La Presse Anarchiste

la question juive

[[Cette étude sera com­plé­tée par un article sur le Sionisme.]]

La solu­tion que lui a don­née la Confé­rence de la Paix, quoique ins­pi­rée d’une évi­dente bonne volon­té, porte l’empreinte de l’empirisme et de l’in­co­hé­rence à la mode. Les puis­sants du jour ne sont pas seuls res­pon­sables de ces déci­sions. Les prin­ci­paux inté­res­sés, juifs et gou­ver­ne­ments anti­sé­mites ne leur ont pas faci­li­té la tâche ; volon­tai­re­ment et sou­vent incons­ciem­ment, ils ont obs­cur­ci ce pro­blème extrê­me­ment complexe.

Le cas juif est un cas unique ; il n’y a pas de cas ana­logue, il n’y a pas de pré­cé­dent. D’autre part, par la force des choses, ceux qui s’en occupent ne peuvent le connaître cha­cun que sous un seul angle visuel, n’en voient qu’une facette qui se trouve être rigou­reu­se­ment sépa­rée des autres. Enfin, c’est un pro­blème empoi­son­né par la pas­sion, les idées pré­con­çues, des pré­ju­gés séculaires.

Pour essayer d’y voir clair, nous allons nous pla­cer suc­ces­si­ve­ment de dif­fé­rents points de vue, puis, nous éle­vant aus­si haut que pos­sible, nous tâche­rons de contem­pler la ques­tion juive dans son ensemble.

Point de vue des antisémites d’Orient

Ici, nous ne par­lons que de la Rou­ma­nie, de la Rus­sie, de la Pologne et des pays nou­vel­le­ment créés en Europe cen­trale et sep­ten­trio­nale où l’an­ti­sé­mi­tisme sévit à l’é­tat aigu.

Lais­sant de côté les niai­se­ries, les méchan­ce­tés bêtes, tâchons de lire, dans l’âme d’un anti­sé­mite intel­li­gent et dés­in­té­res­sé, à sup­po­ser qu’il en existe.

Le mieux qu’on puisse dire pour excu­ser l’an­ti­sé­mi­tisme, c’est que les juifs, élé­ment étran­ger au pays, inas­si­mi­lable, consti­tuent un dan­ger pour l’u­ni­té natio­nale. De là résulte pour les gou­ver­nants la néces­si­té de sur­veiller cet élé­ment et de le main­te­nir, par des mesures com­bi­nées, légales et autres, dans un état d’in­fé­rio­ri­té éco­no­mique et politique.

On répond à cela que ce sont pré­ci­sé­ment ces mesures qui creusent le fos­sé entre les habi­tants juifs et non juifs d’un pays, et créent des anta­go­nismes dan­ge­reux. Pour ce qui est du droit strict, sou­vent les juifs qu’on traite d’é­tran­gers sont plus ancien­ne­ment autoch­tones que leurs oppresseurs.

Point de vue des Juifs d’Orient

Les juifs d’O­rient vivent en masses com­pactes, ramas­sés dans les villes de la Pologne, de la Rus­sie occi­den­tale, de la Rou­ma­nie. Confi­nés par les per­sé­cu­tions dans un petit nombre de pro­fes­sions, ils sont l’ob­jet de véri­tables tor­tures phy­siques et morales, crou­pissent dans la misère et dans une totale igno­rance du monde moderne. Assu­ré­ment le plus igno­rant des juifs de Pologne ou de Litua­nie se fait encore de l’U­ni­vers une idée plus exacte que le pay­san russe ou rou­main, mais ces der­niers, vivant entre eux, ont moins besoin d’un coup d’œil au dehors que les juifs dis­per­sés par­mi les nations.

