La Presse Anarchiste

Pour ouvrir le dossier de la Révolution espagnole

L’Espagne

La meilleure ini­tia­tion à l’étude de l’Espagne, comme de presque tous les pays, c’est dans les livres d’Élisée Reclus qu’il faut la chercher.

Sur le plan géo­gra­phique d’abord : sa Nou­velle Géo­gra­phie Uni­ver­selle (Tome I : « L’Europe méri­dio­nale » paru en 1876) reste l’œuvre la plus moderne sinon la plus récente, com­pa­rée à toutes les col­lec­tions qui lui ont succédé.

Au point de vue his­to­rique aus­si c’est dans les 6 volumes de « L’Homme et la Terre » (1905) que l’on trou­ve­ra les aper­çus les plus riches sur l’Espagne et non dans les nom­breuses col­lec­tions d’histoire uni­ver­selle qui ont paru depuis et qui res­tent des his­toires des États, apo­lo­gies sys­té­ma­tiques de tous les agran­dis­se­ments, de toutes les cen­tra­li­sa­tions, de toutes les concen­tra­tions de pou­voir, mono­tones défi­lés de vain­queurs. Depuis Reclus com­bien sont-ils, ces pré­ten­dus his­to­riens, à oublier la vie des peuples, des régions, des cam­pagnes et des villes, leurs aspi­ra­tions pro­fondes et leurs mou­ve­ments de liberté?…

Signa­lons seule­ment par­mi les œuvres de pre­mière main les monu­men­tales « His­toire d’Espagne » (en espa­gnol) et « His­toire de la Cata­logne » (en cata­lan) de Sol­de­vil­la, auteur plu­tôt cata­la­niste, donc peu enclin à la com­plai­sance vis-à-vis des pou­voirs cen­traux. Deux ouvrages plus abor­dables et en fran­çais sur l’Espagne moderne : celui du socia­liste de gauche V. Alba « His­toire des Répu­bliques espa­gnoles»’ 1868 – 1946, et celui pros­ta­li­nien de Bru­gue­ra « His­toire Contem­po­raine d’Espagne 1789 – 1950 » publié au C.N.R.S.

Pour les anté­cé­dents de la révo­lu­tion, le tra­vail de base est celui de la cama­rade Renée Lam­be­ret : « L’Espagne 1750 – 1936 chro­no­lo­gie et biblio­gra­phie des mou­ve­ments ouvriers et socia­listes » aux Édi­tions Ouvrières à Paris.

Les deux ouvrages en ita­lien du cama­rade Ugo Fede­li, publiés au Centre Cultu­rel Oli­vet­ti, à Ivrea, sont indis­pen­sables pour une étude incluant la période de la Révo­lu­tion : sa « Biblio­gra­phie de l’Histoire du Mou­ve­ment ouvrier » (1951 – sur­tout le cha­pitre consa­cré à l’Espagne) et « la Révo­lu­tion espa­gnole » (1955) aper­çu his­to­rique) et biblio­gra­phie de l’Espagne depuis la chute de 1a pre­mière Répu­blique (1874).

Sur « le mou­ve­ment liber­taire espa­gnol » un seul livre récent, celui en ita­lien du cama­rade Ilde­fon­so Gon­zales (Naples. Édi­tions RL 1953).

Ouvrages libertaires fondamentaux sur la Révolution

Quatre livres sur 1a Révo­lu­tion ont paru dans le mou­ve­ment liber­taire ces der­nières années mais aucun d’eux en fran­çais. Il s’agit chro­no­lo­gi­que­ment de :

G. Leval – « Ni Fran­co ni Sta­line (les col­lec­ti­vi­tés anar­chistes espa­gnoles dans la lutte contre Fran­co et la réac­tion sta­li­nienne)», en ita­lien. Milan 1952.

J. Pei­rats – « La CNT dans la révo­lu­tion espa­gnole », en espa­gnol, 3 volumes. Tou­louse 1951 – 53.

V. Richards – « leçons de la révo­lu­tion espa­gnole (1936 – 39)», en anglais. Londres 1953.

A. Sou­chy – « Nuit sur l’Espagne (guerre civile et Révo­lu­tion en Espagne)» en alle­mand. Darm­stadt 1954.

Ce sont quatre ouvrages fon­da­men­taux, les seuls pou­vant don­ner une vue d’ensemble avec suf­fi­sam­ment de recul ou esquis­ser un bilan de la révo­lu­tion… Ils sont très dif­fé­rents et sou­vent com­plé­men­taires. Ain­si le pre­mier met l’accent sur les réa­li­sa­tions construc­tives, le second est une mine de docuen­ta­tion his­to­rique ton­dis que le troi­sième est essen­tiel­le­ment une cri­tique de la poli­tique des orga­ni­sa­tions liber­taires de 36 à 39. Quant au qua­trième il méri­te­rait plus d’attention qu’il n’en a reçu jusqu’ici dans le mouvement.

