La Presse Anarchiste

Les deux Congrès de Saint-Imier

À la nou­velle des tristes résul­tats du Con­grès de la Haye, le Comité fédéral jurassien crut de son devoir de con­vo­quer immé­di­ate­ment, à l’ex­tra­or­di­naire, le Con­grès de la fédéra­tion jurassi­enne. Vu le peu de temps qui s’é­coula entre la récep­tion de la let­tre de con­vo­ca­tion et la réu­nion du Con­grès, plusieurs Sec­tions ne purent s’y faire représen­ter. Néan­moins le 15 sep­tem­bre, seize délégués de la Fédéra­tion jurassi­enne étaient réu­nis à l’Hô­tel-de-ville de St-Imi­er. En voici la liste :

Lachat, George, sec­tion de Moutier.

Hum­bert, Paul, et Chautems, Fritz, graveurs et guil­locheurs du Locle.

Schwitz­gaé­bel, Léon, sec­tion de Bienne.

Hert­er, Adolphe, et Juvet, Paul, graveurs et guil­locheurs du dis­trict de Courtelary.

Bak­ou­nine, Michel, et Guer­ber, Justin, sec­tion de Sonvillier.

Rouleff. Zem­phiry, et Hol­stein, Walde­mar, sec­tion slave de Zurich.

Schnei­der, Samuel, et Eber­hardt, Ali, sec­tion de St-Imier.

Dela­coste, François, et Col­lier, Édouard, sec­tion de la Chaux-de-Fonds.

Beslay, Charles, et Guil­laume, James, sec­tion de Neuchâtel.

En out­re, divers délégués d’I­tal­ie, d’Es­pagne, de France et d’Amérique assis­taient au Congrès.

La véri­fi­ca­tion des man­dats ter­minée, le bureau fut con­sti­tué ainsi :

Prési­dent : Eber­hardt, Ali, de St-Imi­er ; vice-prési­dent : Hum­bert. Paul, du Locle ; secré­taires (pris en dehors des délégués) : Spichiger, Auguste, du Locle, et Hæm­mer­li, Arthur, de St-Imier.

Faute d’e­space, nous ne pou­vons analyser les dis­cus­sions du Con­grès, qui tint deux séances, une le matin, une l’après-midi. Il suf­fi­ra de dire qu’après avoir enten­du le rap­port présen­té par A. Schwitzgué­bel sur le Con­grès de la Haye, le Con­grès jurassien vota, sur la propo­si­tion des com­mis­sions nom­mées par lui à cet effet, les deux réso­lu­tions suivantes :

Première résolution.

Con­sid­érant que les statuts généraux de l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale des Tra­vailleurs s’op­posent formelle­ment à ce qu’au­cune réso­lu­tion de principe, de nature à vio­l­er l’au­tonomie des sec­tions et fédéra­tions, puisse être prise dans un Con­grès général quel­conque de l’Association ;

Que les Con­grès généraux de l’As­so­ci­a­tion ne sont com­pé­tents qu’en matière de pure administration ;

Que la majorité du Con­grès de la Haye, eu égard aux con­di­tions dans lesquelles ce Con­grès a été organ­isé par les soins du Con­seil général de Lon­dres, dont la con­duite eût dû être mise en cause et n’a pas même été exam­inée, est suff­isam­ment sus­pecte de ne point représen­ter réelle­ment l’opin­ion des sec­tions com­posant la total­ité de l’Association ;

Atten­du qu’en ces cir­con­stances le Con­grès de la Haye est sor­ti de ses attri­bu­tions pure­ment admin­is­tra­tives et non législatives ;

Le Con­grès de la Fédéra­tion jurassi­enne, tenu à St-Imi­er le 15 sep­tem­bre 1872, ne recon­naît pas les réso­lu­tions pris­es au Con­grès de la Haye, comme étant injustes, inop­por­tunes et en dehors des attri­bu­tions d’un Congrès.

Il ne recon­naît en aucune façon les pou­voirs autori­taires du Con­seil général.

Il tra­vaillera immé­di­ate­ment à l’étab­lisse­ment d’un pacte fédératif et libre entre toutes les fédéra­tions qui voudront y contribuer.

Il affirme le grand principe de sol­i­dar­ité entre les tra­vailleurs de tous les pays.

Seconde résolution.

