[/Saintes, le 21 août 1901./]
Cher monsieur et ami,
Je pense souvent à vous, à votre activité sociale et religieuse, à votre désir de repandre dans notre peuple la connaissance du Christ, c’est-à-dire la « Lumière de la vie ». Nombreux sont ceux chez nous qui n’espèrent pas trouver la réalisation de leur idéal social et moral dans un régime économique quelconque : fut-il le plus habilement échafaudé ou le plus rigoureusement imposé. Beaucoup de nos contemporains, aux heures de réflexion, après les excitations folles, pendant les joies profondes ou les amertumes impitoyables, éprouvent un besoin plus ou moins précis d’une paix qui dure et nous débarrasse des incertitudes du lendemain et des cruelles déceptions de chaque jour. Vous aurez des joies infinies, malgré les luttes, les douleurs inséparables des apostolats. Je vous comprends et je vous aime ; n’ayant pu vous écrire souvent, j’ai agi, j’ai fait comme par le passé, car notre foi, puisant à la même source, a beaucoup d’analogies avec cette différence toutefois que je lutte et souffre depuis 16 ans dans l’obscurité sans parents, sans amis. Du moins pendant les dix premières années je passais pour un révolutionnaire religieux, pour un fou. Parfois, je me demande si réellement, je ne me faisais pas d’illusion sur ma mission, si c’était vraiment une inspiration d’en haut qui me poussait à à aimer mes frères en Dieu et à aimer mon Dieu en mes frères, à vouloir travailler dans la mesure de mes forces à terrasser toutes les manifestations du mal, à diriger tout d’abord mon cœur, mes regards vers les faibles et les souffrants, les spoliés et les victimes de toutes catégories, vers ceux enfin qui soupirent après la délivrance du prêtre, du puissant et des iniquités, appelant de leur cœur, le règne de la justice et du bonheur pour tous. Mais après le lecture d’un passage de l’Évangile et une prière au Père céleste tout rayonnait de nouveau en moi et je voyais se préparer lentement mais sûrement, le règne de Dieu dans les cœurs triomphant de toute la ruse de nos ennemis séculaires. L’Orgueil, l’Hypocrisie terrassés par la Vérité et l’Humilité du Christ. L’humanité repentante, régénérée et la vie s’épanouir dans l’amour divin. Tous les hommes unis auprès du Christ dans une même foi, une même adoration. Sacrifice de notre égoïsme par l’éclosion et l’épanouissement de l’altruisme. Union intime dans la diversité de rapports, sans hiérarchie. L’harmonie des nuances réalisées en Jésus-Christ, véritable chef de l’humanité grandie, purifiée, progressant toujours jusqu’au moment de la transformation définitive. Quelle sublime réalité que celle de la foi évangélique ; oui,mais à condition d’abandonner les théories de chapelle, les partis, les sectes, les clergés, tous sans exception. OH ! L’ORGUEIL RELIGIEUX, QUEL PARASITE DANGEREUX. Non, plus de prêtres, ni de pasteurs, ni de frères patentés, mais des frères, des amis, des élus ; des enfants de Dieu, s’avertissant, s’exhortant mutuellement et en attendant que l’humanité toute entière s’éclaire et se réchauffe au Soleil de justice, des chrétiens missionnaires de tout les pays en commençant par ceux soi-disant chrétiens. Tout, cela c’est la foi laïque qui progresse chaque jour et qui doit s’affirmer par des associations dont les membres s’appliqueront à réaliser dans toutes les circonstances de la vie, les devoirs de la fraternité et de la solidarité, c’est-à-dire les devoirs envers nos frères et envers tous nos semblables, tout en laissant à chaque personne, à chaque famille son individualité propre. En un mot, de grandes familles chrétiennes préparant la vie sociale, économique, scientifique de l’avenir en s’appuyant sur la foi en Christ et la direction de l’Esprit de Dieu.
Tout cela c’est ce que vous voulez faire sous une forme plus pratique et plus élevée sans doute aussi suis-je heureux de pouvoir dire que je suis avec vous de tout cœur.
Votre tout dévoué en Jésus-Christ.
Un chrétien laïque