La Presse Anarchiste

Sur le Traité de paix

Après des mois et des mois de bavar­dages qu’il ne fut pas per­mis à la presse de divul­guer au public ; après beau­coup de mar­chan­dages que, si la cen­sure n’exis­tait pas, je qua­li­fie­rais de hon­teux ; après je ne sais quels maqui­gnon­nages qu’il a fal­lu tri­pa­touiller pour arri­ver à satis­faire les appé­tits en pré­sence, le public a été, enfin, admis à connaître quelles étaient les condi­tions de paix, que l’on allait, en son nom, impo­ser à l’Al­le­magne et quelles étaient les mesures que comptent prendre nos augures en vue d’al­lé­ger le far­deau qui va peser sur les peuples épui­sés, et en vue d’as­su­rer la Paix.

Nous ne pou­vons dis­cu­ter que ce que nous connais­sons. Nous devons pré­su­mer, du reste, que, dans ce long défi­lé de clauses ce sont les plus impor­tantes que l’on nous fait connaître [[Écrit avant la publi­ca­tion com­plète du traité.]]

Une chose est cer­taine, c’est que per­sonne n’en est satis­fait : les Alle­mands, cela va de soi, gueulent connue des putois, que c’est une paix de haine qu’on leur impose ; que c’est l’as­ser­vis­se­ment du peuple alle­mand que l’on cherche, que c’est la fin de l’Al­le­magne que l’on veut.

Dans les pays alliés, réac­tion­naires, chau­vins, jiu­gos, irré­den­tistes, mili­ta­ristes, trouvent que les condi­tions impo­sées à l’Al­le­magne ne sont pas, assez dures, que l’on aurait dû élar­gir et pro­lon­ger la durée de l’oc­cu­pa­tion, qu’il n’a pas été opé­ré assez d’an­nexions ; que tous les frais de la guerre auraient dû être payés par les Allemands.

Socia­listes, syn­di­ca­listes, trouvent que ces mêmes condi­tions sont trop dures pour le vain­cu, que l’on ne s’est pas assez ins­pi­ré des qua­torze points de Wilson !

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Que les Alle­mands ne soient pas satis­faits, cela se com­prend. Avoir rêvé la conquête de l’Eu­rope, avoir eu l’am­bi­tion de lui impo­ser son com­merce, et de lui arra­cher, sous le nom d’«indemnités de guerre », de nom­breux mil­liards, c’est une décep­tion cruelle d’a­voir à payer soi-même, et de se voir enle­ver le fruit de ses extor­sions anté­rieures au lieu d’en ajou­ter de nouvelles.

Selon eux, si on en croit M. le comte de Bro­cken­dorff-Rant­zau, s’ils sont un peu, très peu, res­pon­sables pour le déchaî­ne­ment de la guerre, les pays alliés le sont aus­si, pour leur grande part. « Eux, les Alle­mands s’ils se sont lais­sé entraî­ner à cette guerre, c’est qu’ils avaient la convic­tion de se défendre !

« Est-ce que la poli­tique d’ar­me­ments des autres pays, et leur impé­ria­lisme n’é­taient pas une menace à la Patrie allemande ! »

Si les diplo­mates et poli­ti­ciens alle­mands, ou plu­tôt prus­siens, puisque ce sont eux qui mènent la poli­tique alle­mande, sont éton­nants à our­dir des intrigues secrètes, à machi­ner toutes sortes de dif­fi­cul­tés pour leurs adver­saires, par contre, il faut l’a­vouer, ils manquent, tout aus­si éton­nam­ment, de tact, du sens des pro­por­tions et de la véri­té, que de sens cri­tique, et de psychologie.