Con­sid­érant que le vote de la majorité du Con­grès de la Haye, con­cer­nant l’ex­pul­sion de l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale des Tra­vailleurs des com­pagnons Michel Bak­ou­nine et James Guil­laume, atteint directe­ment la Fédéra­tion jurassienne ;

Qu’il résulte, d’une manière évi­dente, des accu­sa­tions portées con­tre Bak­ou­nine et Guil­laume, que leur expul­sion n’est que le résul­tat d’une mis­érable et infâme intrigue de quelques per­son­nal­ités haineuses ;

Que les com­pagnons Bak­ou­nine et Guil­laume, tant par leur infati­ga­ble activ­ité social­iste que par leur hon­or­a­bil­ité per­son­nelle, se sont acquis l’es­time et l’ami­tié des adhérents à la Fédéra­tion jurassienne ;

Le Con­grès jurassien tenu à St-Imi­er le 15 sep­tem­bre 1872 proteste énergique­ment con­tre la réso­lu­tion de la majorité du Con­grès de la Haye con­cer­nant l’ex­pul­sion des com­pagnons Bak­ou­nine et Guillaume.

Le Con­grès con­sid­ère comme son devoir d’af­firmer haute­ment qu’il con­tin­ue de recon­naître, aux com­pagnons Bak­ou­nine et Guil­laume, leur qual­ité de mem­bres de l’In­ter­na­tionale et d’ad­hérents à la Fédéra­tion jurassienne.

Après le vote de ces réso­lu­tions, le Con­grès déci­da qu’il don­nait man­dat aux com­pagnons Schwitzgué­bel et Guil­laume de représen­ter la Fédéra­tion jurassi­enne au Con­grès inter­na­tion­al qui devait s’ou­vrir le même jour à St-Imi­er. Puis la clô­ture du Con­grès jurassien fut prononcée.

[|* * * *|]

Une heure après, dans la même salle, s’ou­vrait un Con­grès inter­na­tion­al, com­posé des délégués suivants :

Aleri­ni , Far­ga Pel­licer, Marse­lau et Mor­a­go, délégués de la Fédéra­tion espagnole ;

Cos­ta, Cafiero, Bak­ou­nine, Malat­es­ta, Nabruzzi, Fanel­li, délégués de la fédéra­tion italienne ;

Pindy et Car­net, délégués de plusieurs sec­tions de France ;

Lefrançais, délégué des sec­tions 3 et 22 d’Amérique ;

Guil­laume et Schwitzgué­bel, délégués de la fédéra­tion jurassienne.

Une com­mis­sion de véri­fi­ca­tion, nom­mée pour exam­in­er les man­dats, ter­mi­na son tra­vail en une demi-heure, et pro­posa la val­i­da­tion de tous les man­dats énon­cés plus haut. Elle fut adoptée.

Un inci­dent très impor­tant eut lieu à ce moment. Le « Con­seil fédéral­iste uni­versel » de Lon­dres avait envoyé à trois citoyens de la Chaux-de-Fonds des man­dats avec mis­sion de le représen­ter au Con­grès. La com­mis­sion pro­posa de ne pas recon­naître des man­dats délivrés par un Con­seil qui s’est insti­tué lui-même et qui ne représente que lui-même ; si le man­dat venait d’une Sec­tion inter­na­tionale recon­nue ou non par le Con­seil général, il aurait pu être accep­té ; mais un man­dat émanant d’un Con­seil qui a la pré­ten­tion de pren­dre sim­ple­ment la place du Con­seil général, ne peut pas être accueil­li d’un Con­grès anti-autori­taire. Cette opin­ion fut partagée par tous les délégués, et le Con­grès écar­ta, à l’u­na­nim­ité, le man­dat du Con­seil fédéral­iste uni­versel de Londres.

Le bureau fut con­sti­tué ain­si : trois prési­dents, appar­tenant à cha­cune des langues du Con­grès ; ce furent Lefrançais, Cafiero et Marse­lau ; et trois secré­taires : Chopard pour la langue française, Aleri­ni pour l’es­pag­nol, et Cos­ta pour l’italien.

Lefrançais, chargé en pre­mier lieu de la prési­dence, ouvre le Con­grès en don­nant con­nais­sance d’une propo­si­tion d’or­dre du jour.

Une motion d’or­dre est présen­tée rel­a­tive­ment au mode de vota­tion. Un délégué jurassien pro­pose le vote par fédéra­tion, cha­cune des fédéra­tions régionales représen­tées devant avoir une voix.

Les délégués espag­nols pro­posent, con­for­mé­ment à leur man­dat, que le vote de chaque délégué soit comp­té pro­por­tion­nelle­ment au nom­bre d’in­ter­na­tionaux qu’il représente.

