La Presse Anarchiste

Les deux Congrès de Saint-Imier

À la nou­velle des tristes résul­tats du Congrès de la Haye, le Comi­té fédé­ral juras­sien crut de son devoir de convo­quer immé­dia­te­ment, à l’ex­tra­or­di­naire, le Congrès de la fédé­ra­tion juras­sienne. Vu le peu de temps qui s’é­cou­la entre la récep­tion de la lettre de convo­ca­tion et la réunion du Congrès, plu­sieurs Sec­tions ne purent s’y faire repré­sen­ter. Néan­moins le 15 sep­tembre, seize délé­gués de la Fédé­ra­tion juras­sienne étaient réunis à l’Hô­tel-de-ville de St-Imier. En voi­ci la liste :

Lachat, George, sec­tion de Moutier.

Hum­bert, Paul, et Chau­tems, Fritz, gra­veurs et guillo­cheurs du Locle.

Schwitz­gaé­bel, Léon, sec­tion de Bienne.

Her­ter, Adolphe, et Juvet, Paul, gra­veurs et guillo­cheurs du dis­trict de Courtelary.

Bakou­nine, Michel, et Guer­ber, Jus­tin, sec­tion de Sonvillier.

Rou­leff. Zem­phi­ry, et Hol­stein, Wal­de­mar, sec­tion slave de Zurich.

Schnei­der, Samuel, et Ebe­rhardt, Ali, sec­tion de St-Imier.

Dela­coste, Fran­çois, et Col­lier, Édouard, sec­tion de la Chaux-de-Fonds.

Bes­lay, Charles, et Guillaume, James, sec­tion de Neuchâtel.

En outre, divers délé­gués d’I­ta­lie, d’Es­pagne, de France et d’A­mé­rique assis­taient au Congrès.

La véri­fi­ca­tion des man­dats ter­mi­née, le bureau fut consti­tué ainsi :

Pré­sident : Ebe­rhardt, Ali, de St-Imier ; vice-pré­sident : Hum­bert. Paul, du Locle ; secré­taires (pris en dehors des délé­gués) : Spi­chi­ger, Auguste, du Locle, et Hæm­mer­li, Arthur, de St-Imier.

Faute d’es­pace, nous ne pou­vons ana­ly­ser les dis­cus­sions du Congrès, qui tint deux séances, une le matin, une l’a­près-midi. Il suf­fi­ra de dire qu’a­près avoir enten­du le rap­port pré­sen­té par A. Schwitz­gué­bel sur le Congrès de la Haye, le Congrès juras­sien vota, sur la pro­po­si­tion des com­mis­sions nom­mées par lui à cet effet, les deux réso­lu­tions suivantes :

Première résolution.

Consi­dé­rant que les sta­tuts géné­raux de l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale des Tra­vailleurs s’op­posent for­mel­le­ment à ce qu’au­cune réso­lu­tion de prin­cipe, de nature à vio­ler l’au­to­no­mie des sec­tions et fédé­ra­tions, puisse être prise dans un Congrès géné­ral quel­conque de l’Association ;

Que les Congrès géné­raux de l’As­so­cia­tion ne sont com­pé­tents qu’en matière de pure administration ;

Que la majo­ri­té du Congrès de la Haye, eu égard aux condi­tions dans les­quelles ce Congrès a été orga­ni­sé par les soins du Conseil géné­ral de Londres, dont la conduite eût dû être mise en cause et n’a pas même été exa­mi­née, est suf­fi­sam­ment sus­pecte de ne point repré­sen­ter réel­le­ment l’o­pi­nion des sec­tions com­po­sant la tota­li­té de l’Association ;

Atten­du qu’en ces cir­cons­tances le Congrès de la Haye est sor­ti de ses attri­bu­tions pure­ment admi­nis­tra­tives et non législatives ;

Le Congrès de la Fédé­ra­tion juras­sienne, tenu à St-Imier le 15 sep­tembre 1872, ne recon­naît pas les réso­lu­tions prises au Congrès de la Haye, comme étant injustes, inop­por­tunes et en dehors des attri­bu­tions d’un Congrès.