Cette nation ne s’est consti­tuée que par une poli­tique conti­nue de vio­lence et de fraudes, s’a­gran­dis­sant des extor­sions exer­cées sur ses voi­sins ; et ses repré­sen­tants ont le tou­pet de par­ler de l’im­pé­ria­lisme de leurs vic­times, de leur repro­cher leurs arme­ments alors que ce sont eux qui, par leurs pré­ten­tions, et leur propre poli­tique de menaces et d’ar­me­ments, jus­ti­fièrent la méfiance et les pré­cau­tions de ceux qui se sen­taient mena­cés. Chez les Alliés, sans doute, il y avait des poli­ti­ciens qui rêvaient d’im­pé­ria­lisme, de revanche, qui pous­saient à la sur­en­chère des arme­ments. Si on jugeait les gens sur leurs inten­tions, ceux-ci devraient pas­ser en cour mar­tiale avec le Kaiser.

Mais les inten­tions ne sont jus­ti­ciables que lors­qu’elles passent à l’ac­tion. En France, en Angle­terre, il y avait une opi­nion publique pour réfré­ner ces vel­léi­tés guer­rières. La preuve, c’est que, lorsque la catas­trophe a écla­té, nos poli­ti­ciens, même ceux qui « vou­laient pré­si­der à la Revanche », se crurent obli­gés de faire tous leurs efforts pour l’empêcher d’éclater.

À part quelques mani­fes­ta­tions à Ber­lin, il semble que l’o­pi­nion publique en Alle­magne a accep­té, sans pro­tes­ta­tions, que l’a­gres­sion par­tît de chez elle, et que à part quelques indi­vi­dua­li­tés, – sur 70 mil­lions d’ha­bi­tants – chaque Alle­mand s’est fait le com­plice, pas­sif, – quant à la volon­té : actif dans l’ac­tion – des plans des ban­dits qu’ils avaient comme maîtres, et, les a aidés jus­qu’au bout, sans murmurer.

Les social-démo­crates, tous, jus­qu’au der­nier, ont voté les cré­dits de guerre en 1914. Si Liebk­necht fut le pre­mier à se rat­tra­per, les autres conti­nuèrent à voter ces cré­dits. Ce ne fut que lorsque la cer­ti­tude de la vic­toire com­men­ça à être des plus dou­teuses, et que le besoin d’é­vi­ter le sort dont on avait mena­cé les autres se fit sen­tir, que, rede­ve­nant inter­na­tio­na­listes, les social-démo­crates com­men­cèrent à par­ler de « conci­lia­tion », et que quelques-uns refu­sèrent de voter, plus long­temps, les cré­dits de guerre.

« Ils s’é­taient crus mena­cés ! Leur convic­tion fut qu’ils par­ti­ci­paient à une guerre de défense ! »

Tas de bla­gueurs ! Est-ce que, dans les Congrès inter­na­tio­naux anté­rieurs à la guerre, ils ne se sont pas tou­jours refu­sés à se pro­non­cer pour la grève géné­rale en cas où l’un ou l’autre des gou­ver­ne­ments par­ti­rait en guerre ? Est-ce qu’ils n’ont pas décla­ré qu’ils étaient Alle­mands avant tout ?

Est-ce qu’ils ne se sont pas tou­jours oppo­sés à la pro­pa­gande anti­mi­li­ta­riste ? Sauf Liebk­necht qui fut le seul à la ten­ter, mais ne fut pas suivi.

Est-ce que nombre de leurs meneurs ne se sont pas fait les apôtres du pan­ger­ma­nisme le plus éche­ve­lé ? La guerre ne fai­sait que leur appor­ter l’oc­ca­sion de réa­li­ser leurs rêves de domination.

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Ils votèrent les cré­dits de guerre, et mar­chèrent comme un seul homme der­rière le Kaiser.

L’É­tat-Major alle­mand ayant décré­té que le plus sûr moyen d’é­cra­ser la France, c’é­tait par la Bel­gique qu’il fal­lait com­men­cer l’at­taque, ses diplo­mates décla­rèrent que les trai­tés n’é­taient que « des chif­fons de papier » que l’on pou­vait déchi­rer sans remords. Et, de cet avis, les social-démo­crates allèrent trou­ver les socia­listes belges dans l’es­poir de les déci­der à coopé­rer avec les auto­ri­tés alle­mandes qui venaient de vio­ler la neu­tra­li­té de leur pays.

