La Presse Anarchiste

La conquête du pouvoir politique et l’Internationale

La Com­mis­sion d’or­ga­ni­sa­tion du Congrès inter­na­tio­nal ouvrier (?) qui se tien­dra à Londres en 1896 vient de publier un mani­feste d’où nous déta­chons le pas­sage suivant :

« Toutes les Chambres syn­di­cales ouvrières seront admises au Congrès, et aus­si les par­tis et les orga­ni­sa­tions socia­listes qui recon­naissent la néces­si­té de l’or­ga­ni­sa­tion des tra­vailleurs et de l’ac­tion politique.

« L’ac­tion poli­tique ici signi­fie que les orga­ni­sa­tions des tra­vailleurs cherchent, autant que pos­sible, à employer ou à conqué­rir les droits poli­tiques et le méca­nisme de la légis­la­tion pour ame­ner ain­si le triomphe des inté­rêts du pro­lé­ta­riat et la conquête du pou­voir politique. »

Comme nous dis­cu­tions récem­ment de ce pas­sage avec quelques cama­rades des syn­di­cats ouvriers, tous désa­bu­sés, d’ailleurs, de l’ac­tion par­le­men­taire et par­ti­sans de la grève géné­rale, l’un d’eux nous dit :

– Certes, à ne regar­der que les résul­tats pro­duits par la loi du 2 novembre 1892 sur le tra­vail des lemmes et des enfants, par l’ins­ti­tu­tion des caisses de retraite des ouvriers mineurs, par les expé­riences diverses de la jour­née de huit heures, il est incon­tes­table que l’ac­tion légis­la­tive est à la fois inutile et dan­ge­reuse. Nous com­pre­nons fort bien – et d’ex­pé­rience, hélas ! – que toute réforme faite en l’état social actuel se tra­dui­sant par un accrois­se­ment des charges publiques, et des charges incom­bant tou­jours, quoi qu’on fasse, à la classe ouvrière, les lois dites sociales, si elles ne sont pas inap­pli­cables, grâce aux mille inter­pré­ta­tions qu’elles auto­risent, aggra­ve­ront notre misère. C’est pour­quoi cer­tains d’entre nous, tels les métal­lur­gistes de Puteaux, les ouvrières des mou­li­nages de soie de l’Ar­dèche, pro­testent contre la réduc­tion de la durée du tra­vail ; d’autres, après avoir effec­tué ici les huit heures régle­men­taires, cherchent là une occu­pa­tion nou­velle d’une heure ou deux ; par exemple, les mineurs du Durham, les plieuses de jour­naux des impri­me­ries pari­siennes ; d’autres, enfin, les mineurs du bas­sin de la Loire, renoncent en masse au béné­fice des caisses de retraites qu’ont implo­rées pour eux les socia­listes bour­geois. Nous ne conce­vons même point que de tels résul­tats n’aient pas ébran­lé la confiance (si elle est sin­cère) que nos théo­ri­ciens purent avoir jadis dans la réforme de la légis­la­tion. Mais – et c’est là que nous en vou­lions venir – com­ment se fait-il que l’In­ter­na­tio­nale, com­po­sée, elle, de tra­vailleurs, et ins­truite de la pro­prié­té de réper­cus­sion des impôts et des charges, ait mécon­nu le dan­ger des réformes par­tielles et recom­mande à la classe ouvrière l’ac­tion législative ?

– L’In­ter­na­tio­nale!.,. Êtes-vous bien cer­tain, deman­dâmes-nous à notre inter­lo­cu­teur, qu’elle ait fait une pareille recommandation ?

– Cer­tain, non. On ne lit guère aujourd’­hui les comptes ren­dus de ses congrès et nous ne connais­sons ses déli­bé­ra­tions que par ouï-dire. Mais les écri­vains socia­listes affirment qu’elle a posé la conquête des pou­voirs publics comme la condi­tion néces­saire de la révo­lu­tion sociale.

– Eh bien ! les écri­vains du socia­lisme auto­ri­taire com­mettent là un effron­té men­songe. L’In­ter­na­tio­nale a maintes fois décla­ré – ce qui est bien dif­fé­rent – que l’é­man­ci­pa­tion éco­no­mique et l’af­fran­chis­se­ment poli­tique sont insé­pa­rables, et c’est une super­che­rie gros­sière que d’a­voir tiré de cette décla­ra­tion la néces­si­té d’employer l’ac­tion légis­la­tive comme moyen de révo­lu­tion et de l’a­voir pla­cée sous le patro­nage de l’internationale.