Témoignages

Rela­ti­ve­ment nom­breux sont les témoins qui, peu après avoir quit­té l’Espagne, écri­virent ce qu’ils y avaient vu. Par­mi les anar­chistes ibé­riques citons trois livres en espagnol :

D.A. De San­tillan (ancien membre anar­chiste du gou­ver­ne­ment de Cata­logne) « Pour­quoi nous per­dîmes la guerre » Bue­nos-Aires – 1940.

J.G. Pra­das « Com­ment se ter­mi­na la guerre d’Espagne » New-Yorck – 1939

E. De Guz­man « Madrid Rouge et Noire » B. Aires 1937.

Par­mi la gauche non conformiste :

Wul­lens « 8 jours à Bar­ce­lone ville conquise » (avec V. Serge « Notes sur l’Espagne »). Les Humbles. Paris 1937.

G. Orwell « Hom­mage à la Cata­logne » Londres 1938, tra­duit en fran­çais sous le titre « La Cata­logne libre » N.R.F.

Car­lo Ros­sel­li (socia­liste ayant sym­pa­thi­sé en Espagne avec les liber­taires et tué en France par la Cagoule) dans « Écrits poli­tiques et auto­bio­gra­phiques » en ita­lien Naples 1944.

Par­mi la gauche socia­liste, trois bons livres en anglais :

F. Bro­ck­way (dépu­té tra­vailliste) « La véri­té sur Bar­ce­lone » Londres 1937.

F. Bor­ke­nau « L’arène espa­gnole » Londres 1937

G. Bre­nan « Le laby­rinthe espa­gnol » Londres 1943.

Par­mi les républicains :

I. Prie­to (socia­liste de droite qui quit­ta le gou­ver­ne­ment en 1938 pour ne pas s’aligner sur le P.C.) « Com­ment et pour­quoi je suis sor­ti du Minis­tère de Défense Natio­nale » Paris 1939. en espagnol.

S. Casa­do (colo­nel répu­bli­cain qui arrê­ta le putsch de der­nière heure du P.C. en 1939) « Les der­niers jours de Madrid » Londres 1939, en anglais.

V. Rojo (géné­ral « géo­gra­phi­que­ment loyal » qui plus tard visi­te­ra l’Espagne de Fran­co) « Alerte aux peuples ! (étude poli­ti­co-mili­taire de la période finale de la guerre d’Espagne)». B. Aires 1939, en espagnol.

W. Carillo « L’ultime épi­sode de la guerre civile espa­gnole » Jeu­nesses socia­listes 1939, en espagnol.

P. Nen­ni (chef socia­liste ita­lien pro-sta­li­nien jusqu’en 1956) « Espagne », tra­duit en fran­çais en 1956:»La guerre d’Espagne », récit écrit en 1942 et articles datant de la guerre d’Espagne.

Cla­ra Cam­poa­mor (répu­bli­cain de droite) « La révo­lu­tion espa­gnole vue par une répu­bli­caine » Paris 1937

Louise Dela­prée « Le mar­tyre de Madrid » 1937.

Écrits de combat

Très nom­breux sont les écrits de l’époque mais d’intérêt assez inégal car sou­vent polémiques.

Compte-rendus des Congrès et Plénums de la CNT-FAI, notamment en espagnol

- Congrès Natio­nal de la CNT – Sara­gosse, mai 1936
‑Plé­num éco­no­mique natio­nal de la CNT – Barcelone
– Plé­num pénin­su­laire de la FAI – Valence, juillet 1937
– Maté­riel de dis­cus­sion pour les mili­tants de la CNT, Brigh­ton, 195556.

Compte-rendu publiés à Valence des quatres ministres anarchistes après leur démission

- F. Mont­se­ny – « Mon pas­sage au minis­tère de la santé »
– Gar­cia Oli­vier – « Ma ges­tion au front du Minis­tère de la Justice »
– J. Lopez – « Six mois au minis­tère du Commerce »
– J. Pei­ro – (Livré par Pétain à Fran­co qui le fit exé­cu­ter) « De la vitre­rie de Mata­ro au minis­tère de l’Industrie »

Journaux anarchistes d’Espagne : une soixantaine à l’époque

publications libertaires destinées à l’information extérieure

- C.N.T.: Un an de guerre en Espagne – Paris, 1938, en français.
– C.N.T.: Trois ans de lutte en Espagne (36/​39) – Londres, 1939, en anglais.
– La C.N.T. Et les évé­ne­ments san­glants de Bar­ce­lone pen­dant les jour­nées des 3 – 6 mai – Paris 1937, en français.