Une courte dis­cus­sion s’en­gage à ce sujet. Il est résolu à l’u­na­nim­ité que la ques­tion du mode le plus pra­tique et le plus équitable de vota­tion dans les Con­grès sera mise à l’é­tude dans les divers­es fédéra­tions, et que dans le Con­grès actuel il sera voté par fédéra­tion, une voix appar­tenant à cha­cune des cinq fédéra­tions représen­tées (Amérique, Espagne, France, Ital­ie, Jura.).

Une dis­cus­sion générale est ensuite ouverte sur l’or­dre du jour.

Les délégués ital­iens déclar­ent qu’ils ont reçu man­dat impératif de rompre dès à présent d’une façon com­plète avec le Con­seil général.

Un délégué du Jura pro­pose de s’en tenir à la déc­la­ra­tion de la minorité du Con­grès de la Haye, et d’at­ten­dre que le Con­seil général essaie de se servir con­tre nous des pou­voirs qui lui ont été conférés.

Le délégué améri­cain dit que le Con­seil général, par ses procédés, a rompu le pre­mier le câble qui le rat­tachait aux fédéra­tions, et que nous n’avons plus qu’à con­stater ce fait accom­pli, sans essay­er de nous rat­tach­er de nou­veau au Con­seil. Il votera pour le main­tien de la rupture.

Les délégués espag­nols déclar­ent. qu’in­di­vidu­elle­ment, ils pensent qu’il est néces­saire de rompre avec le Con­seil général, mais qu’ils ne peu­vent dans ce Con­grès vot­er une réso­lu­tion défini­tive engageant leur fédéra­tion. Ils soumet­tront les réso­lu­tions votées à l’ap­pro­ba­tion de la fédéra­tion espag­nole, et ce n’est qu’avec cette réserve qu’ils pren­nent part au Congrès.

Un délégué jurassien dit que c’est ain­si que l’en­ten­dent égale­ment les délégués des autres fédéra­tions, et que toutes les délibéra­tions du Con­grès devront ultérieure­ment être approu­vées par chaque fédération.

L’or­dre du jour est défini­tive­ment adop­té comme suit :

Pre­mière ques­tion : Atti­tude des fédéra­tions réu­nies en Con­grès à Saint-Imi­er, en présence des réso­lu­tions du Con­grès de la Haye et du Con­seil général.

Sec­onde ques­tion : Pacte d’ami­tié, de sol­i­dar­ité et de défense mutuelle entre les fédéra­tions libres.

Troisième ques­tion : Nature de l’ac­tion poli­tique du prolétariat.

Qua­trième ques­tion : Organ­i­sa­tion de la résis­tance du tra­vail. – Statistique.

Qua­tre com­mis­sions furent nom­mées. pour faire rap­port sur ces qua­tre ques­tions, puis la pre­mière séance fut levée.

Le lende­main, lun­di 16 sep­tem­bre, les com­mis­sions présen­tèrent leur rap­port, et comme dans leur tra­vail elles avaient eu soin de con­sul­ter l’opin­ion des divers délégués, la sec­onde séance du Con­grès ne présen­ta pas de longues dis­cus­sions, et les réso­lu­tions suiv­antes, d’une impor­tance cap­i­tale pour l’avenir de l’In­ter­na­tionale, furent adop­tées à l’unanimité :

[|1ère Ques­tion|]

Con­sid­érant que l’au­tonomie et l’indépen­dance des fédéra­tions et sec­tions ouvrières sont la pre­mière con­di­tion de l’é­man­ci­pa­tion des travailleurs ;

Que tout pou­voir lég­is­latif et régle­men­taire accordé aux Con­grès serait une néga­tion fla­grante de cette autonomie et de cette liberté.