Il ne recon­naît en aucune façon les pou­voirs auto­ri­taires du Conseil général.

Il tra­vaille­ra immé­dia­te­ment à l’é­ta­blis­se­ment d’un pacte fédé­ra­tif et libre entre toutes les fédé­ra­tions qui vou­dront y contribuer.

Il affirme le grand prin­cipe de soli­da­ri­té entre les tra­vailleurs de tous les pays.

Seconde résolution.

Consi­dé­rant que le vote de la majo­ri­té du Congrès de la Haye, concer­nant l’ex­pul­sion de l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale des Tra­vailleurs des com­pa­gnons Michel Bakou­nine et James Guillaume, atteint direc­te­ment la Fédé­ra­tion jurassienne ;

Qu’il résulte, d’une manière évi­dente, des accu­sa­tions por­tées contre Bakou­nine et Guillaume, que leur expul­sion n’est que le résul­tat d’une misé­rable et infâme intrigue de quelques per­son­na­li­tés haineuses ;

Que les com­pa­gnons Bakou­nine et Guillaume, tant par leur infa­ti­gable acti­vi­té socia­liste que par leur hono­ra­bi­li­té per­son­nelle, se sont acquis l’es­time et l’a­mi­tié des adhé­rents à la Fédé­ra­tion jurassienne ;

Le Congrès juras­sien tenu à St-Imier le 15 sep­tembre 1872 pro­teste éner­gi­que­ment contre la réso­lu­tion de la majo­ri­té du Congrès de la Haye concer­nant l’ex­pul­sion des com­pa­gnons Bakou­nine et Guillaume.

Le Congrès consi­dère comme son devoir d’af­fir­mer hau­te­ment qu’il conti­nue de recon­naître, aux com­pa­gnons Bakou­nine et Guillaume, leur qua­li­té de membres de l’In­ter­na­tio­nale et d’adhé­rents à la Fédé­ra­tion jurassienne.

Après le vote de ces réso­lu­tions, le Congrès déci­da qu’il don­nait man­dat aux com­pa­gnons Schwitz­gué­bel et Guillaume de repré­sen­ter la Fédé­ra­tion juras­sienne au Congrès inter­na­tio­nal qui devait s’ou­vrir le même jour à St-Imier. Puis la clô­ture du Congrès juras­sien fut prononcée.

[|* * * *|]

Une heure après, dans la même salle, s’ou­vrait un Congrès inter­na­tio­nal, com­po­sé des délé­gués suivants :

Ale­ri­ni , Far­ga Pel­li­cer, Mar­se­lau et Mora­go, délé­gués de la Fédé­ra­tion espagnole ;

Cos­ta, Cafie­ro, Bakou­nine, Mala­tes­ta, Nabruz­zi, Fanel­li, délé­gués de la fédé­ra­tion italienne ;

Pin­dy et Car­net, délé­gués de plu­sieurs sec­tions de France ;

Lefran­çais, délé­gué des sec­tions 3 et 22 d’Amérique ;

Guillaume et Schwitz­gué­bel, délé­gués de la fédé­ra­tion jurassienne.

Une com­mis­sion de véri­fi­ca­tion, nom­mée pour exa­mi­ner les man­dats, ter­mi­na son tra­vail en une demi-heure, et pro­po­sa la vali­da­tion de tous les man­dats énon­cés plus haut. Elle fut adoptée.

Un inci­dent très impor­tant eut lieu à ce moment. Le « Conseil fédé­ra­liste uni­ver­sel » de Londres avait envoyé à trois citoyens de la Chaux-de-Fonds des man­dats avec mis­sion de le repré­sen­ter au Congrès. La com­mis­sion pro­po­sa de ne pas recon­naître des man­dats déli­vrés par un Conseil qui s’est ins­ti­tué lui-même et qui ne repré­sente que lui-même ; si le man­dat venait d’une Sec­tion inter­na­tio­nale recon­nue ou non par le Conseil géné­ral, il aurait pu être accep­té ; mais un man­dat éma­nant d’un Conseil qui a la pré­ten­tion de prendre sim­ple­ment la place du Conseil géné­ral, ne peut pas être accueilli d’un Congrès anti-auto­ri­taire. Cette opi­nion fut par­ta­gée par tous les délé­gués, et le Congrès écar­ta, à l’u­na­ni­mi­té, le man­dat du Conseil fédé­ra­liste uni­ver­sel de Londres.