Consi­dé­rez tout d’a­bord que jus­qu’en 1871 l’Internationale pro­fes­sa ouver­te­ment le mépris des poli­ti­ciens et s’ef­for­ça tou­jours de les tenir écar­tés d’elle. Au congrès de Lau­sanne (1867), Félix Van­za, délé­gué de Saint-Imier, disait : « Notre sec­tion se com­po­sait à l’o­ri­gine de deux cents membres et plus. Mais comme la plu­part, d’entre nous s’a­per­çurent que les per­son­nages prin­ci­paux, plus qu’in­dif­fé­rents ou peut-être étran­gers aux ques­tions qui concer­naient uni­que­ment l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail, étaient, au contraire, d’une ardeur extrême pour toutes les ques­tions poli­tiques, ils se reti­rèrent peu à peu, ne vou­lant pas ser­vir d’ins­tru­ments et de pié­des­tal à des hommes dont ils ne connais­saient pas les des­seins. » – Louis Rubaud, de Neu­ville-sur-Saône, disait à ce même congrès : « Nous ne devons accep­ter par­mi nous que des tra­vailleurs, c’est-à-dire des ouvriers manuels, ne pou­vant comp­ter pour la réus­site de notre entre­prise sociale que sur l’en­semble des inté­rêts com­muns à tous. » – L’an­née sui­vante, Eugène Dupont, pré­sident du congrès de Bruxelles, s’ex­pri­mait en ces termes sur l’in­dif­fé­rence des tra­vailleurs en matière poli­tique : « Si les ouvriers dédaignent la poli­tique, c’est parce qu’ayant fait deux révo­lu­tions sans voir leur situa­tion s’a­mé­lio­rer, ils en ont recher­ché la cause et ils ont vu… qu’il fal­lait chan­ger le fond même de la socié­té, et que le véri­table ter­rain de la révo­lu­tion est la ques­tion sociale.»

En second lieu, l’In­ter­na­tio­nale n’ad­met­tait, comme ter­rain de lutte que la ques­tion éco­no­mique et fai­sait un devoir à tous ses membres de s’af­fi­lier, dans la mesure pos­sible, aux syn­di­cats de métiers, appe­lés alors Socié­tés de résis­tances. Le 22 février 1871, Var­lin de Rochat deman­dait au Conseil fédé­ral de la sec­tion pari­sienne « d’o­bli­ger en quelque sorte les inter­na­tio­naux à adhé­rer aux socié­tés de résis­tance ». – « Il est abso­lu­ment indis­pen­sable, disait Rochat, et son avis pré­va­lut, de consti­tuer soli­de­ment toutes les socié­tés cor­po­ra­tives, car là seule­ment est notre vraie force pour l’a­ve­nir. » Au congrès de Bâle (1869) Schwitz­gué­bel avait dit : « Ce n’est qu’au moment où la masse des tra­vailleurs, grou­pés au moyen des socié­tés de métiers, pren­dra une part active au mou­ve­ment social que res­sor­ti­ra de plus en plus la néces­si­té d’une liqui­da­tion sociale. » 

Enfin – et par là s’af­firme encore plus net­te­ment l’es­prit anti­po­li­tique dont elle était ani­mée, – l’In­ter­na­tio­nale décla­ra à plu­sieurs reprises que les réformes par­tielles – et la conquête des pou­voirs publics n’en peut pro­duire d’autres – sont ou inutiles ou dan­ge­reuses. « L’en­sei­gne­ment gra­tuit est un non-sens, dit le congrès de Lau­sanne, puisque l’im­pôt pré­le­vé sur les citoyens en fait les frais…» – « Les efforts, dit le même congrès (3e ques­tion de l’ordre du jour), ten­tés aujourd’­hui par les asso­cia­tions ouvrières tendent à consti­tuer un qua­trième État ayant au-des­sous de lui un cin­quième État plus misé­rable encore. Pour obvier à ce dan­ger, le Congrès pense qu’il est néces­saire que le pro­lé­ta­riat se convainque bien de cette idée : Que la trans­for­ma­tion sociale ne pour­ra s’o­pé­rer d’une manière radi­cale et défi­ni­tive que par des moyens agis­sants sur l’ensemble de la socié­té. » – Le Conseil fédé­ral du bas­sin de Liège déclare au congrès de Bâle : « Il est main­te­nant prou­vé que les réformes poli­tiques, quelles qu’elles soient, ne par­vien­dront pas à tirer le peuple de la misé­rable condi­tion où il végète depuis tant de siècles. » Et plus loin : « Les membres des sec­tions du bas­sin de Liège savent que les tra­vailleurs n’ont rien à attendre d’une bour­geoi­sie qui ne peut vivre dans l’a­bon­dance et le luxe qu’en main­te­nant le peuple dans la dépen­dance la plus abso­lue et en fai­sant peser sur lui les charges les plus acca­blantes »

