La Presse Anarchiste

Le mythe des conseils ouvriers chez Tito

Dédié à nos bra­vos cocus de la Gauche…

Introduction

La révo­lu­tion hon­groise de 1956, le sou­lè­ve­ment de Ber­lin, les évé­ne­ments de Pologne et, d’une façon géné­rale, les échecs du sta­li­nisme aus­si bien en Europe Orien­tale qu’Occidentale, ont remis le pro­blème des conseils ouvriers au pre­mier plan de l’actualité révolutionnaire.

Il n’est pas dans notre pro­pos de tra­cer 1’historique des Conseils ouvriers, que l’on retrouve déjà sous la Révo­lu­tion fran­çaise dans les Conseils de com­munes, au cours de divers mou­ve­ments révo­lu­tion­naires de l848, puis, sous la Com­mune, jusqu’au pre­mier soviet des usines Pou­ti­lov à Péters­bourg en 1905, le pre­mier congrès des soviets en juin 1917, les soviets de Krons­tadt contre la dic­ta­ture bol­che­vique en 1921, les « répu­blique des conseils » à la fin de la pre­mière guerre mon­diale en Hon­grie, en Alle­magne, en Autriche, aux deux extré­mi­tés de l’Adriatique : à Pola et à Cat­ta­ro, en Espagne et en Chine, pour assis­ter au der­nier sur­saut, en 1956, à Budapest.

On va nous faire obser­ver que nous oublions dans cette énu­mé­ra­tion les conseils ouvriers yougoslaves.

Il ne s’agit pas, avouons-le tout de suite ! d’un oubli : pour nous, la créa­tion de « conseils ouvriers » par le gou­ver­ne­ment you­go­slave ne repré­sente qu’une nou­velle mys­ti­fi­ca­tion de la classe ouvrière par la bureau­cra­tie. Dangereuse :
– pour les ouvriers you­go­slaves, chez qui elle com­pro­met une ins­ti­tu­tion révo­lu­tion­naire, res­tée – jusqu’à pré­sent – « propre » (on pou­vait oppo­ser au Par­ti l’idée des conseils ouvriers).
– pour « une cer­taine gauche euro­péenne » qui s’accroche à « l’exemple you­go­slave » et au slo­gan du gou­ver­ne­ment de Tito : « le trans­fert des usines aux ouvriers ! » comme à 1a seule solu­tion res­tée encore pos­sible entre le capi­ta­lisme et le stalinisme.

Ce pour­quoi il est impor­tant d’examiner le conte­nu réel de l’«expérience you­go­slave » et ses conséquences.

« Standing » de vie ou le socialisme passe par le ventre

C’est avec la loi du 1er avril 1952 que le nou­veau sys­tème des salaires est entré en vigueur dans toutes les entre­prises éco­no­miques en You­go­sla­vie. Jusqu’à cette date, les salaires étaient fixés par décret gouvernemental.

La créa­tion d’une indus­trie nou­velle des biens de l’équipement, les inves­tis­se­ments chaque année renou­ve­lés ont ser­vi sur­tout à la crois­sance et ren­for­ce­ment de l’appareil bureau­cra­tique, de l’É­tat, de la « nou­velle classe ». Cet effort se tra­dui­sait pour la classe ouvrière par la dimi­nu­tion conti­nuelle du niveau de vie et de le consom­ma­tion à envi­ron quatre ou cinq fois au-des­sous du stan­dard de vie, déjà pas très brillant, des ouvriers en France. Pour la pay­san­ne­rie, l’«édification socia­liste » vou­lait dire le rachat obli­ga­toire, à des prix déri­soires, des 82% de leurs pro­duits par l’État. Cette poli­tique a mené le pays à la catas­trophe éco­no­mique. Après la rup­ture du P.C.Y. avec Mos­cou, la classe diri­geante, libé­rée de l’obligation d’exécuter doci­le­ment les direc­tives sovié­tiques dans l’organisation et l’économie de l’État, s’est vu obli­gée de faire des conces­sions impor­tantes aus­si bien à la pay­san­ne­rie qu’à la classe ouvrière. C’est ain­si que les pay­sans ont recon­quis la liber­té de déci­der libre­ment la nature de leur pro­duc­tion, et le rachat obli­ga­toire de leurs pro­duits fut pro­gres­si­ve­ment abandonné.