Le Con­grès dénie en principe le droit lég­is­latif de tous les Con­grès soit généraux soit régionaux, ne leur recon­nais­sant d’autre mis­sion que celle de met­tre en présence les aspi­ra­tions, besoins et idées du pro­lé­tari­at des dif­férentes local­ités ou pays afin que leur har­mon­i­sa­tion et leur uni­fi­ca­tion s’y opère autant que pos­si­ble ; mais dans aucun cas la majorité d’un Con­grès quel­conque ne pour­ra impos­er ses réso­lu­tions à la minorité ;

Con­sid­érant d’autre part, que l’in­sti­tu­tion d’un Con­seil général dans l’In­ter­na­tionale est, par sa nature même et fatale­ment, poussée à devenir une vio­la­tion per­ma­nente de cette lib­erté qui doit être la base fon­da­men­tale de notre grande Association ;

Con­sid­érant que les les actes du Con­seil général de Lon­dres qui vient d’être dis­sous, pen­dant ces trois dernières années, sont la preuve vivante du vice inhérent à cette institution ;

Que pour aug­menter sa puis­sance d’abord très min­ime, il a eu recours aux intrigues, aux men­songes, aux calom­nies les plus infâmes pour ten­ter de salir tous ceux qui ont osé le combattre ;

Que pour arriv­er à l’ac­com­plisse­ment final de ses vues il a pré­paré de longue main le Con­grès de la Haye, dont la majorité, arti­fi­cielle­ment organ­isée, n’a évidem­ment eu d’autre but que de faire tri­om­pher dans l’In­ter­na­tionale la dom­i­na­tion d’un par­ti autori­taire, et que pour attein­dre ce but elle n’a pas craint de fouler aux pieds toute décence et toute justice ;

Qu’un tel Con­grès ne peut pas être l’ex­pres­sion du pro­lé­tari­at des pays qui s’y sont fait représenter ;

Le Con­grès des délégués des fédéra­tions espag­nole, ital­i­enne, jurassi­enne, améri­caine et française, réu­ni à St-lin­ier, déclare :

Repouss­er absol­u­ment toutes les réso­lu­tions du Con­grès de la Haye, ne recon­nais­sant en aucune façon les pou­voirs du nou­veau Con­seil général nom­mé par lui, et pour sauve­g­arder leurs fédéra­tions respec­tives con­tre les pré­ten­tions gou­verne­men­tales de ce Con­seil général aus­si bien que pour sauver et for­ti­fi­er davan­tage l’u­nité de l’In­ter­na­tionale, les délégués ont jeté les bases d’un pro­jet de pacte de sol­i­dar­ité entre ces fédérations.

[|2e Ques­tion|]

Con­sid­érant que la grande unité de l’In­ter­na­tionale est fondée non sur l’or­gan­i­sa­tion arti­fi­cielle et tou­jours mal­faisante d’un pou­voir cen­tral­isa­teur quel­conque, mais sur l’i­den­tité réelle des intérêts et des aspi­ra­tions du pro­lé­tari­at de tous les pays, d’un côté, et de l’autre sur la Fédéra­tion spon­tanée et absol­u­ment libre des Fédéra­tions et des Sec­tions libres de tous les pays ;

Con­sid­érant qu’au sein de l’In­ter­na­tionale il y a aujour­d’hui une ten­dance, ouverte­ment man­i­festée au Con­grès de la Haye par le par­ti autori­taire qui est celui du com­mu­nisme alle­mand, à sub­stituer sa dom­i­na­tion et le pou­voir de ses chefs au libre développe­ment et à cette organ­i­sa­tion spon­tanée et libre du prolétariat ;

Con­sid­érant que la majorité du Con­grès de la Haye a cynique­ment sac­ri­fié aux vues ambitieuses de ce par­ti et de ses chefs, tous les principes de l’In­ter­na­tionale, et que le nou­veau Con­seil général, nom­mé par elle et investi de pou­voirs encore plus grands que ceux qu’il avait voulu s’ar­roger au moyen de la Con­férence de Lon­dres, men­ace de détru­ire cette unité de l’In­ter­na­tionale par ses atten­tats con­tre sa liberté ;

Les délégués des Fédéra­tions et. Sec­tions espag­nole, ital­i­enne, jurassi­enne, française et améri­caine réu­nis à ce Con­grès, ont con­clu au nom de ces Fédéra­tions et Sec­tions et sauf leur accep­ta­tion et con­fir­ma­tion défini­tives, le pacte d’ami­tié, de sol­i­dar­ité et de défense mutuelle suivant :

  1. Les Fédéra­tions et Sec­tions espag­noles, ital­i­ennes, français­es, jurassi­ennes, améri­caines et toutes celles qui voudront adhér­er à ce pacte auront entre elles des com­mu­ni­ca­tions et une cor­re­spon­dance régulière et directe tout à fait indépen­dantes d’un con­trôle gou­verne­men­tal quelconque.
  2. Lorsqu’une de ces Fédéra­tions et Sec­tions se trou­vera attaquée dans sa lib­erté soit par la majorité d’un Con­grès général, soit par le gou­verne­ment ou Con­seil général créé par cette majorité, toutes les autres Fédéra­tions et Sec­tions se proclameront absol­u­ment sol­idaires avec elle.
  3. Ils procla­ment haute­ment que la con­clu­sion de ce pacte a pour but prin­ci­pal le salut de cette grande unité de l’In­ter­na­tionale, que l’am­bi­tion du par­ti autori­taire a mise en danger.

