La Société de la Jeunesse libérale du. Jura vient de publier dans la Tribune du peuple un appel aux membres de l’Internationale, les engageant à ne plus délaisser le scrutin et à prendre une part active à la lutte électorale qui va se produire chez nous à propos du renouvellement du Conseil national.
Après avoir cherché à démontrer que le but et les intérêts de la Jeunesse libérale sont absolument identiques à ceux que nous poursuivons, les signataires de l’appel font souvenir des efforts de leur société en faveur des réformes demandées par la classe ouvrière et attribuent le peu de succès de leurs réclamations au manque de défenseurs courageux de la cause du travail dans les assemblées législatives.
La Jeunesse libérale croit ses principes parfaitement conformes aux nôtres. Nous n’osions espérer un accord si complet, mais puisque le grain socialiste semble germer abondamment dans le Jura bernois, nous n’aurons garde d’en retarder la moisson.
Ne nous hâtons point cependant de sceller le pacte qui doit nous unir :
Et nous pourrions avoir telles complexions
Que tous deux du marché nous nous repentirions.
L’idéal de la Jeunesse libérale semble être la conquête du pouvoir politique, afin d’arriver « à la réorganisation du monde économique, à l’abolition du monopole et des privilèges d’individus, de caste et de nation,» etc.
Or l’internationale, elle, n’aspire point à la conquête du pouvoir politique, elle aspire à la transformation de l’État en une organisation économique exempte de toute hiérarchie de pouvoirs politiques. – À quoi donc lui servirait cette conquête, puisqu’elle en est la négation ?
Que pourraient faire les députés socialistes que nous enverrions aux Chambres, sinon demander l’intervention de l’État dans les relations économiques ? Mais nous socialistes, qui voulons la suppression des gouvernements, comment pourrions-nous en même temps chercher à obtenir des réformes par voie gouvernementale ? On voit la contradiction ; elle est évidente pour quiconque prend la peine d’ouvrir les yeux, et les ouvriers internationaux savent bien que le seul moyen de réaliser leur programme, ce n’est pas de charger l’État, le gouvernement, de cette réalisation, – mais qu’il faut que les travailleurs eux-mêmes réalisent la transformation sociale, après avoir aboli les États et les gouvernements.
Il y a cependant un international, dans le Jura, qui ne semble pas avoir compris les choses ainsi : c’est le président de la Section de Moutier, qui a fait adhésion publique, dans la Tribune du peuple, au Manifeste de la Jeunesse libérale, en engageant ses amis à l’imiter. Nous ne savons pas au juste quelle importance il faut attribuer à cet acte du président d’une Section internationale adhérente à la Fédération jurassienne ; y a‑t-il là un simple malentendu, ou bien y a‑t-il une trahison réelle de nos principes ? et les ouvriers de Moutier seraient-ils disposés à quitter le drapeau de la révolution pour pactiser avec les partis bourgeois, comme l’ont fait les hommes du Temple Unique à Genève, les coullerystes à la Chaux-de-Fonds, et la section Greulich à Zurich ? Une explication publique à ce sujet serait nécessaire, et nous l’attendons de la Section de Moutier.
Nous terminons en disant, à la Jeunesse libérale du Jura que, si réellement ses principes sont les nôtres, nous serons heureux de compter de nouveaux frères en socialisme et en révolution ; mais, pour nous persuader de la conformité de notre programme et du sien , elle doit absolument faire une chose, la même que le Congrès de Bruxelles demandait à la Ligue de la Paix : Entrer dans l’Internationale.
Si vous n’osez pas marcher sous le drapeau de l’Internationale, votre socialisme n’est pas sérieux.