La Presse Anarchiste

Le Congrès jurassien extraordinaire tenu à la Chaux-de-Fonds, le 18 août 1872

Confor­mé­ment à une réso­lu­tion du der­nier Congrès du Locle, tenu le 19 mai der­nier, le Comi­té fédé­ral avait convo­qué le Congrès juras­sien extra­or­di­naire pour le 18 août à la Chaux-de-Fonds.

À 8 heures du matin, les délé­gués des sec­tions du Locle, Neu­châ­tel, Genève, Bienne, Zurich, Por­ren­truy, St-Imier, Son­vil­lier, Chaux-de-Fonds, et des sec­tions des gra­veurs et guillo­cheurs du Locle et du dis­trict de Cour­te­la­ry, se trou­vaient réunis à l’hô­tel de l’Ours et com­men­cèrent leurs travaux.

Un nombre assez consi­dé­rable d’adhé­rents à la Fédé­ra­tion juras­sienne assis­tèrent toute la jour­née aux tra­vaux du Congrès.

Après la véri­fi­ca­tion des man­dats, le Congrès consti­tua son bureau et fixa défi­ni­ti­ve­ment l’ordre du jour, qui fut adop­té comme suit :

  1. Congrès géné­ral de La Haye et révi­sion des Sta­tuts généraux.
  2. Le pro­jet de fédé­ra­tion régio­nale suisse.
  3. La publi­ca­tion du Bul­le­tin pour l’an­née 1873.

Une dis­cus­sion géné­rale préa­lable eut lieu sur ces diverses ques­tions, puis le Congrès nom­ma trois com­mis­sions qui furent char­gées de rap­por­ter spé­cia­le­ment sur chaque question.

Le Congrès enten­dit ensuite la lec­ture de diverses lettres et docu­ments pro­ve­nant de Sec­tions adhé­rentes ou de fédé­ra­tions. Nous cite­rons entre autres un cer­tain nombre de lettres écrites par des Sec­tions adhé­rentes à la Fédé­ra­tion juras­sienne en France, et qui toutes mani­fes­taient leur désap­pro­ba­tion de la conduite du Conseil géné­ral ; une lettre du Conseil fédé­ral espa­gnol ; et les actes de la pre­mière Confé­rence de la fédé­ra­tion ita­lienne réunie à Rimi­ni le 4 août 1872 [[On trou­ve­ra dans un article spé­cial le résu­mé des déli­bé­ra­tions de la Confé­rence de Rimini.]].

À l’ou­ver­ture de la séance de l’a­près-midi, les com­mis­sions rap­por­tèrent sur leurs tra­vaux et pré­sen­tèrent des résolutions.

La pre­mière com­mis­sion, après avoir expo­sé net­te­ment le carac­tère grave de la crise que tra­verse en ce moment l’In­ter­na­tio­nale, les causes et les consé­quences de cette crise, pro­po­sa l’en­voi d’une délé­ga­tion au Congrès de La Haye, délé­ga­tion à laquelle serait don­né un man­dat impé­ra­tif expri­mant l’o­pi­nion de la Fédé­ra­tion juras­sienne. La dis­cus­sion qui s’en­ga­gea à ce sujet mon­tra que l’ac­cord le plus par­fait régnait sur ce point entre toutes les Sec­tions de la fédé­ra­tion, dont les délé­gués, sans aucune entente préa­lable, expo­sèrent tous les mêmes prin­cipes et les mêmes sen­ti­ments. Le man­dat impé­ra­tif fut adop­té tel que la com­mis­sion l’a­vait pro­po­sé et qu’on le trou­ve­ra ci-des­sous, et le Congrès déci­da l’en­voi de deux délé­gués au Congrès de La Haye, qui furent nom­més au scru­tin secret.

Il fut déci­dé en outre qu’une sous­crip­tion serait ouverte dans les Sec­tions de la fédé­ra­tion, pour cou­vrir les frais de délégation.

Le Congrès déci­da, comme com­plé­ment natu­rel des déci­sions ci-des­sus, de ne pas accep­ter la pro­po­si­tion de la Fédé­ra­tion ita­lienne de tenir un Congrès le 2 sep­tembre à Neu­châ­tel, et il char­gea le Comi­té fédé­ral d’é­crire immé­dia­te­ment à la Fédé­ra­tion ita­lienne pour l’en­ga­ger d’une manière pres­sante à reve­nir sur sa déci­sion et à se faire repré­sen­ter à La Haye.

La seconde com­mis­sion fit l’his­to­rique du pro­jet de Fédé­ra­tion régio­nale suisse ; elle indi­qua dans son rap­port l’in­trigue qui don­na nais­sance à ce pro­jet, le sens des réso­lu­tions du Congrès romand de Vevey, les contre-pro­po­si­tions de la sec­tion alle­mande de Zurich, et fina­le­ment la cir­cu­laire envoyée tout récem­ment par cette sec­tion aux sec­tions de la Suisse alle­mande, dans laquelle, après avoir consta­té l’im­pos­si­bi­li­té de consti­tuer actuel­le­ment une Fédé­ra­tion régio­nale suisse, la sec­tion de Zurich pro­pose la consti­tu­tion d’une Fédé­ra­tion spé­ciale des sec­tions de la Suisse allemande.

