La Presse Anarchiste

Classe ouvrière, monopoles et VIe Plan

Forte crois­sance, impli­quant indus­tria­li­sa­tion, et rajeu­nis­se­ment des struc­tures, tels sont, à notre sens, les axes direc­teurs du pro­gramme pro­po­sés (Jour­nal Offi­ciel, 10 – 7‑70) par les gaul­listes, en vue de l’é­la­bo­ra­tion défi­ni­tive du VIe Plan.

Certes, il s’a­git encore d’un beau pro­gramme ; une ques­tion se pose au préa­lable : quelles moti­va­tions en dictent le contenu ?

Lutte du Capital sur deux fronts

À l’ex­té­rieur : l’in­fla­tion galo­pante, résul­tant, d’une part, du défi­cit bud­gé­taire U.S. — lequel repré­sente actuel­le­ment cinq fois envi­ron le chiffre d’af­faires de la sidé­rur­gie fran­çaise pour 1970 — d’autre part de la dégra­da­tion du mar­ché moné­taire, effet de la baisse réelle du taux des pro­fits, ten­drait à para­ly­ser les groupes capi­ta­listes indus­triels, si n’é­tait pré­co­ni­sée une poli­tique éco­no­mique défen­sive, requé­rant équi­libre et effi­ca­ci­té donc sta­bi­li­sa­tion, dans un pre­mier temps, puis, dété­rio­ra­tion du niveau de vie des travailleurs.

À l’in­té­rieur, les mêmes groupes capi­ta­listes se voient mena­cés, depuis quelques années déjà, par deux facteurs :
– une désaf­fec­tion crois­sante de la main-d’œuvre, pour leur domaine au pro­fit du « tertiaire» ;
– une incu­rie patente des poli­tiques éco­no­miques anté­rieures, en matière d’in­fra­struc­tures (routes, trans­ports, télécommunications…).

Le constat interne explique la for­mu­la­tion de deux impératifs :

  1. mise en œuvre d’une poli­tique de l’emploi,
  2. recherche de l’ef­fi­ca­ci­té en matière d’in­ves­tis­se­ments publics.

A. — Politique de l’emploi

Défi­nie comme « ins­tru­ment » de la crois­sance, elle com­porte plu­sieurs niveaux d’action.

Le « plein emploi »

La logique gaul­liste est la sui­vante : le chô­mage résulte pour l’es­sen­tiel d’un « mou­ve­ment défa­vo­rable à l’o­rien­ta­tion » des tra­vailleurs. Ce à quoi on remé­die par « l’in­for­ma­tion », elle-même géné­ra­trice d’une meilleure uti­li­sa­tion des forces du tra­vail, condi­tion de la crois­sance, elle-même condi­tion du plein emploi.

La crois­sance implique néces­sai­re­ment des « acci­dents d’emploi » (sous-qua­li­fi­ca­tion, chô­mage) « risques inhé­rents aux aléas de l’é­co­no­mie » en croissance.

De cet ensemble de cita­tions, il res­sort que croire au plein emploi dans un sys­tème éco­no­mique aus­si aléa­toire n’est qu’un leurre.

La crois­sance d’un tel sys­tème n’y change rien de plus.

Donc pour les tra­vailleurs crois­sance du capi­tal égale chômage.

L’amélioration de la condition ouvrière

Citons d’a­bord

« L’a­mé­lio­ra­tion des condi­tions de tra­vail est une néces­si­té pour par­ve­nir à un emploi plus satis­fai­sant puisque les pénu­ries consta­tées sont sou­vent liées à une désaf­fec­tion gran­dis­sante pour les condi­tions de tra­vail proposées. »

Pour pal­lier cette « désaf­fec­tion » les gaul­listes « lan­cèrent » la mensualisation.

« A contra­rio », ils n’hé­sitent pas à pro­cla­mer qu’il leur fau­dra « déve­lop­per les ser­vices aux entre­prises » par­mi les­quels se classe le « tra­vail temporaire ».

Une remarque cepen­dant : le tra­vail tem­po­raire contre­dit à la fois

  1. la fameuse poli­tique (voir plus haut) du plein emploi, car la majo­ri­té des « tem­po­raires » ne tra­vaille qu’à 60% ou 70% de l’an­née, et,
  2. la cam­pagne de men­sua­li­sa­tion, car sur les plans : sécu­ri­té de l’emploi, condi­tion de tra­vail, « l’ho­raire » est un men­suel pour le « temporaire ».

Dès lors, le trip­tyque : men­sua­li­sa­tion, plein emploi, crois­sance (des divi­dendes bien sûr!). n’est qu’une farce, et une farce de plus du VIe Plan.

La formation professionnelle

For­ma­tion « accé­lé­rée », à moindre coût, d’une mino­ri­té de tra­vailleurs, per­met­tant « conver­sion » plus rapide, donc « mobi­li­té », donc inter­chan­gea­bi­li­té à tout moment, telle est l’o­rien­ta­tion pro­po­sée pour le VIe Plan.