Qui­conque vient par­ler de déli­vrance à ces éter­nels, per­sé­cu­tés est donc assu­ré d’être avi­de­ment écou­té et plus on leur pro­met de liber­tés, plus on se les attache. Or, c’est à ces juifs iso­lés même de leurs proches voi­sins par une double muraille de haine et de mépris réci­proques, que des hommes par­fai­te­ment au cou­rant de la vie moderne prêchent qu’ils forment une natio­na­li­té qui pour­ra vivre et se déve­lop­per sur place, enche­vê­trée au milieu des autres natio­na­li­tés, pour­vu qu’on lui assure l’au­to­no­mie. Ils leur pro­mettent à la fois une répu­blique juive indé­pen­dante en Pales­tine et l’au­to­no­mie par­tout où ils se trouvent actuel­le­ment. Ils exaltent leur fier­té, leur confiance en eux-mêmes. Quoi d’é­ton­nant alors, que ces hommes soient sui­vis par ces foules humi­liées depuis tant de siècles ! Et c’est ain­si que les délé­gués repré­sen­tant neuf mil­lions de juifs ont for­mu­lé ces reven­di­ca­tions à la Confé­rence de la Paix.

Point de vue des Juifs d’Occident

Les juifs de France, d’An­gle­terre, d’A­mé­rique et d’ailleurs ne réclament rien pour eux.

En Angle­terre et en Amé­rique, de même qu’en Ita­lie, un puis­sant mou­ve­ment sio­niste dis­pose d’une presse agis­sante et d’un impor­tant nombre d’adeptes.

En France, le mou­ve­ment est plus lent. Les puis­santes asso­cia­tions israé­lites qui ont leur centre à Paris, sont indif­fé­rentes, sinon oppo­sées au sio­nisme, quoique le fon­da­teur des colo­nies israé­lites de Pales­tine soit un Rot­schild fran­çais. C’est que pour les Israé­lites fran­çais, le Judaïsme n’est qu’une reli­gion. Ils font ce qu’ils peuvent pour que leurs « core­li­gion­naires » ne soient pas per­sé­cu­tés, mais ils ne conçoivent pas d’autres méthodes que la créa­tion d’é­coles, les inter­ven­tions occultes auprès des gou­ver­ne­ments ou l’é­mi­gra­tion. Se mêler de sio­nisme ou de tout autre mou­ve­ment com­por­tant un relent « natio­nal juif » leur paraît absurde et dan­ge­reux pour tous et pour eux-mêmes. Cette pré­oc­cu­pa­tion ne hante pas l’es­prit des juifs anglais ou amé­ri­cains qui ne connaissent pas d’an­ti­sé­mi­tisme dans leur propre pays.

Point de vue de la Conférence de la Paix

Émus par les souf­frances juives encore aggra­vées par la guerre, les délé­gués des nations vic­to­rieuses ont vou­lu pro­fi­ter de la créa­tion ou de l’a­gran­dis­se­ment ter­ri­to­rial des états atteints par l’an­ti­sé­mi­tisme pour leur impo­ser la renon­cia­tion à ces pra­tiques inadmissibles.

Une ten­ta­tive ana­logue au Congrès de Ber­lin, en 1878, a don­né d’ex­cel­lents résul­tats par endroits, de détes­tables ailleurs. La même for­mule hon­nê­te­ment appli­quée par la Ser­bie, le Mon­té­né­gro, la Bul­ga­rie, la Grèce, a pra­ti­que­ment réso­lu la ques­tion juive dans ces pays. Mais en Rou­ma­nie, l’as­tuce de Bra­tia­no, le père de l’ac­tuel ministre, a élu­dé les obli­ga­tions impo­sées. Le fils s’ap­prê­tant à mar­cher sur les traces du père, il a fal­lu cher­cher d’autres moyens. C’est de cette néces­si­té, autant que de l’in­ter­pré­ta­tion natio­na­liste don­née récem­ment à la men­ta­li­té juive, qu’est née la for­mule de l’au­to­no­mie natio­nale des mino­ri­tés juives. À vrai dire, les déci­sions de la Confé­rence ne donnent, jus­qu’à pré­sent, aucune consé­cra­tion offi­cielle à la « Natio­na­li­té Juive ». Il résulte sim­ple­ment des condi­tions impo­sées à tous, et accep­tées jus­qu’i­ci seule­ment par la Pologne, que les juifs joui­ront théo­ri­que­ment de toutes les liber­tés, avec recours éven­tuel à la Ligue des Nations, en cas de vio­la­tion des engagements.

secte, race ou nation ?

