tout entière. Entre la spé­cu­la­tion et l’ac­tion, nous ne ferons — nous y sommes déci­dés — aucune dif­fé­rence. La foi qui n’a­git point ne nous paraît pas une foi sin­cère, et nous ces­se­rions de nous esti­mer nous-mêmes, si nous ne nous sen­tions pas prêts à agir confor­mé­ment aux convic­tions de notre rai­son et de notre cœur. Même s’il doit nous en coû­ter, nous met­trons nos théo­ries en pra­tique, et nous ne pen­se­rons même que pour agir. Aus­si ne pen­se­rons-nous pas à la légère. Mais nous n’au­rons peur ni de la Véri­té, ni de la Vie.

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Est-ce ain­si que fai­saient nos maîtres ? Nous les avons vus, en 1914, brû­ler, sans une hési­ta­tion, ce qu’ils adoraient.

Laïcs épris de fra­ter­ni­té, ils ont renié leur foi inter­na­tio­na­liste. Prêtres d’un dieu d’a­mour, ils ont contraint Jésus lui-même à faire le coup de feu.

Quand étaient-ils sin­cères ? Quand ils par­laient de bon­té, ou quand ils lais­saient mourir ?

Aveu­glés par l’im­mense incen­die, peut-être ne savaient-ils plus ce qu’ils fai­saient… Mais, pré­ci­sé­ment, n’au­raient-ils pas dû savoir, eux ? N’au­raient-ils pas dû pré­voir ? Que pen­ser d’une science qui ne per­met aucune pré­voyance ? Nous, du moins, nous ne savions pas, car nous venions à peine d’a­voir vingt ans. Mais eux ? Eux, qui avaient appris, médi­té, vécu ; eux, en qui nous avions le droit d’a­voir confiance ; pour­quoi se sont-ils trou­vés aus­si désem­pa­rés que nous-mêmes ? N’a­vaient-ils donc aucun prin­cipe, eux qui jon­glaient si faci­le­ment avec les idées ? Intel­li­gents, ins­truits, sub­tils, élo­quents, ils avalent peut-être tous les dons de l’es­prit ; mais ils man­quaient de caractère.

Aus­si, quelque recon­nais­sants que nous leur res­tions des lumières qu’ils ont appor­tées à notre intel­li­gence, nous ne leur deman­de­rons pas de nous gui­der dans les ténèbres. Nous essaie­rons même de nous puri­fier des leçons qu’ils nous ont apprises, et, comme Alceste [[Alceste par André Gybal, p.253.]], nous recons­trui­rons le monu­ment de notre pen­sée avec des pierres incon­nues. Nous nous renou­vel­le­rons ; nous renaî­trons. Nous cher­che­rons, nous-mêmes, notre voie ; mais le but, humble ou sublime, une fois décou­vert ou sim­ple­ment entre­vu, c’est tout droit que nous irons vers lui, sans nous en détour­ner jamais.

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Qui nous sommes ? Rien que des hommes de bonne volon­té, réso­lus à pen­ser par eux-mêmes et à vivre comme ils pensent.

Convain­cus, parce que nous aurons réflé­chi, nous n’exi­ge­rons point des autres de pen­ser comme nous, mais de se convaincre eux-mêmes.

Logiques jusque dans les moindres détails de l’ac­tion, nous ne serons sévères que pour ceux qui n’au­ront point la même élé­men­taire honnêteté.

L’heure des his­trions est pas­sée. Place aux hommes !

Mau­ric-Rocher

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