En outre, il est néces­saire de sou­li­gner que « la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle est pour une grande part une poli­tique conjonc­tu­relle. L’am­pleur des actions à mener sera déter­mi­née par le rythme et la régu­la­ri­té plus ou moins grande de la croissance ».

For­ma­tion pro­fes­sion­nelle sans consis­tance, sou­mise à la dis­cré­tion des groupes capi­ta­listes indus­triels, à des fins de pro­fit sub­stan­tiel, tels sont les pen­dants de la fameuse « for­ma­tion permanente ».

Réduction de la durée du travail

D’un côté :

« Devra être étu­diée la pos­si­bi­li­té d’un abais­se­ment de la durée heb­do­ma­daire maxi­male du tra­vail fixée depuis 1966 à 54 h. »

Nous infor­mant que cet « abais­se­ment » sera de l’ordre de 1h30, la clique gaul­liste n’en cache pas moins le coût (0,20% par an des pos­si­bi­li­tés de croissance).

De l’autre :

C’est au prix « d’un effort accru d’é­pargne » ou « de modé­ra­tion de la consom­ma­tion des ménages » que cette perte pour­ra être compensée.

Conclu­sion :

À pro­fit égal, la réduc­tion de la durée heb­do­ma­daire du tra­vail, passe par la dété­rio­ra­tion du niveau de vie des tra­vailleurs et de leurs familles.

B. — Les orientations de la « politique des fonctions collectives »

Pres­ta­tions sociales, biens d’é­qui­pe­ments, sont volon­tai­re­ment sacri­fiés au béné­fice des sec­teurs à forte pro­duc­ti­vi­té (sec­teur indus­triel bien entendu!).

Ces orien­ta­tions s’ins­crivent dans le cadre d’une poli­tique d’en­semble dénom­mée : « levée des blo­cages structurels ».

la santé

Éli­mi­ner les « excès » de la consom­ma­tion des médi­ca­ments, res­treindre le champ des pro­duits rem­bour­sés, (en garan­tis­sant tou­te­fois l’é­vo­lu­tion des marges des offi­cines), réduire les délais de séjour hos­pi­ta­lier voi­là ce qu’il faut entendre par san­té des tra­vailleurs durant le VIe Plan.

Cepen­dant, cette poli­tique ne tar­dant pas à accroître le rôle éco­no­mique des mutuelles (véri­tables banques d’af­faires) et ce, par le jeu de la dégra­da­tion des rem­bour­se­ments effec­tués par la Sécu­ri­té sociale, per­met­tra un finan­ce­ment accru des groupes industriels.

Les logements

Dans ce domaine « le retour à la liber­té » des loyers, « la réforme de la fis­ca­li­té fon­cière », la sup­pres­sion des droits atta­chés à l’oc­cu­pa­tion per­met­tront la construc­tion de 510.000 loge­ments ter­mi­nés, par an, durant les cinq années à venir.

Si d’autre part la réa­li­sa­tion de ce pro­gramme… est enta­chée d’in­cer­ti­tude (ce qui veut dire en clair que le chiffre pro­po­sé, déjà insuf­fi­sant, sera loin d’être rete­nu) le VIe Plan n’en vise pas moins à res­tau­rer la curée des trusts immo­bi­liers, et ce bien enten­du dans le seul sou­ci de recherche de la compétitivité.

Les transports

Le « déve­lop­pe­ment dyna­mique » des trans­ports col­lec­tifs, bien que « néces­saire », sera lar­ge­ment sup­plan­té par celui de l’in­dus­trie auto­mo­bile qui dans le cadre de la métal­lur­gie consti­tue un des sec­teurs pré­fé­ren­tiels de l’aide de l’État.

La S.N.C.F., pour sa part, concen­tre­ra « le déve­lop­pe­ment de son acti­vi­té fer­ro­viaire sur ses sec­teurs rentables ».

Belles illus­tra­tions de la maxime :

« Toute aide publique doit viser à débou­cher sur une ren­ta­bi­li­té durable. »

En guise de conclusion

Si, comme le pré­cise le rap­port sur les orien­ta­tions du VIe Plan. « L’es­prit même du Plan, la nature et la hié­rar­chie des objec­tifs, l’am­pleur et la répar­ti­tion de l’ef­fort à accom­plir pour les atteindre dépendent de l’i­dée que l’on se fait de la France », nous avons vu, en effet, que cette même idée est celle de la nais­sance des divi­dendes réa­li­sés par la réduc­tion de la consom­ma­tion des ménages ouvriers et la dégra­da­tion des équi­pe­ments collectifs.

C’est dans ce sens que doivent être com­pris des mots tels que : « concer­ta­tion », et « déve­lop­pe­ment des pro­cé­dures contractuelles ».

Étouf­fer les luttes par la col­la­bo­ra­tion des classes, voi­là ce qu’il faut entendre par répar­ti­tion de l’ef­fort (en plus du fait que ce sont les seuls tra­vailleurs qui assurent la pro­duc­tion des richesses de la France).

Les tra­vailleurs ne seront pas dupes de cette politique.

La Com­mis­sion économique

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