Les diplo­mates de car­rière et les diplo­mates impro­vi­sés suent en ce moment sur cette ques­tion juive qui, par­mi beau­coup d’autres, leur pré­pare de graves mécomptes. Les uns et les autres font preuve d’é­troi­tesse d’es­prit en n’en­vi­sa­geant qu’un côté du pro­blème ; tous ont l’es­prit obsé­dé par des mots ne s’ap­pli­quant pas à cette col­lec­ti­vi­té ori­gi­nale qu’on appelle les juifs.

Les juifs sont-ils une nation ? Une secte reli­gieuse ? Selon qu’on admet la pre­mière ou la deuxième hypo­thèse, on offre une solu­tion ou une autre. Or, ces deux hypo­thèses sont éga­le­ment fausses.

La reli­gion juive existe, les masses juives d’O­rient en font même la règle quo­ti­dienne de leur vie, autant que les adeptes les plus atta­chés à l’une quel­conque des reli­gions exis­tantes. Mais cela n’est pas suf­fi­sant pour consi­dé­rer tous les juifs comme n’é­tant rat­ta­chés à la col­lec­ti­vi­té juive que par une foi reli­gieuse. Nom­breux sont les juifs affran­chis de toute croyance, ayant à jamais aban­don­né toute pra­tique reli­gieuse. Ils se consi­dèrent cepen­dant comme étroi­te­ment unis aux autres juifs, croyants ou non. Cette soli­da­ri­té agit sur leurs sen­ti­ments, sur leurs pen­sées, et se mani­feste à l’oc­ca­sion vio­lem­ment dans le monde entier, par­tout où il y a des juifs, par des actes.

Nous sommes donc en pré­sence d’un fait prou­vant la vita­li­té d’un lien puis­sant qui unit, par-delà les fron­tières, par-des­sus les pré­ju­gés de classes et de castes, des indi­vi­dus au nombre de phis de dix millions.

Quelle est la nature de ce lien ?

La vieille diplo­ma­tie, les juifs satis­faits du monde occi­den­tal, ferment volon­tai­re­ment les yeux et les oreilles à l’é­vi­dence, et pré­tendent qu’il s’a­git là d’une religion.

Viennent les repré­sen­tants qua­li­fiés des com­pactes masses juives de Pologne et de Rus­sie qui clament : « Nous sommes une Nation ! » Ils ne se trompent pas moins lourdement.

Il suf­fit que les per­sé­cu­tions anti­sé­mites cessent dans un pays, que des droits à peu près égaux soient accor­dés aux juifs, pour qu’ins­tan­ta­né­ment, sou­vent même avant, ils deviennent d’ar­dents patriotes du pays qui les accueille. Même chas­sés d’un pays, ils lui consacrent durant des siècles une ten­dresse spé­ciale, en cultivent la langue et la lit­té­ra­ture. Exemple : les juifs espa­gnols qui, par­tout, ont conser­vé pure la vieille langue cas­tillane ; et New York où les juifs forment une immense cité de plus d’un mil­lion d’ha­bi­tants. Ils parlent tous une langue com­mune, le yidiche, mais se groupent sui­vant leur ori­gine res­pec­tive, russe, polo­naise, rou­maine, etc. Chaque groupe cultive la langue mater­nelle, s’in­té­resse à la patrie marâtre qui les a pour­tant reje­tés de son sein. L’exemple des juifs alsa­ciens est encore plus typique. Autant que les Alsa­ciens catho­liques et pro­tes­tants, ils ont refu­sé, un demi-siècle durant, toute assi­mi­la­tion avec les Alle­mands, et même avec les juifs immi­grés. En France, il est bien plus dif­fi­cile à un juif immi­gré de se faire admettre dans une famille juive indi­gène que dans une famille non juive.