Favo­rable, donc, à la lutte éco­no­mique, au grou­pe­ment cor­po­ra­tif et même à la grève géné­rale, dont elle envi­sa­geait dès 1869 la pos­si­bi­li­té, hos­tile, au contraire, aux agi­ta­tions poli­tiques dont elle connais­sait la sté­ri­li­té, com­ment l’In­ter­na­tio­nale aurait-elle pu pré­co­ni­ser l’ac­tion par­le­men­taire ? Bien plus, elle tenait à res­ter étran­gère même aux pro­blèmes de doc­trine, et, consul­tée, par exemple, sur le pro­gramme col­lec­ti­viste-fédé­ra­liste de l’Allian­ce­ruce de la Démo­cra­tie socia­liste, elle répon­dit par la plume d’Ec­ca­rius : « Il est en dehors des fonc­tions du Conseil géné­ral de faire offi­ciel­le­ment l’exa­men cri­tique du pro­gramme de l’Alliance. Nous n’a­vons pas à recher­cher si, oui ou non, c’est une expres­sion adé­quate du mou­ve­ment pro­lé­ta­rien. Pour nous, il s’a­git seule­ment de savoir s’il ne contient rien de contraire à la ten­dance géné­rale de notre asso­cia­tion, c’est-à-dire l’é­man­ci­pa­tion com­plète de la classe ouvrière. » Loin donc par là de se pro­non­cer pour la conquête des pou­voirs publics et la fabri­ca­tion de lois socia­listes (méthode de com­bat en contra­dic­tion avec la doc­trine anar­chique), elle recon­nais­sait que le socia­lisme est une doc­trine géné­rale qui a pour but la mise en com­mun des moyens de pro­duc­tion et des objets de consom­ma­tion, et que tous ceux qui la pro­fessent, par­ti­sans ou non d’un État, elle devait éga­le­ment, les accueillir.

Cepen­dant, dis-je à mon inter­lo­cu­teur, tout ceci n’est, quant à la ques­tion qui nous occupe, qu’une conjec­ture. Je vais vous faire connaître main­te­nant l’o­pi­nion expresse de l’Internationale.

La doc­trine de l’in­sé­pa­ra­bi­li­té de la ques­tion poli­tique et de la ques­tion sociale a été for­mu­lée pour la pre­mière fois par les sozial-demo­krats (Liebk­necht et ses amis) au congrès d’Ei­se­nach en 1868. « Au der­nier congrès d’Ei­se­nach, dit Liebk­necht (Congrès de Bâle), après des ten­ta­tives infruc­tueuses de conci­lia­tion, la scis­sion s’est affir­mée d’une façon beau­coup plus nette : les démo­crates socia­listes, c’est-à-dire ceux qui ne veulent pas sépa­rer la ques­tion poli­tique de la ques­tion sociale, les délé­gués de cent cin­quante mille tra­vailleurs, ont com­plè­te­ment rom­pu avec les socia­listes du par­ti de M. Schweit­zer, qui croient que les réformes sociales sont com­pa­tibles avec le gou­ver­ne­ment de Bismarck. »

C’est tout ? C’est tout. Mais pesez bien ces paroles, car, avec une réso­lu­tion votée par le congrès de Lau­sanne deux ans aupa­ra­vant, elles sont l’u­nique docu­ment dont puisse se récla­mer, par une inter­pré­ta­tion judaïque, la doc­trine de la conquête du pou­voir poli­tique. Un délé­gué alle­mand vient dire : Dans notre pays, il existe deux écoles socia­listes. L’une estime qu’à condi­tion d’en obte­nir des amé­lio­ra­tions sociales, les tra­vailleurs peuvent s’ac­com­mo­der de n’im­porte quel régime poli­tique ; l’autre pense qu’on ne sau­rait rai­son­na­ble­ment espé­rer ces amé­lio­ra­tions d’au­cunes des formes actuelles de gou­ver­ne­ment et, à for­tio­ri, du régime monar­chique bismarckien.