Plus vite la France serait écra­sée, plus vite la guerre serait finie ! C’est par huma­ni­té que, mili­taires, diplo­mates, poli­ti­ciens et socia­listes-inter­na­tio­na­listes alle­mands approu­vèrent la vio­la­tion de la neu­tra­li­té belge !

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Ils manquent autant de tact que de psy­cho­lo­gie. Ils ne com­prirent pas que vio­ler la neu­tra­li­té belge, c’é­tait le plus sûr moyen de lan­cer l’An­gle­terre dans la lutte ; que mas­sa­crer des femmes et des enfants, c’é­tait sur­ex­ci­ter la colère des com­bat­tants, ren­for­cer leur volon­té d’en finir avec une nation de sauvages.

Les pre­mières années de la lutte, les Amé­ri­cains gagnaient de l’argent en prê­tant aux com­bat­tants : côté France, côté Alle­magne ; four­nis­sant vivres et muni­tions à n’im­porte lequel des bel­li­gé­rants. Ils n’é­prou­vaient aucun désir d’en­trer eux-mêmes dans la lutte. Quand les com­bat­tants en auraient assez, ils (les Amé­ri­cains), trou­ve­raient bien le moyen de s’im­po­ser comme arbitres.

Ce fut l’ou­tre­cui­dance alle­mande qui les lan­ça dans la lutte, en s’en­tê­tant à cou­ler leurs trans­ports de voya­geurs civils.

Les Alle­mands se plaignent de ne ren­con­trer que des haines, d’être trai­tés dure­ment ! Ils ne font que récol­ter ce qu’ils semèrent.

N’est-ce pas un de leurs chefs actuels, Schei­de­mann, qui, en avril 1916, s’é­criait au Reichs­tag : « Le retour à l’an­cien état de choses est sim­ple­ment une impos­si­bi­li­té après une guerre comme celle-ci ! »

Lorsque je dis les Alle­mands, le peuple alle­mand, je parle, bien enten­du, de ses maîtres, de ceux qui le menaient, par­laient et agis­saient en son nom. Ce furent les pires cou­pables, puisque ce furent eux qui impo­sèrent, qui conçurent toutes ces hor­reurs. Mal­gré tout mon inter­na­tio­na­lisme, mal­gré tout mon désir que les peuples de toute langue, de toute cou­leur, de toute race se traitent mutuel­le­ment en frères, je trouve que ce serait faire œuvre de dupes de décla­rer, comme le vou­draient quelques-uns par­mi nous, qu’il n’y a plus qu’à s’embrasser, et que cha­cun panse ses blessures.

Ce serait trop com­mode que les Alle­mands aient sup­por­té que leurs maîtres fassent, pen­dant près d’un demi-siècle, trem­bler l’Eu­rope sous la menace d’une guerre tou­jours à la veille d’é­cla­ter, pour la déchaî­ner à la fin sans aucune rai­son valable ; qu’ils les aient sou­te­nus, pen­dant toute cette guerre, mora­le­ment et maté­riel­le­ment, pour venir dire ensuite que le peuple alle­mand n’est pas responsable.

Mais sont encore bien moins res­pon­sables ceux qui eurent à se défendre contre l’a­gres­sion, qui eurent leur pays détruit, sac­ca­gé, et qui, en plus des frais for­mi­dables qu’a entraî­nés la guerre elle-même, auront à répa­rer les ruines qu’elle a causées.

Enten­dons-nous ; je ne demande, pour les Alle­mands, aucun trai­te­ment qui res­semble à une puni­tion. Qu’ils en aient méri­té une, c’est une ques­tion qui n’a rien à voir en ce qui concerne la paix.

La paix à envi­sa­ger pour ceux qui avaient mis­sion de la pré­pa­rer, devait être que tout en étant la plus juste pos­sible pour le vain­queur, elle ne vio­lât pas le droit des gens chez le vain­cu et qu’elle n’im­po­sât pas des répa­ra­tions qui fussent un escla­vage éco­no­mique dégui­sé, si justes qu’elles puissent être en fait.

