La Presse Anarchiste

Organisation ouvrière du Val de Saint Imier

St-Imi­er, le 27 juil­let 1872

À la Rédac­tion du Bul­letin de la Fédéra­tion jurassi­enne.

Com­pagnons,

Vous avez pub­lié dans les nos 6 et 9 du Bul­letin, deux com­mu­ni­ca­tions, l’une rel­a­tive à la ligue des patrons jurassiens, l’autre à la protes­ta­tion ouvrière qui en fut le résultat.

Le tra­vail calme qui s’opérait alors ne devait, heureuse­ment, plus en rester à une polémique entre ouvri­ers et patrons, mais la classe ouvrière du val de St-Imi­er, du moins une notable par­tie d’en­tre elle, entrait aus­si dans le domaine de l’ap­pli­ca­tion en fait d’organisation.

Pour celui qui voudrait juger de l’ac­tiv­ité d’une pop­u­la­tion, par des man­i­fes­ta­tions écla­tantes telles qu’en pro­duisent tant la reli­gion, la poli­tique par exem­ple, nous auri­ons paru être dans un état de léthargie absolu. Cepen­dant jamais, pen­sons-nous, dans l’his­toire du peu­ple ouvri­er de notre val­lon, il n’y eut tant d’ac­tiv­ité, de vie pro­pre et indépendante.

L’Idée de la Fédéra­tion ouvrière était ressor­tie dans toute sa sim­plic­ité pra­tique, en oppo­si­tion à la Ligue des patrons.

L’assem­blée pop­u­laire du 7 avril dernier à Saint-Imi­er, pro­duisit un fécond réveil dans les prin­ci­pales branch­es de l’in­dus­trie hor­logère. Dès lors les réu­nions cor­po­ra­tives se suc­cédèrent rapi­de­ment ; sans ent­hou­si­asme, après de sérieuses et mûres délibéra­tions, la Fédéra­tion était acclamée.

Les comités ouvri­ers, appelés à éla­bor­er un pro­jet de statuts fédéraux, présen­tèrent leur tra­vail aux délibéra­tions des sec­tions qui doivent se pronon­cer cha­cune en assem­blée particulière.

L’Al­liance des repasseurs et remon­teurs, la Société des ouvri­ers graveurs et guil­locheurs ont déjà adop­té les statuts présen­tés par les Comités réu­nis et nom­mé leurs délégués au comité cen­tral, qui entr­era en fonc­tions le 11 août prochain ; la Société des ouvri­ers pein­tres et émailleurs, l’U­nion des mon­teurs de boites, la Société des faiseurs de ressorts dis­cu­tent en ce moment-ci le pro­jet de statuts. — Si nous sommes exacte­ment infor­més, l’ad­hé­sion serait cer­taine de la part de toutes les sociétés ouvrières.

Quoi qu’il en soit, la con­sti­tu­tion de la Fédéra­tion ouvrière du Val de Saint-Imi­er est déjà aujour­d’hui un fait accom­pli. Puis­sent les délégués au comité cen­tral être à la hau­teur de leur mis­sion, puis­sent surtout la général­ité des mem­bres des divers­es sec­tions, veiller avec vig­i­lance à la stricte obser­va­tion et à l’exé­cu­tion des statuts fédéraux. — Rap­pelons-nous que les pro­grès réels, dans une organ­i­sa­tion quel­conque, ne peu­vent être le pro­duit de la seule activ­ité des comités, mais qu’ils sont surtout le résul­tat de la vie qui ani­me la masse des adhérents.

Il n’est peut-être pas inutile de résumer ici les dis­po­si­tions des statuts fédéraux. Comme principe fon­da­men­tal d’or­gan­i­sa­tion, c’est l’ap­pli­ca­tion de l’autonomie fédéra­tive ; nous n’avons pas à démon­tr­er ici toute la valeur de l’ap­pli­ca­tion de ce principe, en matière d’or­gan­i­sa­tion ouvrière ; les adhérents à la Fédéra­tion jurassi­enne défend­ent depuis longtemps ce principe con­tre les ten­dances cen­tral­istes et autori­taires. — L’ad­min­is­tra­tion de la Fédéra­tion est con­fiée à un comité cen­tral com­posé de deux délégués de chaque sec­tion ; chaque quar­an­taine de mem­bres donne droit à un délégué en plus ; le comité cen­tral se divise en autant de com­mis­sions qu’il y a de branch­es d’ad­min­is­tra­tion ; celles-ci sont : finances, enquête et sta­tis­tique, place­ment, résis­tance, tra­vail et échange, sub­sis­tances, rela­tions extérieures, enseigne­ment et pro­pa­gande. — Toute réso­lu­tion du comité cen­tral, si elle entraîne des con­séquences morales ou matérielles non prévues par les statuts, doit, avant de recevoir son appli­ca­tion, être sanc­tion­née par les sec­tions qui ont à stat­uer, cha­cune en assem­blée par­ti­c­ulière, dans les six semaines qui suiv­ent la présen­ta­tion d’une réso­lu­tion ; si l’une ou l’autre des sec­tions refuse son appro­ba­tion, c’est l’assem­blée générale de toute la Fédéra­tion qui décide sou­veraine­ment. — En cas de con­flits per­son­nels, il est insti­tué un jury d’hon­neur dont les déci­sions sont sans appel.

Il y a un vide que nous regret­tons dans la nou­velle Fédéra­tion ouvrière du Val de St-Imi­er, c’est qu’elle n’est pas adhérente à l’In­ter­na­tionale. Cepen­dant l’or­gan­i­sa­tion pra­tique qui vient de ressor­tir de l’ag­i­ta­tion de ces dernières années, mar­que un tel pas dans le pro­grès social, que nous voulons laiss­er de côté toute cri­tique, d’au­tant plus que le vide que nous men­tion­nons a sa rai­son d’être, lorsqu’on veut tenir compte de la sit­u­a­tion morale actuelle de la masse des ouvri­ers de l’in­dus­trie hor­logère. C’est la pre­mière man­i­fes­ta­tion sérieuse et pra­tique du réveil de la pen­sée ouvrière et des néces­sités économiques présentes.

Nous tous, ouvri­ers social­istes, devons notre con­cours act­if, per­sévérant, à cette œuvre ; elle sat­is­fera peut-être plus vite et mieux que nous ne le pen­sons, nos aspi­ra­tions légitimes.


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