La Presse Anarchiste

La fédération italienne

La fédéra­tion des Sec­tions ital­i­ennes de l’In­ter­na­tionale vient de se con­stituer. Le dimanche 4 août se réu­nis­saient à Rim­i­ni les délégués des Sec­tions suiv­antes : Naples, Sci­ac­ca (Sicile), Man­toue, Sienne, Ravenne, Bologne, Flo­rence, Rim­i­ni, Imo­la, Rome, Fusig­nanõ, San Poli­to, Miran­dola, San Gio­van­ni in Per­sioe­to, Fano, Fer­ma, Seni­gaglia, San Arcan­ge­lo, For­li et la province de l’Om­brie. Ces délégués siégèrent du 4 au 6 août sous la prési­dence du citoyen Cafiero de Naples, et, dans six séances con­séc­u­tives, dis­cutèrent l’or­gan­i­sa­tion de la Fédéra­tion ital­i­enne, et prirent divers­es résolutions.

En votant la con­sti­tu­tion d’une Fédéra­tion ital­i­enne, la Con­férence de Rim­i­ni a pris soin de déclar­er « qu’elle con­sid­ère le terme de Fédéra­tion ital­i­enne comme une sim­ple désig­na­tion caté­gorique, qui n’en­lève en aucune façon aux Sec­tions de l’extérieur le droit de se fédér­er avec elle, ni aux Sec­tions ital­i­ennes le droit de se fédér­er à l’extérieur;» ce qui sig­ni­fie que les Ital­iens se pronon­cent comme nous con­tre le principe des fédéra­tions nationales.

La plus impor­tante des réso­lu­tions votées par la Con­férence de Rim­i­ni est celle con­cer­nant le Con­seil général et le Con­grès de La Haye. En voici le texte :

« Con­sid­érant que la Con­férence de Lon­dres (sep­tem­bre 1871) a ten­té d’im­pos­er par sa réso­lu­tion IX, à toute l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale des tra­vailleurs une doc­trine spé­ciale, autori­taire, qui est pro­pre­ment celle du par­ti com­mu­niste alle­mand ;

Que le Con­seil général a été le pro­mo­teur et le souteneur de ce fait ;

Que ladite doc­trine des com­mu­nistes autori­taires est la néga­tion du sen­ti­ment révo­lu­tion­naire du pro­lé­tari­at italien ;

Que le Con­seil général a usé des moyens les plus indignes, comme la calom­nie et la mys­ti­fi­ca­tion, dans le seul but de réduire toute l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale à l’u­nité de sa doc­trine spé­ciale com­mu­niste autoritaire ;

Que le Con­seil général a comblé la mesure de ses indig­nités par sa Cir­cu­laire privée, datée de Lon­dres le 5 mars 1872, dans laque­lle, pour­suiv­ant son œuvre de calom­nie et de mys­ti­fi­ca­tion, il révèle toute sa pas­sion d’au­torité, par­ti­c­ulière­ment dans les deux pas­sages suivants :

« Il serait dif­fi­cile d’exé­cuter des ordres sans autorité morale, à défaut de toute autre autorité libre­ment con­sen­tie.» (Page 27 de la Cir­cu­laire privée, édi­tion française de Genève.)

« Le Con­seil général se pro­pose de réclamer du prochain Con­grès une requête sur cette organ­i­sa­tion secrète et ses pro­mo­teurs dans cer­tains pays, par exem­ple en Espagne.» (Page 31, id.)

Que la réac­tion du Con­seil général a déter­miné l’op­po­si­tion révo­lu­tion­naire des Belges, des Français, des Espag­nols, des Slaves, des Ital­iens et d’une par­tie des Suiss­es, et qu’on a pro­posé la sup­pres­sion du Con­seil général et la révi­sion des Statuts généraux ;

Que le Con­seil général, non sans avoir ses motifs, a con­vo­qué le Con­grès général à La Haye, point le plus éloigné de ces pays révolutionnaires ;

Par ces raisons,

La Con­férence déclare solen­nelle­ment, en présence des tra­vailleurs du monde entier, que dès ce moment la Fédéra­tion ital­i­enne de l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale des tra­vailleurs rompt toute sol­i­dar­ité avec le Con­seil général de Lon­dres, affir­mant d’au­tant plus la sol­i­dar­ité économique avec tous les tra­vailleurs, et pro­pose à toutes les Sec­tions qui ne parta­gent pas les principes autori­taires du Con­seil général d’en­voy­er le 2 sep­tem­bre 1872 leurs délégués, non à La Haye, mais à Neuchâ­tel en Suisse, pour y ouvrir le Con­grès général anti-autoritaire.

Le Con­grès jurassien aura à se pronon­cer dimanche sur la propo­si­tion de la Fédéra­tion ital­i­enne. Nous ne voulons pas préjuger sa déci­sion ; mais, s’il nous est per­mis d’ex­primer l’opin­ion toute per­son­nelle de la rédac­tion du Bul­letin, nous dirons qu’à notre avis notre absten­tion serait calom­niée si nous n’al­lions pas au Con­grès de La Haye. La Fédéra­tion jurassi­enne a été la pre­mière à deman­der un Con­grès, une dis­cus­sion publique ; on nous l’of­fre enfin, — dans les con­di­tions les plus désa­van­tageuses, il est vrai, —, mais pour­tant on nous l’of­fre ; nous ne pou­vons pas avoir l’air de reculer.