La conces­sion consen­tie à la classe ouvrière était la créa­tion des conseils ouvriers d’usine. La pro­pa­gande offi­cielle affirme que les ouvriers eux-mêmes décident du mon­tant de leurs salaires et de la dis­tri­bu­tion des reve­nus des entre­prises éco­no­miques. Cette par­ti­ci­pa­tion ouvrière à la ges­tion des entre­prises devait mettre fin à l’abaissement conti­nu du stan­dard de vie des ouvriers. Car c’est là, fina­le­ment, la ques­tion : Qu’est-ce que le gou­ver­ne­ment nous offre comme moyen pour sor­tir de cette situa­tion misé­rable ? Est-ce que la « par­ti­ci­pa­tion ouvrière à la ges­tion des entre­prises » met­tra fin à 1’abaissement conti­nu du stan­ding de vie des ouvriers ?

Le revenu national ou l’inégalité des tranches du gâteau

C’est la Loi qui fixe chaque année le plan pour l’ensemble de la pro­duc­tion et de la dis­tri­bu­tion des biens dans l’État you­go­slave. C’est donc le Par­le­ment qui en décide en défi­ni­tif, après une vague consul­ta­tion des syn­di­cats, coopé­ra­tives, etc. Il est vrai que le Plan ne fixe pas la nature et les quan­ti­tés des pro­duits à fabri­quer, à livrer, mais le « mini­mum obli­ga­toire de l’utilisation des capa­ci­tés pro­duc­trices ». Ce « mini­mum » est pour l’agriculture de 105%, pour arri­ver à le pro­duc­tion pré­vue et payer les plans chi­mé­riques de trans­for­ma­tion magique d’un pays agri­cole en un pays hau­te­ment indus­tria­li­sé – inves­tis­se­ments : 17,7% du reve­nu natio­nal net – et pour appor­ter la tran­quilli­té d’esprit à la nou­velle classe diri­geante – l’armée, l’armement, l’administration d’É­tat : 45,4% du reve­nu natio­nal net… La part des sala­riés dans tout cela ? Eh bien ! dans le reve­nu pro­duit par l’industrie et la pro­duc­tion minière, pour ne citer que cet exemple, elle n’est que de 14,9%. Cette part est fixée à l’avance par le plan qui, en dehors du « mini­mum d’utilisation », fixe le fonds glo­bal de salaires à dépen­ser pour ce degré d’utilisation. Le pre­mier élé­ment pour déter­mi­ner le fonds des salaires sont les normes de pro­duc­tion et l’optimum du per­son­nel : com­bien d’ouvriers et d’employés sont indis­pen­sables pour faire « tour­ner » l’entreprise à X% de sa capa­ci­té productrice ?

En fixant d’avance le degré d’utilisation des entre­prises, l’État déter­mine la qua­li­té et le volume de la production.

En fixant le fonds glo­bal des salaires, l’É­tat s’assure que la consom­ma­tion et le stan­dard pré­vus pour les sala­riés ne seront pas dépas­sés. À l’intérieur de ce fonds glo­bal, les sala­riés le repar­tissent entre eux comme bon leur semble et arrivent gen­ti­ment à une sorte d’auto-exploitation et, même, d’auto-punition (nous citons « Borba »):

« Le fonds glo­bal des salaires (la somme payée à l’ensemble du per­son­nel) sera dimi­nué par chaque absence de tra­vail non jus­ti­fiée… cela veut dire que le col­lec­tif entier doit se dres­ser contre ceux de ses membres qui essaie­raient de dimi­nuer le fonds com­mun des salaires en pro­vo­quant des frais injustifiés…»