Si les paie­ments qu’on leur impose n’en­traînent, pour eux, qu’un léger excès sur les charges que les vic­times de l’a­gres­sion auront elles-mêmes à sup­por­ter, les Alle­mands ne peuvent avoir aucun motif de se plaindre.

Les Alle­mands gueulent qu’on veut les dépouiller. Il ne faut pas oublier que c’est leur méthode de gueu­ler, lors­qu’on les empêche de domi­ner et de voler les autres. Ne leur serait-il impo­sé aucun rem­bour­se­ment de ce qu’ils ont volé, aucune répa­ra­tion des ruines qu’ils ont faites, sans autre rai­son que de rui­ner les indus­tries concur­rentes, qu’ils gueu­le­raient que la jus­tice est vio­lée en leur per­sonne, parce qu’on se refu­se­rait à leur payer les innom­brables mil­liards qu’ils avaient rêvé d’ar­ra­cher à ceux qu’ils voyaient déjà sous leurs talons. Leurs gueu­le­ments ne sont pas une preuve de leur mau­vais traitement.

Le résu­mé de ces condi­tions qu’on a bien vou­lu nous lais­ser connaître, com­porte trop de connais­sances spé­ciales diverses pour qu’un seul indi­vi­du puisse don­ner un avis par­fai­te­ment moti­vé. Je me borne donc à la seule cri­tique de ce que je comprends.

Ceux qui ont éla­bo­ré ces condi­tions, se sont-ils tenus dans cette juste mesure ? Tout est là.

C’est au fur et à mesure que devront s’exé­cu­ter ces dif­fé­rentes condi­tions que nous ver­rons com­ment elles travaillent.

Comme M. Schei­de­mann l’a­vait décla­ré, c’est de toute impos­si­bi­li­té de retour­ner à l’é­tat de choses d’a­vant la guerre. On arrache donc à l’Al­le­magne les pays qu’elle a volés dans le pas­sé, et on recons­ti­tue leur natio­na­li­té, ce n’est que justice.

Ce que l’on peut dire, d’ores et déjà, c’est que si on a cher­ché à ne pas trop heur­ter le sen­ti­ment des peuples, dans l’ordre poli­tique et même cher­ché à lui don­ner satis­fac­tion, en fait, dans l’ordre éco­no­mique, ce sont les capi­ta­listes qui ont dic­té leurs condi­tions, leur volon­té pri­mant sur celle des peuples, lorsque l’in­té­rêt de ceux-ci était en conflit avec l’in­té­rêt de ceux-là.

M. de Rant­zau s’é­lève contre, sous pré­texte que la recons­ti­tu­tion des dites natio­na­li­tés risque de res­sus­ci­ter l’es­prit de natio­na­lisme chez ces peuples, et occa­sion­ner de nou­velles dif­fi­cul­tés ! M. de Rant­zau en a de bien bonnes !

Le par­ti socia­liste fran­çais, dans un mani­feste, fait une objec­tion plus sérieuse, si elle est exacte. « Pour recons­ti­tuer ces natio­na­li­tés, la Pologne entre autres, on attri­bue­rait à celle-ci des por­tions de ter­ri­toires dont la popu­la­tion n’au­rait rien de polo­nais. Si c’est ain­si, c’est une vio­la­tion du droit des gens, c’est un crime et une faute. Et toute faute se paie tôt ou tard. »

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Est-ce à dire que, à part cette légère cri­tique, je trouve le trai­té de paix par­fait, et ses clauses excel­lentes ? Loin de là.

Tout le long de la guerre, on nous avait affir­mé que c’en était fini avec les intrigues de la diplo­ma­tie secrète ; que les peuples devaient être consul­tés sur leur propre sort, et rede­ve­nir maîtres de dis­po­ser d’eux-mêmes.