Tout cela prouve que l’am­biance natio­nale crée, par­mi les juifs d’un pays, un lien nul­le­ment incom­pa­tible avec le lien unis­sant les juifs par des­sus les fron­tières, mais dif­fé­rent. Le sen­ti­ment natio­nal com­porte incon­tes­ta­ble­ment l’u­ni­té ter­ri­to­riale et sur­tout l’u­ni­té du milieu, de l’am­biance spi­ri­tuelle, une cer­taine com­mu­nau­té d’in­té­rêts et d’u­sages impos­sible à réa­li­ser à tra­vers le vaste monde. Vivre dans le même pays, subir le même cli­mat, se nour­rir des pro­duits de la même terre, lire les mêmes jour­naux, rece­voir le même ensei­gne­ment, tout cet ensemble d’in­fluences locales agit d’une manière iden­tique sur l’es­prit des hommes, juifs ou non, et contri­bue à créer un fonds com­mun de sen­ti­ments et d’i­dées d’im­por­tance fondamentale.

Je ne m’ar­rê­te­rai pas long­temps à dis­cu­ter le pro­blème de la race, ter­rain glis­sant où les Alle­mands se sont rom­pu le cou. Pour ce qui est des juifs, il est indé­niable qu’an­thro­po­lo­gi­que­ment un lien de sang les unit plus ou moins étroi­te­ment depuis un nombre plus ou moins grand de géné­ra­tions. Point n’est besoin de remon­ter au déluge pour en juger.

Mais est-il donc néces­saire pour résoudre le pro­blème juif, de consi­dé­rer comme démon­trée telle ou telle hypo­thèse ? Faut-il abso­lu­ment for­cer la vie à prendre les formes géo­mé­triques de nos défi­ni­tions, four­rer des indi­vi­dus ou des col­lec­ti­vi­tés dans des cases préa­la­ble­ment déli­mi­tées, race, nation ou religion ?

Droits des minorités

Il y a des juifs. On leur inflige, en dehors des souf­frances que les autres ont à endu­rer, un sup­plé­ment sou­vent atroce de misères immé­ri­tées. Pour les faire entrer dans le « droit com­mun », il suf­fi­rait d’im­po­ser à leurs per­sé­cu­teurs l’é­ga­li­té pour tous les habi­tants, sans accep­tion de cou­leur, de race ou de religion.

Mais nous voyons les Amé­ri­cains, qui viennent don­ner à l’Eu­rope des leçons de morale, lyn­cher les noirs et fer­mer leurs fron­tières aux jaunes. D’autre part, les Rou­mains ont, nous l’a­vons dit, élu­dé astu­cieu­se­ment l’o­bli­ga­tion impo­sée en 1878 par le trai­té de Ber­lin, d’ac­cor­der aux juifs les mêmes droits qu’aux autres nationaux.

Pour évi­ter ces deux écueils, on a trou­vé la belle inven­tion des « Droits des Mino­ri­tés ». Désor­mais, dans tous les pays anti­sé­mites, les juifs for­me­ront un noyau plus ou moins com­pact d’in­di­vi­dus, dif­fé­rant com­plè­te­ment des autres habi­tants, an point que la majo­ri­té et la mino­ri­té s’i­gnorent à peu près tota­le­ment, en dehors de quelques vagues rela­tions maté­rielles ou com­mer­ciales. C’est un ghet­to moral soli­de­ment édi­fié. Et ce résul­tat a été dési­ré par les repré­sen­tants qua­li­fiés des juifs d’Orient !

Certes, nous ne sommes pas par­ti­sans de l’ho­mo­gé­néi­sa­tion (qu’on nous par­donne ce néo­lo­gisme) des hommes par l’É­tat tout-puis­sant. Bien au contraire, vou­drions-nous voir se mul­ti­plier les grou­pe­ments, les col­lec­ti­vi­tés ayant leurs écoles, leurs ins­ti­tu­tions, leurs habi­tudes propres. La « cen­tra­li­sa­tion éta­tiste de l’en­sei­gne­ment prus­sien » n’est pas ce que nous préconisons.