Toute la classe ouvrière you­go­slave devrait se trans­for­mer en « poin­teau », en garde-chiourme, en contre-maître… Car le mot d’ordre géné­ral est : « Dimi­nu­tion des prix de revient » ou, plus mécham­ment, « nous ne vou­lons pas par­ta­ger les gains avec des pares­seux ! ». En effet, les salaires sont fixés de telle façon qu’ils per­mettent à peine aux sala­riés de satis­faire leurs besoins les plus élé­men­taires. Mais ces salaires n’étant qu’une par­tie seule­ment du reve­nu d’un sala­rié, on lui fait miroi­ter la pos­si­bi­li­té de rece­voir la deuxième tranche, pui­sée dans le fonds glo­bal. C’est le bilan de l’année d’une entre­prise qui doit faire res­sor­tir le par­ti­ci­pa­tion de cha­cun dans la dis­tri­bu­tion des gains. Le moyen le plus simple d’arriver à l’augmentation de la ren­ta­bi­li­té de l’entreprise est la dimi­nu­tion des prix de revient et l’augmentation de la pro­duc­ti­vi­té de chaque ouvrier. En réa­li­té, toutes ces mesures se font au détri­ment de l’ouvrier, aggra­vant les condi­tions dans les­quelles il tra­vaille et demandent un effort aus­si bien phy­sique que psy­chique tou­jours plus grand. D’autant plus, que le che­min est long entre la chaîne de pro­duc­tion et le bureau direc­to­rial où on « par­tage » les béné­fices… Long, et il passe par la caisse d’É­tat qui couvre les « charges sociales » en pré­le­vant sur les recettes brutes des entre­prises. Sous la déno­mi­na­tion « charges sociales » on n’entend pas les allo­ca­tions et assu­rances sociales, mais TOUTES les dépenses pré­vues par l’État pour cou­vrir tous les frais de son admi­nis­tra­tion, de l’armée et des inves­tis­se­ments. Avant, donc, de pou­voir tou­cher la deuxième tranche de leurs salaires, c’est-à-dire la par­ti­ci­pa­tion aux gains de l’entreprise, les ouvriers you­go­slaves doivent réa­li­ser par la vente de leurs pro­duits : le mon­tant de leur salaire et le mon­tant de leur contri­bu­tion à la Caisse d’É­tat, sous forme de « charges sociales ». Il est évident que les entre­prises cal­culent leurs prix « charges sociales » incluses. Peut-on se per­mettre d’offrir des prix com­pé­ti­tifs (le mar­ché you­go­slave est un MARCHÉ LIBRE) dans 1esquels est incluse une charge si lourde ? Les risques d’une mau­vaise conjonc­ture, l’ouvrier you­go­slave les par­tage avec son employeur – l’État – ou, tout au moins, avec le Ministre des Finances dont il devient com­plice dans l’affaire… si on en croit la loi du 1er avril 1952…

Ce qui est cer­tain, c’est que plus une entre­prise est déve­lop­pée tech­ni­que­ment, plus son pour­cen­tage des charges est éle­vé et plus son col­lec­tif ouvrier se ver­ra dans l’obligation de dimi­nuer les fonds des salaires, s’il veut lut­ter avec la concur­rence. Cette trou­vaille des « com­mu­nistes » you­go­slaves obli­geant les ouvriers à bais­ser eux-mêmes leurs salaires ne manque pas de pit­to­resque ! Qu’en pensent les « titistes » occidentaux ?

Et la plus-value ?

Eh bien ! elle a chan­gé de nom… cela s’appelle en You­go­sla­vie « socia­liste » la « tranche de l’État ». Voi­là ce qui est franc et pré­cis. Les valeurs nou­velles crées par le tra­vail se répar­tissent donc en deux tranches : fonds des salaires (tranche ouvrière) et la plus-value (tranche de l’État). D’ailleurs, l’entreprise, tota­le­ment pri­vée de moyens finan­ciers, est effec­ti­ve­ment contrô­lée par l’État, et ses avoirs ne sont que des chiffres dans la comp­ta­bi­li­té de la Banque d’État. Si la loi du 1er avril 1952 pré­tend que les ouvriers you­go­slaves ont une part dans la ges­tion du capi­tal indus­triel du pays, elle ne peut pas cacher qu’il n’ont rien à dire dans la ges­tion du capi­tal finan­cier, qui domine tota­le­ment le pre­mier. Et le par­ti­ci­pa­tion de l’État dans la répar­ti­tion de la plus-value créée par l’augmentation non pla­ni­fiée de la pro­duc­tion est assu­rée par un impôt spé­cial que l’entreprise qui dépas­se­rait la pro­duc­tion mini­mum doit payer. Un fonds d’amortissement garan­tie le renou­vel­le­ment des machines et, au cas où le Plan ne le pré­voit pas, l’entreprise doit créer son propre Fonds d’investissement, Fonds de réserve et Fonds social.

