[/« Ce qui est élevé devant les hommes
est en abomination devant Dieu. »
Le Christ/]
I. – Ce que l’homme corrompt
Ce qui est élevé devant les hommes… Il y a dans l’humanité des choses grandes, hautes vertus et pures gloires, qui ne sont pas qui ne peuvent pas être en abomination devant Dieu car elles viennent de Dieu.
Les grandes envolées de la conscience et de l’intelligence humaine, les grands coups d’ailes du génie, tout ce qui fait planer l’homme au-dessus de lui-même en l’élevant vers Dieu, religion, science, amour du beau, recherche de l’idéal, tout cela Dieu l’honore, plus que nous ne pourrions l’honorer nous-mêmes.
Ce qu’il a en abomination, c’est tout ce que l’homme y ajoute d’orgueil et d’égoïsme. Ce qu’il a en abomination ce ne sont pas les choses pures, ce sont les choses que l’homme corrompt ; ce ne sont pas les choses élevées, ce sont les hommes qui s’élèvent. Du haut du ciel son regard s’abaisse vers les hommes, et il voit qu’ils ont perverti ses desseins.
À ce savant, il avait accordé la science des choses cachées, afin qu’il instruisit ses frères, qu’il fût une lumière pour tous. Et ce savant s’est fait un piédestal de sa science ; oubliant sa mission terrestre, dédaigneux des foules ignorantes, isolé dans son égoïste labeur, il déclare orgueilleusement que les couches inférieures de l’humanité sont l’engrais nécessaire à l’éclosion de quelques fleurs rares. Admirée par les hommes, la science de ce savant est en abomination devant Dieu.
À cet artiste Dieu avait accordé le sens des harmonies, afin qu’il pût réjouir le cœur de ses frères, éveiller dans leurs âmes des visions de beauté, faire passer en eux des révélations d’idéal. Et cet artiste, oubliant sa mission terrestre a tiré profit égoïstement de son art. Il s’en est servi pour réussir, c’est-à-dire pour conquérir les faveurs et les distinctions. Par ambitions, par amour du gain, il a peut-être même avili son art afin de mieux flatter les instincts grossiers de la foule.
Et maintenant, applaudi par les hommes, le talent de cet homme est en abomination devant Dieu.
Enfin voici quelqu’un à qui Dieu avait confié un sacerdoce plus excellent encore. Il l’avait chargé d’être son ambassadeur sur la terre, il en avait fait un pasteur de peuples. Le ministère de cet homme devait être un ministère d’amour, de bonté, de miséricorde ; il devait veiller sur les âmes confiées à ses soins, les encourager, les consoler, les élever vers les choses d’en haut. Comme le Christ, cet homme, ce prêtre devait servir les hommes et non les dominer. Mais l’orgueil l’a séduit. Il s’est revêtu d’habits somptueux, s’est donné un grand nom. Foulant aux pieds les consciences, les écrasant sous le poids de son autorité, il s’est fait le juge des inspirations de l’Esprit de Dieu dans le cœur des croyants, et il a condamné, jeté l’anathème, excommunié. Oui, du haut de leur dogmes corrompus et corrupteurs, les princes de l’Église ont fait tomber leur malédiction sur les âmes les plus lumineuses, sur les disciples de Christ les plus fidèles, sur les vrais prophètes de Dieu : On a pu voir un saint comme Tolstoï jeté hors de l’Église par les grands dignitaires de sa religion. Mais c’est sur eux-mêmes que retombe leur condamnation. L’anathème véritable est celui qui sort de la bouche d’une simple croyante :
« Les renégats, dit-elle, ne sont point ceux qui s’égarent à la recherche de la vérité, mais ceux qui placés par leur orgueil même à la tête de l’Église, et infidèles à la loi d’amour, d’humilité, de miséricorde, ont fait œuvre de bourreaux spirituels. Dieu sera indulgent à ceux qui même au dehors de l’Église ont vécu de la vie d’humilité, de renoncement aux biens de ce monde, d’amour et de dévouement ; son pardon leur est mieux assure qu’à ceux dont les mitres et les décorations sont constellées de pierreries, mais qui frappent et retranchent — mauvais bergers — de l’Église dont ils sont les pasteurs [[Comtesse Sophie Tolstoï. Lettre du 26 février 11 mars 1901.]]. »
Oui, la religion de ces mauvais bergers peut recevoir les hommages des hommes ; leur saint synode, comme jadis le sanhédrin, qui mit à mort le Christ, peut-être grand devant les hommes : ils sont en abomination devant Dieu.
Paul Richard