La Presse Anarchiste

Interim : nous y voilà !

Le pro­jet de loi du gou­ver­ne­ment qui va léga­li­ser l’in­té­rim o été adop­té par le Sénat le 11 juin der­nier. Voi­là plus de quatre ans que le gou­ver­ne­ment tenait à faire pas­ser son pro­jet, mais à chaque ten­ta­tive il se passe quelque évé­ne­ment poli­tique jugé plus impor­tant, et le pro­jet fut recon­duit à une date ulté­rieure. Cette nou­velle forme d’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste est donc légale, car il ne fai­sait aucun doute que la loi allait être votée haut la main par les gaul­listes et les « réformateurs ».

Cette loi ramène les condi­tions de tra­vail et de sécu­ri­té d’emploi aux condi­tions qui exis­taient avant 1936 : le pro­jet de loi est assez élo­quent à ce sujet ; nous ana­ly­se­rons plus en détail cet évé­ne­ment d’im­por­tance capi­tale pour l’u­ni­té de la classe ouvrière dans un pro­chain article. Mais il suf­fi­ra de savoir aujourd’­hui que les inté­ri­maires pour­ront être envoyés dans les usines en grève, que le droit syn­di­cal n’est pas expli­ci­te­ment recon­nu, et que les pro­cé­dures et les condi­tions de repré­sen­ta­tions syn­di­cales ou sein de l’en­tre­prise sont en régres­sion par rap­port à la légis­la­tion en vigueur (un an de pré­sence pour être élec­teur et dix-huit mois pour être éli­gible), et que bien d’autres res­tric­tions aux droits acquis de vive lutte par le pro­lé­ta­riat y sont eux très clai­re­ment men­tion­nés, sans omettre la non-obli­ga­tion de prendre ses congés payés.

Les deux grandes confé­dé­ra­tions syn­di­cales se sont, pas pour les mêmes rai­sons, oppo­sées à ce pro­jet de loi. La C.G.T., qui pense que l’in­té­rim est une pra­tique essen­tielle à la bonne marche d’une éco­no­mie moderne, conteste sur­tout le conte­nu de la loi, mois à aucun moment le prin­cipe de léga­li­sa­tion de la pra­tique du mar­chan­dage de la main-d’œuvre. Ain­si, pour elle, la res­tric­tion de la durée de mis­sion fixée à un maxi­mum de trois mois (sauf cas excep­tion­nel) est sur­tout pré­ju­di­ciable aux tra­vailleurs, et rejoint sous une argu­men­ta­tion dif­fé­rente la contes­ta­tion patro­nale. À aucun moment elle ne s’op­pose au prin­cipe même ; d’ailleurs com­ment pour­rait-il en être autre­ment quand de l’a­veu de Del­vers, per­ma­nent du syn­di­cat des tra­vailleurs et employés tem­po­raires C.G.T., l’in­té­rim existe en U.R.S.S. Aus­si par l’en­tre­mise du P.C.F., la C.G.T. compte essayer sons gronde illu­sion d’a­men­der le pro­jet ; Balan­ger a été très élo­quent sur ce point dons ses dif­fé­rents contacts.

La C.F.D.T. ou contraire, sui­vant en cela l’a­na­lyse de son Syn­di­cat pari­sien des tra­vailleurs inté­ri­maires (S.P.T.I.) conteste toute ana­lyse qui tend à démon­trer le bien-fon­dé et l’i­né­vi­ta­bi­li­té de l’in­té­rim, et le consi­dère comme la consé­quence de la carence capi­ta­liste en matière d’or­ga­ni­sa­tion, et un pur pro­duit de la recherche du pro­fit. Pour la C.F.D.T. l’ar­gu­men­ta­tion éco­no­mique cache sur­tout un objec­tif poli­tique qui est celui de la divi­sion de la classe ouvrière en deux caté­go­ries dis­tinctes de tra­vailleurs que le patro­nat aura tôt fait de rendre anta­go­nistes (pour tout ce qui concerne l’in­té­rim il est très inté­res­sant de lire le jour­nal du S.P.T.I. C.F.D.T. : les « Inté­ri­maires en lutte », abon­ne­ment à contrac­ter au 26 rue Mon­tho­lon, Paris 9e. Donc pour le C.F.D.T., il ne peut y avoir de bonne loi sur l’in­té­rim, celui-ci reste un enne­mi qu’il fout abattre avec toute la vigueur possible.

Mais aujourd’­hui, avec cette loi qui nous tombe sur les reins, que devons-nous faire ? Nous ne croyons pas qu’en créant des condi­tions de tra­vail avan­ta­geuses pour les inté­ri­maires nous puis­sions arrê­ter ce mou­ve­ment en orga­ni­sant son irren­ta­bi­li­té ; ceux qui le pensent sont dans l’er­reur, car les moti­va­tions de l’in­té­rim sont avant tout poli­tiques avant d’être éco­no­miques. Mais cela ne doit pas nous éga­rer de la fonc­tion actuelle du syn­di­ca­lisme qui est, rap­pe­lons-le, d’a­mé­lio­rer les condi­tions d’exis­tence des tra­vailleurs en pré­pa­rant la révo­lu­tion ; ce que ne font pas lès confédérations.

