poesie>Hommes, je ne peux pas ne pas vous aimer tous.
Je le dis, pour votre salut,
Car il faut que l’amour triomphe ;
Il faut que ma voix dans le monde
Soit comme le sel dans la mer.
Je vous le dis, en vérité,
L’aube du grand jour est venue
où doit cesser la plainte humaine
Avec le cri des imposteurs.
Écoutez-moi. Ne doutez plus.
Car ce ne sont plus des paroles
que ma bouche aujourd’hui prononce,
Mais la parole nécessaire.
La brise gonfle mes narines,
Je me dresse au milieu de vous,
pareil au cheval qui hennit
Et frappe le sol du sabot.
La joie est si ardente en moi,
Et la clarté de l’avenir
Si belle, que je suis en proie
Au saint délire.
Je ne suis pas un dieu nouveau,
Je ne tente pas de miracles,
Je suis un homme entre les hommes,
conçu dans le sein d’une femme.
Je ne cherche pas de royaume,
c’est votre règne qui arrive,
À l’heure où s’écroulent les trônes
De tous les princes de la terre !
Peuples lointains, prête l’oreille,
Nations, soyez attentives,
Le jour qui se lève est celui
De votre fête !
[|* * * *|]
Hommes lointains, hommes d’ici.
Car le jour et la nuit se partagent la terre
Comme un fruit que l’on coupe en deux,
Mais mon amour garde tout entier dans sa main
Ce fruit où s’imprima la morsure des dieux.
Je vous regarde. Je vous aime,
Car je connais votre misère,
Et j’aperçois encor dans le fond de vos yeux
Cette lueur craintive et douce,
Qui bat comme le cœur d’une bête traquée.
Votre destin, c’est vous. Je vous rends à vous-mêmes.
[|* * * *|]
Hommes martyrs de vos idoles,
On vous a trompés et trahis,
Mais l’heure de la gloire sonne !
Tressaillez, peuples de la terre,
Éclatez en cris d’allégresse,
Que la paix parmi vous s’étale
Comme un fleuve dans les prairies !
Des extrémités de la terre
Nations, accourez ici,
Rassemblez-vous à mon appel,
La route nouvelle est frayée !
Vous que les puissants attachaient
Comme chiens de garde à leurs grilles,
Des liens qui vous séparaient
Faites le lien qui unisse !
Gloire aux nations assemblées,
Salut à toi, aurore humaine :
Grandis, encore, et chante, et hurle
Ta joie unique et souveraine !
Des extrémités de la terre,
Accourez tous au carrefour
D’où part le signal solennel
Avec le souffle de la paix.
[|* * * *|]
Vous dont j’entends les pas comme ceux d’une armée,
Vous qui, partis jadis, n’êtes point arrivés,
Vous aussi que la mort a séparés de nous ;
Je vous rassemble sous ma voix, je viens à vous,
Comme celui qui tâte un trousseau dans sa poche,
Et fait tinter les clefs avant d’ouvrir la porte
Et d’entrer, en criant la nouvelle attendue.
Je vous présente à tous le cœur qui vous contient.
Je tends vers vous, mon bras comme un glaive de chair,
Et fixe, sur vos yeux qui convergent aux miens,
Un regard inflexible et sûr de sa lumière.
O frères, réunis pour mon embrassement,
Levez-vous en l’honneur de la juste parole,
Debout pour recevoir de moi le sacrement
Qui vous lie à jamais comme le pain de l’homme.
Restez sourds à la voix qui raille dans un coin :
Fouillez dans votre cœur, et retranchez de lui
La jalousie infirme et le mauvais désir,
La haine qui se tait mais ne renonce point.
Gloire au jour où les mots sortent enfin du rêve,
Pour éclater au bout des regards et des mains,
Comme ces cris d’enfants, qui, jaillis des jardins,
Rajeunissent la ville et lui refont un ciel.
Toi qui mets tes dix doigts comme de vains barreaux,
Sur ton cœur qui se donne et que tu veux défendre,
Toi qui doutes encore, et toi qui crois déjà,
Toi qui feins d’ignorer la voix que tu entends,
Tous debout ! Je le veux, il le faut. Il est temps.
Plus haut, plus haut, toujours, comme le feu qui prend
Faites signe à l’oiseau de cette autre victoire,
Qui cherche où se poser et plane sans vous voir.
Hommes, rappelez-vous ce doigt levé vers elles,
Cependant que des quatre bouts de l’étendue,
Des pas définitifs qui ne reculent plus
Viennent pour fêler avec nous l’ère nouvelle.
Salut à l’homme, nu dans sa gloire et sa peine
Qui se place au milieu de nous, roi désormais ;
Pour chanter d’une voix qui couvre les blasphèmes,
L’ordre futur que nous annonce le Prophète !
Georges Chennevière