La Presse Anarchiste

1er mai : jour de revendications et de lutte

Au moment où les man­da­rins du syn­di­ca­lisme se pré­parent à sabo­ter le pre­mier mai, il est bon de rap­pe­ler aux jeunes cama­rades l’o­ri­gine de ce jour de lutte et de reven­di­ca­tions ouvrières contre leurs exploiteurs.

La pro­pa­gande pour la jour­née de huit heures fut le point de départ des évé­ne­ments de Chi­ca­go. On peut dater de 1832, année où se déclen­cha une grève en faveur de la jour­née de dix heures, le début du mou­ve­ment. Mais ce ne fut que le 20 août 1866, au congrès de Bal­ti­more, que les tra­vailleurs aban­don­nèrent les par­tis bour­geois pour créer le par­ti ouvrier, et une de leurs pre­mières reven­di­ca­tions fut la dimi­nu­tion des heures de tra­vail ; ce ne fut qu’en 1884 que la Fédé­ra­tion des Tra­vailleurs des États-Unis et du Cana­da déci­da de faire la pre­mière grève pour obte­nir la jour­née de huit heures.

Le pre­mier mai 1886, sur 110.000 ouvriers qui se mirent en grève, plus de la moi­tié obtinrent une réduc­tion de la jour­née de tra­vail ; quant aux autres, ils se virent accor­der des avan­tages appré­ciables. Ce fut, ensuite, la tra­gé­die de Chi­ca­go où le capi­ta­lisme amé­ri­cain mon­tra sa férocité.

Le 16 février 1887, un conflit s’é­tant éle­vé dans l’u­sine Mac Cor­mick, lais­sant 1.200 ouvriers sans aucune res­source, une réunion eut lieu. Les cama­rades Par­sons et Schwab pro­tes­tèrent tout d’a­bord contre la venue de 400 poli­ciers armés et de 300 poli­ciers pri­vés, armés éga­le­ment ; dès lors, tous les jours, il y eut des col­li­sions entre les « défen­seurs de l’ordre » et les travailleurs.

Le 3 mai, les ouvriers ras­sem­blés devant l’u­sine Mac Cor­mick furent mitraillés à bout por­tant par l’i­gnoble police pri­vée, et ceci sans rai­son aucune. Le len­de­main de ce mas­sacre, les cama­rades Par­sons et Spies publièrent dans leur jour­nal l’ap­pel suivant :

« La guerre de classe est com­men­cée ; des ouvriers ont été fusillés devant l’é­ta­blis­se­ment Mac Cor­mick, leur sang crie : Ven­geance ! Le doute n’est plus pos­sible : les bêtes fauves qui nous gou­vernent sont avides du sang des tra­vailleurs, mais ceux-ci ne sont pas du bétail d’a­bat­toir ; à la ter­reur blanche nous répon­drons par la ter­reur rouge. Mieux vaut mou­rir que vivre dans la misère !

Puis­qu’on nous mitraille, répon­dons de manière que nos maîtres en gardent long­temps le sou­ve­nir. La situa­tion nous fait un devoir de prendre les armes ! Hier soir, pen­dant que les femmes et les enfants pleu­raient leurs maris et leurs pères tom­bés sous les balles des assas­sins, les riches emplis­saient leurs verres à la san­té des ban­dits de l’ordre social. Séchez vos larmes, femmes et enfants ! Esclaves, haut les cœurs ! Vive l’insurrection ! »

Le jour sui­vant, 15.000 ouvriers se ren­dirent au mee­ting de pro­tes­ta­tion sur la place de Hay Mar­ket. Au moment où il pre­nait fin, une bombe tom­ba au milieu de la police, tuant sept gen­darmes et en bles­sant une soixan­taine. Ensuite, la bataille s’en­ga­gea entre les poli­ciers et le peuple ; mais la lutte était inégale et, une fois de plus, les ouvriers durent céder devant les chiens de garde du capi­tal. Les auto­ri­tés prirent pré­texte des gen­darmes tués pour arrê­ter les cama­rades les plus connus du mou­ve­ment ouvrier et ce fut le juge­ment inique. Les com­pa­gnons : Auguste Spies, Samuel Fiel­den, Michel Schwab, Louis Lingg, Adolph Fischer, Georges Engel, Albert Par­sons, furent condam­nés à être pen­dus sur une place publique, et Oscar Neebe à quinze ans de pénitencier.

C’est pour com­mé­mo­rer ces évé­ne­ments que, en 1889, au congrès inter­na­tio­nal réuni à Paris, les asso­cia­tions ouvrières déci­dèrent d’une date fixe annuelle où, dans le monde entier, les pro­lé­taires expri­me­raient leurs reven­di­ca­tions en ces­sant le tra­vail et en mani­fes­tant. Le jour choi­si fut le pre­mier mai.

En France, le pre­mier mai le plus mar­quant fut d’a­bord celui de 1890, à Vienne. Les cama­rades anar­chistes qui étaient à la tête du syn­di­cat du Tex­tile déci­dèrent de don­ner à ce jour un carac­tère vrai­ment reven­di­ca­tif. À la sor­tie du mee­ting où notre cama­rade Louise Michel avait pris la parole, des col­li­sions se pro­dui­sirent entre mani­fes­tants et poli­ciers. La foule ouvrière se por­ta sur le quar­tier des usines et ce fut l’as­saut des maga­sins de drap de la fabrique Bro­card : le maga­sin fut enva­hi et les tis­sus de drap furent attri­bués à ceux qui n’a­vaient pas de quoi s’ha­biller. Par la suite, le cama­rade Pierre Mar­tin, qui reven­di­qua pour lui seul toutes les res­pon­sa­bi­li­tés, fut condam­né à trois ans de prison.