Les livres hébraïques repré­sentent une richesse que les Églises offi­cielles ont reje­tée dans l’ombre. On n’ai­me­rait pas trop faire lire aux enfants que la terre n’est pas une pro­prié­té indi­vi­duelle et qu’elle doit faire retour à la col­lec­ti­vi­té tous les cin­quante ans.

Quant aux impré­ca­tions des pro­phètes contre les riches, le jeune homme qui les réci­te­rait en public pas­se­rait un mau­vais quart d’heure.

Ce n’est pas nous, encore une fois, qui ver­rions un incon­vé­nient à lais­ser toute liber­té aux mino­ri­tés, natio­nales ou autres, d’or­ga­ni­ser comme bon leur semble leur ensei­gne­ment aus­si bien que leurs œuvres de soli­da­ri­té. Mais pour conser­ver à la civi­li­sa­tion juive une ori­gi­na­li­té aus­si impré­gnée d’hu­maine bon­té et de révolte contre toute auto­ri­té, il n’est pas utile de l’i­so­ler au milieu de chaque nation. Culti­ver des tra­di­tions saines, en ce qu’elles ne sont pas en contra­dic­tion avec la rai­son, n’im­plique pas la néces­si­té de se sin­gu­la­ri­ser, de se dif­fé­ren­cier sys­té­ma­ti­que­ment des coha­bi­tants par des pri­vi­lèges tels que l’emploi d’une langue autre que la langue natio­nale jusque dans les actes offi­ciels (recon­nais­sance de la langue yidiche), l’o­bli­ga­tion de res­pec­ter le Sabat, au point que les élec­tions ne pour­ront pas avoir lieu le same­di, ou encore, comme en Grèce, la facul­té pour les Juifs seule­ment, de s’exemp­ter du ser­vice mili­taire par le paie­ment d’une rede­vance. Qui ne voit que ces dis­tinc­tions sont toutes géné­ra­trices de haines, qu’elles seront trop aisé­ment exploi­tées pour per­pé­tuer le tra­gique mal­en­ten­du entre juifs et non-juifs, et que l’an­ti­sé­mi­tisme s’en ser­vi­ra pour creu­ser plus pro­fon­dé­ment le fos­sé qu’il s’a­git de combler.

Au contraire, les juifs peuvent et doivent se mêler inti­me­ment aux nations, à toutes les nations, tout en conser­vant et en culti­vant ce qu’il y a d’hu­main dans leur riche his­toire. Ce serait une perte pour eux et pour tous que de consa­crer par de sem­blables mesures d’ex­cep­tion l’i­so­le­ment dans lequel ils ont été enfer­més par l’ar­ro­gance des boyards rou­mains, des hobe­reaux polo­nais et de la bureau­cra­tie russe et ce n’est pas sup­pri­mer le ghet­to que d’a­me­ner, les juifs à se grou­per dans chaque état en mino­ri­tés natio­nales (?) orga­ni­sées et capo­ra­li­sées en vue des élections.

La mentalité juive

Le juif, mépri­sé, humi­lié et frap­pé de toute manière, porte en lui la conscience d’une grande supé­rio­ri­té spi­ri­tuelle sur ses bour­reaux. Il lit beau­coup. Tous les Juifs savent lire, c’est un peuple qui ne compte pas d’illet­trés depuis mille ans au moins. Depuis plus long­temps encore, le meurtre a été abo­li du cer­veau juif. À tort ou à rai­son, le juif est très fier de ces deux stig­mates, l’un intel­lec­tuel, l’autre moral, qu’il porte au front. Au sur­plus, on ne voit jamais un juif ivre : la sobrié­té, la régu­la­ri­té aus­tère de la famille sont des carac­té­ris­tiques vivaces de la men­ta­li­té juive.

Il y a une men­ta­li­té juive uni­ver­selle, qui n’est incom­pa­tible avec aucune civi­li­sa­tion vrai­ment humaine, qui s’a­dapte à tous les milieux. Cette men­ta­li­té col­lec­tive tient du sen­ti­ment reli­gieux, mais ne lui est pas assez sou­dée pour ne pas sur­vivre à son déta­che­ment ; elle est appa­ren­tée au sen­ti­ment natio­nal, mais ne peut pas lui être identifiée.

