La Presse Anarchiste

Causeries de l’Oasis

L’Oasis, dans le cou­rant du mois de mars 1920, lan­ça l’appel suivant :

L’OASIS n’est ni un par­ti poli­tique, ni une cha­pelle, ni un salon mondain.

C’est un groupe d’ac­tion morale, lit­té­raire et artistique.

L’OASIS se pro­pose de sus­ci­ter à la fois des recherches spé­cu­la­tives et un idéal dont les ver­tus seront pra­tiques et quotidiennes.

L’OASIS s’a­dresse, fra­ter­nel­le­ment, à toutes les intel­li­gences qui s’ef­forcent vers le vrai, à toutes les consciences que hante le sou­ci de per­fec­tion­ne­ment moral, à tous ceux qui veulent mettre dans leur vie de la clar­té, de l’u­ni­té, de la beau­té. Elle demande à cha­cun une col­la­bo­ra­tion sérieuse, franche et féconde, et elle compte moins sur l’ef­fi­ca­ci­té d’une cri­tique néga­tive que sur la mise en œuvre des richesses de chacun.

L’OASIS orga­nise, en prin­cipe pour le 3e dimanche de chaque mois, des réunions au cours des­quelles seront étu­diées dif­fé­rentes ques­tions de phi­lo­so­phie, de lit­té­ra­ture et d’art.

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Voi­ci le compte-ren­du des ques­tions qui furent en effet étudiées.

Le 18 avril 1920, 1re cau­se­rie de F. Leprette : « Georges Duha­mel et la Vie Inté­rieure ». Le « monstre » indus­triel est jugé ; rien de grand ne dure sans vie inté­rieure, condi­tion d’au­to­no­mie morale, de bon­heur et de véri­table civi­li­sa­tion. Aus­si est-ce par la vie inté­rieure que G. Duha­mel nous convie à la Pos­ses­sion du Monde. Le monde offre d’i­né­pui­sables richesses au plus pauvre d’entre nous, de quoi lut­ter contre la mélan­co­lie, l’en­nui, le déses­poir, de quoi magni­fier la moindre joie. Ces richesses ? Les hommes, nos amis, le visage élu, une touffe de vio­lettes, la dou­leur elle-même quand elle est inévi­table, l’art, car l’art pur, même, sert à vivre. Tout. Mais, enten­dons bien : pos­ses­sion morale du monde.

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Le 16 mai 1920, M. Haye nous ini­tia à la Théo­so­phie. C’é­tait à titre d’in­for­ma­tion que nous lui deman­dions d’ex­po­ser les prin­cipes d’une doc­trine qui groupe un nombre res­pec­table d’a­deptes. Non que la théo­so­phie consti­tuât, en aucune façon, la doc­trine offi­cielle de l’Oa­sis. Mais en Égypte, où l’oc­ci­dent et d’o­rient se confrontent, cette reli­gion, qui ne paraît être, aux yeux des pro­fanes, qu’une varié­té de boud­dhisme, excite une vive curio­si­té. La nôtre ne fut pas déçue. Notre être, dit M. Haye, tend vers un état de per­fec­tion abso­lue ; il n’y par­vient qu’au prix d’ef­forts sans cesse renou­ve­lés, dont la valeur morale est enre­gis­trée sui­vant une loi dite du Kar­ma ; il n’y par­vient qu’au tra­vers des expé­riences mul­tiples qui néces­sitent des exis­tences suc­ces­sives, des réin­car­na­tions. Et c’est avec aisance et science que M. Haye nous révé­la les prin­ci­paux secrets d’une reli­gion qui confère à ses fidèles une séré­ni­té enviable, mais hélas ! pas tou­jours contagieuse.

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Le 20 juin 1920, Mau­ric-Rocher étu­dia un moment de l’é­vo­lu­tion de Verhae­ren, l’é­pou­van­table désar­roi phy­sique et moral qu’il connut vers 1887 et dont il nous a conté, lui-même, tous les détails dans la sai­sis­sante tri­lo­gie des Soirs, des Débâcles et des Flam­beaux noirs. Un homme y dit ses luttes contre la mala­die et le doute, et, après des péri­pé­ties de toutes sortes, retrouve la san­té du corps et de l’es­prit, conquiert sa véri­té inté­rieure. Ployé sous la dou­leur, l’ef­froi et la démence, Verhae­ren est reje­té, un moment, par sa sen­si­bi­li­té même, vers le Dieu que ses maîtres lui ont mon­tré, autre­fois, com­mue la Conso­la­tion et la Force. Mais « l’in­fi­ni est vide » et Dieu est « men­songe ». Verhae­ren trou­ve­ra le salut dans le sen­ti­ment qui l’empêche de cour­ber sa rai­son et de croire, dans l’or­gueil. Allant d’un extrême à l’autre, le poète passe de la tor­peur la plus morne aux impul­sions les plus désor­don­nées. Ces luttes tra­giques de Verhae­ren contre la mala­die et le déses­poir, sa vic­toire finale sur les forces mau­vaises, ne sont que des actes de foi dans la vie et dans l’homme. C’est parce qu’il n’a jamais dou­té de lui même, c’est parce qu’il a aimé, qu’il a pu recon­qué­rir sa force. Si rude que soit l’é­preuve qui peut venir nous visi­ter, ne déses­pé­rons donc point, nous-mêmes. La consigne que nous laisse Verhae­ren est formelle :

Lutte et butte et tombe – et ressurgis !

