1. Caractéristiques actuelles de la société
Nous vivons dans une société hiérarchisée, répressive, où la majorité des êtres humains est exploitée par une minorité qui décide du destin de tous sous les apparences de la démocratie.
Sur le plan social, la « nouvelle société » du gouvernement Chaban-Delmas, imaginée et mise en œuvre par des technocrates, tend à réduire les distorsions entre le développement capitaliste de la société et la contestation sociale en s’efforçant de parvenir à des accords prioritaires avec les organisations syndicales que, tout en réévaluant leur rôle, on s’efforce d’intégrer dans le système actuel des relations socio-professionnelles.
En troisième lieu, le pouvoir politique se fixe pour objectif principal la régulation de la vie économique et sociale, à son initiative et sous sa responsabilité réelle, tout en mettant en œuvre le meilleur de ses moyens pour servir le plus possible les intérêts des capitalistes, qu’il considère dans l’ensemble comme étant ceux de la nation.
2. L’action présente du syndicalisme
Morcelé par sa division, le syndicalisme ne paraît pas à la hauteur de sa mission et se trouve quelquefois dépassé, comme en mai 1968, par le mouvement des masses que, cependant et bon gré mal gré, il est obligé de suivre pour ne pas risquer de se renier et d’être condamné par les meilleurs des siens.
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Ce qui semble manquer au syndicalisme, c’est tout à la fois une doctrine, une stratégie et une tactique.
En effet, il n’apparaît pas comme le porteur de la société future, dont il devrait essayer de dessiner l’image. Pas davantage, il ne donne l’impression d’être ce mouvement à grandes idées populaires qui enthousiasment et entraînent les masses. On ne sent pas plus, chez lui, une action défensive contre l’intégration et offensive pour la désintégration de la société actuelle.
Face aux forces en place du capitalisme et de l’État technocratiques, en présence de la défaillance des institutions de la démocratie bourgeoise ainsi que du dépérissement et de la dégénérescence des partis politiques, le vide laissé au syndicalisme ne se trouve comblé qu’à moitié alors qu’il devrait l’assumer pleinement, conformément à l’évolution historique, et profiter de cette position de force pour revendiquer plus énergiquement, se battre davantage et, par sa pratique et son idéal, appeler à la construction d’une société de caractère collectiviste et libre.
Cette double tâche, tout à la fois dans le présent et pour le futur, conformément à l’esprit de la Charte d’Amiens, s’impose au syndicalisme, suivant sa nature même, pour réduire les injustices, élargir le cadre de vie, faire disparaître les profiteurs et autres parasites de la société actuelle et imaginer des structures nouvelles plus rationnelles et mieux adaptées aussi bien à l’évolution scientifique et technique qu’aux besoins et aux aspirations des hommes.
3) La société collectiviste et libre
Par opposition à la société capitaliste de profit et gaspillage, la société collectiviste et libre que nous voulons bâtir, par fidélité à l’idéal syndicaliste, doit avoir pour vocation la liberté et le bien-être des travailleurs considérés tous ensemble ou pris individuellement et reposer sur l’appropriation collective des moyens de production.
Sa réalisation constituerait l’achèvement de l’une des tâches du syndicalisme actuel, par la transformation socialiste de la société capitaliste, mais ne saurait mettre un terme à sa vie ni à son action de façon à éviter les déviations dangereuses que l’histoire nous a enseignées et pour permettre, en cas de besoin, d’assumer la défense des intérêts particuliers ou généraux des travailleurs, qui pourraient être malgré tout négligés.
Gardien vigilant des structures et du cadre de la société sans classes, défendant toujours les hommes et les femmes contre les injustices dont ils pourraient être victimes, le syndicalisme serait à la société socialiste de demain ce que les partis politiques ont essayé d’être à la société bourgeoise d’aujourd’hui, en présentant ses candidats à la confiance des électeurs aux différentes instances nouvelles, mais sans s’y intégrer lui-même afin de préserver sa liberté de mouvement et d’action.
Les comités gestionnaires, dont nous serions les initiateurs et les promoteurs, seraient donc démocratiquement élus, révocables et à renouveler régulièrement, aux diverses structures de la vie économique et sociale : établissement, entreprise, industrie d’une part, localité, région et nation d’autre part. Autonomes et se coordonnant entre eux, les uns par rapport aux autres, ces comités démocratiques gestionnaires auraient la charge d’assumer leurs propres responsabilités, dans leurs domaines, tout en harmonisant démocratiquement et dans l’intérêt collectif leurs activités.