La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

Gare, là-dessous !

Cette guerre, évi­dem­ment, est une mer­veille de la technique.

Nous sommes à l’âge de l’élec­tri­ci­té, de la T.S.F., et il faut bien des choses pour nous éton­ner. Mais, tout de même, quand on pense à ces avions for­mi­dables empor­tant des bombes de 11 tonnes, à ces nuées de para­chutes, à ces V1, V2, V3, aux tanks amphi­bies, aux chars incen­diaires, n’y a‑t-il pas de quoi être impressionné ?

Lais­sons les esprits cha­grins faire le total des dégâts. D’a­bord, y en a‑t-il tel­le­ment ? Bien sûr, un peu par­tout sur la pla­nète, des crânes de dif­fé­rentes natio­na­li­tés ont per­du la notion de patrie au cours de ces der­nières années, bien des bras aban­don­nant leurs pro­prié­taires se sont réfu­giés en un chô­mage défi­ni­tif et bien des car­casses, nour­ries pour la plu­part de ruta­ba­gas et de vache enra­gée, ont été mises au régime de la diète absolue.

Et puis, après ? La science n’a-t-elle pas tou­jours eu ses mar­tyrs ? Mais si l’on met en paral­lèle les bien­faits que la guerre pro­digue aux sur­vi­vants, on est obli­gé de recon­naître que l’hu­ma­ni­té ne mange pas trop, ne boit pas trop, ne fume pas trop, ce qui est excellent pour la san­té. Pour ceux qui vou­laient détruire les tau­dis, on a détruit des villes entières. Quant aux éter­nels mécon­tents, on les a priés de la bou­cler, c’est excellent pour le gosier.

Dire qu’il y a des gens qui vou­draient que ça s’ar­rête ! Heu­reu­se­ment, on n’ar­rête pas le pro­grès. Alors, ils s’é­nervent : « Armis­tice ! Où es-tu ? Armis­tice ! Entends-tu ? » C’est pour la Noël ? Mais non, ce sera pour Pâques… ou bien la Trinités ?

Seule­ment, Armis­tice « vien­dra, vien­dras pas ? » n’est point si pres­sée, car il sait que le pre­mier soin du gou­ver­ne­ment sera de lui faire son­ner les cloches.

En Belgique

« Le Dra­peau Rouge », organe du par­ti com­mu­niste belge, nous apprend que les Belges touchent men­suel­le­ment 800 gr. de matières grasses, des pommes de terre, de la farine, enfin le meilleur tableau de ravi­taille­ment depuis mai 1940. Heu­reux Belges pour qui les trans­ports, les inon­da­tions, la gelée n’ont pas eu trop d’in­fluence néfaste. Heu­reux Belges, qui n’êtes pas affli­gés d’un Rama­dier ! Heu­reux Belges, qui pré­fé­rez la graisse de bœuf aux canons !

Après les prisonniers et déportés, les chevaux…

Nous avons eu le bon­heur (est-ce trop dire?) d’en­tendre, lun­di 16 avril, après la chro­nique spor­tive, vers 7h.25, sur les antennes de Radio-Natio­nal, l’in­for­ma­tion suivante :

« Voi­ci une nou­velle qui réjoui­ra tous les tur­fistes fran­çais. Dans son avance, l’ar­mée Pat­ton a libé­ré (sic) nos deux grands éta­lons Pha­ris et Bran­tôme, qui étaient au haras de X… (le nom nous échappe)».

Cin­quante pri­son­niers ayant droit à leur arri­vée à un pelo­ton en armes, cent à la musique de la Garde ou de la Pré­fec­ture de police, etc. (ins­truc­tions offi­cielles), qui rece­vra à leur retour de « cap­ti­vi­té » ces deux gloires natio­nales, Pha­ris et Bran­tôme, vic­times du nazisme ?

« Les bons allemands : les morts »

Oh ! Oh ! aurions-nous été de lâches calom­nia­teurs et la liber­té de la presse exis­te­rait-elle réel­le­ment en U.R.S.S.? C’est ce que nous affir­me­ra sans doute sérieu­se­ment la grave « Huma », pre­nant pré­texte de la dis­pute qui met aux prises Ilya Ehren­bourg dans l’«Étoile Rouge » et le pro­fes­seur Alexan­drof, chef de la pro­pa­gande du Comi­té cen­tral du par­ti com­mu­niste russe, dans la « Pravda ».

Le sujet de la que­relle : « Les bons Alle­mands » (les morts) du pre­mier et son assi­mi­la­tion de la popu­la­tion alle­mande tout entière à une « bande de malfaiteurs ».

Le second, par contre, écrit : « Les conclu­sions et les déduc­tions mal fon­dées du cama­rade Ehren­bourg répandent sou­vent de la confu­sion et n’aident, en aucun cas, à démas­quer les manœuvres de pro­vo­ca­tion des hit­lé­riens cher­chant à semer la dis­cus­sion dans le camp des alliés. » Et il ajoute que « le peuple sovié­tique n’a jamais confon­du la popu­la­tion alle­mande avec la clique des fas­cistes cri­mi­nels diri­geant l’Allemagne. »

Il est vrai que, mal­gré le coup en vache du même Ehren­bourg, écri­vant dans l’«Étoile Rouge » que les Amé­ri­cains avaient inau­gu­ré une nou­velle tac­tique : la prise des villes à coups de télé­phone, ces mêmes Amé­ri­cains sont, eux aus­si, en vue de Berlin.
Et ceci expli­que­ra cela. 

Ils chantent… ils paieront

Rue de Bel­le­ville un orchestre popu­laire joue une paro­die de l’«Internationale » devant une foule de badauds. À La Motte-Piquet-Gre­nelle, un orchestre popu­laire joue une paro­die de « La Jeune Garde » devant une foule de badauds.

Nous ne sommes pas atta­chés aux vieilles choses, mais voir les chants que la foule n’en­ton­nait que lors­qu’elle avait le feu au centre deve­nir la ren­gaine de la rue comme « La Jambe en Bois » ou « L’Hi­ron­delle du Fau­bourg », ça nous pince un tout petit peu et ça nous dégoûte.

Au dessus de la mêlée

Nous rele­vons, dans la « Gazette de Lau­sanne » du ven­dre­di 13 avril, l’an­nonce suivante :

« Au Cinéac, le docu­ment his­to­rique le plus for­mi­dable qui soit : « Le pont vers le conti­nent. » Ce que fut : la pré­pa­ra­tion de l’in­va­sion en Angle­terre ; hommes et maté­riel affluent vers les ports ; l’heure H : une arma­da géante vogue vers la côte ; tous les com­bats de Caen, Bayeux, Falaise, Rouen jus­qu’à la libé­ra­tion de Bruxelles.

Toutes ces prises de vues furent faites par les opé­ra­teurs de l’ar­mée anglaise.

Depuis le film de l’In­va­sion, rien de pareil ne fut montré. »

Nous n’a­vons pas besoin de sou­li­gner que le « film de l’in­va­sion », qui se dérou­la en sens inverse, de La Haye aux Pyré­nées, pour pré­ci­ser, fut, lui, tour­né par les opé­ra­teurs de la Wehrmacht.

Mais ce que nous ferons remar­quer, c’est plus que la beau­té lit­té­raire de ce texte, l’in­vi­ta­tion char­mante à com­pa­rer, des rives du Léman, les qua­li­tés res­pec­tives des armées conqué­rantes et, libé­ra­trices, leurs effets, et à mar­quer les points dans les fau­teuils confor­tables du « Cinéac ».

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