La Presse Anarchiste

À un revenant

Alors, mon gars, te voi­là reve­nu ! T’as pas l’air en mau­vaise san­té, on peut même dire que t’as bonne mine.

Oui, je sais, tu as bien mai­gri ; mais tu es là, c’est le principal.

Oh ! il y a du chan­ge­ment ici. Tout de même ça sent-il bon la France.

Tu es hébé­té, bien sûr!! Tu te remet­tras dans l’am­biance. Et puis, l’a­ve­nir est si beau main­te­nant, tous les Fran­çais sont frères.

À quoi pen­sais-tu là-bas, dans ton stalag ?

À une vie pleine de féli­ci­té, sans doute, avec du pain, la paix et la liberté !

Tu ‘auras qu’à foutre un papier dans une urne et ton rêve se réa­li­se­ra, c’est automatique.

Ensuite, mon gars, il fau­dra rega­gner l’a­te­lier, atta­quer le bou­lot et redou­bler d’au­tant d’ef­forts que tu auras per­du la main ; car les patrons n’aiment pas cela.

Main­te­nant, un bon conseil. N’en­nuie pas trop les gens avec le récit de tes mal­heurs ; car tons les Fran­çais ici ont souf­fert la main dans la main.

Oh ! ce n’est pas tel­le­ment les ouvriers, parce qu’ils avaient leurs salaires. Ni les fonc­tion­naires, qui ont un trai­te­ment de nabab maintenant.

Les sinis­trés, oui, peut-être, quoi­qu’ils aient reçu de fortes indem­ni­tés, se mon­tant jus­qu’à des 500 francs, plus de vieux som­miers hors d’usage.

Si tu veux voir la misère, va plu­tôt un matin vers l’a­ve­nue du Bois. Elles sont tou­jours là, les deux cents familles ; mais com­bien fau­chées ! La preuve, ils ont des cha­peaux cloche et ils s’offrent un tape­cul qui doit être un abo­mi­nable sup­plice sur des che­vaux sans doute impropres à la consom­ma­tion ou à un tra­vail col­lec­tif. Sois bien assu­ré que s’ils font de l’é­qui­ta­tion, c’est qu’ils n’ont pas trou­vé de vélo, que s’ils ne vont pas à pied, c’est parce que leurs bottes doivent être écu­lées, et que, sans doute, ne sont-ils plus assez riches pour prendre le métro.

À part ça, mon gars, bonne chance. Il faut sans tar­der refaire une arma­ture à la France, j’es­père qu’on peut comp­ter sur toi.

La Presse Anarchiste