Le bureau fut consti­tué ain­si : trois pré­si­dents, appar­te­nant à cha­cune des langues du Congrès ; ce furent Lefran­çais, Cafie­ro et Mar­se­lau ; et trois secré­taires : Cho­pard pour la langue fran­çaise, Ale­ri­ni pour l’es­pa­gnol, et Cos­ta pour l’italien.

Lefran­çais, char­gé en pre­mier lieu de la pré­si­dence, ouvre le Congrès en don­nant connais­sance d’une pro­po­si­tion d’ordre du jour.

Une motion d’ordre est pré­sen­tée rela­ti­ve­ment au mode de vota­tion. Un délé­gué juras­sien pro­pose le vote par fédé­ra­tion, cha­cune des fédé­ra­tions régio­nales repré­sen­tées devant avoir une voix.

Les délé­gués espa­gnols pro­posent, confor­mé­ment à leur man­dat, que le vote de chaque délé­gué soit comp­té pro­por­tion­nel­le­ment au nombre d’in­ter­na­tio­naux qu’il représente.

Une courte dis­cus­sion s’en­gage à ce sujet. Il est réso­lu à l’u­na­ni­mi­té que la ques­tion du mode le plus pra­tique et le plus équi­table de vota­tion dans les Congrès sera mise à l’é­tude dans les diverses fédé­ra­tions, et que dans le Congrès actuel il sera voté par fédé­ra­tion, une voix appar­te­nant à cha­cune des cinq fédé­ra­tions repré­sen­tées (Amé­rique, Espagne, France, Ita­lie, Jura.).

Une dis­cus­sion géné­rale est ensuite ouverte sur l’ordre du jour.

Les délé­gués ita­liens déclarent qu’ils ont reçu man­dat impé­ra­tif de rompre dès à pré­sent d’une façon com­plète avec le Conseil général.

Un délé­gué du Jura pro­pose de s’en tenir à la décla­ra­tion de la mino­ri­té du Congrès de la Haye, et d’at­tendre que le Conseil géné­ral essaie de se ser­vir contre nous des pou­voirs qui lui ont été conférés.

Le délé­gué amé­ri­cain dit que le Conseil géné­ral, par ses pro­cé­dés, a rom­pu le pre­mier le câble qui le rat­ta­chait aux fédé­ra­tions, et que nous n’a­vons plus qu’à consta­ter ce fait accom­pli, sans essayer de nous rat­ta­cher de nou­veau au Conseil. Il vote­ra pour le main­tien de la rupture.

Les délé­gués espa­gnols déclarent. qu’in­di­vi­duel­le­ment, ils pensent qu’il est néces­saire de rompre avec le Conseil géné­ral, mais qu’ils ne peuvent dans ce Congrès voter une réso­lu­tion défi­ni­tive enga­geant leur fédé­ra­tion. Ils sou­met­tront les réso­lu­tions votées à l’ap­pro­ba­tion de la fédé­ra­tion espa­gnole, et ce n’est qu’a­vec cette réserve qu’ils prennent part au Congrès.

Un délé­gué juras­sien dit que c’est ain­si que l’en­tendent éga­le­ment les délé­gués des autres fédé­ra­tions, et que toutes les déli­bé­ra­tions du Congrès devront ulté­rieu­re­ment être approu­vées par chaque fédération.

L’ordre du jour est défi­ni­ti­ve­ment adop­té comme suit :

Pre­mière ques­tion : Atti­tude des fédé­ra­tions réunies en Congrès à Saint-Imier, en pré­sence des réso­lu­tions du Congrès de la Haye et du Conseil général.

Seconde ques­tion : Pacte d’a­mi­tié, de soli­da­ri­té et de défense mutuelle entre les fédé­ra­tions libres.

