« Obsèques nationales », « Mort pour la France », « Parti des Fusillés », « Martyrs de Chicago » : les peuples, les sectes, les tribus, les partis ont du goût pour la nécrologie. Ils savent bien tirer le maximum de profil du moindre cadavre dès lors qu’ils peuvent lui coller l’appellation contrôlée « Français », « P.C.F. », « Ancien du 121e de ligne»…
La presse libertaire, en général, n’échappe pas, hélas ! à cette gymnastique sentimentalo-politique, et la place qu’elle consacre aux : « Puisse ton sacrifice n’avoir pas été vain, Albert…» et aux « Les jeunes générations saurent se montrer dignes de ton exemple, Eugène…» aux détriment des articles et études de propagande et d’éducation, témoigne plus du vieillissement du courant anarchiste que de son dynamisme. Tel est, tout au moins, notre point de vue sur la chose.
Pourtant un homme vient de mourir, que nous aimions. Ceux de nos lecteurs qui ne le connaissaient pas doivent savoir qu’ils viennent de perdre un camarade.
Benjamin Péret, poète-militant révolutionnaire, est mort à l’hôpital Boucicaut, à Paris, le 18 septembre 1959.
Bien sûr, Péret est plus connu comme poète surréaliste que comme militant révolutionnaire, mais il fut les deux – indissolublement.
Ceux d’entre nous qui par le surréalisme ont quitté les rivages bourgeois pour venir à l’Anarchie savent ce qu’était Péret poète.
Le Surréalisme, découvert par Breton, Péret et quelques autres en risquant un œil dans la brèche que le bombe Dada venait de faire dans le mur du conformisme bourgeois, est apparu il y a environ 40 ans.
Péret avait 20 ans alors, 20 ans.
Après avoir pris leurs distances du nihilisme, très vite les surréalistes sont présents dans le mouvement révolutionnaire.
« Ouvrez les prisons ! Licenciez l’Armée ! » clament-ils dès le 15 janvier 1925 (« La Révolution Surréaliste », n°2).
Péret est de ceux qui, voulant une application concrète de leurs positions politiques, entrent en 1927 au Parti communiste.
Il est aussi, avec Breton, de ceux, moins nombreux, dont l’éthique révolutionnaire ne peut s’accommoder des zigzags et compromissions du P.C.
Il quittera le parti, y laissant Eluard et Aragon qui y feront leur beurre.
Péret, parallèlement à ses textes poétiques, signe quantité de proclamations du groupe surréaliste :
– Contre l’Exposition coloniale de 1931 alors qu’on vient d’arrêter un militant annamite.
– Pour la solidarité ouvrière internationale avec la révolution espagnole de 1931.
– Contre la rationalisation du travail aux Usines Renault.
– Pour l’unité d’action ouvrière contre le fascisme, le 6 février 1934.
– Etc, etc.
Dès le 20 juillet 1936, Péret est parmi ceux qui apportent leur adhésion totale à la révolution ouvrière espagnole, multipliant les appels à la formation de milices prolétariennes, dénonçant la trahison que constitue la « non-intervention ».
Enfin, Péret prendra sa place dans les mage de la Colonne Durruti, deviendra un milicien de la C.N.T.-F.A.I.
Après la guerre, le groupe surréaliste collabora un certain temps au « Libertaire » de la Fédération Anarchiste. Conjointement à Breton, Schuster, Valorbe, Legrand, etc., qui nous apportaient des textes poétiques ou de critique. artistique, Péret nous donnait une étude « La Révolution et les Syndicats » (n°321 à 326 inclus), contribution importante à la compréhension des problèmes ouvriers de l’après-guerre.
Péret y analysait la fonction contre-révolutionnaire des syndicats dégénérés, absorbés par le capitalisme et lui opposait celle, révolutionnaire, des conseils ouvriers élus sur le lieu du travail et révocables à tout instant.
Plus récemment, il avait tenu à nous formuler ses critiques quant à notre n°7 – 8 (le Nationalisme), soucieux qu’il était d’une collaboration constructive des diverses tendances révolutionnaires. (voir sa lettre parue sous les initiales B.P. dans N.R. n°9 pp. 89 à 92 incluse).
Péret se réclamait de la tendance marxiste « Communiste de Conseils ».
Cela ne peut en aucune façon nous empêcher de le considérer comme étant des NÔTRES. (Que l’on ne nous fasse pas l’injure de voir là une tentative d’annexion!).
Des nôtres, moins peut-être parce qu’il avait combattu sous le drapeau noir et rouge en Espagne, que parce que toute sa vie il fut un militant de la liberté, sachant à tout moment en tout domaine, la reconnaître, combattre ses erreurs, en dénoncer ses maquereaux.
Péret était le type même d’homme dont la révolution a le plus grand besoin. Sans illusions, lucide, il croyait à la Vie, à la « vraie vie », échappant au beau fixa des fanatiques comme à la désespérance des nihilistes. Solide.
Parler de la révolution avec Péret, et votre pessimisme ou votre enthousiasme fondait, se figeait en un lingot de conviction tranquille mais intraitable.
Si Révolution et Poésie étaient pour lui indissolublement liées, c’est que Benjamin Péret voyait dans la poésie « le véritable souffle de l’homme », « la source de toute connaissance et cette connaissance elle-même» ; « On l’appelle ici l’amour, là liberté, ailleurs sciences » disait-il, et en effet c’était grâce à cette conception et au libre exercice de son esprit, qu’en véritable poète il sut avec cohérence et sans défaillance, nous donner l’image d’un homme en qui toute la puissance créatrice et libératrice a pu s’épanouir.
À une époque où, pour un peu ou beaucoup d’argent, des artistes se mettent au goût du jour quel qu’il soit ; où, pour un peu d’«honneurs », des militants ouvriers s’assoient au tapis vert des commissions paritaires ; où, pour une place de « permanent », des révolutionnaires trompent la Révolution en restant au Parti communiste, un gars comme Péret, c’est une bouffée d’air pur.
Car si sa modestie, sa pauvreté, sa dignité l’ont privé des grandes orgues du renom, il n’en demeure pas moins que l’œuvre poétique de Péret reste l’une des plus belles qui soient.
Et si elle est encore trop peu connue, trop peu reconnue, c’est bien parce que la bourgeoisie et sa presse l’entourèrent d’un mur de silence, sachant que Péret n’était pas du bois dont on fait les Aragon et les Dali…
Plus près de nous, au sein même du mouvement libertaire, quelques « personnalités » « anarchistes » feraient bien de méditer l’exemple de Péret. Lui avait du génie, eux n’ont même pas de talent. Lui ne cultivait pas le « je » comme une plante précieuse. Lui était Ouvrier du Livre (eh ! oui) tandis qu’eux sont parfois petits patrons ou commerçants. Dans les assemblées de militants ouvriers il écoutait, lui, et lorsqu’il intervenait, c’était fraternellement, avec concision et clarté, en camarade… tandis que nos petits « penseurs » cultivent le genre paternaliste, choisissent leurs mots dans le vocabulaire des clercs de notaire, jouent à « l’élite », font les paons…
Oui, Péret, quelle leçon, pour tous ces gens-là ! Mais plus encore quelle source pour nous où aller retrouver, quand l’espoir nous abandonne, avec le goût mûrie de le liberté, la force de lutter pour elle – toujours et partout.
En vérité, on vous le dit, camarades qui n’eurent pas le bonheur d’approcher Péret : c’était quelqu’un l’auteur de « Je ne mange pas de ce pain-là ».
Jamais il n’y a touché.
Schumack