Il va donc fal­loir, sous peine d’i­nef­fi­ca­ci­té, que les mili­tants syn­di­ca­listes qui s’op­posent à l’in­té­rim sous quelque forme que ce soit changent le conte­nu des actions et des reven­di­ca­tions envi­sa­gées car aujourd’­hui lut­ter de front contre l’in­té­rim, qui se trouve appuyé par une loi, risque for­te­ment de gas­piller une éner­gie qui serait très pré­cieuse en étant employée savam­ment. Aus­si, afin que les inté­ri­maires, dont les rangs vont se ren­for­cer de jour en jour, s’or­ga­nisent enfin dans le syn­di­ca­lisme, il va fal­loir que les reven­di­ca­tions soient beau­coup plus terre à terre, avoir un carac­tère très reven­di­ca­tif sur des objec­tifs immé­diats. Ne pou­vant plus espé­rer dans un proche temps sup­pri­mer l’in­té­rim, nous n’ayons pas le droit de lais­ser dans cet état de sur­ex­ploi­tion les tra­vailleurs inté­ri­maires, et devons donc, par la force des choses, et sous peine que les syn­di­cats inté­ri­maires dis­pa­raissent, envi­sa­ger une stra­té­gie réaliste.

Un cahier natio­nal de reven­di­ca­tions des inté­ri­maires devrait être éta­bli dans les plus brefs délais, sans quoi les inté­ri­maires res­te­ront encore pour long­temps la masse informe des tra­vailleurs inor­ga­ni­sés : ce qui a le don d’ir­ri­ter par­ti­cu­liè­re­ment les tra­vailleurs séden­taires et qui empêche pour une grande par­tie la liai­son fixes-inté­ri­maires. Ce cahier de reven­di­ca­tions devrait être très pré­cis et même, sans pour cela qu’il soit un ferment de divi­sion, être, dans cer­tains cas, spé­ci­fique aux socié­tés (exemple : les socié­tés qui couvrent le ter­ri­toire : BIS par exemple)

Le cas d’une éven­tuelle conven­tion col­lec­tive devrait lui aus­si être étu­dié très pro­fon­dé­ment. À l’heure actuelle nul ne peut plus affir­mer sa noci­vi­té ou son uti­li­té. Depuis quelque temps des négo­cia­tions ont lieu à ce sujet entre le S.N.E.T.T. (patro­nat) et les confé­dé­ra­tions « repré­sen­ta­tives » : seul le S.P.T.I. C.F.D.T. n’a pas été invi­té par le syn­di­cat patro­nal qui a pris l’i­ni­tia­tive de ces ren­contres. Pro­ba­ble­ment que cela est le fait de l’o­rien­ta­tion syn­di­ca­liste révo­lu­tion­naire de ce syn­di­cat, ce dont nous le féli­ci­tons d’ailleurs ; c’est un hon­neur de ne pas être invi­té à une négo­cia­tion qui a été pro­vo­quée par le patro­nat lors­qu’on connaît la poli­tique d’in­té­gra­tion des syn­di­cats pra­ti­quée par le patro­nat et son gou­ver­ne­ment pour la « nou­velle société ».

Pour notre modeste part, vou­lant appor­ter publi­que­ment notre contri­bu­tion à ce com­bat, nous pro­po­sons un sché­ma de revendications :

  1. Aug­men­ta­tion des salaires uni­forme ou inver­se­ment hiérarchisée ;
  2. Uni­fi­ca­tion des salaires dons une même catégorie ;
  3. Inté­gra­tion com­plète des primes dans le salaire ;
  4. Indem­ni­té de repos obligatoire ;
  5. Qua­rante heures heb­do­ma­daires de mis­sion maximum ;
  6. Délé­gués du per­son­nel élus par cor­res­pon­dance : 3 mois pour être élec­teur – 6 mois pour être éli­gible. Dépla­ce­ment des délé­gués dans les entre­prises où les tra­vailleurs vont effec­tuer leur mis­sion. Heures de délé­ga­tion prises sur le temps de travail ;
  7. Retraite com­plé­men­taire obli­ga­toire, Retraite à soixante ans ;
  8. Obli­ga­tion de prendre ses congés payés (ce qui évi­te­ra de se faire sour­noi­se­ment licen­cier pour inter­rup­tion du contrat);
  9. Visite médi­cale obligatoire ;
  10. Inter­dic­tion de licen­cie­ment pour fin de chan­tier si la socié­té embauche ;
  11. Mois de pré­avis d’in­dem­ni­té en cas de licen­cie­ment (appli­ca­tion de la législation) ;
  12. Mesures spé­ci­fiques à l’entreprise.
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