Troi­sième ques­tion : Nature de l’ac­tion poli­tique du prolétariat.

Qua­trième ques­tion : Orga­ni­sa­tion de la résis­tance du tra­vail. – Statistique.

Quatre com­mis­sions furent nom­mées. pour faire rap­port sur ces quatre ques­tions, puis la pre­mière séance fut levée.

Le len­de­main, lun­di 16 sep­tembre, les com­mis­sions pré­sen­tèrent leur rap­port, et comme dans leur tra­vail elles avaient eu soin de consul­ter l’o­pi­nion des divers délé­gués, la seconde séance du Congrès ne pré­sen­ta pas de longues dis­cus­sions, et les réso­lu­tions sui­vantes, d’une impor­tance capi­tale pour l’a­ve­nir de l’In­ter­na­tio­nale, furent adop­tées à l’unanimité :

[|1ère Ques­tion|]

Consi­dé­rant que l’au­to­no­mie et l’in­dé­pen­dance des fédé­ra­tions et sec­tions ouvrières sont la pre­mière condi­tion de l’é­man­ci­pa­tion des travailleurs ;

Que tout pou­voir légis­la­tif et régle­men­taire accor­dé aux Congrès serait une néga­tion fla­grante de cette auto­no­mie et de cette liberté.

Le Congrès dénie en prin­cipe le droit légis­la­tif de tous les Congrès soit géné­raux soit régio­naux, ne leur recon­nais­sant d’autre mis­sion que celle de mettre en pré­sence les aspi­ra­tions, besoins et idées du pro­lé­ta­riat des dif­fé­rentes loca­li­tés ou pays afin que leur har­mo­ni­sa­tion et leur uni­fi­ca­tion s’y opère autant que pos­sible ; mais dans aucun cas la majo­ri­té d’un Congrès quel­conque ne pour­ra impo­ser ses réso­lu­tions à la minorité ;

Consi­dé­rant d’autre part, que l’ins­ti­tu­tion d’un Conseil géné­ral dans l’In­ter­na­tio­nale est, par sa nature même et fata­le­ment, pous­sée à deve­nir une vio­la­tion per­ma­nente de cette liber­té qui doit être la base fon­da­men­tale de notre grande Association ;

Consi­dé­rant que les les actes du Conseil géné­ral de Londres qui vient d’être dis­sous, pen­dant ces trois der­nières années, sont la preuve vivante du vice inhé­rent à cette institution ;

Que pour aug­men­ter sa puis­sance d’a­bord très minime, il a eu recours aux intrigues, aux men­songes, aux calom­nies les plus infâmes pour ten­ter de salir tous ceux qui ont osé le combattre ;

Que pour arri­ver à l’ac­com­plis­se­ment final de ses vues il a pré­pa­ré de longue main le Congrès de la Haye, dont la majo­ri­té, arti­fi­ciel­le­ment orga­ni­sée, n’a évi­dem­ment eu d’autre but que de faire triom­pher dans l’In­ter­na­tio­nale la domi­na­tion d’un par­ti auto­ri­taire, et que pour atteindre ce but elle n’a pas craint de fou­ler aux pieds toute décence et toute justice ;

Qu’un tel Congrès ne peut pas être l’ex­pres­sion du pro­lé­ta­riat des pays qui s’y sont fait représenter ;

Le Congrès des délé­gués des fédé­ra­tions espa­gnole, ita­lienne, juras­sienne, amé­ri­caine et fran­çaise, réuni à St-linier, déclare :

Repous­ser abso­lu­ment toutes les réso­lu­tions du Congrès de la Haye, ne recon­nais­sant en aucune façon les pou­voirs du nou­veau Conseil géné­ral nom­mé par lui, et pour sau­ve­gar­der leurs fédé­ra­tions res­pec­tives contre les pré­ten­tions gou­ver­ne­men­tales de ce Conseil géné­ral aus­si bien que pour sau­ver et for­ti­fier davan­tage l’u­ni­té de l’In­ter­na­tio­nale, les délé­gués ont jeté les bases d’un pro­jet de pacte de soli­da­ri­té entre ces fédérations.