Le béné­fice net ne com­mence qu’après avoir ali­men­té suf­fi­sam­ment ces fonds… après avoir don­né à l’É­tat ce qu’il demande comme « charges sociales ».

MALGRÉ UNE FORTE PRESSION, IL N’A PAS ÉTÉ POSSIBLE À LA CLASSE DIRIGEANTE YOUGOSLAVE D’OBTENIR CES REVENUS SOUS LA DIRECTION PUREMENT BUREAUCRATIQUE DE LA PRODUCTION. C’EST PAR LE TRUCHEMENT DES « CONSEILS OUVRIERS » QUE LA BUREAUCRATIE YOUGOSLAVE COMPTE S’ASSURER ET LES REVENUS DESIRÉS ET LA COMPLICITÉ DE LA CLASSE OUVRIÈRE.

« Les usines aux ouvriers »

Voi­ci donc les prin­cipes fon­da­men­taux sur les­quels reposent les conseils ouvriers you­go­slaves – nous résumons :
– ren­ta­bi­li­té : aucune entre­prise éco­no­mique ne doit plus vivre des sub­sides d’É­tat, mais au contraire doit être capable de cou­vrir par ses recettes tous les frais de ges­tion et de ver­ser à l’É­tat les sommes pré­vues par le Plan.
– inté­res­se­ment : les ouvriers et les employés tra­vaillant dans une entre­prise doivent être inté­res­sés à se réus­site, c’est-à-dire que le mon­tant de leurs salaires doit être déter­mi­né par la ren­ta­bi­li­té des entreprises.

Comment on a donné « les usines aux ouvriers »

Toutes les entre­prises sont la pro­prié­té du « Peuple » (lire : de l’État). Le « peuple » qui y tra­vaille n’a pas le moindre droit envers l’entreprise, que le gou­ver­ne­ment peut reti­rer de ses mains n’importe quand, sous n’importe quel pré­texte « d’intérêt public ». Ain­si, un ouvrier peut être licen­cié de « son » entre­prise – et même l’ensemble du per­son­nel (y com­pris le conseil ouvrier). Le col­lec­tif ouvrier tra­vaillant dans une entre­prise est là sim­ple­ment pour la faire « tour­ner » sous un cer­tain nombre de condi­tions « sine qua non » :
– amor­tis­se­ment des machines et du maté­riel (ou restitution),
– acqui­si­tion de nou­velles machines, bâti­ments, moyens de pro­duc­tion, équi­pe­ment (inves­tis­se­ments),
– la pro­prié­té de l’É­tat doit donc s’enrichir chaque année,
– acquit­te­ment de toutes les charges pres­crites par 1’État.

Ceci prouve que dans le sys­tème titiste et sous la cou­ver­ture des « conseils ouvriers » la PROPRIÉTÉ DES MOYENS DE PRODUCTION RESTE SEPARÉE DES PRODUCTEURS et que, pour par­ler clai­re­ment, LES OUVRIERS YOUGOSLAVES RESTENT DES SALARIÉS. Ils ne peuvent ni dis­po­ser des moyens de pro­duc­tion, ni de l’ensemble des pro­duits de leur tra­vail, ni orien­ter la pro­duc­tion, ni déci­der le mode de distribution.

Sans ces quatre fac­teurs, pour nous, il n’y a pas d’économie socialiste.

Gestion des entreprises

Le sys­tème you­go­slave se dif­fé­ren­cie du capi­ta­lisme d’É­tat clas­sique du type sovié­tique par la « co-ges­tion ouvrière ».