En véri­té, les masses juives sont pro­fon­dé­ment atta­chées à leurs tra­di­tions mil­lé­naires. À la base de ce tra­di­tio­na­lisme se trouve un riche sen­ti­ment liber­taire et éga­li­taire, réfrac­taire à toute tyran­nie, à toute hié­rar­chie, à toute dis­ci­pline impo­sée. La bon­té, la pitié pour les faibles, pour les ani­maux, l’hor­reur du meurtre, même sur les ani­maux, une soif ardente pour l’é­tude, une aspi­ra­tion pas­sion­née vers la jus­tice pour tous, voi­là ce qui consti­tue le fonds, le centre d’at­trac­tion du judaïsme uni­ver­sel. Ce n’est pas en vain que durant des siècles, tous les jours, les juifs ont cla­mé leurs invo­ca­tions à la Jus­tice, à la Bon­té, à la Pitié. Il s’en est trans­mis quelque chose même à ceux qui n’ont jamais lu ces lamentations.

Les aspi­ra­tions des masses juives tendent, c’est évident, vers la créa­tion d’un État indé­pen­dant en Pales­tine. Des cen­taines de mil­liers de juifs n’attendent qu’un signal pour se ruer vers cette terre pro­mise, vers ce pays de leurs rêves. Mais la capa­ci­té d’ab­sorp­tion de la colo­ni­sa­tion pales­ti­nienne sera de dix mille indi­vi­dus par an, à condi­tion que la Puis­sance pro­tec­trice l’en­cou­rage plei­ne­ment. Ce chiffre repré­sente à peine l’ex­cé­dent annuel des popu­la­tions juives opprimées.

La ques­tion juive devra donc être réso­lue sur place.

Par quels moyens ?

Conclusions

Com­pa­rer le juif, cet être affi­né par la pra­tique inces­sante de médi­ta­tions abs­traites, par la lec­ture, par les scru­pules moraux, au rustre rou­main, polo­nais ou russe, c’est com­prendre de suite que le pre­mier ne puisse accep­ter comme un très grand hon­neur d’être « assi­mi­lé », « absor­bé », par le second. La dis­tinc­tion que le juif éta­blit entre lui-même et le « Goï » n’est vrai­ment pas de nature à l’in­ci­ter à aban­don­ner ses mœurs sécu­laires pour adop­ter celles des autres.

Mais le pay­san inculte n’est pas tout l’O­rient. Il y a dans les villes orien­tales une mince croûte de civi­li­sa­tion occi­den­tale. Là, le contact est pos­sible et serait pro­fi­table aux deux par­ties, à condi­tion que rien ne vienne le trou­bler. La liber­té, l’é­ga­li­té com­plètes, sin­cè­re­ment adop­tées et appli­quées, auraient des avan­tages cer­tains pour tous. Mais le cal­cul des gou­ver­nants et la myo­pie des diri­geants juifs s’a­charnent au contraire à évi­ter ce libre com­merce de deux men­ta­li­tés complémentaires.

Mettre brus­que­ment les masses illet­trées russes, polo­naises et rou­maines au contact de ces grands lec­teurs de livres et de jour­naux, de ces juifs assoif­fés de jus­tice et qui veulent le para­dis ici-bas, voi­là ce que tiennent à évi­ter les anti­sé­mites et ce qu’ils ont évi­té jus­qu’i­ci par les per­sé­cu­tions et la calom­nie. Les machia­vels de notre diplo­ma­tie ont-ils été obsé­dés par la même pré­oc­cu­pa­tion ? Tou­jours est-il qu’ils arrivent, grâce au sys­tème de l’au­to­no­mie des mino­ri­tés juives, à évi­ter, eux aus­si, cette dan­ge­reuse promiscuité.

Cer­tains diri­geants juifs, se recru­tant sur­tout par­mi les rab­bins et les poli­ti­ciens, redoutent ce contact pour la pure­té des mœurs juives, pour la conser­va­tion de la men­ta­li­té juive. Ce sont ceux-là qui s’in­gé­nient éga­le­ment à scel­ler les juifs dans le ghet­to de « l’au­to­no­mie nationale ».