Et tout le long de cette guerre, cela a été des mar­chan­dages à n’en plus finir, des maqui­gnon­nages innom­mables ; les concours se sont fait ache­ter par des pro­messes de ces­sions de ter­ri­toires qui n’ap­par­te­naient pas plus à ceux qui en dis­po­saient qu’a ceux qui les réclamaient.

Tout le long de la guerre, il ne fut pas, dans la presse, per­mis de dis­cu­ter de ce que devrait être la paix ni de ses conditions.

Et, enfin, lorsque est venu le moment de dis­cu­ter de ces condi­tions, les gou­ver­nants se sont entou­rés du mys­tère le plus épais ; il n’a été per­mis à la presse de ne publier des dis­cus­sions que ce qu’il plai­sait au gou­ver­ne­ment. Quant au peuple, non seule­ment on ne l’a pas consul­té, mais la cen­sure a conti­nué à inter­dire la dis­cus­sion des points qu’il ne plai­sait pas aux maîtres de l’heure de lais­ser discuter.

Pour la presse, elle n’a que ce qu’elle mérite. Sous pré­texte d’«entente sacrée » mais, en réa­li­té, parce que les pro­prié­taires de jour­naux pré­fé­raient sacri­fier le bien public que leurs inté­rêts par­ti­cu­liers, elle s’est prê­tée à la cen­sure la plus arbi­traire, la plus anti-libé­rale, sans ten­ter le moindre effort de résistance.

Quant au peuple ! puisque, lui aus­si, accepte d’être muse­lé, et qu’il laisse faire, on peut dire qu’il est trai­té selon ses mérites.

Mais si la presse a été invi­tée à se taire, si le peuple n’a pas été consul­té, on a, par contre, mobi­li­sé des mil­liers et des mil­liers de diplo­mates, de poli­ti­ciens, d’ex­perts de toutes sortes, on vue de l’é­la­bo­ra­tion de ces condi­tions. Et connue ces condi­tions se sont cui­si­nées dans l’ombre et le mys­tère, on accuse ceux qui les ont cui­si­nées, de s’être ins­pi­rés davan­tage des inté­rêts de com­bi­nai­sons finan­cières pri­vées que des véri­tables inté­rêts des popu­la­tions. La défiance et la sus­pi­cion sont le résul­tat le plus net d’une poli­tique secrète.

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On nous avait juré qu’on se bat­tait pour que les peuples puissent dis­po­ser d’eux-mêmes, pour réta­blir dans leur indé­pen­dance ceux qui étaient oppri­més ; que les Alliés répu­diaient, d’a­vance, tout esprit de conquête ou d’an­nexion ! Et, au cours de la guerre, on ache­tait les concours par des pro­messes d’an­nexions. Voi­là six mois que la guerre est vir­tuel­le­ment finie, et nous n’a­vons pas la paix, parce que l’on ne sait com­ment satis­faire tous les appé­tits contra­dic­toires qui réclament, aujourd’­hui, d’être satisfaits.

On réta­blit bien l’in­dé­pen­dance des petites nations qu’op­pri­maient l’Al­le­magne et ses Alliés, usais, semble-t-il, plus en vue de nou­velles com­bi­nai­sons poli­tiques qu’en vue du res­pect du droit des peuples.

Pour satis­faire à l’im­pé­ria­lisme des chau­vins fran­çais, on fait une annexion dégui­sée du bas­sin de la Sarre, au lieu de faci­li­ter à la popu­la­tion de se don­ner un régime indé­pen­dant, de son choix.

Pour satis­faire l’im­pé­ria­lisme ita­lien, on veut ita­lia­ni­ser des ter­ri­toires dal­mates, croates, vio­lant le droit des peuples que l’on se van­tait de défendre.