Une entre­prise éco­no­mique est, en prin­cipe, diri­gée par les « col­lec­tifs ouvriers », c’est-à-dire par l’ensemble du per­son­nel qui y est employé. Toutes ces per­sonnes ont les mêmes droits dans l’accomplissement de leurs tâches de membres du col­lec­tif, quel que soit le tra­vail qu’elles effec­tuent dans l’entreprise et sans aucun égard au taux de leur salaire. Oui, toutes – ce qui est très démo­cra­tique – SAUF LE DIRECTEUR. Car c’est lui, le Direc­teur, qui décide même de la com­po­si­tion du « col­lec­tif ouvrier », dans la mesure où C’EST LUI QUI ÉBAUCHE ET LICENCIE LE PERSONNEL. Ain­si, tout le per­son­nel peut être chan­gé au cours de l’année mais, astuce juri­dique, le col­lec­tif ne cesse d’exister et se com­pose du per­son­nel tra­vaillant à un moment don­né. Le point cen­tral reste le Direc­teur. La rai­son en est simple : c’est lui – et non pas le « col­lec­tif ouvrier » – qui repré­sente le Pro­prié­taire de l’Entreprise : l’É­tat. Nous ne pou­vons pas mieux qua­li­fier, défi­nir le rôle du Direc­teur que la Loi-même :

« Le Direc­teur dirige le pro­duc­tion et toutes les affaires de l’Entreprise. Les ouvriers et les employés sont res­pon­sables devant le Direc­teur de l’accomplissement de leur tra­vail. Le Direc­teur repré­sente l’Entreprise envers l’É­tat et envers les autres entre­prises. » (Loi du 18 juin 1950, article 8).

Le direc­teur est membre d’office du Comi­té de Ges­tion mais, ce qui est pour le moins curieux, la Loi le place au-des­sus de ce Comité :

« Si le Direc­teur trouve qu’une déci­sion du Comi­té de Ges­tion ne cor­res­pond pas à la loi, aux pres­crip­tions légales et AUX ORDRES DES AUTORITÉS D’ÉTAT COMPÉTANTES, il est obli­gé d’en aver­tir immé­dia­te­ment ces auto­ri­tés et de sus­pendre l’exécution de la déci­sion du Comi­té de Ges­tion en atten­dant que l’organisme com­pé­tent de l’État prenne la déci­sion défi­ni­tive. » (art. 40 de la même Loi).

Il faut bien com­prendre que LE DIRECTEUR N’EST PAS LE GÉRANT COMMERCIAL NI LE DIRIGEANT TECHNIQUE DE L’ENTREPRISE, ce qui aurait pu à 1a rigueur jus­ti­fier sa puis­sance. D’après « Bor­da » (organe cen­trai du P.C.Y., dans son n° du 13/​2/​52) sur 763 direc­teurs des entre­prises éco­no­miques en You­go­sla­vie, 186 ont une cer­taine pré­pa­ra­tion tech­nique, mais 702 sont membres actifs du P.C.Y. Ce qui explique pas mal de choses et ce qui oblige ce jour­nal à les défendre contre les reproches de leur incom­pé­tence, de leur inuti­li­té pour l’entreprise :

« Tous ces direc­teurs ont très bien com­pris que LEUR DEVOIR ESSENTIEL est d’être fidèles au Par­ti et que l’autorité de l’É­tat les a nom­mé à ces postes sur­tout pour récom­pen­ser les mili­tants et les com­bat­tants qu’ils ont été…»