[|2e Ques­tion|]

Consi­dé­rant que la grande uni­té de l’In­ter­na­tio­nale est fon­dée non sur l’or­ga­ni­sa­tion arti­fi­cielle et tou­jours mal­fai­sante d’un pou­voir cen­tra­li­sa­teur quel­conque, mais sur l’i­den­ti­té réelle des inté­rêts et des aspi­ra­tions du pro­lé­ta­riat de tous les pays, d’un côté, et de l’autre sur la Fédé­ra­tion spon­ta­née et abso­lu­ment libre des Fédé­ra­tions et des Sec­tions libres de tous les pays ;

Consi­dé­rant qu’au sein de l’In­ter­na­tio­nale il y a aujourd’­hui une ten­dance, ouver­te­ment mani­fes­tée au Congrès de la Haye par le par­ti auto­ri­taire qui est celui du com­mu­nisme alle­mand, à sub­sti­tuer sa domi­na­tion et le pou­voir de ses chefs au libre déve­lop­pe­ment et à cette orga­ni­sa­tion spon­ta­née et libre du prolétariat ;

Consi­dé­rant que la majo­ri­té du Congrès de la Haye a cyni­que­ment sacri­fié aux vues ambi­tieuses de ce par­ti et de ses chefs, tous les prin­cipes de l’In­ter­na­tio­nale, et que le nou­veau Conseil géné­ral, nom­mé par elle et inves­ti de pou­voirs encore plus grands que ceux qu’il avait vou­lu s’ar­ro­ger au moyen de la Confé­rence de Londres, menace de détruire cette uni­té de l’In­ter­na­tio­nale par ses atten­tats contre sa liberté ;

Les délé­gués des Fédé­ra­tions et. Sec­tions espa­gnole, ita­lienne, juras­sienne, fran­çaise et amé­ri­caine réunis à ce Congrès, ont conclu au nom de ces Fédé­ra­tions et Sec­tions et sauf leur accep­ta­tion et confir­ma­tion défi­ni­tives, le pacte d’a­mi­tié, de soli­da­ri­té et de défense mutuelle suivant :

  1. Les Fédé­ra­tions et Sec­tions espa­gnoles, ita­liennes, fran­çaises, juras­siennes, amé­ri­caines et toutes celles qui vou­dront adhé­rer à ce pacte auront entre elles des com­mu­ni­ca­tions et une cor­res­pon­dance régu­lière et directe tout à fait indé­pen­dantes d’un contrôle gou­ver­ne­men­tal quelconque.
  2. Lors­qu’une de ces Fédé­ra­tions et Sec­tions se trou­ve­ra atta­quée dans sa liber­té soit par la majo­ri­té d’un Congrès géné­ral, soit par le gou­ver­ne­ment ou Conseil géné­ral créé par cette majo­ri­té, toutes les autres Fédé­ra­tions et Sec­tions se pro­cla­me­ront abso­lu­ment soli­daires avec elle.
  3. Ils pro­clament hau­te­ment que la conclu­sion de ce pacte a pour but prin­ci­pal le salut de cette grande uni­té de l’In­ter­na­tio­nale, que l’am­bi­tion du par­ti auto­ri­taire a mise en danger.

[|3e Ques­tion|]

Consi­dé­rant,

Que vou­loir impo­ser au pro­lé­ta­riat une ligne de conduite ou un pro­gramme poli­tique uni­forme comme la voie unique qui puisse le conduire à son éman­ci­pa­tion sociale, est une pré­ten­tion aus­si absurde que réactionnaire ;

Que nul n’a le droit de pri­ver les fédé­ra­tions et sec­tions auto­nomes du droit incon­tes­table de déter­mi­ner elles-mêmes et de suivre la ligne de conduite poli­tique qu’elles croi­ront la meilleure, et que toute ten­ta­tive sem­blable nous condui­rait fata­le­ment au plus révol­tant dogmatisme ;