Pour satis­faire l’im­pé­ria­lisme des colo­nies anglaises, l’Aus­tra­lie, notam­ment, on pro­cède à un par­tage dégui­sé des colo­nies alle­mandes, au lieu de les pla­cer sous l’ad­mi­nis­tra­tion d’une Com­mis­sion inter­na­tio­nale ; non pas de poli­ti­ciens, mais d’hommes capables, connus pour leur droi­ture, pour leur lar­geur de vues, qui auraient admi­nis­tré ces ter­ri­toires pour les occu­pants, y com­pris, et sur­tout, les indi­gènes, et non pour des maîtres.

Il est enten­du que, après tout le mal qu’a fait le contact pro­lon­gé des blancs et des popu­la­tions indi­gènes, il n’est plus pos­sible de remettre aux indi­gènes seuls le gou­ver­ne­ment de leur pays. Autant pour leur propre bien que pour les rela­tions à entre­te­nir avec les Euro­péens, ces Com­mis­sions inter­na­tio­nales auraient pu être le moyen de pré­pa­rer l’é­vo­lu­tion qui, peu à peu, aurait ame­né l’ef­fa­ce­ment et l’ou­bli du mal fait par les Euro­péens, et pré­pa­rer les indi­gènes à reprendre leur indépendance.

Mais, dira-t-on, c’est sous le man­dat de la « Socié­té des Nations », et non pour leur pro­fit per­son­nel, que les nations euro­péennes qui auront l’ad­mi­nis­tra­tion des ter­ri­toires qui leur seront répar­tis, devront les gérer.

Quelle bonne blague ! La « Socié­té des Nations » n’existe que de nom, et n’est qu’un pré­texte à éta­blir quelques nou­velles siné­cures bien payées.

« La Socié­té des Nations » n’a pas été éta­blie, mais loin d’en faire un reproche à ceux qui ont maqui­gnon­né la paix, je me féli­cite de ce qu’ils ont échoué.

« La Socié­té des Nations » qu’il vou­lait nous « col­ler », n’é­tait pas une « entente des peuples », mais une entente des syn­di­cats gouvernementaux.

Ce qu’ils sont par­ve­nus à accou­cher ne fera, cer­tai­ne­ment pas le bien qu’une véri­table entente des peuples aurait fait, au point de vue du main­tien de la paix, mais sera, cer­tai­ne­ment, inca­pable de faire tout le mal que serait capable de faire un gou­ver­ne­ment inter­na­tio­nal sur­ajou­té aux gou­ver­ne­ments nationaux.

L’en­tente des peuples que se sont refu­sés à faire les gou­ver­ne­ments, peut se faire en dehors d’eux, par l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des diverses asso­cia­tions qui se forment dans les dif­fé­rentes branches de l’ac­ti­vi­té humaine.

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On nous avait pro­mis la fin du mili­ta­risme, et, pour la France, tout ce que l’on trouve, c’est de conti­nuer la poli­tique des arme­ments et la mili­ta­ri­sa­tion de la population.

On tente de détruire le mili­ta­risme alle­mand, en ne lui per­met­tant qu’une armée réduite, c’est vrai ; mais, faute d’a­voir recours au vrai désar­me­ment, au désar­me­ment géné­ral, on inflige à l’Al­le­magne une armée de mer­ce­naires, une armée de métier, la pire forme des armées.

C’est que, diplo­mates et poli­ti­ciens – qui en sont arri­vés à croire que ce sont eux, et non leurs peuples, qui ont gagné la vic­toire, – ont une peur bleue d’a­voir, un jour, des comptes à rendre.

Toutes leurs com­bi­nai­sons tournent autour de cette crainte d’une révo­lu­tion sociale. Toute leur action est en vue de for­ti­fier la réac­tion en Alle­magne, en Autriche, en Rus­sie, dans la Pologne recons­ti­tuée, en vue d’é­ta­blir des bar­rières contre ce qu’ils appellent le « bolchevisme ».

Les insen­sés qui ne voient pas que le meilleur moyen de retar­der la révo­lu­tion serait de gou­ver­ner hon­nê­te­ment, ouver­te­ment, pour le plus grand bien de tous, et non en favo­ri­sant les tri­po­tages des agents des coa­li­tions indus­trielles ou finan­cières ; que le plus sûr moyen d’ex­ci­ter les colères et les troubles, c’est d’al­ler contre le cou­rant popu­laire, en favo­ri­sant la réaction.