[|3e Ques­tion|]

Con­sid­érant,

Que vouloir impos­er au pro­lé­tari­at une ligne de con­duite ou un pro­gramme poli­tique uni­forme comme la voie unique qui puisse le con­duire à son éman­ci­pa­tion sociale, est une pré­ten­tion aus­si absurde que réactionnaire ;

Que nul n’a le droit de priv­er les fédéra­tions et sec­tions autonomes du droit incon­testable de déter­min­er elles-mêmes et de suiv­re la ligne de con­duite poli­tique qu’elles croiront la meilleure, et que toute ten­ta­tive sem­blable nous con­duirait fatale­ment au plus révoltant dogmatisme ;

Que les aspi­ra­tions du pro­lé­tari­at ne peu­vent avoir d’autre objet que l’étab­lisse­ment d’une organ­i­sa­tion et d’une fédéra­tion économique absol­u­ment libres, fondée sur le tra­vail et sur l’é­gal­ité de tous et absol­u­ment indépen­dantes de tout gou­verne­ment poli­tique, et que cette organ­i­sa­tion et cette fédéra­tion ne peu­vent être que le résul­tat de l’ac­tion spon­tanée du pro­lé­tari­at lui-même, des corps de méti­er et des com­munes autonomes ;

Con­sid­érant que toute organ­i­sa­tion poli­tique ne peut rien être que l’or­gan­i­sa­tion de la dom­i­na­tion au prof­it des class­es et au détri­ment des mass­es, et que le pro­lé­tari­at s’il voulait s’emparer du pou­voir poli­tique deviendrait lui-même une classe dom­i­nante et exploitante ;

Le Con­grès réu­ni à St-lin­ier déclare :

  1. Que la destruc­tion de tout pou­voir poli­tique est le pre­mier devoir du prolétariat.
  2. Que toute organ­i­sa­tion d’un pou­voir poli­tique soi-dis­ant pro­vi­soire et révo­lu­tion­naire pour amen­er cette destruc­tion ne peut être qu’une tromperie de plus et serait aus­si dan­gereuse pour le pro­lé­tari­at que tous les gou­verne­ments exis­tants aujourd’hui.
  3. Que repous­sant tout com­pro­mis pour arriv­er à l’ac­com­plisse­ment de la Révo­lu­tion sociale, les pro­lé­taires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute poli­tique bour­geoise, la sol­i­dar­ité de l’ac­tion révolutionnaire.

[|4e Ques­tion.|]

La lib­erté et le tra­vail sont la base de la morale, de la force, de la vie et de la richesse de l’avenir. Mais le tra­vail, s’il n’est pas libre­ment organ­isé, devient oppres­sif et impro­duc­tif pour le tra­vailleur ; et c’est pour cela que l’or­gan­i­sa­tion du tra­vail est la con­di­tion indis­pens­able de la véri­ta­ble et com­plète éman­ci­pa­tion de l’ouvrier.

Cepen­dant le tra­vail ne peut s’ex­ercer libre­ment sans la pos­ses­sion des matières pre­mières et de tout le cap­i­tal social, et ne peut s’or­gan­is­er si l’ou­vri­er s’é­man­ci­pant de la tyran­nie poli­tique et économique ne con­quiert le droit de se dévelop­per com­plète­ment dans toutes ses fac­ultés. Tout État, c’est-à-dire tout gou­verne­ment et toute admin­is­tra­tion des mass­es pop­u­laires, de haut en bas, étant néces­saire­ment fondé sur la bureau­cratie, sur les armées, sur l’es­pi­onnage, sur le clergé, ne pour­ra jamais établir la société organ­isée sur le tra­vail et sur la jus­tice, puisque par la nature même de son organ­isme il est posé fatale­ment à opprimer celui-là et à nier celle-ci.

Suiv­ant nous l’ou­vri­er ne pour­ra jamais s’é­manciper de l’op­pres­sion sécu­laire, si à ce corps absorbant et démoral­isa­teur il ne sub­stitue la libre fédéra­tion de tous les groupes pro­duc­teurs fondée sur la sol­i­dar­ité et sur l’égalité.

