La Presse Anarchiste

le congrès ouvrier de 1896

Dimanche pas­sé, les com­pa­gnons du groupe de la Free­dom de Londres, ren­for­cés de quelques amis, se sont réunis pour dis­cu­ter s’il y avait lieu de prendre part au congrès ouvrier qui va avoir lieu, en août 1896, à Londres. Le fait est qu’en Angle­terre, comme un peu par­tout, il y a des com­pa­gnons anar­chistes qui font par­tie de grou­pe­ments ouvriers, et qui peuvent être envoyés par leurs unions de métier afin de dis­cu­ter tous les points du pro­gramme du congrès au point de vue anar­chiste. Les grou­pe­ments en ques­tion ne peuvent pas assis­ter les bras croi­sés à l’es­ca­mo­tage du mou­ve­ment ouvrier qui se fait en ce moment par les poli­ti­ciens ; ils ne peuvent pas voir non plus, sans essayer de réagir, les rap­ports égoïstes qui s’é­ta­blissent très sou­vent entre les ouvriers mieux rétri­bués et ceux qui le sont moins, ou ne le sont pas du tout, faute de tra­vail ; et ils tiennent, à s’en­tendre avec les anar­chistes d’autres pays sur ce qu’il y aurait à faire pour impré­gner les unions ouvrières d’i­dées anar­chistes et faire sor­tir les retar­da­taires de leurs vieilles ornières.

Les pro­grès accom­plis récem­ment dans cette voie dans cer­taines unions, et sur­tout en Amé­rique, où l’im­pul­sion pour toutes les révoltes ouvrières vient de ceux qui sont en dehors de tous les métiers orga­ni­sés, et qui entrainent ceux-ci (ain­si que cela s’est vu dans la der­nière grève des che­mins de fer), sont très encou­ra­geants. Cet esprit nou­veau de révolte qui souffle dans la classe ouvrière fait un devoir à ceux qui ne se croient, pas supé­rieurs aux « masses igno­rantes », parce qu’ils sont anar­chistes et les masses ne le sont, pas encore, de faire tout pour pro­pa­ger l’i­dée anar­chiste an sein des masses ouvrières. Et puis, il faut aus­si se sen­tir un peu coudes pour voir où l’on en est avec la grève géné­rale, que les poli­ti­ciens tra­vaillent par tous les moyens à esca­mo­ter d’i­ci au pro­chain congrès.

On sait que le congrès est entiè­re­ment mani­pu­lé pré­ci­sé­ment par ces poli­ti­ciens. Les social-démo­crates alle­mands, qui dominent dans le comi­té orga­ni­sa­teur, ont donc pris leurs pré­cau­tions pour empê­cher que l’on vienne les gêner dans leurs petites dis­cus­sions de mes­qui­ne­ries par­le­men­taires, et le décret lan­cé par ces mes­sieurs annonce que seront exclus du congrès tous ceux qui n’ad­mettent pas la poli­tique par­le­men­taire. Il s’a­gis­sait donc de savoir ce que l’on veut faire.

L’o­pi­nion una­nime des com­pa­gnons réunis a été qu’il faut aller au congrès, et y aller en masse. Mais, avant de faire quelque chose, tous les groupes anar­chistes de Londres seront convo­qués pour dis­cu­ter la question.

Si le congrès s’an­non­çait comme un congrès de la démo­cra­tie sociale, les anar­chistes n’i­raient évi­dem­ment pas. Pour­quoi irions-nous déran­ger les social-démo­crates quand ils dis­cutent leurs petites affaires, ou s’af­fer­missent mutuel­le­ment dans la croyance que Marx a décou­vert tout le socia­lisme, toute la phi­lo­so­phie de l’his­toire, et le reste ?

Mais le congrès est annon­cé comme un congrès ouvrier uni­ver­sel, et alors, – ou bien les unions de métier, seules, y sont admises, et aucun groupe poli­tique socia­liste, ou révo­lu­tion­naire, n’y aura accès, à moins d’être une union de métier ou de Sans-tra­vail, – ou bien, tous les groupes socia­listes et révo­lu­tion­naires qui tiennent à y venir doivent être reçus. En effet, il n’y a aucune rai­son pour dire que les grou­pe­ments ouvriers, plus les social-démo­crates seront admis ; mais qu’on ne veut pas de congrès com­po­sé des unions ouvrières, plus les social-démo­crates et plus les anar­chistes et toutes les écoles socia­listes. C’est pré­ju­gé d’a­vance que les grou­pe­ments ouvriers doivent être social-démo­crates et tra­vailler pour les politiciens.

Or, c’est pré­ci­sé­ment ce que ces mes­sieurs ont fait. Si vous êtes un anar­chiste, envoyé par une union de métier annon­cée au comi­té de Londres huit mois à l’a­vance, vous êtes admis ; si vous êtes un social-démo­crate qui n’ap­par­tient à aucune union ouvrière, mais appar­tient sim­ple­ment au par­ti démo­crate socia­liste, vous êtes encore reçu : vos opi­nions social-démo­crates vous ouvrent les portes. Mais si vous êtes un anar­chiste n’ap­par­te­nant pas non plus à une union ouvrière, mais se pré­sen­tant, de la part d’un groupe anar­chiste, alors on ne vous reçoit pas : vos opi­nions anar­chistes vous ferment les portes.

Si tous les par­tis ouvriers et grou­pe­ments ouvriers accep­taient cette réso­lu­tion, il n’y aurait. qu’à s’in­cli­ner devant la bêtise humaine. Mais c’est pré­ci­sé­ment ce qui n’est pas. Le par­ti ouvrier hol­lan­dais, par exemple, n’en veut nul­le­ment. Il dit, comme nous : ou bien un congrès ouvrier exclu­si­ve­ment ou bien un congrès du par­ti social-démo­crate ; ou bien enfin un congrès ouvrier qui ouvre ses portes aus­si bien aux anar­chistes qu’aux social-démo­crates. Mais ne faites pas croire aux tra­vailleurs que la majo­ri­té des tra­vailleurs est enrô­lée à la tac­tique par­le­men­taire des démo­crates soi-disant socia­listes. Le par­ti amé­ri­cain n’en veut plus, par exemple, et il vient de déci­der qu’il ne pren­dra désor­mais aucune part à la poli­ti­caille­rie. Les Espa­gnols pro­ba­ble­ment ne vou­dront pas non plus de l’ex­clu­si­visme mar­xiste ; et les Ita­liens de même sorte. En sorte que, leurs vota­tions ayant lieu par natio­na­li­tés, Liebk­necht aura de nou­veau à para­der comme repré­sen­tant du par­ti ouvrier du Bré­sil, ou peut-être même des îles Sandwich.

Il va donc être pro­po­sé à la réunion des anar­chistes de Londres de lan­cer deux mani­festes : l’un adres­sé à tous les anar­chistes euro­péens, amé­ri­cains et aus­tra­liens, pour leur pro­po­ser de dis­cu­ter la ques­tion du congrès, et l’autre adres­sé aux trade-unions anglaises pour leur ouvrir les yeux et déjouer le plan des orga­ni­sa­teurs de la comé­die que l’ont veut jouer sur le dos des ouvriers.

En même temps, les jour­naux anar­chistes sont priés d’ou­vrir leurs colonnes à cette discussion.

P. K.

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