Pour satis­faire l’im­pé­ria­lisme japo­nais, – tout aus­si insa­tiable, sinon plus, que l’im­pé­ria­lisme alle­mand – on arrache à l’Al­le­magne KiaoT­cheou, c’est vrai, mais au lieu de le retour­ner à la Chine à qui il appar­tient, on le donne aux Japo­nais, avec une pro­vince, Shan­tung, de 30 mil­lions d’habitants.

Or, paraît-il, cette contrée contient toutes les mines de fer et de char­bon de la Chine, ce qui explique les convoi­tises japo­naises, mais ne les jus­ti­fie pas.

Tout le long de la guerre, on a empê­ché les répu­bli­cains grecs qui étaient avec les Alliés, de pro­cla­mer la répu­blique chez eux, pour pro­té­ger cette vieille fri­pouille de Constan­tin qui fai­sait le jeu des Allemands !

J’ai enten­du dire, par quel­qu’un qui était à même de savoir, qu’il fal­lait attri­buer cette lon­ga­ni­mi­té des Alliés aux agis­se­ments d’un de nos anciens ministres ! Pos­sible que ce fut une des rai­sons. Les agis­se­ments de l’I­ta­lie n’y étaient-ils pour rien ?

Pour­quoi, à l’ar­mis­tice, n’a-t-on pas exi­gé le désar­me­ment total de l’ar­mée alle­mande ? Parce qu’on vou­lait réser­ver une force capable d’é­touf­fer les reven­di­ca­tions du vrai socialisme.

Et en Rus­sie, sous pré­texte de com­battre le bol­che­visme, on pro­tège les anciens com­plices du tsa­risme au détri­ment des socia­listes, voire de simples répu­bli­cains. C’est ain­si que des offi­ciers de marine, fran­çais et réac­tion­naires, bom­bar­dèrent Odes­sa pour sou­te­nir les troupes de l’het­man Spo­ro­pas­ky, hos­tile à la ville, réac­tion­naire et notoi­re­ment ger­ma­no­phile, contre celles de Petiou­ra, répu­bli­cain, et ami des Alliés !

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On nous avait pro­mis la puni­tion des véri­tables auteurs de cette guerre. Dans les condi­tions de paix, cela se borne à la demande de mise en juge­ment du Kai­ser, et de ceux cou­pables d’actes contraires aux lois et cou­tumes de la guerre.

Ce n’est pas suf­fi­sant. Ceux des poli­ti­ciens qui, pen­dant presque un demi-siècle, ont tout fait pour pré­pa­rer cette guerre, la rendre inévi­table, ont com­mis le pire des crimes contre l’hu­ma­ni­té. Ils vont res­ter impunis.

Même pour le Kai­ser, c’est pure comé­die. La Hol­lande n’ac­cor­de­ra pas l’ex­tra­di­tion ; mais on aura fait sem­blant de vou­loir tenir ses pro­messes. Les loups ne se mangent pas entre eux.

Du reste, il n’y avait qu’une peine valable, pour le Kai­ser et ses com­plices : la confis­ca­tion de leurs biens. On se garde bien de le faire ou de l’exi­ger. Si la révo­lu­tion alle­mande avait été une véri­table révo­lu­tion, et non un camou­flage du kai­se­risme ç’au­rait dû être un de ses pre­miers actes.

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Si on s’est caché du public pour dis­cu­ter des condi­tions de la paix, c’est que, d’a­vance, on était hon­teux des appé­tits qui allaient se trou­ver en pré­sence, et des maqui­gnon­nages aux­quels il fau­drait se livrer pour arri­ver à des tran­sac­tions boi­teuses, dans l’im­pos­si­bi­li­té de les concilier.