Pério­diques :
« Bul­le­tin d’information CNT – FAI », Bar­ce­lone, en espa­gnol, anglais ou italien.
« Timon », Bar­ce­lone 1938, Bue­nos-Aires 193940, en espagnol
« L’Es­pagne et le monde », Londres, en anglais.
« Le Bul­le­tin du tra­vail », New-York, en anglais.
« Espagne nou­velle » et « Cahiers de Terre Libre », Paris, en français

Études et brochures écrites par des militants sur des questions de programme et des problèmes de réalisation

Citons : I. Puente (Le Com­mu­nisme Liber­taire); J. Pei­ro (Pro­blèmes de syn­di­ca­lisme, etc.); J. Pra­das (L’Es­pagne, colo­nie de son armée, Crise du socia­lisme, etc.); D.A. De San­tillan (Après la révo­lu­tion), etc.

Géné­ra­le­ment en espa­gnol, ce sont les prin­ci­paux efforts de théo­ri­sa­tion, d’application et d’actualisation des idées anarchistes

Brochures consacrées à Durruti (R. Sanz) à sa vie (en plusieurs langues) à l’énigme de sa mort (Ariel) à Durutti et Ascaso (S.C. Cervantes) à Durutti, Ascaso et Jover, aux militants tombés dans la lutte (Bordeaux 1944)

Brochures de militants étrangers venus généralement participer à la révolution, publiés à Barcelone, Paris, Londres, New-York ou Stockholm)

  • Les Allemands 
    • A. Sou­chy (La tra­gique semaine de mai ; Avec les pay­sans d’Aragon ; Espagne ; Collectivisation).
    • R. Rocker (La véri­té sur l’Espagne ; la tra­gé­die de l’Espagne ; Étran­gers en Espagne).
  • Les Américains 
    • M. Sar­tin (Ber­ne­ri en Espagne).
    • M. Dascher (Le mou­ve­ment révol­tion­naire en Espagne).
  • Les Italiens 
    • C. Ber­ne­ri (Mus­so­li­ni à la conquête des Baléares ; Guerre de classes en Espagne ; Pen­sée et Bataille).
    • Luce Fab­bri (Les anar­chistes et la révo­lu­tion espagnole).
  • Les Français 
    • A. Prud­hom­meaux (Cata­logne 3637 réédi­té en 1955 ; Espagne libertaire).
    • P. Gani­vet (A. Dau­phin-Meu­nier) (L’Es­pagne au car­re­four) (1937).
    • P. Lapeyre (Lueurs sur l’Es­pagne) (1938).
    • A. Lapeyre (Le pro­blème espa­gnol) (1946).
  • Les Suédois 
    • A. Jen­sen (Visa pour l’Espagne ; Pour­quoi est tom­bée Barcelone).
    • I. Falu­di (La lutte du peuple espagnol).

Les périodiques ont consacré à plusieurs reprises des numéros spéciaux à la révolution espagnole

Par­mi eux signa­lons dans le « Cra­pouillot » sur l’Anarchie : « Espagne Rouge et Noire » de J. Ber­nier, deux numé­ros d’«Esprit » (en avril 1937 et en sep­tembre 1956), un numé­ro de « Témoins » (Prin­temps – Été 1956)

Dans la presse liber­taire espa­gnole les numé­ros com­mé­mo­ra­tifs sont plus fré­quents, le der­nier étant « Cénit » de juillet 1959.

Enfin les allo­cu­tions pro­non­cées au cours d’un mee­ting public de soli­da­ri­té avec la résis­tance espa­gnole en 1953 par notam­ment A. Bre­ton, A. Camus, I. Silone et d’autres tra­duites en ita­lien et édi­tées en une bro­chure « Espagne indomp­tée » édi­tions RL à Naples.

Totalitarisme marxiste et fasciste

Les manœuvres mar­xistes en Espagne remontent à Marx écri­vant avec Engels leur « Contre l’Anarchisme » et Engels « les bakou­ni­nistes au tra­vail ». Au sujet de cette lutte entre mar­xistes et bakou­ni­nistes en Espagne, voir les deux ouvrages en espa­gnol de Max Net­tlau « Michel Bakou­nine, l’Internationale et l’Alliance en Espagne 1868 – 1873 » B.-Aires 1925 et « Docu­ments inédits sur l’Internationale et l’Alliance en Espagne » B.-Aires 1930.

Dans la sub­tile sophis­tique trots­kiste men­tion­nons L. Trots­ky « Leçons d’Espagne » (articles écrits de 1930 à 1936) et F. Moron « Révo­lu­tion et contre-révo­lu­tion en Espagne », New York 1938 en anglais.