La réso­lu­tion pré­sen­tée à ce sujet par la Com­mis­sion fut adop­tée à l’u­na­ni­mi­té. La voici :

  1. La Fédé­ra­tion ouvrière, pour être réel­le­ment l’ex­pres­sion des inté­rêts des tra­vailleurs, doit être consti­tuée libre­ment et en pre­nant pour base fon­da­men­tale d’or­ga­ni­sa­tion l’au­to­no­mie et la libre fédé­ra­tion, sans dis­tinc­tion des fron­tières poli­tiques actuelles, mais d’a­près les inté­rêts éco­no­miques des groupes ouvriers, leur situa­tion géo­gra­phique et les ten­dances poli­tiques, révo­lu­tion­naires et phi­lo­so­phiques qui les caractérisent.
  2. La situa­tion pré­sente des divers groupes inter­na­tio­naux en Suisse, les diverses ten­dances qui se mani­festent dans leur sein rendent impos­sible la consti­tu­tion vraie d’une Fédé­ra­tion suisse, à moins que l’un ou l’autre des groupes renonce à son auto­no­mie, à la libre expres­sion et à la pra­tique de ses inté­rêts, de ses prin­cipes, de la vie qui lui est propre.
  3. Le Congrès juras­sien pense que le mieux est de renon­cer à la Fédé­ra­tion régio­nale suisse, comme le pro­pose aus­si la sec­tion de Zurich dans sa cir­cu­laire du 9 août 1872 aux sec­tions de la Suisse alle­mande, et de lais­ser chaque groupe se consti­tuer et se déve­lop­per libre­ment sans se pré­oc­cu­per de la ques­tion nationale.
  4. Le Congrès affirme, du reste, qu’il main­tient d’une manière com­plète la soli­da­ri­té éco­no­mique entre tra­vailleurs et que si la pra­tique de la lutte entre le Tra­vail et le Capi­tal fait res­sor­tir la néces­si­té d’une orga­ni­sa­tion plus étroite entre les ouvriers suisses, au point de vue de la lutte éco­no­mique, la Fédé­ra­tion juras­sienne est toute prête à y contri­buer en se fon­dant tou­jours sur les prin­cipes de l’au­to­no­mie fédérative.
  5. Nous croyons devoir affir­mer cepen­dant que nous ne sépa­rons en rien l’ac­tion éco­no­mique des ouvriers suisses de l’ac­tion éco­no­mique inter­na­tio­nale des travailleurs.

La troi­sième com­mis­sion pro­po­sa de char­ger le Comi­té fédé­ral de pré­sen­ter aux sec­tions avant la fin de l’an­née un rap­port sur les moyens de rendre le Bul­le­tin heb­do­ma­daire, tout en agran­dis­sant son for­mat. Ce qui fut adopté.

À 6 heures du soir, le Congrès avait ter­mi­né ses tra­vaux, et un ban­quet sui­vi d’une soi­rée fami­lière ter­mi­na cette excel­lente journée.

Mandat impératif donné aux délégués jurassiens pour le Congrès de La Haye.

Les délé­gués de la Fédé­ra­tion juras­sienne reçoivent man­dat impé­ra­tif de pré­sen­ter au Congrès de La Haye les prin­cipes ci-des­sous comme base de l’or­ga­ni­sa­tion de l’Internationale.

Est de plein droit Sec­tion de l’In­ter­na­tio­nale tout groupe de tra­vailleurs qui adhère au pro­gramme de l’In­ter­na­tio­nale tel qu’il a été déter­mi­né par le pré­am­bule des Sta­tuts géné­raux votés au Congrès de Genève, et qui s’en­gage à obser­ver la soli­da­ri­té éco­no­mique vis-à-vis de tous les tra­vailleurs et groupes de tra­vailleurs dans la lutte contre le capi­tal monopolisé.

Le prin­cipe fédé­ra­tif étant la base de l’or­ga­ni­sa­tion de l’In­ter­na­tio­nale, les Sec­tions se fédèrent libre­ment entre elles et les fédé­ra­tions se fédèrent libre­ment entre elles, dans la plé­ni­tude de leur auto­no­mie, créant, selon les besoins, tous les organes de cor­res­pon­dances, bureaux de sta­tis­tique, etc., qu’elles juge­ront convenables.

Comme consé­quence des prin­cipes ci-des­sus, la Fédé­ra­tion juras­sienne entend l’a­bo­li­tion du Conseil géné­ral et la sup­pres­sion de toute auto­ri­té dans l’internationale.

Les délé­gués juras­siens doivent agir en soli­da­ri­té com­plète avec les délé­gués espa­gnols, ita­liens, fran­çais et tous ceux qui pro­tes­te­ront fran­che­ment et lar­ge­ment contre le prin­cipe auto­ri­taire. En consé­quence, le refus d’ad­mis­sion d’un délé­gué de ces fédé­ra­tions devra entraî­ner la retraite immé­diate des délé­gués jurassiens.

De même, si le Congrès n’ac­cepte pas les bases de l’or­ga­ni­sa­tion de l’In­ter­na­tio­nale énon­cées ci-des­sus, les délé­gués devront se reti­rer, d’ac­cord avec les délé­gués des Fédé­ra­tions anti-autoritaires.

Autant que pos­sible, les délé­gués juras­siens devront éli­mi­ner toute ques­tion per­son­nelle et ne dis­cu­ter sur ce ter­rain que lors­qu’ils y seront for­cés, en pro­po­sant au Congrès l’ou­bli du pas­sé, et pour l’a­ve­nir l’é­lec­tion de jurys d’hon­neur, qui devront pro­non­cer chaque fois qu’une accu­sa­tion sera éle­vée contre un membre de l’In­ter­na­tio­nale. Tout accu­sa­teur n’ap­puyant pas ses accu­sa­tions par des preuves posi­tives sera exclu de l’As­so­cia­tion comme calomniateur.

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