Que les aspi­ra­tions du pro­lé­ta­riat ne peuvent avoir d’autre objet que l’é­ta­blis­se­ment d’une orga­ni­sa­tion et d’une fédé­ra­tion éco­no­mique abso­lu­ment libres, fon­dée sur le tra­vail et sur l’é­ga­li­té de tous et abso­lu­ment indé­pen­dantes de tout gou­ver­ne­ment poli­tique, et que cette orga­ni­sa­tion et cette fédé­ra­tion ne peuvent être que le résul­tat de l’ac­tion spon­ta­née du pro­lé­ta­riat lui-même, des corps de métier et des com­munes autonomes ;

Consi­dé­rant que toute orga­ni­sa­tion poli­tique ne peut rien être que l’or­ga­ni­sa­tion de la domi­na­tion au pro­fit des classes et au détri­ment des masses, et que le pro­lé­ta­riat s’il vou­lait s’emparer du pou­voir poli­tique devien­drait lui-même une classe domi­nante et exploitante ;

Le Congrès réuni à St-linier déclare :

  1. Que la des­truc­tion de tout pou­voir poli­tique est le pre­mier devoir du prolétariat.
  2. Que toute orga­ni­sa­tion d’un pou­voir poli­tique soi-disant pro­vi­soire et révo­lu­tion­naire pour ame­ner cette des­truc­tion ne peut être qu’une trom­pe­rie de plus et serait aus­si dan­ge­reuse pour le pro­lé­ta­riat que tous les gou­ver­ne­ments exis­tants aujourd’hui.
  3. Que repous­sant tout com­pro­mis pour arri­ver à l’ac­com­plis­se­ment de la Révo­lu­tion sociale, les pro­lé­taires de tous les pays doivent éta­blir, en dehors de toute poli­tique bour­geoise, la soli­da­ri­té de l’ac­tion révolutionnaire.

[|4e Ques­tion.|]

La liber­té et le tra­vail sont la base de la morale, de la force, de la vie et de la richesse de l’a­ve­nir. Mais le tra­vail, s’il n’est pas libre­ment orga­ni­sé, devient oppres­sif et impro­duc­tif pour le tra­vailleur ; et c’est pour cela que l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail est la condi­tion indis­pen­sable de la véri­table et com­plète éman­ci­pa­tion de l’ouvrier.

Cepen­dant le tra­vail ne peut s’exer­cer libre­ment sans la pos­ses­sion des matières pre­mières et de tout le capi­tal social, et ne peut s’or­ga­ni­ser si l’ou­vrier s’é­man­ci­pant de la tyran­nie poli­tique et éco­no­mique ne conquiert le droit de se déve­lop­per com­plè­te­ment dans toutes ses facul­tés. Tout État, c’est-à-dire tout gou­ver­ne­ment et toute admi­nis­tra­tion des masses popu­laires, de haut en bas, étant néces­sai­re­ment fon­dé sur la bureau­cra­tie, sur les armées, sur l’es­pion­nage, sur le cler­gé, ne pour­ra jamais éta­blir la socié­té orga­ni­sée sur le tra­vail et sur la jus­tice, puisque par la nature même de son orga­nisme il est posé fata­le­ment à oppri­mer celui-là et à nier celle-ci.

Sui­vant nous l’ou­vrier ne pour­ra jamais s’é­man­ci­per de l’op­pres­sion sécu­laire, si à ce corps absor­bant et démo­ra­li­sa­teur il ne sub­sti­tue la libre fédé­ra­tion de tous les groupes pro­duc­teurs fon­dée sur la soli­da­ri­té et sur l’égalité.

En effet, en plu­sieurs endroits déjà on a ten­té d’or­ga­ni­ser le tra­vail pour amé­lio­rer la condi­tion du pro­lé­ta­riat, mais la moindre amé­lio­ra­tion a bien­tôt été absor­bée par la classe pri­vi­lé­giée qui ten­té conti­nuel­le­ment, sans frein et sans limite ; d’ex­ploi­ter la classe ouvrière. Cepen­dant l’a­van­tage de cette orga­ni­sa­tion est tel, que même dans l’é­tat actuel des choses, on ne sau­rait y renon­cer. Elle fait fra­ter­ni­ser tou­jours davan­tage le pro­lé­ta­riat dans la com­mu­nau­té des inté­rêts, elle l’exerce à la vie col­lec­tive, elle le pré­pare pour la lutte suprême. Bien plus, l’or­ga­ni­sa­tion libre et spon­ta­née du tra­vail étant celle qui doit se sub­sti­tuer à l’or­ga­nisme pri­vi­lé­gié et auto­ri­taire de l’É­tat poli­tique, sera, une fois éta­blie, la garan­tie per­ma­nente du main­tien de l’or­ga­nisme éco­no­mique contre l’or­ga­nisme politique.