Où voit-on là l’o­bli­ga­tion pour les socia­listes de tous les pays, qui se trouvent dans des condi­tions poli­tiques dif­fé­rentes, d’u­ser des pré­ten­dues res­sources de la légis­la­tion ? L’at­ti­tude des sozial-demo­krats ne pou­vait souf­frir que deux inter­pré­ta­tions : ou bien que, les réformes sociales étant incom­pa­tibles avec l’exis­tence des gou­ver­ne­ments, il faut com­men­cer par détruire les gou­ver­ne­ments, et en ce sens seule­ment, nous admet­trions peut-être, pour notre part, que la révo­lu­tion poli­tique doive pré­cé­der la révo­lu­tion sociale ; ou bien que, dans l’im­pos­si­bi­li­té pour les tra­vailleurs alle­mands d’ob­te­nir quoi que ce fut du gou­ver­ne­ment de Bis­marck, il fal­lait s’ef­for­cer de lui sub­sti­tuer un régime répu­bli­cain dont le libé­ra­lisme en matière de presse et de réunion, hâte­rait la dif­fu­sion de la pro­pa­gande révo­lu­tion­naire, et, en ce cas, c’é­taient une opi­nion et une tac­tique pure­ment locale, qui, bonnes encore aujourd’­hui pour l’Al­le­magne monar­chique, ne le sont plus pour la France répu­bli­caine, où les socia­listes ont arra­ché à la bour­geoi­sie le maxi­mum de liber­té que la bour­geoi­sie pou­vait accor­der pro­prio motu.

Inutile de dire, n’est-ce pas, que cette der­nière inter­pré­ta­tion est la plus pro­bable (la décla­ra­tion faite au congrès de Bâle éma­nant d’hommes qui, mal­gré l’as­su­rance de Fré­dé­ric Engels, n’é­taient pas anar­chistes), et que cette inter­pré­ta­tion n’é­ta­blit nul­le­ment que la révo­lu­tion sociale doive être faite par des moyens poli­tiques, et spé­cia­le­ment par la conquête par­le­men­taire des pou­voirs publics. Voyons main­te­nant ce que pen­sait l’In­ter­na­tio­nale tout entière sur le même sujet.

La sep­tième ques­tion sou­mise au congrès de Lau­sanne disait : « 1O La pri­va­tion des liber­tés poli­tiques n’est-elle pas un obs­tacle à l’é­man­ci­pa­tion sociale des tra­vailleurs et l’une des prin­ci­pales causes de per­tur­ba­tion sociale ? 2O Quels sont les moyens de hâter ce réta­blis­se­ment des liber­tés poli­tiques ? 3O Ne serait-ce pas la reven­di­ca­tion par tous les tra­vailleurs du droit illi­mi­té de réunion et de la liber­té illi­mi­tée de la presse ? » Le Congrès répon­dit : « Oui, la pri­va­tion des liber­tés poli­tiques est un obs­tacle à l’é­man­ci­pa­tion sociale des tra­vailleurs;… Par­tout où des res­tric­tions sont appor­tées aux droits… de se réunir, de par­ler et d’é­crire, l’ac­tion de l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale ne peut être que très lente et les résul­tats bien faibles. En consé­quence, la Com­mis­sion pro­pose au Congrès de faire la décla­ra­tion sui­vante : “Consi­dé­rant que la pri­va­tion des liber­tés poli­tiques est un obs­tacle à l’ins­truc­tion sociale du peuple et à l’é­man­ci­pa­tion du pro­lé­ta­riat, déclare 1O que l’é­man­ci­pa­tion sociale des tra­vailleurs est insé­pa­rable de leur éman­ci­pa­tion poli­tique ; 2O que l’é­ta­blis­se­ment des liber­tés poli­tiques est une mesure pre­mière d’une abso­lue nécessité”.»