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M. Michel Per­idès, rédac­teur en chef de la revue néo­grecque GRAMMATA, par­la, le 8 août 1920, sur la lit­té­ra­ture grecque moderne. Les ori­gines de cette lit­té­ra­ture se placent aux der­niers temps byzan­tins. Avec la dis­lo­ca­tion de l’Em­pire byzan­tin, les popu­la­tions grecques éparses, pla­cées sous la tutelle morale de l’É­glise Ortho­doxe, se sont res­ser­rées davan­tage sous la domi­na­tion poli­tique turque. Alors, la langue popu­laire com­men­ça à se for­mer. Et la poé­sie popu­laire grecque reflé­ta un héroïsme de chef de bande, en même temps qu’une vie locale, faite d’é­preuves, humble, quo­ti­dienne. Puis, les intel­lec­tuels grecs vou­lurent revê­tir la langue popu­laire de formes archaïques. Fausse route. D’ac­cord avec la nature de la vraie poé­sie qui s’ex­pri­ma tou­jours dans la langue popu­laire, une ardente cam­pagne pour cette der­nière s’est déve­lop­pée depuis 30 ans. D’autre part, le peuple grec ne peut plus, dans le domaine de l’art et de la pen­sée, s’en tenir à la tra­di­tion de la poé­sie popu­laire qui ne cor­res­pond plus aux besoins de sa vie spi­ri­tuelle et éco­no­mique d’au­jourd’­hui. Il s’ef­force de s’o­rien­ter dans le milieu euro­péen. Les œuvres lit­té­raires, sans être indis­cu­ta­ble­ment supé­rieures, sont néan­moins abondantes.

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Le 20 sep­tembre 1920, Made­moi­selle Édith Aghion nous entre­tint de la Musique scan­di­nave. Le lied popu­laire est la mani­fes­ta­tion ori­gi­nale de l’ins­pi­ra­tion musi­cale scan­di­nave. On y retrouve le culte de la patrie, un vif amour de la nature mêlé à la ter­reur d’une foule d’êtres sur­na­tu­rels. Ce lied est sur­tout l’i­mage poé­ti­sée des aspects de la nature. Aimables, tein­tées de mélan­co­lie et calmes sont les mélo­dies danoises (Johan P.E. Hart­mann, Niels Gade). En Suède, la nature, plus rude, ins­pire une musique à dis­so­nances et à mou­ve­ments rapides (Sœder­mann, Andreas Hal­len et Sten­ham­mer). Les chants nor­vé­giens de Grieg, de Svend­sen et de Sin­ding sont plus rudes encore et pro­fon­dé­ment tristes. La musique fin­lan­daise est mys­tique et sombre (Sibé­lius). D’une façon géné­rale, la musique scan­di­nave a une har­mo­nie simple ; les sen­ti­ments qu’elle exprime sont très jeunes et le ton mineur y pré­do­mine. – Les audi­tions que Mlles S. et A. Ana­niantz, I. Dra­ki­tis et S. Artel­li don­nèrent des prin­ci­paux musi­ciens furent tout à fait remarquables.

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M.Fressenon, le 20 octobre 1920, nous fit connaître un poète pro­vin­cial des envi­rons de Roanne : Louis Mer­cier, auteur d’un roman : Helene Sor­biers, de 2 poèmes dra­ma­tiques : Ponce-Pilate et Lazare le Res­sus­ci­té, de recueils de vers : l’En­chan­té, le Poème de la Mai­son, les Voix de la Terre et du Temps. Louis Mer­cier chante sur­tout les tra­vaux des champs : la vache, la chèvre, le porc lui-même, le blé, le vin lui servent de thèmes ; on pour­rait extraire de son œuvre des buco­liques fleu­rant la terre frai­che­ment remuée ou l’é­table dans laquelle ruminent les trou­peaux. Le Poème de la Mai­son contient des pièces exquises sur le lit, l’hor­loge, la lampe… Louis Mer­cier est clas­sique, mais avec liber­té, par la clar­té et la sobrié­té de son style, par l’or­don­nance régu­lière de la com­po­si­tion ; il est par­nas­sien par l’art du rythme et le scru­pu­leux sou­ci de la forme, le choix des mots et la richesse des rimes ; il est sym­bo­liste par le sens sub­til des rap­ports du monde exté­rieur et de l’âme, par l’é­vo­ca­tion sug­ges­tive des images, par la recherche des sono­ri­tés fortes ou douces sui­vant les sen­ti­ments expri­més. — C’est un poète déli­cat et tendre.

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L’an­née 1920 fut, pour L’Oa­sis, une période de tâton­ne­ments et d’es­sais. On le voit, les cau­se­ries qui furent faites por­tèrent sur des sujets trop divers. Nous eus­sions pré­fé­ré une série de confé­rences for­mant un ensemble homo­gène en vue d’une action pré­cise. Mais il fal­lait s’a­dap­ter à un milieu essen­tiel­le­ment hété­ro­gène, uti­li­ser les res­sources dis­po­nibles et grou­per un nombre suf­fi­sant de confé­ren­ciers ; il fal­lait d’a­bord agir, par­tir, déter­mi­ner un cou­rant, — ce qui fut tenté.

D’ailleurs, l’Oa­sis, même pen­dant cette période, fut autre chose qu’une tri­bune où l’on serait venu écou­ter les voix les plus contra­dic­toires aux seules fins de la dis­cus­sion et du diver­tis­se­ment. Toutes les per­sonnes qui ont par­lé étaient unies par un idéal com­mun. Nous les remer­cions, ici, de leur dévoue­ment à une cause qui nous est chère. Nous remer­cions aus­si ceux et celles qui, par l’ef­fet de leur auto­ri­té ou de leur géné­ro­si­té, vou­lurent bien nous aider dans notre tâche.

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