Cette opin­ion, nous le répé­tons, nous est per­son­nelle, et ce sera aux délégués de notre Fédéra­tion à con­stater dimanche quelle est la volon­té de nos Sec­tions à cet égard.

(Cet arti­cle était écrit et com­posé avant la réu­nion du Con­grès jurassien.)

[|* * * *|]

Le bureau de la Con­férence de Rim­i­ni nous com­mu­nique, avec prière de la pub­li­er dans le Bul­letin, la let­tre suiv­ante, adressée au com­pagnon Bak­ou­nine par la pre­mière Con­férence de la fédéra­tion italienne :

Cher com­pagnon,

Les représen­tants des Sec­tions ital­i­ennes de l’In­ter­na­tionale, réu­nis dans leur pre­mière Con­férence à Rim­i­ni, nous ont chargés de vous trans­met­tre, à vous l’in­fati­ga­ble cham­pi­on de la révo­lu­tion sociale, un affectueux salut.

Salut donc à vous, frère, à qui dans l’In­ter­na­tionale il a été fait le plus grand tort (cui nell’ Inter­nazionale fu fat­to il più gran torto.)

Rim­i­ni, le 6 août 1872

Pour la conférence :

Le prési­dent, Car­lo Cafiero

Le secré­taire, Andrea Costa.

Con­for­mé­ment à la déci­sion du Con­grès jurassien du 18 août, le Comité fédéral jurassien a immé­di­ate­ment écrit à la Fédéra­tion ital­i­enne, pour lui annon­cer que la Fédéra­tion jurassi­enne n’avait pas accep­té le pro­jet d’un con­tre-Con­grès qui se serait réu­ni à Neuchâ­tel le 2 sep­tem­bre, et pour engager vive­ment la Fédéra­tion ital­i­enne à revenir sur sa déci­sion et à envoy­er ses délégués à La Haye pour qu’ils y pren­nent part à la grande lutte entre l’au­torité et le fédéral­isme, qui va décider de l’avenir de l’Internationale.

En réponse à cette let­tre, le Comité fédéral jurassien vient de recevoir la let­tre suiv­ante, dont nous don­nons la traduction :

Asso­ci­a­tion inter­na­tionale des travailleurs.

Fédéra­tion italienne.

Com­mis­sion de correspondance.

Au Comité fédéral jurassien, à Sonvillier. 

Chers com­pagnons,

Dans le but d’af­firmer et de main­tenir solen­nelle­ment l’au­tonomie des Sec­tions de l’In­ter­na­tionale, la Fédéra­tion ital­i­enne, réu­nie en con­férence à Rim­i­ni, a voté d’un accord unanime une réso­lu­tion par laque­lle, rompant tout lien avec le Con­seil général, elle demandait la réu­nion d’un Con­grès à Neuchâ­tel en Suisse. Cette délibéra­tion fut si solen­nelle, les délégués qui l’ap­prou­vèrent en sen­taient si fort la néces­sité, que nous ne pour­rions pas main­tenant, sans renier nos sen­ti­ments, la révoquer.

S’il ne nous est pas pos­si­ble d’aller avec nos frères de Suisse et d’Es­pagne au prochain Con­grès de La Haye pren­dre part à la lutte de la Révo­lu­tion con­tre l’Au­torité, nous les suiv­rons au moins avec le cœur, et nous espérons en même temps qu’a­vant qu’il soit peu nous pour­rons nous enten­dre avec eux et leur ser­rer la main en Suisse ; car nous ne croyons pas que leurs libres propo­si­tions seront bien reçues de ceux qui, à La Haye, représen­teront l’Autorité.

Nous avons voulu écarter une fois pour toutes les dan­gers sur lesquels vous avez appelé notre atten­tion par votre cir­cu­laire de novem­bre dernier ; vous avez com­mencé, et nous croyons avoir ter­miné l’œuvre.

Ce n’est donc point par un vain orgueil, frères, que nous ne révo­querons pas notre propo­si­tion et que nous n’en­ver­rons pas de délégués à La Haye ; mais parce que nous croiri­ons trahir la cause à laque­lle nous sommes dévoués. Ce n’est pas une ques­tion de per­son­nes qui nous fait agir, mais bien une ques­tion de principes.

Que le Con­seil général soit et s’es­time revê­tu d’au­torité, beau­coup d’actes le prou­vent, et l’un des plus impor­tants est la let­tre de dic­ta­teur que Fréder­ic Engels, au nom et par ordre de ce Con­seil, a écrite au Con­seil fédéral de la Région espag­nole, et dans laque­lle les mem­bres du Con­seil général se don­nent le rôle d’a­gents de police.

Le Con­seil général, enfin, n’est pas l’In­ter­na­tionale ; et si nous avons rompu avec lui, nous affir­mons d’autre part, encore une fois, la sol­i­dar­ité économique avec tous les tra­vailleurs du monde. Et nous irons de l’a­vant. Quand la Révo­lu­tion ren­con­tre sur son chemin la Bastille, il suf­fit d’une explo­sion de la colère du peu­ple pour la renverser.

Salut et fraternité.

Pour la Com­mis­sion de correspondance,

Andrea Cos­ta.

Imo­la, 24 août 1872


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