D’im­bé­ciles poli­ti­ciens, en France, en Angle­terre, avaient pro­mis à leurs élec­teurs que les Alle­mands « paie­raient tous les frais de la guerre » ! sans se rendre compte qu’il aurait valu autant leur pro­mettre la lune. Il fal­lait jeter de la poudre aux yeux d’autres imbé­ciles, en vue de cacher la faillite. De là, un fouillis de clauses où une truie ne recon­naî­trait pas ses petits.

Il y avait un moyen d’at­té­nuer la réper­cus­sion que vont avoir sur le coût de la vie les charges effroyables qui vont peser sur les peuples, c’é­tait de balayer, pour ceux d’entre eux qui en sont affli­gés, les tarifs pro­tec­teurs qui n’ont qu’un seul et unique effet : rendre le coût de la vie plus cher.

Loin de là. On conti­nue les res­tric­tions plus que jamais. Et, en Angle­terre, pays qui, jus­qu’i­ci, avait été libre de cette tare, M. Aus­ten Cham­ber­lain, dans son der­nier bud­get, vient de faire un pre­mier pas, timide, mais c’est un com­men­ce­ment, dans la voie du pro­tec­tion­nisme, en ins­ti­tuant « un tarif de pré­fé­rence en faveur des colo­nies anglaises » pour les alcools.

Quant à l’Amérique, ce cham­pion de toutes les liber­tés, elle entend s’en tenir de plus en plus à la « doc­trine de Mon­roë », c’est à dire, à la guerre des tarifs. En atten­dant, elle aug­mente son armée et sa marine de guerre.

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Tel qu’il est, le trai­té de paix où tant de gens ont été consul­tés, sauf les seuls qui y étaient les plus inté­res­sés — les peuples — est plein de chausse-trappes, capables d’oc­ca­sion­ner une demi-dou­zaine de guerres, au moins, si les peuples étaient assez fous de s’at­ta­cher à en exi­ger la réa­li­sa­tion intégrale.

Heu­reu­se­ment, que, au-des­sus de la volon­té des gou­ver­nants, il y a celle des peuples. Ceux-ci, qui ont, si pas­si­ve­ment sup­por­té que les pre­miers agissent sans les consul­ter, sau­ront-ils, le temps venu, sor­tir de leur pas­si­vi­té, pour exi­ger que l’on en revienne au bon sens, et à la justice ?

Osons l’es­pé­rer. Car, en der­nier res­sort, il y a les cir­cons­tances qui, par­fois, forcent les indi­vi­dus à agir droit, lorsque l’in­tel­li­gence ne leur en vient pas d’eux-mêmes.

Pliant sous des charges fis­cales énormes, il sera impos­sible aux peuples de conti­nuer à sup­por­ter les frais du mili­ta­risme. Quel que soit l’a­veu­gle­ment de leurs gou­ver­nants, il leur fau­dra bien trou­ver un moyen, moins coû­teux de se pro­té­ger, et d’en finir et avec les armées et avec les armements.

De même pour les dif­fi­cul­tés que sus­ci­te­ra l’exé­cu­tion des clauses du pré­sent trai­té, ils auront à les résoudre paci­fi­que­ment. La guerre actuelle ne les aurait-elle pas sevrés, pour tou­jours, du désir de guer­royer, — ce qu’il est impos­sible de croire — que l’im­pos­si­bi­li­té de recom­men­cer la guerre, les for­ce­rait d’ar­ran­ger leurs dif­fé­rends à l’amiable.

Quelle qu’ait été leur courte vue, les diplo­mates alliés ont été obli­gés de consa­crer la répa­ra­tion de quelques injus­tices. Ce sont des semences qui, après tout, fruc­ti­fie­ront, et pré­pa­re­ront d’autres réparations.

Le trai­té de paix qui vient d’être si péni­ble­ment éla­bo­ré est sim­ple­ment écrit sur le sable. Les peuples peuvent le signer sans crainte. Il ne sera besoin d’au­cun trem­ble­ment de terre pour l’ef­fa­cer com­plè­te­ment. La réa­li­té suffira.

J. Grave

La Presse Anarchiste