En 1891, à Cli­chy, il y eut une grande mani­fes­ta­tion de rue où la police fit encore des siennes en tapant a tour de bras sur les hommes et les femmes ; une quin­zaine de com­pa­gnons entrèrent dans un café, mais celui-ci fut enva­hi par les agents et la bagarre conti­nua. Les uns se défen­dirent avec des revol­vers, les autres avec leurs cou­teaux ou des tabou­rets. Trois ouvriers bles­sés tom­bèrent au pou­voir des agents et pas­sèrent en juge­ment quatre mois après. Léveillé fut acquit­té ; Dar­dare condam­né à trois ans de pri­son et Des­camps à cinq ans.

Le même jour, ce fut la fusillade de Four­mies. Les ouvriers d’une usine impor­tante étaient en grève depuis le mois d’août. Dans la mati­née, les gré­vistes tinrent une réunion pour invi­ter une autre usine à ces­ser le tra­vail ; ils s’y diri­gèrent et se trou­vèrent en face d’un pelo­ton de gen­dar­me­rie qui les char­gea immé­dia­te­ment et huit ouvriers furent arrê­tés. La colère gron­da dans la ville et une foule hou­leuse mar­cha sur la mai­rie pour récla­mer les pri­son­niers. Mais un bataillon du 145e de ligne retint les mani­fes­tants. Tout se serait bien pas­sé si une brute, le com­man­dant Cha­puis, per­dant la tête, n’a­vait com­man­dé le feu. Cette tue­rie fit 10 morts et plus de 80 per­sonnes furent blessés.

En 1906, la C.G.T. prit net­te­ment posi­tion en déclarant :

« À par­tir du pre­mier mai 1906, nous ne tra­vaille­rons que huit heures par jour. »

Ce fut, pour la bour­geoi­sie, une véri­table panique ; les maga­sins d’a­li­men­ta­tion furent déva­li­sés par les consom­ma­teurs effrayés et Paris fut en par­tie déser­té. Ceux qui ne purent par­tir se ter­rèrent dans leurs caves. Le gou­ver­ne­ment pro­cé­da à l’ar­res­ta­tion de nom­breux mili­tants, ce qui n’empêcha pas que la grève fut totale et que la classe ouvrière mani­fes­ta dans la rue. Là aus­si il fut déplo­ré des col­li­sions san­glantes. Mais le sort en était jeté : le pre­mier mai, chaque année, devait être le jour sym­bo­lique de la lutte de classe et non « fête du tra­vail », comme cer­tains fati­gués veulent nous le faire entendre. Le syn­di­ca­lisme de cette époque affir­mait sa ten­dance révo­lu­tion­naire et sa méfiance contre les endor­meurs de la poli­tique, ain­si qu’en témoigne la charte d’A­miens, qui date de la même année.

Jus­qu’à 1914, nous assis­tons à des pre­miers mai net­te­ment lutte de classe, puis ce fut le renie­ment des res­pon­sables de la C.G.T. qui, pen­dant cinq ans, se sont vau­trés dans la déma­go­gie natio­na­liste ; ensuite, ce fut le pre­mier mai 1919. Il fut, en France et à Paris en par­ti­cu­lier, le plus puis­sant. On peut dire que le chô­mage fut total. La guerre qui venait de se ter­mi­ner avait lais­sé dans le cœur du pro­lé­ta­riat des fer­ments de colère et de haine contre la guerre et ses res­pon­sables. Le syn­di­ca­lisme, grâce à une mino­ri­té agis­sante, grou­pait sous son égide la volon­té des tra­vailleurs en révolte.

Le gou­ver­ne­ment du fameux Cle­men­ceau ayant inter­dit toute mani­fes­ta­tion sur la voie publique, les tra­vailleurs défer­lèrent néan­moins en flots com­pacts à tra­vers les rangs des sol­dats avec les­quels ils fra­ter­ni­saient. De la Made­leine à la Concorde, les mani­fes­tants se bat­tirent avec les fameuses bri­gades cen­trales. Rues Louis-le-Grand et de la Micho­dière, les agents et les gardes se ruèrent sau­va­ge­ment sur les mani­fes­tants armés de sabre et de matraque. Des coups de revol­ver furent tirés. C’est là que fut tué le jeune Lorne, du syn­di­cat des élec­tri­ciens. Il y eut de nom­breux bles­sés de part et d’autre. Nous pou­vons dire que ce fut une vic­toire pour la classe ouvrière, car c’est grâce à l’éner­gie qu’elle mon­tra ce jour-là qu’elle obtint la jour­née de huit heures.

Les autres pre­miers mai furent plu­tôt ternes jus­qu’en 1936 où les poli­ti­ciens mar­rons du Front popu­laire endor­mirent une fois de plus la classe ouvrière qui venait de faire son unité.

Il ne fal­lait pas gêner les élec­tions et assu­rer le suc­cès des can­di­dats du Front popu­laire en bal­lot­tage. C’est pour­quoi cette grève ne fut que figu­ra­tive et que l’on vit cer­taines admi­nis­tra­tions auto­ri­ser les fonc­tion­naires à chô­mer en deman­dant une per­mis­sion. Drôle de façon de reven­di­quer ses droits.

Puis vinrent les pre­miers mai de guerre qui, sous l’é­gide de Pétain, furent décla­rés « fêtes du travail ».

Nous voi­ci au pre­mier mai 1945. Que sera celui-ci ? Espé­rons, sans trop y croire, que, cette année, les ouvriers se res­sai­si­ront et seront tous soli­daires dans la lutte qui les condui­ra à l’a­vè­ne­ment d’une socié­té nou­velle et à l’af­fran­chis­se­ment total du prolétariat.

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