À l’ex­cep­tion des anti­sé­mites stu­pi­de­ment but­tés, tous les hommes de bonne volon­té sont d’ac­cord sur le but à atteindre : réa­li­ser l’é­ga­li­té com­plète des juifs et des non juifs. C’est dans le choix des moyens qu’ap­pa­raissent les divergences.

Les uns veulent la dis­pa­ri­tion, l’ef­fa­ce­ment de ce qui fait la carac­té­ris­tique du juif, la fusion com­plète. Uto­pie irréa­li­sable. Jamais le juif à la civi­li­sa­tion mil­lé­naire ne se lais­se­ra absor­ber par des peuples à peine adolescents.

D’autres érigent des murailles d’i­so­le­ment autour du pré­cieux dépôt des ancêtres. Mais une civi­li­sa­tion se cor­rompt en crou­pis­sant ; elle se for­ti­fie, au contraire, au contact d’autres civi­li­sa­tions. S’il s’a­gis­sait de figer le judaïsme dans les vieilles pra­tiques tal­mu­diques, on com­pren­drait la « sépa­ra­tion ». Autant nous approu­vons le juif fidèle à la science hébraïque, qui en enseigne les beau­tés à ses enfants, qui main­tient la sobrié­té, la pure­té des mœurs, qui s’in­ter­dit le meurtre même d’un ani­mal, autant nous jugeons détes­table toute mesure qui aurait pour résul­tat l’i­so­le­ment du juif par­mi les nations.

Point n’est besoin d’au­to­no­mie natio­nale pour culti­ver les mœurs et la lit­té­ra­ture hébraïques. Ce n’est pas non plus pour que les juifs pieux puissent prier en paix dans leurs temples, ou man­ger à Pâque le pain azyme du sou­ve­nir, ou gérer les écoles et les hôpi­taux juifs, qu’il est indis­pen­sable de pro­cla­mer l’exis­tence d’une natio­na­li­té juive.

Il appar­tient aux gens clair­voyants de résoudre la ques­tion juive dans un sens favo­rable au pro­grès humain. Les nou­velles géné­ra­tions juives devront apprendre la langue de leur pays et l’hé­breu, à l’ex­clu­sion du jar­gon. Les nou­velles géné­ra­tions non juives devront faire un pas vers le juif, regar­der son âme sur le vif, et non pas à tra­vers le prisme des calom­nies ances­trales, ouvrir lar­ge­ment aux juifs les portes des écoles, des par­le­ments, des offices, de toutes les car­rières, les accueillir dans leurs ami­tiés, dans leurs grou­pe­ments, dans leurs familles. Voi­là qui fera davan­tage pour la pros­pé­ri­té des peuples que les atro­ci­tés antisémitiques.

Mais en atten­dant que de part et d’autre cet immense pro­grès se réa­lise, il fau­dra, pen­dant long­temps, hélas ! des mesures de pro­tec­tion inter­na­tio­nales. Il ne suf­fit pas de pro­cla­mer l’é­ga­li­té des juifs ; il incombe à la Socié­té des Nations de veiller à ce que cette éga­li­té entre dans le domaine des faits.

Pour que les gou­ver­ne­ments inté­res­sés ne per­sé­vèrent pas dans leurs anciens erre­ments, comme la Pologne l’a mon­tré par de récents pogroms, la Rou­ma­nie, par sa résis­tance obs­ti­née, les Kolt­chak, les Deni­kine et autres par les mas­sacres orga­ni­sés ou tolé­rés, l’in­ter­ven­tion réité­rée de la Ligue des Nations dans leurs affaires inté­rieures s’im­po­se­ra continuellement.

D’autre part, si les Juifs, obéis­sants à leurs mau­vais ber­gers, se refusent à user des pos­si­bi­li­tés de rap­pro­che­ment que les cir­cons­tances leur offrent, ils ne devront s’en prendre qu’à eux-mêmes de la dure­té de leur sort.

Dr L.F.

La Presse Anarchiste