Par consé­quent, lais­sant à la pra­tique de la révo­lu­tion sociale les détails de l’or­ga­ni­sa­tion posi­tive, nous enten­dons orga­ni­ser et soli­da­ri­ser la résis­tance sur une large échelle. La grève est pour nous un moyen pré­cieux de lutte, mais nous ne nous fai­sons aucune illu­sion sur ses résul­tats éco­no­miques. Nous l’ac­cep­tons comme un pro­duit de l’an­ta­go­nisme entre le Tra­vail et le Capi­tal, ayant néces­sai­re­ment pour consé­quence de rendre les ouvriers de plus en plus conscients de l’a­bime qui existe entre la Bour­geoi­sie et le Pro­lé­ta­riat, de for­ti­fier l’or­ga­ni­sa­tion des tra­vailleurs et de pré­pa­rer, par le fait des simples luttes éco­no­miques, le Pro­lé­ta­riat à la grande lutte révo­lu­tion­naire et défi­ni­tive qui, détrui­sant tout pri­vi­lège et toute dis­tinc­tion de classe, don­ne­ra à l’ou­vrier le droit de jouir du pro­duit inté­gral de son tra­vail, et par là les moyens de déve­lop­per dans la col­lec­ti­vi­té toute sa force intel­lec­tuelle, maté­rielle et morale.

La Com­mis­sion pro­pose au Congrès de nom­mer une Com­mis­sion qui devra pré­sen­ter au pro­chain Congrès un pro­jet d’or­ga­ni­sa­tion uni­ver­selle de la résis­tance, et des tableaux com­plets de la sta­tis­tique du tra­vail dans les­quels cette lutte pui­se­ra de la lumière. Elle recom­mande l’or­ga­ni­sa­tion espa­gnole comme la meilleure jus­qu’à ce jour.

En der­nier lieu, le Congrès vota une réso­lu­tion finale que voici :

« Le Congrès pro­pose d’en­voyer copie de toutes les réso­lu­tions du Congrès et du Pacte d’a­mi­tié, de soli­da­ri­té et de défense mutuelle, à toutes les fédé­ra­tions ouvrières du monde, et de s’en­tendre avec elles sur les ques­tions qui sont d’in­té­rêt géné­ral pour toutes les fédé­ra­tions libres.

Le Congrès invite toutes les fédé­ra­tions qui ont conclu entre elles ce pacte d’a­mi­tié, de soli­da­ri­té et de défense mutuelle, à se concer­ter immé­dia­te­ment avec toutes les fédé­ra­tions ou sec­tions qui vou­dront accep­ter ce pacte, pour déter­mi­ner la nature et l’é­poque de leur Congrès inter­na­tio­nal, en expri­mant le désir qu’il ne se réunisse pas plus tard que dans six mois. »

Une com­mis­sion, prise dans la fédé­ra­tion ita­lienne, fut char­gée de pré­sen­ter au pro­chain Congrès un pro­jet d’or­ga­ni­sa­tion uni­ver­selle de la résis­tance et un plan géné­ral de statistique.

Enfin le com­pa­gnon Adhé­mar Schwitz­gué­bel, secré­taire du Comi­té fédé­ral juras­sien, a reçu la mis­sion de signer tous les actes du Congrès et d’en envoyer copie aux diverses fédérations.

Ayant épui­sé son ordre du jour, le Congrès inter­na­tio­nal se sépa­ra aux cris de Vive la révo­lu­tion sociale !

La Presse Anarchiste