En effet, en plusieurs endroits déjà on a ten­té d’or­gan­is­er le tra­vail pour amélior­er la con­di­tion du pro­lé­tari­at, mais la moin­dre amélio­ra­tion a bien­tôt été absorbée par la classe priv­ilégiée qui ten­té con­tin­uelle­ment, sans frein et sans lim­ite ; d’ex­ploiter la classe ouvrière. Cepen­dant l’a­van­tage de cette organ­i­sa­tion est tel, que même dans l’é­tat actuel des choses, on ne saurait y renon­cer. Elle fait frater­niser tou­jours davan­tage le pro­lé­tari­at dans la com­mu­nauté des intérêts, elle l’ex­erce à la vie col­lec­tive, elle le pré­pare pour la lutte suprême. Bien plus, l’or­gan­i­sa­tion libre et spon­tanée du tra­vail étant celle qui doit se sub­stituer à l’or­gan­isme priv­ilégié et autori­taire de l’É­tat poli­tique, sera, une fois établie, la garantie per­ma­nente du main­tien de l’or­gan­isme économique con­tre l’or­gan­isme politique.

Par con­séquent, lais­sant à la pra­tique de la révo­lu­tion sociale les détails de l’or­gan­i­sa­tion pos­i­tive, nous enten­dons organ­is­er et sol­i­daris­er la résis­tance sur une large échelle. La grève est pour nous un moyen pré­cieux de lutte, mais nous ne nous faisons aucune illu­sion sur ses résul­tats économiques. Nous l’ac­cep­tons comme un pro­duit de l’an­tag­o­nisme entre le Tra­vail et le Cap­i­tal, ayant néces­saire­ment pour con­séquence de ren­dre les ouvri­ers de plus en plus con­scients de l’abime qui existe entre la Bour­geoisie et le Pro­lé­tari­at, de for­ti­fi­er l’or­gan­i­sa­tion des tra­vailleurs et de pré­par­er, par le fait des sim­ples luttes économiques, le Pro­lé­tari­at à la grande lutte révo­lu­tion­naire et défini­tive qui, détru­isant tout priv­ilège et toute dis­tinc­tion de classe, don­nera à l’ou­vri­er le droit de jouir du pro­duit inté­gral de son tra­vail, et par là les moyens de dévelop­per dans la col­lec­tiv­ité toute sa force intel­lectuelle, matérielle et morale.

La Com­mis­sion pro­pose au Con­grès de nom­mer une Com­mis­sion qui devra présen­ter au prochain Con­grès un pro­jet d’or­gan­i­sa­tion uni­verselle de la résis­tance, et des tableaux com­plets de la sta­tis­tique du tra­vail dans lesquels cette lutte puis­era de la lumière. Elle recom­mande l’or­gan­i­sa­tion espag­nole comme la meilleure jusqu’à ce jour.

En dernier lieu, le Con­grès vota une réso­lu­tion finale que voici :

« Le Con­grès pro­pose d’en­voy­er copie de toutes les réso­lu­tions du Con­grès et du Pacte d’ami­tié, de sol­i­dar­ité et de défense mutuelle, à toutes les fédéra­tions ouvrières du monde, et de s’en­ten­dre avec elles sur les ques­tions qui sont d’in­térêt général pour toutes les fédéra­tions libres.

Le Con­grès invite toutes les fédéra­tions qui ont con­clu entre elles ce pacte d’ami­tié, de sol­i­dar­ité et de défense mutuelle, à se con­cert­er immé­di­ate­ment avec toutes les fédéra­tions ou sec­tions qui voudront accepter ce pacte, pour déter­min­er la nature et l’époque de leur Con­grès inter­na­tion­al, en exp­ri­mant le désir qu’il ne se réu­nisse pas plus tard que dans six mois. »

Une com­mis­sion, prise dans la fédéra­tion ital­i­enne, fut chargée de présen­ter au prochain Con­grès un pro­jet d’or­gan­i­sa­tion uni­verselle de la résis­tance et un plan général de statistique.

Enfin le com­pagnon Adhé­mar Schwitzgué­bel, secré­taire du Comité fédéral jurassien, a reçu la mis­sion de sign­er tous les actes du Con­grès et d’en envoy­er copie aux divers­es fédérations.

Ayant épuisé son ordre du jour, le Con­grès inter­na­tion­al se sépara aux cris de Vive la révo­lu­tion sociale !


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