Mon inter­lo­cu­teur, à ces mots, dres­sa l’oreille.

– Je vois, lui dis-je, que vous avez com­pris. Le congrès de Lau­sanne eut lieu en 1867. L’Al­le­magne était gou­ver­née par Bis­marck, la France par Napo­léon III. En Alle­magne, en France, en Autriche, on ne connais­sait ni droit de parole ni droit d’é­cri­ture ; l’In­ter­na­tio­nale était pros­crite et il était inter­dit de s’y affi­lier. L’In­ter­na­tio­nale déclare qu’aus­si long­temps que ce régime de com­pres­sion dure­ra, il lui sera impos­sible d’ins­truire les tra­vailleurs (le mot est dit) et, par consé­quent, de semer dans leur esprit le germe révo­lu­tion­naire. Que les tra­vailleurs réclament donc tous les droits pos­sibles, et ils auront hâté d’autant l’heure de la liqui­da­tion sociale. Est-ce là pré­tendre que les socia­listes doivent, bon gré mal gré, se ser­vir du par­le­men­ta­risme, à peine d’excommunication ?

– Et l’In­ter­na­tio­nale n’a jamais dit autre chose ?

– Jamais… Je me trompe : elle a maintes fois confir­mé cette doc­trine, pure­ment cir­cons­tan­cielle et que pro­fes­saient tous les inter­na­tio­naux, les anar­chistes y com­pris. Dans ses sta­tuts et au ver­so des cartes déli­vrées par elle aux socié­tés adhé­rentes, elle disait : « L’é­man­ci­pa­tion éco­no­mique des tra­vailleurs est le grand but auquel tout mou­ve­ment poli­tique doit être subor­don­né comme moyen. ». Et c’est pour­quoi, devi­nant dans la grève géné­rale un moyen plus effi­cace que le par­le­men­ta­risme, elle se pro­non­ça pour la géné­ra­li­sa­tion des grèves. Même, au fameux congrès de la Chaux-de-Fonds (4 avril 1870), les futurs mar­xistes, tout en décla­rant abso­lu­ment néces­saire la par­ti­ci­pa­tion des tra­vailleurs aux luttes élec­to­rales, ajou­tèrent : « Il est bien enten­du que nous ne croyons point que nous puis­sions arri­ver à notre éman­ci­pa­tion par la voie de la repré­sen­ta­tion ouvrière dans les conseils légis­la­tifs et exé­cu­tifs. Nous savons fort bien que les régimes actuels doivent, néces­sai­re­ment être sup­pri­més ; nous vou­lons seule­ment nous ser­vir de cette repré­sen­ta­tion comme d’un moyen d’a­gi­ta­tion. » Enfin, les bakou­niens eux-mêmes, par le para­graphe 4 des sta­tuts de l’Alliance, accep­taient toute action poli­tique ayant pour but immé­diat et direct le triomphe de la cause des tra­vailleurs contre le capi­tal. L’au­raient-ils fait si cette accep­ta­tion n’a­vait pas été bor­née, dans l’es­prit même de l’In­ter­na­tio­nale, à des cir­cons­tances de temps et de lieu et à la volon­té abso­lue des adhé­rents de tous les pays ?

– Certes, non.

– Ne crai­gnez donc point que votre désaf­fec­tion du par­le­men­ta­risme soit en contra­dic­tion avec les prin­cipes de l’In­ter­na­tio­nale. Tout comme nous, l’In­ter­na­tio­nale savait ce qu’il faut attendre des légis­la­teurs et des soi-disant socia­listes qui prêchent la conquête des par­le­ments. Si vous, tra­vailleurs, esti­mez que les lois « ouvrières » vous sont néfastes et que, par consé­quent, vous n’en devez point favo­ri­ser l’é­la­bo­ra­tion, n’hé­si­tez pas à vous sépa­rer de ceux qui les réclament. Outre que toute leur enflure intel­lec­tuelle est insuf­fi­sante pour les ini­tier aux pro­blèmes du tra­vail, ce sont des ambi­tieux qui rêvent d’en­trer au minis­tère et qui vous gou­ver­ne­raient plus des­po­ti­que­ment encore que les Yves Guyot et les Dupuy.

Fer­nand Pelloutier

La Presse Anarchiste