« Bor­ba » affirme que « l’autorité du peuple » a jus­te­ment besoin de tels direc­teurs, car « ils sont les meilleurs gar­diens des biens » dont dis­pose cette « auto­ri­té popu­laire ». Mais, comme un gar­dien ne suf­fit pas, on a ren­for­cé la sécu­ri­té par la pré­sence de le « Police éco­no­mique » dans chaque entre­prise. C’est cette pré­sence des déta­che­ments poli­ciers qui donne aux usines you­go­slaves cet aspect de casernes (ou de pri­sons, ce qui dif­fère peu). C’est la police qui impose l’application des règle­ments, la dis­ci­pline au tra­vail et l’exécution immé­diate des ordres du Direc­teur. Devant la porte d’entrée de chaque usine you­go­slave, se trouve un poli­cier. Même les tou­ristes occi­den­taux de « gôche » ne peuvent pas ne pas le voir. Ce qu’ils ne voient pas c’est un « organe de sûre­té inté­rieure » que las ouvriers you­go­slaves appellent, dans leur argot, le « Tzyn­kar » (Tzin­kar = le Zin­gueur). Il faut connaître le com­por­te­ment de l’ouvrier envers « les biens socia­listes » et aus­si sa men­ta­li­té et ses concep­tions poli­tiques. Ce genre de sur­veillance était la tâche des membres du P.C.Y. tra­vaillant dans l’entreprise. Mais ils ne sont pas assez nom­breux et ne pos­sèdent que rare­ment les connais­sances tech­niques suf­fi­santes pour contrô­ler si l’ouvrier ne « sabote » pas le tra­vail. Pour assu­rer cette besogne, la direc­tion éco­no­mique de l’É­tat cherche des per­sonnes aptes à ce genre de tra­vail par­mi les membres mêmes du col­lec­tif. Il existe des col­lèges tech­niques spé­cia­li­sés où les tzin­kars sont for­més. Ce ne sont donc pas des misé­rables petits mou­chards que nous connais­sons dans les usines de l’Occident, mais une véri­table ins­ti­tu­tion, bien orga­ni­sée, avec une pré­pa­ra­tion tech­nique – une sorte de sous-offi­ciers de l’industrie. Outre le pri­vi­lège d’avoir leur emploi assu­ré (dans cer­taines entre­prises leur nombre est mon­té jusqu’à 10% du per­son­nel!) les « tzin­kars » sont por­tés par prio­ri­té sur les listes des can­di­dats pour les Conseils ouvriers…

Voi­là dans quelles condi­tions le Col­lec­tif élit chaque année le Conseil ouvrier, com­po­sé de 15 à 120 membres (dans les entre­prises ayant moins de 30 ouvriers et employés, le col­lec­tif entier consti­tue le Conseil ouvrier. Son rôle ? D’après la Loi, il
– approuve les plans de base et le bilan de clô­ture de l’entreprise ;
– adopte les conclu­sions rela­tives à le ges­tion de l’entreprise et à la réa­li­sa­tion du plan économique ;
– énonce le règle­ment de l’entreprise sous appro­ba­tion de l’organe d’État compétent ;
– effec­tue la répar­ti­tion de la par­tie des capi­taux accu­mu­lés, res­tant la dis­po­si­tion de l’entreprise.

L’Ordonnance n° 45 – 280 du 22 février 1945 ins­ti­tuant des Comi­tés d’Entreprise en France, pré­cise ain­si le rôle social et éco­no­mique du Comité :

« Le Comi­té d’Entreprise assure ou contrôle la ges­tion de toutes les œuvres sociales… est obli­ga­toi­re­ment consul­té sur les ques­tions inté­res­sant l’organisation, la ges­tion et la marche géné­rale de l’Entreprise… est obli­ga­toi­re­ment infor­mé des béné­fices réa­li­sés par l’Entreprise et peut émettre des sug­ges­tions sur l’affectation à leur donner…»

Mais nous ne vou­lons pas faire de com­pa­rai­sons. Notre but était d’essayer de démon­ter le mythe des « Conseils ouvriers » you­go­slaves, qu’une cer­taine gauche prend pour le modèle même d’institution révo­lu­tion­naire. Nous vou­lons, à la base des faits évo­qués, affir­mer que les ouvriers ne peuvent pas contrô­ler la ges­tion de l’économie sans dis­po­ser des droits essen­tiels de la liber­té de parole, de réunion, de l’organisation : QUE L’IDÉE MÊME DES CONSEILS OUVRIERS EST INCOMPATIBLE AVEC L’EXISTENCE DE L’APPAREIL DE L’ÉTAT ; que – chaque fois que l’on avait essayé de faire coexis­ter les deux (État – Conseil ouvrier) – ce ne fut jamais l’État qui « dépé­rit » mais, au contraire, c’est lui qui absor­ba les Conseils.

Qu’est-ce qu’il en reste en Yougoslavie ?

Paul Zor­kine

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