Du côté sta­li­nien toute la série des fal­si­fi­ca­tions métho­diques habi­tuelles : J. Her­nan­dez et Como­re­ra (L’Espagne s’organise pour la vic­toire); J.P. Camp­bell (Les cri­tiques gau­chistes d’Espagne); F. Jel­li­nek (La guerre civile en Espagne); D. Ibar­ru­ri – Pas­sio­na­ria (la guerre d’Espagne); un numé­ro spé­cial de la « Nou­velle Cri­tique » (mars 1959), etc., etc.

Sur le jeux de sape des agents sovié­tiques pen­dant la révo­lu­tion les témoi­gnages ne manquent pas :

D’abord ceux des res­pon­sables eux-mêmes : le géné­ral sovié­tique (trans­fuge) Kri­vits­ky dans son livre : « Agent de Sta­line » Paris 1940 et celui de l’extrémiste com­mu­niste J. Her­nan­dez « Je fus ministre de Sta­line », (tra­duit : « Le grande trahison »).

Puis témoi­gnage de ceux qui virent la ter­reur sta­li­nienne à l’œuvre en Espagne : Bor­ke­neau (L’Internationale com­mu­niste); Dewar (Assas­sins en liber­té); J. Gor­kin (Can­ni­bales poli­tiques); J. Mac­go­vern (Ter­reur en Espagne); M. Oli­vier (Le gué­péou en Espagne, coll. Spar­ta­cus); J.A. Rico (En la domi­na­tion du Kremlin).

Enfin le socia­liste Ara­quis­tain (Le com­mu­niste et la guerre d’Espagne ; Mes accords avec les com­mu­nistes) et l’anarchiste J.G. Pra­das (La tra­hi­son de Sta­line ; Rus­sie et Espagne).

Sur la fin misé­rable de l’émigration espa­gnole en URSS lire « Kara­gan­da, la tra­gé­die de l’antifascisme espa­gnol », CNT 1948, et de l’ancien géné­ral com­mu­niste El Cam­pe­si­no « La vie et la mort en URSS 193949 », Paris 1948.

Sur la conduite des chefs socia­listes qui firent au pou­voir le jeu des com­mu­nistes voir : « L. Cabal­le­ro dénonce la tra­hi­son du P.C. espa­gnol », B. Aires 1937, « Negrin et Prie­to cou­pables de haute tra­hi­son » pro­pa­gande España, B.-Aires 1938 et de M. Munos « deux conduites : Inda­le­cio Prie­to et moi ».

Du point de vue fran­quiste : le repor­tage d’Allison Speers « Cata­lo­nia Infe­lix », Londres 1937 ; « Les leçons de la guerre d’Espagne » du géné­ral Duval, chez Plon ; les « Docu­ments pour l’Histoire » du Ser­vice His­to­rique Mili­taire, Madrid 1945 ; l’«Histoire de la seconde Répu­blique » de J. Pla, Bar­ce­lone 1940.

Reflets littéraires et artistiques

Nous ne pré­ten­dons pas main­te­nant faire le tour de toutes les œuvres lit­té­raires ou artis­tiques ins­pi­rées hors de la pénin­sule par le drame espa­gnol, mais pro­cé­der à un simple rap­pel de celles qui nous ont frap­pé le plus.

C’est sans doute A. Koest­ler qui a le mieux expri­mé les souf­frances de la guerre en Espagne (Un Tes­ta­ment espa­gnol) at do ses suites en France (La lie de la Terre). Puis l’indignation de G. Ber­na­nos (Les grands cime­tières sous la lune), les récits de Dos Pas­sos (Intro­duc­tion à la guerre civile), Ste­phen Spen­der (Un monde dans le monde) et Mau­ra (Fière Espagne). Signa­lons quelques notes de Saint-Exu­pe­ry dans ses « car­nets » et les quelques vers de Pre­vert dans « Paroles » que nous citons en tête de cette étude. Sur l’Espagne vingt ans après, de Richard Wright : Espagne Païenne.

Enfin, nous ne pou­vons quit­ter la lit­té­ra­ture sans citer le misé­rable roman d’aventure d’Hemingway (Pour qui sonne le glas) et celui qui relè­ve­rait plu­tôt du jour­na­lisme le plus super­fi­ciel et le plus fre­la­té de Mal­raux (L’Espoir).

Sur le plan ciné­ma­to­gra­phique, sont a men­tion­ner : le bou­le­ver­sant « Guer­ni­ca » de A. Resnais ins­pi­ré par le tableau de Picas­so, le bon « Terre d’Espagne » du pros­ta­li­nien Joris Ivens et le fas­ciste « Alca­zar » de Geni­na. Et aus­si « Espoir » de Mal­raux, peut-être moins mau­vais que le livre. Quant à « Pour qui sonne le glas » le film passe encore en igno­mi­nie le roman.

J. Pres­ly

La Presse Anarchiste