Depuis mai 68, il est de bon ton dans les universités de se « pencher » sur le sort des ouvriers. Dans le cadre de cet ouvriérisme d’un nouveau style on se préoccupe d’éducation permanente et c’est là que les travailleurs doivent être vigilants. En septembre 68, ceux d’entre eux qui s’étaient exprimés dans les Comités d’Action, avaient revendiqué le droit pour tous à l’enseignement dans les universités. Plusieurs projets de centres d’éducation populaire avaient été élaborés et l’on a pu croire pendant quelques semaines, que travailleurs d’usines et travailleurs de l’enseignement supérieur pourraient dans un libre échange de leurs connaissances abolir réellement les principes culturels. Ce que souhaitaient les camarades dont la vie scolaire a été brève, c’était que leur soit offerte la possibilité de venir le soir ou le samedi, dans les universités, acquérir auprès des enseignants d’abord les connaissances nécessaires à la défense de leurs droits. Puis, à partir de ces premiers éléments d’information, des enseignements plus approfondis devaient être prévus pour ceux qui en auraient exprimé le désir.
Tout était possible à la rentrée 68 dans ce domaine si les enseignants du supérieur avaient mis leur pratique en accord avec leur discours. Hélas!… les grands révolutionnaires nantis étaient souvent plus soucieux d’utiliser leur titre d’«ancien combattant de mai » pour publier chez quelques éditeurs bourgeois des ouvrages fort rentables que de voir abolir l’un de leurs privilèges assez « payants » : celui de la connaissance.
Alors… l’espoir s’est écroulé. Plus question des libres débats envisagés sur les problèmes quotidiens : la Sécurité sociale, les menaces d’expulsion du logement, les « manipulations » du patron ou de ses sbires entraînés aux méthodes d’une certaine psycho-sociologie. Plus question, à partir de ces premiers échanges, de déboucher sur des connaissances : juridiques, économiques, de sciences humaines qu’une pédagogie libertaire rend aisément accessible aux non-spécialistes leur donnant ainsi des armes contre les exploiteurs.
Tout est là, la véritable éducation populaire est libertaire et elle est un danger pour toute direction autoritaire au niveau de l’usine, de l’université, de l’État puisqu’elle ne dispense des connaissances que pour permettre de penser librement et d’agir en connaissance de cause. Une telle éducation a pour ennemi l’unanimité des courants favorables à un endoctrinement.
Voilà pourquoi une alliance : CNPF, CGT, FO, CFDT, CGC adoptait le 9 juillet 1970 un accord sur l’éducation, non plus populaire, mais permanente. Grâce à cet accord, « le travailleur sera considéré comme un investissement » (sic); cela se passe de commentaires.
Devenue respectable, l’éducation des travailleurs va être encouragée, on accordera 4 heures de congé par semaine aux bons ouvriers qui iront se « recycler » à l’université, à condition évidemment qu’ils suivent des enseignements sérieux, liés à leur métier.
On n’accordera pas d’autorisations d’absence à quiconque voudrait, par exemple, entreprendre des études de psychologie sociale ou de sociologie. L’Éducation permanente est d’ailleurs désormais devenue Formation permanente et il ne saurait être question de considérer qu’apprendre à analyser les processus sociaux, à détecter les groupes de pression, à découvrir les ramifications économiques des diverses institutions puisse être une formation sérieuse pour les travailleurs manuels ou les employés de bureau.
Il se crée dans certaines universités des conseils de gestion de la formation permanente, les grandes centrales ouvrières y sont représentées parfois et il arrive que l’accord soit parfait entre leurs délégués et ceux du patronat.
Il est temps d’alerter les travailleurs. L’éducation populaire ne peut être ni « charitable », ni « contrôlée ». Elle n’a de sens que si elle est échange. Échange d’expériences différentes au sein d’un groupe où chacun interroge et où chacun apprend, où nul n’a un statut différent de celui des autres. C’est-à-dire que l’éducation populaire est l’affaire des travailleurs libertaires.